Revue

L'accompagnement de l'apprentissage du philosopher des élèves de classes terminales (II)

Dans le précédent article ( Diotime n° 59), nous présentions le sens de notre thèse, nos hypothèses de recherche, quelques situations dites médiatisantes et nos outils d'analyse du discours oral et écrit des élèves. Dans le présent article, nous nous intéresserons plus particulièrement au travail d'auto-évaluation et à son impact éventuel sur les progrès des élèves pour disserter.

I) L'auto-évaluation comme source de progrès ?

Cette situation invite les élèves à analyser sous la forme d'une auto-évaluation écrite leur copie, en relation avec le tableau des compétences construit de façon collaborative (cf. tableau des compétences dans l'article précédent), et en référence aux appréciations et évaluations orales et écrites de l'enseignant. Cet exercice complexe d'internalisation et de formalisation écrite suppose à la fois centration, décentration, mise en relation, à partir d'un travail de conceptualisation. L'élève est astreint à être le forgeron de sa propre pensée en vue de mieux conduire son discours. L'hypothèse est que ce retour sur lui-même, via la conceptualisation, favorise chez lui la réflexivité, elle-même propice à l'apprentissage du philosopher (cf. notre deuxième hypothèse). Ce travail d'auto-évaluation, par l'intermédiaire du maniement du signe ou travail de médiatisation, le rendrait ainsi plus apte à orienter et à maîtriser ses processus psychiques, comme le souligne Vygotski (1934/1985 p.199) :

"[...] toutes les fonctions psychiques supérieures sont unies par une caractéristique commune, celle d'être des processus médiatisés, c'est-à-dire d'inclure dans leur structure en tant que partie centrale et essentielle du processus dans son ensemble, l'emploi du signe comme moyen fondamental d'orientation et de maîtrise des processus psychiques".

Reconnaître son propre discours comme "signe" et s'en servir comme d'un instrument psychologique pour orienter et contrôler ses propres processus psychiques n'est pas si courant, même en classe terminale. Le pari que nous faisons, en lien avec nos premières et quatrièmes hypothèses de recherche, est que ce travail d'auto-évaluation permettra aux élèves, en améliorant leurs capacités à maîtriser leurs processus psychiques, de progresser dans la construction des compétences pour disserter.

II) Quatre niveaux de réflexion : le constat énumération, le constat désignation, le retour, l'analyse

A) Premier niveau : le constat-énumération sur le modèle addition-soustraction

Le premier niveau de ces productions écrites d'auto-évaluation se confond en effet le plus souvent avec un simple constat prenant la forme d'une énumération, ce qui rend compte du manque ou de la présence des compétences et des sous compétences ("il y a" ou "il n'y a pas"), des "points forts" et des "points faibles" dans une logique toute mathématique d'addition ou de soustraction, en lien avec le tableau de référence et les appréciations délivrées par l'enseignant. Tout se passe parfois comme si l'élève répondait à un QCM, sans se sentir directement impliqué et engagé. Le document produit s'apparente alors le plus souvent à un relevé succinct, superficiel et contracté, sous la forme d'un inventaire (les tirets, les abréviations, le fléchage, les points de suspension, les signes contractés s'imposent). La présence, les manques, le déficit ou l'excès par rapport aux compétences attendues sont ''signalés'' par les adverbes ou adjectifs "trop", "peu", "pas", "aucun", "aucune" sans commentaires. Sont cités, par exemple, respectivement comme points forts "bonne structure", "orthographe", "grammaire" et comme points faibles "pas de citation", "argumentation peu poussée", "trop d'allusions sans preuves", "peu d'exemples". À ce premier niveau, une forme plus construite peut apparaître, mais le modèle addition-soustraction rendant compte des manques, des présences, des déficits ou des excès subsiste. Observons que cette compréhension de l'exercice demandé, ou tout du moins du résultat produit, n'est pas nécessairement fonction de la réussite des élèves dans l'apprentissage du philosopher. Certains en réussite comme d'autres en difficulté se situent à ce premier niveau d'auto-évaluation, malgré les consignes précises stipulant la commande d'un travail d'analyse.

Les élèves sont même souvent, au départ, assez réfractaires à cet exercice et ceci, semble-t-il, pour deux raisons essentielles. La première est qu'ils sont manifestement plus habitués à se centrer sur les résultats et les produits de leurs apprentissages, que sur les processus en jeu, le constat énumération devenant alors le moyen "logique" de rendre compte de leur production en se cantonnant à la description. La seconde est qu'ils considèrent que l'évaluation est le domaine réservé du professeur et qu'en tant que telle, elle fait partie de ses prérogatives, et donc qu'il ne leur appartient pas de s'autoévaluer (ce en quoi ils ont en partie raison si l'on s'en tient à une démarche formative où, au bout du compte et en dernier ressort, c'est l'enseignant qui fournit l'information). Mais cette position n'est plus tenable si l'on se situe dans une démarche d'évaluation formatrice, où le sujet recherche et trouve par lui-même les stratégies et les procédures qui lui conviennent et le font progresser. Dans la situation considérée, c'est effectivement l'élève s'inspirant du tableau des compétences, des appréciations et évaluations de l'enseignant qui doit analyser son cheminement, ce qui, on l'admettra, n'est pas aisé pour qui a intériorisé les deux obstacles évoqués. Le tableau qui suit donne un aperçu du premier niveau de ce travail d'auto- évaluation.

Document (format PDF) : TABLEAU DE SYNTHESE - SITUATION S6 NIVEAU 1

B) Deuxième niveau : le constat-désignation sur le mode de la délégation

Le second niveau (tableau ci- dessous) associe le constat et la désignation du manque ou de la présence de certaines compétences sous la forme d'une reprise-paraphrasée, consignée et entérinée des remarques du professeur, parfois croisée avec la mise en rapport avec le tableau des compétences. À ce second niveau, l'élève se sent manifestement concerné par la prescription de l'exercice, mais non par ce qu'il estime comme prise en charge, engagement et retour réflexif. Sa capacité à s'autoévaluer resterait prisonnière d'une représentation transmissive et directive du savoir, où l'évaluation reste l'apanage exclusif de l'enseignant, d'où l'énoncé de sa production sur le mode de la délégation. Malgré un certain maquillage, la paraphrase est de mise et l'analyse absente, témoin ce vis-à-vis entre consignes et remarques faites par l'enseignant et production de l'élève.

Énoncé de l'exercice d'auto- évaluation : je relis avec attention et analyse mon dernier devoir en fonction des compétences attendues en indiquant le bilan que je peux établir et sur quoi doivent porter mes efforts pour mieux réussir mon bac blanc.

Énoncé élève : "Après relecture de mon dernier devoir, j'ai pu analyser mes compétences attendues et repérer les éléments auxquels je peux apporter des efforts pour mieux réussir."

Appréciation de l'enseignant : "À travailler : il faut te soumettre au libellé du sujet et tenter par toi-même de l'analyser et non pas, comme ici, lui substituer un sujet où l'on oppose raison et croyance et où tu "oublies" l'intitulé exact".

Énoncé élève : "Tout d'abord, il faut que je me soumette au libellé du sujet et tenter de l'analyser par moi-même, et au contraire, ne pas lui substituer un sujet où l'on oppose raison et croyance, et où j'ai oublié l'intitulé exact du sujet. En effet, cela me permettra d'éviter de faire un hors sujet".

Appréciation de l'enseignant : "À améliorer : le lien précis entre l'analyse du sujet et ton argumentation".

Énoncé élève : "Le second point que je pourrai améliorer est le lien précis entre l'analyse du sujet et mon argumentation".

Appréciation de l'enseignant : "Points positifs : ton discours est clair, assez bien construit, mais manifestement et majoritairement importé".

Énoncé élève : "En revanche, malgré ces quelques points négatifs à améliorer, mon discours est clair et bien construit et certaines de mes idées sont convenables...".

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C) Troisième niveau : le retour sur sa production sur le mode consumériste

L'acceptation de l'auto- évaluation et la bascule réflexive qu'elle implique débouche sur une implication effective. La délégation de l'évaluation par la reprise paraphrasée du discours du professeur fait place à la prise en charge assumée de ce discours. Ce retour sur soi est donc un changement majeur, même s'il ne se situe pas encore au niveau d'une analyse réflexive, mais plutôt à celui d'un diagnostic formel. Le sujet est centré sur sa production et sur les compétences exprimées en regard de l'état précédent, des efforts revendiqués et de l'intériorisation perçue de son évolution dans les apprentissages :

"Au niveau des points positifs, je pense m'être améliorée sur la forme en faisant trois parties et en tentant de trouver plusieurs arguments dans chacune de celles-ci. J'ai fait l'effort de développer mes arguments pour pouvoir démontrer correctement" (Laura).

Cette nouvelle attitude permet à l'élève d'énoncer, en intégrant certaines remarques de l'enseignant, les écarts le plus souvent quantitatifs entre ce qu'il produisait, ce qu'il produit et ce qu'il lui faudrait produire, le tout ici fondé sur une conception consumériste du philosopher : "Malgré mon manque de connaissances au niveau des références, j'en ai mis quelques-unes, même si j'aurai pu trouver des références plus pertinentes et surtout en donner plus" (Laura). "Il faut également que je donne plus d'exemples. Je dois aussi tomber sur un sujet qui m'inspire. Je dois utiliser des connecteurs logiques" (Anthéa).

Les compétences sont citées mais peu ou pas explicitées dans une vision mécaniste ou "physiologiste" de l'apprentissage. Le discours progresse quand on remplace ou répare certaines pièces ou fonctions de la machine à philosopher ou que l'on "pousse" ces fonctions : "Au niveau des points négatifs, je n'ai pas fait de transition entre chaque partie mais seulement entre la première et la deuxième. Il faut que dans mon introduction je définisse mieux les termes du sujet, mais à ce niveau, je me suis quand même améliorée puisque dans mes premières dissertations je ne le faisais pas du tout. Il faut que je problématise plus, c'est-à-dire que j'énonce plus précisément la problématique..." (Laura). "Pour le bac blanc, je dois aller plus loin dans l'analyse et la réflexion du sujet. En ce qui concerne l'orthographe, la syntaxe et la conjugaison, je pense que c'est bon" (Anthéa).

En résumé, l'élève à ce niveau (tableau ci-dessous) prend son discours comme objet d'observation à défaut de l'analyser. Les compétences sont prises en compte en fonction de critères quantitatifs à travers une conception "utilitariste" et consumériste des apprentissages.

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D) Quatrième niveau : l'analyse

L'analyse sur le mode fonctionnel

Le quatrième niveau exprime une véritable analyse de la production identifiant très clairement les compétences à travailler ou à construire en lien avec le tableau des compétences et les remarques de l'enseignant. La centration, souvent ciblée et pertinente, porte sur la production comme objet d'analyse à partir d'un récapitulatif de la mise en oeuvre plus ou moins réussie des compétences ("L'introduction", le "travail de définition", "La problématique", "Le plan", "L'argumentation"...). Le discours d'auto-évaluation renvoie à une conception fonctionnelle de l'apprentissage du philosopher, tant au niveau des compétences "à développer" que de la production à réaliser à partir de l'emploi de verbes et adverbes ou adjectifs caractéristiques : "Pour progresser il serait judicieux d'approfondir mes connaissances et ainsi insérer davantage de références ; il faudrait que je sois plus précise et que je développe plus mes idées et accentue la problématique en me posant plus de questions. Insérer davantage de transitions et de connecteurs, établir un plan détaillé et insérer des exemples littéraires serait judicieux" (Noreen).

Une prise de conscience apparaît, qui s'exprime souvent par une analyse précise des erreurs commises ou des obstacles rencontrés, et débouche sur l'annonce d'un projet d'appropriation :

"Dans l'introduction, j'ai très mal commencé puisque je n'ai pas défini les termes du sujet donc ici le mot " culture" et le mot "supérieure". Sans ces définitions, ma dissertation ne veut rien dire et maintenant je sais que je ne referai plus cette erreur" (Laura).

Des indices forts caractérisent le discours à ce quatrième niveau.

Le premier rend compte à partir de l'emploi d'adverbes, de connecteurs logiques, d'adjectifs traduisant la nuance, la réserve, la restriction, de la recherche d'un équilibre qualitatif et quantitatif. ("Le sujet n'est pas traité complètement", "cependant, un travail de définition est effectué", "l'analyse n'est que partielle" (Noreen).

Le second s'attache à évaluer la copie en identifiant ce qui est réalisé et conforme en employant des verbes énonçant cette réalisation et cette présence ("Le plan est annoncé, les différentes parties étudiées par la suite sont présentes", tout en se situant (troisième indice) dans une démarche bilan-perspective-prospective où l'implication et l'engagement du sujet sont par-là perceptibles. L'emploi du conditionnel passé ("il aurait fallu", "il aurait été judicieux") et du conditionnel présent ("pour progresser il serait judicieux", "il faudrait") marque cette intention, de même que celle de la recherche de l'énoncé de stratégies de remédiations, ("il aurait fallu énoncer une rupture ainsi qu'annoncer une nouvelle thèse. La phase de transition est donc à travailler" (Noreen).

Enfin, et c'est peut-être le point le plus significatif, l'exigence d'un travail précis et rigoureux de conceptualisation est revendiqué :

"Le vocabulaire n'est pas toujours approprié, il y a des notions qui sont confondues telles qu'opiner et philosopher, la philosophie et philosopher, convaincre et persuader" (Noreen). "La précision n'est également pas assez présente dans mon devoir, je parle de vérité alors qu'il faudrait parler de vérité absolue. De ce fait, mon argumentation n'est plus très claire" (Lucille).

L'analyse réflexive

Un degré supérieur dans l'analyse définit celle que nous qualifions ici de réflexive. À ce point, l'élève mêle étroitement l'explicitation de la mise en oeuvre de ses propres processus avec la visée d'un discours que l'on perçoit comme dialectique au sens hégélien et dialogique, c'est-à-dire où les tensions en présence sont maintenues. L'intuition et la revendication de l'importance de la maîtrise des processus psychiques constituent à cet égard un indice spécifique de ce degré d'auto-évaluation. L'emploi de termes décrivant une attitude reliant visée cognitive et disposition psychique pour apprendre à philosopher est présent dans le discours :

"Le plus important, actuellement, et dans ce devoir, c'est la rigueur et l'attention, il faut que je distingue précisément certains termes qui pourraient sembler identiques et qui ne le sont pourtant pas : persuasion et conviction, jugement et perception" (Lucille).

"Cependant, il est important que je m'attarde plus sur le sens du mot clé du sujet qui est ici "vérité" en le définissant et en l'explicitant" ; "Il faut que je construise plus clairement mon argumentation, à trop vouloir exposer mes références, elles sont parfois décalées avec ce que je suis en train d'expliciter" ( Lucille).

Le retour réflexif, même laborieux, sur son propre processus de pensée, pour tenter d'expliciter son fonctionnement, est donc un second indice caractéristique à ce niveau supérieur d'auto-évaluation. La logique de son propre discours sur le fond comme sur la forme est explorée, examinée, inspectée et évaluée par l'élève qui identifie comment il "fonctionne", ce qui n'est pas cohérent ou pertinent et comment il convient de conduire son discours (ici Laura) :

"Ma problématique ne correspond pas tellement à comment j'ai écrit à certains endroits. Ma question est "Peut-on dire ?" donc je suppose dans cette question alors que dans ma première partie j'affirme. Je n'ai pas expliqué en quoi et pourquoi je dis que les cultures sont supérieures. C'est toujours le même problème, je cite sans démontrer et maintenant je m'en rends compte".

Il apparait en lien avec nos deux premières hypothèses que la recherche de la maîtrise des processus psychiques favoriserait la conscientisation elle-même propice à un véritable travail d'auto-évaluation (cf. tableau suivant). Nous devons ainsi savoir dans quelle mesure ce travail d'auto- évaluation, notamment quand celui-ci correspond à une analyse, peut éventuellement faire progresser l'élève dans l'écriture d'une dissertation.

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III) Existe-t-il une corrélation entre travail d'auto-évaluation, prise de conscience et progrès effectifs dans l'exercice de la dissertation ?

On peut émettre l'hypothèse que ces quatre niveaux d'"évaluation", le constat énumération, l'énumération-désignation, le retour puis l'analyse, correspondent à une progressive prise de conscience où l'élève se situe sur le plan des compétences à disserter. Les indices et indicateurs que nous avons pu relever, notamment l'importance énoncée par certaines élèves de la maîtrise des processus psychiques et du suivi logique du processus de pensée rejoignent et confirment les thèses de Vygotski sur le rôle déterminant de l'attention volontaire et de la mémoire logique dans le travail de conceptualisation. Cela nous conforte dans la conviction que plus l'élève s'astreint à maîtriser psychiquement l'évaluation de la conduite de son discours, plus il semble à même de devoir progresser dans l'apprentissage du philosopher, et ici à travers l'exercice de la dissertation. Mais si la prise de conscience semble indispensable aux progrès ultérieurs, préfigure-t-elle nécessairement et automatiquement ceux-ci ?

C'est ce que nous avons voulu vérifier en nous demandant dans un premier temps si l'accès plus ou moins progressif à l'analyse transforme le discours de l'élève dans ce sens. L'étude de plusieurs monographies prenant en compte ce travail d'auto-évaluation et les transformations éventuellement enregistrées dans l'écriture de la dissertation qui suit cette auto-évaluation était donc indispensable. Les productions d'Elodie, Laura, Noreen et Aurélie ont constitué à cet effet, le matériau analysé. L'étude de la mise en regard entre le contenu du discours initial avant auto-évaluation, et celui produit ensuite après auto-évaluation, fournit effectivement les éléments de l'impact de ce retour réflexif sur les progrès de l'élève dans l'apprentissage à disserter. Les effets de ce travail d'auto-évaluation se mesurent alors en comparant ce qui est produit avec ce qui l'était, mais aussi en confrontant ce qui est réalisé avec ce qui avait été annoncé, voire revendiqué devoir l'être. On évalue ainsi l'écart entre les productions réelles et les productions réalisées (selon la formule d'Yves Clot (1999), appliquée ici aux apprentissages scolaires).

Avec la présentation des résultats, on comprend l'activité réflexive des élèves comme un itinéraire original. Cela démarre avec une activité à dominante orale. Mobiliser, orienter, contrôler ses processus psychiques en vue d'ancrer ce que nous avons nommé les attitudes de base (attention et centration) est ainsi inscrit dans les premières situations (cf.situation1) qui intègrent la dimension collaborative des apprentissages. Partant, diverses modalités du travail réflexif apparaissent dans les situations ultérieures non évoquées ici (multiplicité, développement et affinement des modalités d'activité réflexive des élèves), (travail de médiatisation par internalisation et externalisation des processus psychiques) en phase avec la zone de proche développement et le souci de développer une pensée autonome par une démarche formatrice.

La situation spécifique de dissertation a ensuite conforté nos hypothèses de recherche en signalant trois grands niveaux de réflexion dans l'apprentissage du philosopher qui confirment la nécessité première pour l'élève de passer de l'indétermination de la maîtrise de ses processus psychiques, à l'amorce de celle-ci comme à celle de la construction des compétences, puis à la stabilisation de cette maîtrise comme à celles des compétences correspondantes de manière d'abord intermittente puis plus constante. Le travail d'Aurélie finalise et exprime la synergie à l'oeuvre entre les processus psychiques engagés (maîtrise, conscientisation en zone de développement proche, activité réflexive collaborative et attention volontaire) et la construction des compétences pour disserter. Il nous importait de savoir si cette conquête entrevue au cours de l'activité orale et appliquée au travail écrit d'auto évaluation lors de la situation 6 (où nous avons identifié quatre niveaux de réflexion), pouvait avoir un impact sur la compétence à disserter. L'activité réflexive observée dans les monographies d'Elodie, Laura, Noreen et Aurélie nous a permis de confirmer un lien significatif entre la capacité d'auto-évaluation et les progrès pour disserter.

IV) Conclusion : l'appropriation de la posture d'accompagnement comme fondement de la formation des enseignants de philosophie

Traditionnellement, l'Institution centre la formation des enseignants de philosophie sur l'approfondissement des contenus à transmettre aux élèves dans une logique quasi exclusive d'enseignement. Sans nier l'apport précieux et indispensable de ce volet de la formation, nous faisons l'hypothèse que le développement d'une didactique professionnelle centrée sur l'appropriation d'une posture d'accompagnement de l'apprentissage du philosopher des élèves de terminales peut être, pour le développement de compétences réelles comme pour leur réussite, une option prometteuse. La question de la formation des enseignants de philosophie renvoie immanquablement aux conceptions et aux postures que ces enseignants adoptent et incarnent quand ils officient en classe. C'est, à notre avis, le sens même du cours, les progrès éventuels des élèves dans l'apprentissage du philosopher et leurs résultats à l'examen qui sont liés en grande partie à ces conceptions et à ces postures. Or on sait que ces résultats sont médiocres1, notamment quand, nous semble-il, ces conceptions et ces postures ne permettent pas une rencontre fructueuse entre les élèves et l'enseignement. Plus précisément, dans ce cas, les élèves se désintéressent du cours. Rebondissant sur ce constat, le rapport de l'Inspection Générale sur l'enseignement de la philosophie portant sur 2007-2008, est sans appel quand il déplore qu'une majorité des élèves des séries technologiques "manifestent une indifférence totale et sans nuance au caractère libérateur de la philosophie". Pour autant et malgré ce constat, les pratiques des enseignants de philosophie changent en fait assez peu. Les postures privilégiées s'incarnent toujours le plus souvent dans le cours magistral ou dialogué en lien étroit avec les consignes officielles distillées par l'institution (Jurys de concours et inspecteurs régionaux et nationaux notamment), ou l'INRP (Institut National pour la Recherche Pédagogique). Cela a produit en philosophie, dans les années 1990, selon Michel Tozzi, (2008) une didactique "normative", "prescriptive" et "conformisante". L'appétence des élèves, en lien avec les objectifs officiels qui exigent de favoriser l'exercice critique du jugement et l'autonomie de la pensée est alors, dans ces conditions, rarement sollicitée. Bref le professeur est toujours, malgré les variantes didactiques et pédagogiques, celui qui fait son cours, l'élève celui qui le réceptionne. Certes, même ainsi, certains élèves demeurent actifs, concentrés, réfléchis. Sont-ils pour autant acteurs ? La loi d'orientation de 1989 prévoyait pourtant de mettre l'élève au centre du dispositif d'apprentissage. Si l'on entend par-là, en outre, le dessein de favoriser son implication (comprise ici comme la propension à s'engager et à construire cette pensée autonome et réflexive), on comprendra que cet objectif conserve toute son actualité. Nous émettons l'hypothèse que ce désintérêt des élèves et les résultats qu'ils obtiennent à l'examen proviennent en grande partie de conceptions et de postures inappropriées de la part des enseignants face à un public d'élèves en pleine mutation, et que "le caractère libérateur" de la philosophie peut apparaître, ici ou là à ce public, si l'on choisit (et ce serait là une révolution dans les finalités et objectifs proposés en formation) délibérément d'opérationnaliser une posture d'accompagnement pour s'adresser à lui.


(1) Lors des épreuves du baccalauréat, la philosophie est la matière où les moyennes sont les plus basses (entre 8 et 9), même si l'on observe une légère progression ces dernières années.

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