Revue

Le philoconcert

Le philoconcert est une performance scénique qui, dans une unité conceptuelle et problématique, alterne reprises rock et commentaires philosophiques des morceaux. L'intérêt de la performance réside dans l'interprétation des morceaux, dans les deux sens du terme : ils sont joués musicalement (chant et guitare) et analysés. Le fait que la même personne assume les deux modes d'interprétation rend vivante l'unité existant entre la philosophie et le rock. La performance suit un rituel où le performeur change régulièrement de rôle et joue avec ces changements.

Le but du philoconcert est de faire comprendre certaines grandes idées de la philosophie en les illustrant par des morceaux rock exprimant ces idées. Le philoconcert met en miroir une idée spécifique d'un philosophe et un morceau d'un groupe rock. Il explique le questionnement sur lequel les deux se rejoignent, comment, directement ou indirectement, les deux références se font écho. Les thèmes abordés dans les philoconcerts ont été jusque-là les suivants : le désir, la liberté, la mémoire et l'oubli, l'engagement, l'esprit et la matière, Blaise Pascal.

Quelques exemples... Le doute et le cogito de Descartes sont illustrés par le Where is my mind des Pixies ; la question de la sociabilité dans la fable des porcs-épics de Schopenhauer par le morceau Hygiaphone de Téléphone ; ou encore l'empirisme de Hume avec Good vibrations des Beach Boys. La correspondance entre le philosophe et le groupe rock s'établit selon trois types de modalités possibles :

1) Tel auteur rock a lu tel philosophe. Dès lors, le lien est naturel. Par exemple, Jim Morrison reconnaît lui-même la dimension oedipienne du morceau The end. Morrison a lu Freud et son texte est certainement écrit en connaissance de cause.

2) Tel auteur n'a pas nécessairement lu tel philosophe, mais sa culture générale permet assez naturellement de le rapprocher d'une idée philosophique, surtout si l'auteur s'est expliqué sur le sens de son morceau. Par exemple, que Bashung ait lu ou non lu Sartre, La nuit je mens est une bonne illustration de la théorie que le philosophe développe sur la mauvaise foi.

3) Tel interprète n'a jamais lu tel philosophe. Par exemple, il est fort probable qu'Elvis Presley n'ait pas lu Spinoza. Pourtant Jailhouse rock est une illustration pertinente de l'idée spinoziste selon laquelle, l'homme, s'il peut se sentir libre (lors d'un fête dans une prison faisant un moment oublier que l'on est en prison), ne peut être réellement libre (la prison).

Depuis septembre 2013, le philoconcert présente ces corrélations dans le cadre d'une histoire. Le programme sur la liberté suit un cheminement à partir de l'histoire de Georges, un jeune homme qui cherche la sagesse et la liberté dans les livres mais qui, un jour, a envie de confronter les théories des penseurs à la vraie vie. Il se met alors en route...

  • Il arrive sur une plage, voit une surfeuse, se sent sensoriellement bien :
    > Hume et l'empirisme - Beach boys, Good vibrations.
  • Il surfe avec la fille mais tombe à l'eau et a des doutes sur sa faculté de se représenter correctement le monde :;
    > Descartes, le doute et le cogito - The Pixies, Where is my mind.
  • Il sort de l'eau, court sur la plage et se sent libre ;
    > Spinoza et l'illusion de la liberté - The who, I'm free.
  • Il reprend son chemin et arrive dans une ville où se préparent des élections politiques :
    > Rousseau et la liberté politique - Beatles, Come together.
  • Mais sur le campus universitaire, des militaires répriment une manifestation :
    > Locke et droit de libération - Neil Young, Ohio.
  • Désespéré, George croit trouver la liberté dans un état second et artificiel :
    > Merleau-Ponty, liberté et corps propre - Pink Floyd, Comfortably numb.
  • Il se raisonne et repart sur des chemins plus naturels :
    > Kierkegaard, liberté et décalage temporel - Camille, La jeune fille aux cheveux blancs.
  • Il rencontre un chaman et croit en la liberté de l'imaginaire :
    > Bachelard et la liberté créatrice - Patti Smith, Dancing Barefoot.
  • Il rencontre un démiurge et se dit qu'être libre n'est pas faire ce que l'on veut...<br/>
    > Platon, liberté et déterminisme dans le mythe de Prométhée - Bashung, Malaxe.

Le philoconcert part du postulat suivant : le rock est un art. De là, sa pédagogique constitue, comme dans une démarche classique de transmission du savoir philosophique, à emprunter au domaine de l'art une oeuvre dont l'exemplarité conceptuelle est pertinente. L'analyse de l'intérêt philosophique des textes rock est approfondie par des explications musicologiques, dont le degré de difficulté est adapté au public et, surtout, fait l'objet d'une démonstration directe. Par exemple, pourquoi tel morceau passe d'un mode majeur à un mode mineur ? Pourquoi tel guitariste utilise un son saturé plutôt qu'un son clair ? Dans quelle mesure le choix de tel effet de pédales permet, pour le guitariste, tout comme telle ou telle figure de style en poésie, de renforcer l'expression d'une idée ou d'un sentiment ? Le philoconcert permet alors de montrer directement la différence sonore entre un accord majeur ou un accord mineur, la différence entre un son guitare clair et un son saturé, différents effets de pédales.

L'origine du philoconcert est le livre Rock'n philo (Bréal, 2011). Le live est la reprise sur scène du livre. Le philoconcert a été inventé et mis au point durant l'année 2011, et présenté pour la première fois la même année à la Semaine de la Pop philosophie de Marseille dans une forme expérimentale. Depuis, il a évolué, s'est radicalisé, et a été présenté lors de festivals de philosophie (Journée mondiale de la philosophie à l'Unesco, les Rencontres philosophiques de Langres, Escale philo de Louvain-la-Neuve, Les Rencontres de Sophie au Lieu Unique de Nantes...), dans des Salles de concert (La Bellevilloise à Paris, le Chabada à Angers, Fuzz'Yon à La Roche/Yon...), dans des lycées (devant des classe de séries générales, technologiques et professionnelles), ainsi que de nombreuses médiathèques (Béziers, Limoges, Angers, Orléans, Bourges, Orvault...) et centres socio-culturels (Blois). Le concept et le livre ont également fait l'objet de présentations lors de deux festivals rock, les Francofolies de La Rochelle et Art rock à Saint Brieuc, en 2012.

Le philoconcert se joue soit en solo (acoustique) ou en power trio (son électrique), avec basse (Christian Gentet, leader de L'Orchestre de contrebasses) et batterie (François Jouhanneau, ex batteur de Jacques Higelin).

Pour le public scolaire, le philoconcert est un complément à l'enseignement traditionnel de la philosophie. Il constitue une ouverture pour les élèves de prime abord fermés. Il est très volontiers proposé et présenté aux élèves des séries professionnelles, qui ne bénéficient pas d'un enseignement de la philosophie. Il constitue aussi une première approche de la philosophie pour les élèves de 2nde et de 1e.

Pour le grand public, le philoconcert intéresse les personnes qui ont pu faire de la philosophie au lycée comme celles qui n'en ont jamais l'occasion et le regrettent ; les enseignants (philosophie, histoire, littérature et documentalistes) désireux de savoir comment le rock peut être utilisé de façon pédagogique. Le public est très mixte et intergénérationnel. La journaliste Marie Robert, dans un article pour Muze (automne 2013) intitulé Papa was a philosopher et consacré à la performance du philoconcert, écrit : "Francis Métivier a franchi un cap supplémentaire dans l'application de sa pédagogie en donnant une dimension acoustique aux textes. C'est ainsi que sont nés les philoconcerts, plongeant l'auditeur dans une expérience sensorielle globale".

Le philoconcert dure entre 1h30 et 1h45 et présente 9 morceaux. Il peut être suivi d'une discussion.

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