Revue

"L'autonomie dans le viseur" : retour sur une série de rencontres entre un animateur et des enfants ayant provoqué une inversion des rôles

L'autrice fait part ici d'une innovation passionnante en II - C : l'enfant animateur d'un atelier philo.

Introduction

Cadre d'observation d'une rencontre avec les enfants

De l'expérience d'où je parle, il y a des enfants de 6 à 12 ans, tous rencontrés dans des contextes privilégiés majoritairement parascolaires. Les enfants ne sont pas nécessairement ceux de classes sociales dites privilégiées, mais ils se rassemblent dans un lieu où le privilège qui leur est accordé est celui d'un temps précieux pour penser, de ne pas y être obligés et d'intégrer une micro-société de maximum 12 enfants. Les enfants s'embarquent alors dans un projet à rendez-vous réguliers : des ateliers de discussions à visée philosophique et des ateliers philo/art. Les lieux d'interventions sont ceux des médiathèques, temps périscolaires, écoles, théâtres, centres d'art, MJC.

Posture de l'éducateur en phase d'observation

Aux origines des engagements pris envers les enfants dans le cadre des ateliers philo/art, il y a la rencontre avec une enfant accompagnée individuellement dans sa vie scolaire en raison d'un ou plusieurs handicaps reconnus comme des empêchements à son intégration dans la société scolaire. Cette rencontre est le déclencheur d'un questionnement sur la nature même de "l'être-enfant".

"Faut-il choisir de lutter contre ou de lutter pour ?" Voici la question première de l'animateur équipé de sa volonté de grandir du grandissement des enfants. Dans la première option, il s'agirait de lutter contre la considération des enfants pris uniquement dans leur qualité d'êtres non parlants. Dans la deuxième, il s'agit plutôt de lutter pour la considération des enfants comme des êtres aux langages naissants. Soutenir cette situation du devenir constant d'un être qui tout en étant, est déjà un autre, pris dans un mouvement perpétuel qui l'emporte toujours dans un désir d'accéder à un état autre que celui "d'ignorant" auquel il peut être soumis souvent. Cette deuxième discussion est d'emblée plus stimulante.

Partant des rencontres faites avec les enfants, quels qu'ils soient, quels que soient leur lieu d'arrivée, leurs options de cheminer, leurs contextes de vie, les constats permettent d'envisager qu'ils savent ce dont ils ont besoin, qu'ils savent ce vers quoi ils veulent aller, qu'ils savent ce qui les en empêche et ce qu'ils doivent défier. L'enfant sait qu'il peut (se) découvrir dans l'inconnu, c'est même sa maîtrise essentielle : savoir vivre ou survivre à une pluralité d'inconnues pour grandir quoi qu'il lui arrive. C'est de cet endroit qu'une mise en autonomie du dispositif philo par les enfants eux-mêmes est expérimentée progressivement.

Une vision de l'enfant-sachant par sa parole en train d'advenir permet de l'envisager comme celui qui peut prendre les rênes, se gouverner sans avoir à toujours se justifier, à se débattre, ni à prouver son droit à l'existence. Si l'enfant est pris en sandwich entre "être" et "devenir", si les dispositifs éducationnels sont censés le guider vers l'autonomie, pourquoi ne pas s'aventurer dans des processus lui permettant de satisfaire ce goût pour cette autonomie ? Un projet d'autonomisation doit alors permettre aux enfants de vivre leur monde d'enfance selon des choix et non des soumissions, selon des créations et non des reproductions. Quelques expérimentations aux côtés des enfants font apparaître les potentialités de l'enfant qui osera agir de lui-même en dehors du dispositif (confiné) d'apprentissage.

I) Accompagner l'enfant, c'est viser son autonomie

A) Re-voir l'enfant

L'enfant, par l'étymologie de son appellation latine "in farer" supporte la reconnaissance de "celui qui ne parle pas", et par son origine grecque f?µ? "phémi" celui "qui ne sait manifester sa pensée par la parole". Ce qui surprend dans cet étiquetage est la définition via l'unique versant négatif de ce qu'est l'enfant ; là, il est d'abord ce qu'il n'est pas. Si l'étymologie de "parler" venant du bas latin "parabolare" signifiant "raconter des histoires", alors il est heureux de ne pas savoir parler pour éviter de nourrir la sphère du langage d'un trop plein d'affabulations (quoique les fables soient pourtant nécessaires à notre évolution...). Ce que ne dit pas l'étymologie, c'est si l'enfant sait "se parler". Pourquoi ne pas l'envisager ? Si l'enfant peut et sait se parler à lui-même, on peut envisager qu'il se régit par des codes, des lois, faites siennes et mises en action à l'instant même de son propre langage. Le principe même d'une autonomie primaire existerait en soi dans cette capacité à être soi-même (autos) sa propre loi (nomos) pour faire advenir un parler qui fait exister (se tenir debout) dans la sphère sociale. Si l'enfant se parle donc, selon des lois qui lui sont propres, pourquoi ne pas considérer ses talents d'auteur d'emblée où l'auctor est celui qui "fait croître et développe", "celui qui est à l'origine de quelque chose", et "celui qui pousse à agir ".

Ce regard sur l'enfant en tant qu'être déjà agissant sur le monde met en fragilité la posture de l'éducateur et le renvoie lui aussi à son origine étymologique et historique du pédagogue, esclave chargé de conduire l'enfant à l'école et dans le monde. Alors à la suite de Philippe Meirieu pour qui il faut présenter le monde à l'enfant, pourquoi ne pas présenter l'enfant au grand monde, en même temps, en retour, comme en dialogue ? Il s'agit alors pour l'éducateur d'entendre, de deviner, de considérer cette capacité de l'enfant d'être déjà ce qu'il va devenir, car tout ce qui est, était déjà là avant. L'analogie avec la germination et son tuteur pour simplement ériger la fleur est ici tentante.

Finalement, le rôle de cet accompagnant est d'assister l'enfant à traverser un espace-temps, comme un passage entre l'état médusé du spectateur face au monde à l'état agissant de l'auteur-acteur qui plonge dans le monde et le transforme du fait même de son immersion. Si l'on considère que l'enfant possède cette capacité de langage en germe, de soi à soi, c'est qu'il possède déjà, en sourdine, cette même capacité de parler à l'extérieur de lui grâce par sa mise en apprentissage d'une vie en société. L'objectif de l'accompagnant est alors de préparer l'apprenant à son autonomie non plus uniquement pour lui-même, mais en dehors de lui et au contact de sa société pour y prendre part entièrement. Au-delà de l'école, après ou avant, il est possible de proposer à l'enfant les moyens de gagner et éprouver cette mise en autonomie dont sa révélation piétine en sourdine comme une image latente. Derrière l'action pédagogique, il y a la nécessité d'un objectif ouvert sur l'avenir de l'enfant pour qu'il puisse une fois adulte ne pas perdre le goût de (re)créer le monde. Nous partons du postulat de l'enfant créateur né, l'acte de créer est sa manière d'exister, il faut donc lui proposer d'exister, se déployer pour mieux se manifester, se montrer, sortir de et puisse recréer.

Jacques Lévine décrit l'enfant comme un "interlocuteur valable". L'accompagnant à ses côtés doit conduire l'enfant dans son devenir d'adulte raisonné capable de penser et d'agir par lui-même dans le monde qui le contient, qu'il contient et qu'il modèle. Quels échanges s'instaurent entre ces deux partenaires dont chacun a pour objectif de prendre de l'autre pour apprendre à apprendre à soi et aux autres ? L'enjeu relève de la première rencontre avec l'enfant. Cette rencontre participe du même fonctionnement d'une rencontre avec une oeuvre d'art.

B) La rencontre avec l'enfant-oeuvre ou l'art de la bonne distance

Dans un face à face avec une peinture (dans une situation voulue ou surprise), quelque chose cherche à apparaître immédiatement, à la reconnaissance du regardeur d'abord. Quelque chose rencontre l'oeil par ressemblance, souvenir, mémoire, étonnement ou alors rien ne vient à cette rencontre. Mais l'un ou l'autre état (connaître / reconnaître ou comprendre / ne rien comprendre ou surprendre) peut susciter l'envie d'insister pour qu'une certaine rencontre ait lieu. Bien sûr, techniquement, la peinture se moque de la présence du regardeur, pourtant elle est là, exposée devant nos yeux. Il y a bien eu une volonté de la peinture d'être là, d'être mise à jour au-delà de la volonté du peintre. C'est bien l'oeuvre finie qui me parle, tout au moins me regarde autant que je la regarde, et si elle me regarde - m'observe autant que je l'observe -, c'est parce que sa présence m'interpelle qu'elle fait éclore un dialogue intérieur que je peux garder pour moi ou partager ensuite avec d'autres. Si je veux en savoir plus (dans cette rencontre), je m'approche de la toile, et/ou m'en éloigne, tout dépend de ma position de départ. La question de la distance change tout de la préhension et de l'échange qui se joue. Cet entre le lieu de l'oeil et le lieu de la toile est quelque chose que je dois traverser, en m'adaptant. C'est une danse qui se fait par l'oscillation du proche au lointain jusqu'à un certain point de satiété, mais jusqu'où à nouveau j'admets ne plus rien voir, ne plus rien reconnaître et vouloir voir encore, autrement. Alors, si je veux aller plus loin, il faut mettre du temps entre de nouveaux moments de regard, du temps pour digérer ce qui a bien voulu s'imprimer dans l'oeil, puis dans l'esprit, puis dans la vie. Ne pas aller plus loin, ce serait comme manger un bonbon à moitié, mais cela est-il possible ? (Oui en cas d'écoeurement, mais celui-ci n'est-il pas une autre direction possible de la rencontre ?) Rencontrer un enfant, comme rencontrer une oeuvre, résiste difficilement à la curiosité, au besoin d'en savoir plus.

Quelle que soit l'ambition de l'animateur au contact d'enfants en situation d'apprentissage, il ne peut qu'apprendre avec eux, comme avec une peinture, la maîtrise d'un art de la distance. La distance se doit d'être spatiale, jouant du proche, médian ou lointain - temporelle, jouant de l'instant même, en différé, ou par répétition - et s'appréhender dans des mouvements constants, allant et venant du connu, reconnu, à l'inconnu qu'il nous plaira de dévoiler. Maitriser l'art de la bonne distance dans le cas de l'apprentissage serait peut-être la seule chose que l'éducateur puisse apprendre à maitriser. Dois-je savoir maîtriser à l'avance ? Non, je ne le peux pas puisque chaque enfant est différent, chaque groupe d'enfants est différent. Je dois donc toujours être dans un mouvement d'apprendre, tout comme les enfants le sont à l'instant de notre première rencontre et des suivantes, mais aussi à chaque seconde de toutes leurs expériences.

Je pense donc à la rencontre et à l'expérience faite avec B., une enfant autiste dite asperger rencontrée de 2016 à 2017, auprès de qui j'assumais le rôle d'AVS. Pour répondre à une loi sur l'inclusion datée de 2005, l'institution envoie des adultes sans formation auprès d'enfants porteurs de handicaps enfin acceptés dans les classes. C'était ma première rencontre avec une enfant autiste. Les lectures sur cette qualité d'être en font un récit difficile et dramatique de son monde. Comment ne pas dramatiser cette rencontre ? Comment faire ce que je ne sais pas faire ? Dans un premier temps ne rien faire, mais juste laisser faire l'enfant avec le nouvel outil que l'institution lui envoie comme elle lui enverrait une prothèse par la poste et dont il faudra qu'il s'accommode pendant un an. De mon côté je dois me laisser porter comme lors d'un voyage en pays inconnu, marcher lentement au travers de ce nouveau paysage, observer ces nouveaux habitants avec ces nouvelles manières. Observer, écouter, mimer, voilà ce que je fais les premiers temps, comme lorsque j'apprends un nouveau langage. Apprivoiser l'espace, la classe, son odeur, sa surcharge de décorations sur les murs ne laissant plus un seul morceau de blanc pour laisser l'esprit y rêver de temps en temps, tant d'enfants, repérer leurs visages, leurs noms, leurs voix, et vivre en duo chaque jour au fond de la classe. Le premier jour de la rencontre avec B. j'apprends qu'il ne faut pas la toucher (je n'en n'avais pas l'intention), qu'elle ne me parlera pas, qu'elle ne me regardera pas, mais qu'il me faudra écrire pour elle quand elle sera fatiguée. Finalement B. est une oeuvre c'est évident (ne pas la toucher, savoir qu'elle ne parle pas ni ne regarde).

Ces premiers jours, pourtant, B. touche ma peau comme elle testerait les touches d'un piano (distance proche) (peau étrangement bronzée comparée à la sienne qui est si blanche et qui doit selon elle justifier le choix de son prénom), m'embrasse par surprise (distance ultra réduite), me tourne le dos mais me parle (distance lointaine) et me regardera quelques jours plus tard d'abord pour jouer en louchant (distance moyenne), puis en regardant dans le fond de mon oeil si elle y voit son image (distance très réduite) et m'ignore en récréation car elle a besoin de courir, sautant obstacles imaginaires sur obstacles réels (hyper distance). Je reste immobile, je la laisse réguler cette danse de la rencontre dont elle a besoin pour nous faire confiance (car un "nous" s'est créé). D'emblée je lui confie les rênes de cette danse car je sais/sens intuitivement qu'elle sait ce qu'elle peut et veut. J'ai donc ce savoir minimum pour entrer dans la matière de notre rencontre. Quelle est mon rôle dans ce duo ? L'institution m'en a donné un d'emblée : mouler le personnage pour l'intégrer dans la boite école, ou rendre B. invisible dans la classe. Car B. pète, rote, s'allonge sur la table, mets les pieds sur les étagères ; lorsque B. s'ennuie elle fait du bruit ; B. ne lève pas la main pour parler, elle prend sa parole (ou sa parole se jette dans l'espace de la classe sans y avoir été autorisée) ; B. écrit 'mal' ; B. s'éparpille et il lui faut donc deux tables et deux chaises, elle ne range pas ses affaires ni n'inscrit ses devoirs ; et B. est brillante. Le directeur me donne un autre rôle que j'accepte : rendre supportable la classe pour B. Je traduis cette commande par : lui donner envie d'être là, l'aider à trouver ce goût d'y être pour elle-même et non pour satisfaire autrui, réduire le facteur de fatigabilité, déjouer l'ennui, accepter sa présence physique face aux yeux qui la regardent, apprécier sa pertinence dans le groupe. Je m'en donne une autre : faire que B. n'ait plus besoin d'assistance d'ici un an. Il paraît que B. a déjà fait un long chemin de sociabilisation avant que l'on se rencontre. Je pense donc que B. sait ce dont elle a besoin pour apprendre, je découvre rapidement qu'elle le sait mais surtout qu'elle le souhaite.

Je ne raconterai pas tout ce que nous avons vécu avec B. dans notre rencontre fortuite (entre un fer à repasser et une table de dissection), mais nous avons créé un objet commun, un objet médiateur rappelant les raisons de notre rencontre, un objet conçu pour elle et par elle. Cet objet est un carnet qui pourrait s'appeler "le carnet des mouvements, du progrès aux réussites en passant par les échecs provisoires et nécessaires". Grâce à cet objet, B. définit ses objectifs hebdomadaires, ses attentes, la manière dont elle évaluerait ses expériences. Elle inscrit ses avancées dans l'espace et le temps. Dans ce carnet, B. mémorise les preuves que chaque échec se transformait toujours en réussite à venir, que chaque réussite se transformait en habitudes qui seraient aussi à remettre en question. B. voulait garder une certaine maîtrise d'elle sur et dans sa vie scolaire. B. ne souhaitait aucune dépendance. Avec le temps, la distance pouvait se faire plus grande, jusqu'au dernier jour où B. m'offrit un mot disant "merci Céline d'avoir tout donné de toi". Et là, à nouveau, comme face à une toile, après de multiples voyages du regard, m'adapter du proche au lointain. Le peintre n'est peut-être là que pour aider la peinture à apparaître pour exister sans lui car il se met à son service. "Former" c'est sculpter une matière de telle sorte qu'elle acquière sa forme propre. Le peintre a pour but de s'adapter à ce qui advient, il danse avec la matière devant sa toile et ils y inscrivent ensemble quelque chose de leur rencontre. Le carnet de B. était notre toile.

II) Permettre à chacun de faire oeuvre de soi-même

A) Toujours expérimenter pour toujours (s')auto-former (déformer ?)

Les ateliers philo ont nombre d'objectifs aux visées louables et ne sont pas toujours proposés aux enfants dans une régularité. Ces ateliers sont des occasions, qui une fois tentées, sont plébiscités par les enfants, car ils peuvent s'aventurer dans un espace-temps pour penser ensemble sans compétition mais dans une coopération, développer un rapport de conscience de soi, des autres et du monde, se disposer à mener une recherche de vérité, sonder leur honnêteté, comprendre et valider des règles pour les respecter, assumer des responsabilités pour le collectif d'humains rassemblés, se distancier de leur expérience, apprendre à aimer apprendre, ne pas chercher à convaincre et s'autoriser à changer d'avis. Ce sont des ateliers de vie réelle, où d'humain à humain chacun est légitime dans son droit d'exister par la parole comme premier lieu de la rencontre.

Dans les discussions philo, les enfants expérimentent le dispositif d'une prise de parole démocratique et identifient les différents moments du philosopher : conceptualiser, problématiser, argumenter.

Ils assument des rôles, choisissent leurs questions, formulent des dilemmes moraux extraits de leur réalité et tiennent leur carnet du philosopher. Les participants font à partir de ce qu'ils sont, sans jamais être jugés d'un degré de compréhension, de connaissance ou d'expérience. Les participants sont d'âges différents. Cet assemblage induit naturellement un tutorat entre pairs qui permet aux plus jeunes d'accéder à du vocabulaire, à des abstractions auxquels ils n'ont pas encore accès. Pour être entendus de tous, ils doivent s'efforcer de reformuler leurs propos pour rendre accessible leur pensée, sans pour autant l'amoindrir. Ils profitent et redécouvrent des exemples donnés par les plus jeunes dont les références sont plus ancrées dans le réel, le sensible, le tangible. L'entraide et la solidarité s'instaurent d'emblée par un besoin impératif d'être audible et de se dépasser dans la quête de cet objet commun et précieux qu'est la recherche de vérité. Si l'objectif souterrain est d'autonomiser les enfants au-delà des ateliers, il s'agit d'autonomiser leur engagement, leur éthique, leur faire. Pour cela, il est nécessaire de les défaire d'une posture confinée à l'assistanat. L'animateur propose aux enfants d'endosser des rôles qui garantissent le suivi des règles que le groupe s'est fixé. Assumer ces rôles rappelle l'engagement à l'égard d'un jeu, qui avec les enfants est toujours une affaire de sérieux. Pour que leur engagement soit plus entier, il est préférable de proposer au groupe des discussions portant sur des questions qu'ils ont formulées. Alors l'entraide pour une résolution du problème des pairs est naturellement plus investie, sachant que ce problème rencontré existe à l'échelle de l'humanité. Les discussions s'animent dans une sorte de contrat entre tous dans lequel ce qui prime est le droit au doute, le droit de ne pas savoir, la mission d'apprendre à (s') expliquer, le droit d'être surpris par soi et par les autres, le droit d'être écouté et d'écouter. Il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre un enfant dire à un autre "je ne suis pas d'accord parce que tu n'as pas argumenté ta pensée et si tu n'expliques pas, je ne peux pas comprendre". Il y a donc nécessité de faire confiance à l'exigence spontanée qui se profile au fur et à mesure des séances, une exigence de respect envers soi et les autres, une exigence de construction de la pensée collective guidée par la répétition des questions de l'animateur qui les invite à argumenter, conceptualiser et problématiser. C'est par cette récurrence que les enfants s'approprient un savoir-philosopher. C'est par mimétisme qu'ils vont ensuite pouvoir créer et recréer des discussions au-delà des ateliers. L'animateur doit sérieusement jouer avec eux pour ensuite leur confier son rôle d'animateur. L'animateur n'est pas dans la ruse, mais partage cette honnêteté intellectuelle des enfants. Il vit quelque chose avec eux et non pas pour eux afin de les aider à "se faire oeuvre d'eux-mêmes".

B) Créer des outils médiateurs pour, au-delà de l'espace-temps des ateliers philo, les introduire dans les espaces-temps in vivo

Pour enclencher concrètement cet au-delà, l'animateur peut positionner les enfants en créateur de dispositifs à philosopher. Ils sont invités à confectionner des outils médiateurs de leur "savoir-philosopher", afin de le transmettre à d'autres enfants, au-delà des ateliers guidés. A ce jour, différents outils d'animation de discussions transférables dans la vie ont été créés par les enfants. La première création consistait à inventer une marionnette du philosophe sur le modèle des marionnettes balinaises. Certains enfants ont donné forme à une marionnette autoportrait (couleur de peau, type de cheveux, vêtements, goûts) ; d'autres ont inventé un avatar auquel ils aimeraient ressembler. Grâce à ces personnages munis d'une hotte à questions et des cartes "critères de discussion", les enfants se sont testés en animateurs face au groupe. Les premières questions que les enfants ont choisi de discuter interrogeaient leur pratique philosophique : "A quoi servent les Pourquoi ?", "A quoi ça sert de s'exprimer ?", "Pourquoi on ne peut pas vivre sans règle ?", "Pourquoi on a besoin de philosopher ?". Le philosophe-marionnette animé par l'enfant proposait des questions de relance, acceptait les réponses, suscitait les réponses des autres pour tenter de repartir nourri de plusieurs options. Une fois cette tentative exercée avec le groupe des philosophes, elle a été réitérée parfois chaque soir en famille à l'heure du dîner à partir de questions que le philosophe-animateur suggérait à son nouveau groupe de penseurs. Si certaines familles ont autorisé ce dispositif, d'autres enfants ont pu jouer ce jeu de la réflexion partagée avec leurs amis.

Un autre dispositif sous forme de jeu de plateau a été proposé à la création des enfants. Il est calqué sur le jeu philo "Expédition sagesse" créé par l'association ÉPhyscience et disponible en ligne gratuitement (https://ephiscience.org/jeu). Ainsi les enfants ont créé un univers dans lequel le questionnement philosophique a aussi pu être proposé au-delà des ateliers et où à chaque tour de jeu, le créateur apprend à d'autres joueurs à s'autonomiser dans une pratique de la discussion. Maël 9 ans a par exemple réalisé un décor de chasse au trésor. Il a formulé des questions méta relatives à ce qu'il a appelé "la quête de vérité" : "A quoi ça sert de se perdre ?", "A quoi ça sert d'être riche ?", "Faut-il toujours être intelligent ?", "Faut-il toujours dire la vérité ?", "Qu'est-ce que chercher ?", "A quoi ça sert de jouer ?". Ses personnages sont les reflets de personnages du quotidien : le boulanger, l'oncle, l'enfant ... Les enfants ont ainsi pu initier d'autres enfants à formuler des questions de nature philosophique pour poser leurs questions à d'autres - adultes ou enfants -, de manière détournée, désaffectée.

C) L'occasion d'un confinement qui libère ou l'enfant-animateur sans objet médiateur

Du 25 mars au 17 juin 2020, quelques conséquences de l'isolement collectif imposé ont été déjouées par la mise en place de trois rendez-vous philo hebdomadaires en visioconférences. Les enfants se sont rassemblés dans cette nouvelle aventure par un bouche à oreille enflammé entre copains, familles ou voisins, venant d'ici ou de loin. Le manque de relations avec autrui, avec ses pairs autant que le manque de nourriture réflexive, ont décuplé l'appétit des enfants pour les retrouvailles philosophiques dans cette période de désocialisation, comme une lutte pour sauver l'essentiel. L'objectif était de s'imposer la qualité dans le distanciel, en rassemblant trois petites communautés de maximum 9 enfants répartis en trois groupes différents. Les échanges devaient conserver la nécessité habituelle de rassembler des enfants de toutes origines sociales. L'association avec une structure d'aide à l'enfance a permis cela. Les enfants découvraient pour certains le dispositif philo. La séance d'introduction classique "Mais qu'est-ce que la philosophie ?" a été vécue comme un retour aux sources pour les habitués. Les séances suivantes ont permis aux enfants de proposer leurs questions majoritairement conceptualisantes (souvent sans rapport avec le contexte de crise). Pour l'un des groupes, réuni sur 9 séances, les questions choisies ont été, dans l'ordre d'apparition "Qu'est-ce que le rien ?", "L'homme est-il l'espèce la plus intelligente ?" (sur 2 séances), "Qu'est-ce que l'instinct ?", "C'est quoi le destin ?", "C'est quoi l'agressivité ?", "Quel est le sens de la vie ?", "Peut-on avoir confiance en nos croyances ?". Les enfants (6 filles et 3 garçons) ont entre 8 et 12 ans.

Pourquoi ce groupe ? Pourquoi avec ce groupe un nouveau dispositif d'animation s'est-il mis en place ? L'âge favorisant une certaine maturité du collectif ? La présence de cinq novices offrant la possibilité aux autres de se défaire d'habitudes ? Est-ce le confort individuel d'une présence corporelle chez soi ? Ou l'instabilité de la sensation d'ubiquité en étant aussi un peu chez l'autre et nulle part à la fois ? La sensation d'exceptionnel induite par le rassemblement pourtant interdit ? La confiance dans son collectif ? Et autant de cumul d'autres facteurs qui, par un effet de cascade inévitable, ont impulsé une nouvelle proposition aux enfants : devenir animateur eux-mêmes de leurs discussions. Les quatre dernières séances ont donc été animées par les enfants volontaires.

Un temps de préparation individuel a été proposé aux enfants en amont de leur performance d'animateur à partir de la question qu'ils avaient choisies pour la proposer comme une surprise au groupe. Cette étape de formation permettait de recentrer les intentions de la discussion philo et son but de faire émerger une pensée du/par/pour le collectif. L'animateur nouveau devait prendre conscience de sa posture : à la fois partie prenante mais décalée face à une problématique pour trouver la manière de la détricoter. Quel langage utiliser pour former les enfants aux enjeux et outils de la philosophie ? La décision a été prise de faire confiance aux enfants et d'utiliser le vocabulaire spécifique du philosopher : conceptualiser, argumenter, problématiser. Ces termes sont souvent utilisés par l'adulte animateur, mais jusqu'où sont-ils toujours intégrés par les enfants ? Leur formation individuelle a permis de constater que ces vocables n'étaient déjà plus considérés comme des barbarismes, car un simple rappel de leur sens a permis de constater qu'ils étaient déjà bien ancrés. Nous reprenons des exemples d'autres discussions pour mieux identifier comment sont déjà apparues ces habiletés de pensée. Il semble qu'ici nous travaillons à développer une posture méta qui favorisera la compréhension des outils de la pensée en acte le jour J et aidera l'enfant-animateur à intervenir pour guider les enfants à dérouler le fil de la discussion. Cet état d'animateur les incite à intervenir sans donner leur propre avis (comme le fait l'adulte), tout en faisant pourtant partie de sa communauté de recherche, en étant à la fois observateur et acteur de la scène qui se joue devant et avec eux. Ce silence de la pensée de l'animateur peut être frustrant pour l'enfant qui doit pourtant se positionner dans la réflexion par son geste, qui consiste à faire bondir et rebondir les pensées, les étirer, les tordre, les confronter à la réalité, à la logique, à l'universel, à d'autres données que celles de l'évidence et des préjugés. Ce qui se joue dans le temps de cette formation consiste à apprendre à penser les différents modes d'apparition de la pensée. Finalement au jour de cet écrit, il me semble voir une autre possibilité de cet art de la distance : être à la fois présent tout en étant ailleurs au même instant. Comme le disait Mathieu (12 ans), "Il est urgent de penser maintenant". Peut-être serait-il utile aujourd'hui de se rapprocher des méthodes de formation des médecins urgentistes pour développer un savoir agir avec justesse selon ce qui émerge à l'instant T de l'apparition de la pensée ? La maïeutique n'est pas loin et questionne sincèrement cette capacité à une hyper présence face à ce qui pointe pour le faire advenir dans les meilleures circonstances.

Dans le temps de leur formation, les enfants-animateurs réfléchissent eux-mêmes en amont à la question qu'ils soumettent aux autres enfants pour anticiper les liens à décortiquer tout en sachant que cette préparation préliminaire sera une base solide pour mieux intervenir face à l'imprévisible apporté par le collectif. Peut-être faut-il ici augmenter notre capacité à former les enfants à la maîtrise de l'improvisation à la manière de l'acteur ?

L'animateur nouveau est également invité à faire une recherche de supports inducteurs ou supports de relance en cours de discussion. Souvent il fait référence à des histoires lues, à des films que sa communauté d'enfants peut connaître et qu'il faudra leur raconter ou leur montrer en direct pour apporter des possibilités d'ouvertures nouvelles au questionnement.

L'enfant-animateur se prépare à une vigilance de chaque instant notamment en se disposant à la possibilité de l'incompréhension des uns ou des autres et doit donc régulièrement proposer des pauses pour vérifier que la compréhension est commune à tous. Il peut donc demander aux participants de reformuler ce qui a été dit, demander directement si tout le monde a compris avant de poursuivre ses propositions de développement. Cet enfant-là sait qu'il doit aider les autres à faire surgir des problématiques à partir des incohérences, illogismes éventuels qu'il saura identifier, nommer, tout en gardant en ligne de mire l'importance de la valorisation de chacun.

L'enfant-animateur sait aussi qu'il peut compter sur les participants pour le soutenir dans la tenue de sa performance d'équilibriste et que sa demande d'aide peut être formulée clairement à son groupe. Cet échange limpide sur sa disposition, sa posture, aide d'autant plus les uns et les autres à faire preuve d'empathie qui consolide d'autant plus l'adhésion au collectif.

D) Le retour des enfants animateurs

L'expérience de l'animation directe a permis aux enfants de mieux comprendre et sentir ce qu'ils vivaient en tant que participants en termes de recherches collectives orales ; de fonctionnement de la pensée ; d'écoute ; d'objectifs du philosopher ; de difficulté à s'accorder ou à se désaccorder.

Ce qui leur a semblé riche est l'acte d'écouter activement pour entendre puis agir en parole sur la pensée à l'instant même de son éclosion. C'est donc une spontanéité sans impulsivité, une spontanéité vigilante qu'ils essayent de maintenir en constance.

Deux mois après cette expérience, une interview de trois enfants-animateurs, Malou, Aïda et Manon, permet d'apprécier leur analyse.

  • Pour expliquer leur envie de tenter l'animation : "J'ai eu envie d'essayer parce que j'allais découvrir ce qui se passait derrière les coulisses de la discussion philo" ; "J'avais envie de mettre le costume de l'animatrice" ; "J'avais un peu peur que ça enlève un peu de la magie mais au final ça n'enlève pas de magie parce que quand tu es animateur, tu te poses les mêmes questions dans ta tête." ; "Pour moi c'était un grand défi, car j'ai tout le temps des réponses à tout et je voulais aussi apprendre à donner des questions, porter le masque de l'animatrice pour voir les difficultés et les facilités.".
  • Pour décrire leur écoute: "Je pouvais reformuler toute seule sans un secrétaire, c'est comme si je m'aidais moi-même, je reformulais en plus court car des fois les réponses sont longues, et ça m'apprenais à reformuler." ; "Tout dépend de la qualité de ta performance, quand tu es stressé, tu es bien concentré donc tu peux bien écouter et faire les synthèses." ; "Pour moi poser les questions, c'était une prise de conscience et c'était facile même si les silences étaient stressants" ; "J'ai douté parfois en me disant "Est-ce que ma question va apporter quelque chose ? "Est-ce que la question est trop dure ?"" ; "Pour moi les questions venaient toutes seules. Le problème si on doute, c'est qu'on risque de se poser trop de questions et on risque de ne plus écouter les autres. Pour moi il n'y a pas besoin du doute pour l'animateur car il doit aider les participants à parler.".
  • Pour décrire les qualités de l'animateur : "Pour moi les qualités c'est de savoir écouter les autres, ne pas être trop timide, être malin pour pouvoir faire réfléchir les autres. C'est aussi apporter de la joie pour donner envie aux autres de participer. Et il faut poser des questions moins dures que les questions des adultes, même si les questions faciles font moins évoluer" ; "Moi je dirai qu'il faut apporter de la ponctuation pour que les participants ne s'ennuient pas. Je crois que les questions faciles demandent aussi de réfléchir pour apporter des réponses, donc c'est bien aussi."
  • Pour décrire la qualité d'écoute et de participation des autres enfants : "Je crois que le public d'enfant est plus attentif quand c'est un animateur-enfant, parce qu'on apporte une onde enfantine qui fait qu'on donne beaucoup, rien qu'avec notre voix. Ils sont plus attentifs, car c'est nouveau. Ils sont plus concentrés, car les enfants parlent moins fort que les adultes." ; "J'avais peur du silence, mais le silence est indispensable et en même temps il peut dire qu'on s'ennuie, mais le silence permet aussi de mieux réfléchir ; par contre c'est gênant le silence quand tu es animateur car tu imagines que les participants croient que tu as perdu tes moyens".
  • Pour décrire leur compétence d'improvisation et leur méthode pour maîtriser les interactions: "J'avais des post-it, et quand il y avait plein de mains levées, je notais les réponses et les questions au fur et à mesure. C'était utile quand quelqu'un apportait autre chose." ; "C'est l'apprentissage de l'aide : on trouve des tactiques dans l'instant qu'on ne pensait pas trouver. Ça se fait tout seul. Et on se demande mais pourquoi j'ai pris des post-it, pourquoi j'ai écrit ? On doute tout l'temps, c'est la vie, et une vie sans question, ça serait pas une vie." ; "Oui il faut improviser car je n'ai pas utilisé la fiche de questions qu'on avait préparées ; improviser c'est faire sans savoir à l'avance. Je crois que pour improviser, il faut savoir bien écouter car si la question que tu poses n'est pas en lien avec le sens de la réponse, ça n'a pas de sens, il faut trouver du sens."
  • Pour décrire l' intérêt d'avoir tenté l'animation : "L'animation aide à mieux philosopher. Je crois que l'animation ça m'aide à être plus efficace pour philosopher et maintenant je vais essayer de voir comment aider l'animateur à mieux animer !" ; "J'aime beaucoup donner mon avis mais ça m'apprend à écouter plus.".

Ces retours permettent à l'animateur adulte de prendre la mesure des besoins des enfants qui parfois peuvent être oubliés (la hauteur de voix de l'adulte), de confirmer les facultés réelles d'autonomie des enfants autant que leur besoin d'y avoir recours régulièrement, d'inventer avec eux d'autres dispositifs afin de donner envie à d'autres enfants de s'aventurer dans l'animation.

Une autre interview est à prévoir pour entendre le point de vue des enfants participants sur le vécu de ces animations faites par les enfants eux-mêmes, afin de provoquer un échange sur cet espace de création nouveau.

Conclusion

Aucune conclusion n'est encore pensable, car le projet débute et doit s'affiner par d'autres expériences, par des objectifs nouveaux comme des nouveaux défis lancés aux enfants pour affirmer leurs compétences en acquisition constante. L'adulte encadrant pourra lui-même prendre la place de participant à part entière, car s'il est important d'aider les enfants à s'organiser en communauté de recherche, il serait temps d'envisager cette communauté sous l'angle intergénérationnel, à condition que l'adulte accepte de devenir un interlocuteur valable.

Les références inspirantes sont (par ordre d'apparition alphabétique) :

Sébastien Charbonnier, Edwige Chirouter, Emanuele Coccia, Fernand Deligny, Johanna Hawken, Janus Korczak, Valère Novarina, Chiara Pastorini, Johann Heinrich Pestalozzi, Matthew Lipman, Michel Tozzi, et tous les enfants dont certaines oeuvres sont visibles ici : Le canard des enfants-philosophes - Accueil | Facebook

Ci-dessous un poster qui résume cette démarche.

Document (format PDF) : La philosophie animée par les enfants eux-mêmes

Annexe

Retour des enfants-animateurs sur leur expérience

L'expérience de l'animation directe a permis aux enfants de mieux comprendre et sentir ce qu'ils vivaient en tant que participants en termes de recherches collectives orales ; en termes de fonctionnement de la pensée ; en termes d'écoute ; en termes d'objectifs du philosopher ; en termes de difficulté à s'accorder ou à se désaccorder.

Ce qui leur a semblé riche est l'acte d' écouter activement pour entendre puis agir en parole sur la pensée à l'instant même de son éclosion. C'est donc une spontanéité sans impulsivité, une spontanéité vigilante qu'ils essayent de maintenir en constance.

Deux mois après cette expérience, une interview de trois enfants-animateurs, Malou, Aïda et Manon, permet d'apprécier leur analyse.

Pour expliquer leur envie de tenter l'animation :

"J'ai eu envie d'essayer parce que j'allais découvrir ce qui se passait derrière les coulisses de la discussion philo" ; "J'avais envie de mettre le costume de l'animatrice" ; "J'avais un peu peur que ça enlève un peu de la magie mais au final ça n'enlève pas de magie parce que quand tu es animateur tu te poses les mêmes questions dans ta tête." ; "Pour moi c'était un grand défi car j'ai tout le temps des réponses à tout et je voulais aussi apprendre à donner des questions, porter le masque de l'animatrice pour voir les difficultés et les facilités.".

Pour décrire leur écoute :

"Je pouvais reformuler toute seule sans un secrétaire, c'est comme si je m'aidais moi-même, je reformulais en plus court car des fois les réponses sont longues, et ça m'apprenais à reformuler." ; "Tout dépend de la qualité de ta performance, quand tu es stressé, tu es bien concentré donc tu peux bien écouter et faire les synthèses." ; "Pour moi poser les questions c'était une prise de conscience et c'était facile même si les silences étaient stressants." ; "J'ai douté parfois en me disant "est-ce que ma question va apporter quelque chose ? "Est-ce que la question est trop dure ?"" ; "Pour moi les questions venaient toutes seules. Le problème si on doute, c'est qu'on risque de se poser trop de questions et on risque de ne plus écouter les autres. Pour moi il n'y a pas besoin du doute pour l'animateur car il doit aider les participants à parler.".

Pour décrire les qualités de l'animateur :

"Pour moi les qualités c'est de savoir écouter les autres, ne pas être trop timide, être malin pour pouvoir faire réfléchir les autres. C'est aussi apporter de la joie pour donner envie aux autres de participer. Et il faut poser des questions moins dures que les questions des adultes, même si les questions faciles font moins évoluer" ; "Moi je dirai qu'il faut apporter de la ponctuation pour que les participants ne s'ennuient pas. Je crois que les questions faciles demandent aussi de réfléchir pour apporter des réponses donc c'est bien aussi."

Pour décrire la qualité d'écoute et de participation des autres enfants :

"Je crois que le public d'enfant est plus attentif quand c'est un animateur-enfant, parce qu'on apporte une onde enfantine qui fait qu'on donne beaucoup, rien qu'avec notre voix. Ils sont plus attentifs car c'est nouveau. Ils sont plus concentrés car les enfants parlent moins fort que les adultes." ; "J'avais peur du silence, mais le silence est indispensable et en même temps il peut dire qu'on s'ennuie, mais le silence permet aussi de mieux réfléchir, par contre c'est gênant le silence quand tu es animateur car tu imagines que les participants croient que tu as perdu tes moyens.".

Pour décrire leur compétence d'improvisation et leur méthode pour maîtriser les interactions :

"J'avais des post-it, et quand il y avait plein de mains levées, je notais les réponses et les questions au fur et à mesure. C'était utile quand quelqu'un apportait autre chose." ; "C'est l'apprentissage de l'aide : on trouve des tactiques dans l'instant qu'on ne pensait pas trouver. Ça se fait tout seul. Et on se demande mais pourquoi j'ai pris des post-it, pourquoi j'ai écrit ? On doute tout l'temps, c'est la vie, et une vie sans question ça serait pas une vie." ; "Oui il faut improviser car je n'ai pas utilisé la fiche de questions qu'on avait préparées, improviser c'est faire sans savoir à l'avance. Je crois que pour improviser il faut savoir bien écouter car si la question que tu poses n'est pas en lien avec le sens de la réponse ça n'a pas de sens, il faut trouver du sens."

Pour décrire l'intérêt d'avoir tenté l'animation :

"L'animation aide à mieux philosopher. Je crois que l'animation ça m'aide à être plus efficace pour philosopher et maintenant je vais essayer de voir comment aider l'animateur à mieux animer !" ; "J'aime beaucoup donner mon avis mais ça m'apprend à écouter plus.".

Ces retours permettent à l'animateur adulte de prendre la mesure des besoins des enfants qui parfois peuvent être oubliés (la hauteur de voix de l'adulte), de confirmer les facultés réelles d'autonomie des enfants autant que leur besoin d'y avoir recours régulièrement, d'inventer avec eux d'autres dispositifs afin de donner envie à d'autres enfants de s'aventurer dans l'animation.

Une autre interview est à prévoir pour entendre le point de vue des enfants participants sur le vécu de ces animations faites par les enfants eux-mêmes, afin de provoquer un échange sur cet espace de création nouveau.

Conclusion

Aucune conclusion n'est encore pensable car le projet débute et doit s'affiner par d'autres expériences, par des objectifs nouveaux comme des nouveaux défis lancés aux enfants pour affirmer leurs compétences en acquisition constante. L'adulte encadrant pourra lui-même prendre la place de participant à part entière car s'il est important d'aider les enfants à s'organiser en communauté de recherches, il serait temps d'envisager cette communauté sous l'angle intergénérationnel, à condition que l'adulte accepte de devenir un interlocuteur valable.

Les références inspirantes sont (par ordre d'apparition alphabétique) :

Sébastien Charbonnier, Edwige Chirouter, Emanuele Coccia, Fernand Deligny, Johanna Hawken, Janus Korczak, Valère Novarina, Chiara Pastorini, Johann Heinrich Pestalozzi, Matthew Lipman, Michel Tozzi, et tous les enfants dont certaines oeuvres sont visibles ici : Le canard des enfants-philosophes - Accueil | Facebook

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