Revue

La Rue S’étonne - cuisiner les idées et cultiver la pensée dans la rue.

La 3ème édition du Festival Philoscène, ayant pour but de démocratiser la pratique de la philosophie dans un geste artistique pour tous, petits et grands, dans le quatorzième arrondissement de Paris, s’est déroulée le 26 juin 2021 "dans la rue". En raison des fermetures des lieux culturels et socio-culturels qui sont habituellement associés à sa programmation sur plusieurs jours, avec notre comité d’organisation nous avons pris cette sage décision de proposer une pratique de la philosophie associée au théâtre de rue dans un parcours déambulatoire et sur une journée. Cette contrainte contextuelle m’a incitée à créer une performance de pratique philosophique et théâtrale associant un jeu de cartes que j’ai intitulé La Rue S’étonne. Cette performance constituée de praticiens de la philo et de comédiens a donné lieu à des discussions originales, ludiques et étonnements philosophiques avec tous les passants rencontrés.

« Le théâtre doit faire de la pensée le pain de la foule. » Victor Hugo. Papier

Le Festival Philoscène 2021 à tout prix !

L’annulation d’une 3ème édition du Festival Philoscène 2021 était envisagée à l’automne 2020, en raison de la situation sanitaire. Toute l’équipe de notre comité d’organisation en était navrée, car la programmation de notre Festival se déroule principalement dans les lieux culturels et sociaux culturels du 14ème arrondissement de Paris. Leurs fermetures risquaient de compromettre une seconde fois d’offrir à notre public, du quartier et d’ailleurs, nos événements et ateliers mêlant discussion à visée philosophique aux arts vivants. Alors l’idée germa dans mon esprit : faire un lâcher de philosophes dans les rues du 14ème dans une expression théâtralisée ! Il fallait que notre manifestation ait lieu de façon physique, pour vivre la rencontre « en présentiel », comme il se doit pour ce genre d’évènement. Nous avions tous un besoin viscéral de partager notre créativité artistique et nos pensées sur le thème du « rêve ou la récréation du temps » avec le public dans le respect des contraintes sanitaires s’il le fallait. J’exposai l’idée à Aline Lebert, stagiaire sur nos projets Philoscène (ateliers et Festival) pour sa formation au Diplôme Universitaire de la pratique de la philosophie pour les enfants à l’université de Nantes et Claude Lupu, professeur de philosophie, dans la salle des professeurs du Collège Morvan à Paris en novembre 2020. J’imaginais une troupe composée de binômes de praticiens de la philosophie et de comédiens discutant avec les passants. Aussi pour que les discussions ne deviennent pas celles du « café du commerce » je voyais un jeu de cartes comme prétexte à maintenir la rigueur de la pensée philosophique pour les praticiens et les comédiens durant leurs échanges avec les passants, impulsant le plaisir à réfléchir grâce à l’aspect ludique et convivial du jeu de cartes qui le caractérise. Pour ce faire, je proposai un jeu composé de cartes avec des notions, des habilités de penser, des questions facilitatrices ainsi qu’une série de cartes de philosophes célèbres de toutes les époques, avec des citations rattachées aux notions choisies. Les comédiens utiliseraient ces cartes et leurs citations pour être les passeurs de la pensée des auteurs durant les discussions menées. Aline Lebert, Claude Lupu et moi, nous avons rédigé le contenu du jeu de cartes support dans la pratique de La rue s’étonne. En quelques séances de travail il fut créé, et durant les mois qui ont suivi j’ai peaufiné la performance, la conception de La rue s’étonne pour sa mise en œuvre et son orchestration entre les praticiens (animateurs), comédiens (rôle du philosophe) et les passants (les discutants) abordés dans les rues.

La rue s’étonne répond au besoin de démocratiser la pratique de la philosophie en l’associant au théâtre de rue. Nous verrons comment La rue s’étonne facilite les discussions à visée philosophique, par sa forme théâtre de rue avec son jeu de cartes et l’intérêt philosophique que génère dans son contexte l’interaction de la pensée sur les différents acteurs engagés. Dans un second temps, j’expliquerai sa mise en œuvre avec la formation qui donna naissance à sa troupe La rue s’étonne et le résultat de cette expérience partagée, dans les rues, places, squares et marchés du 14ème arrondissement de Paris, dans le cadre du Festival Philoscène 2021. Enfin, je conclurai par les perspectives envisagées de diffusion et de transmission en milieux scolaires de La rue s’étonne, dans une vision fraternelle d’éducation populaire.

Le besoin de s’étonner : le début de la philosophie

Le nom de la performance est inspiré de la définition philosophique de l’étonnement causé par la conscientisation de la réalité du monde que nous interrogeons. Nous sommes tous biens conscients de l’étrangeté inhabituelle que nous traversons depuis COVID 19 (pas de genre à ce truc là !) et ses conséquences plus ou moins dramatiques sur la population. Cet étonnement a atteint son paroxysme en mars 2020 (espérons-le !) et se prolonge chaque jour depuis. L’impact émotionnel individuel et collectif était d’une telle violence que nous sommes tous passés de l’étonnement (enfin pour certain…) à l’état de sidération à l’échelle mondiale (sûrement pour tout le monde !).

« C’est, en effet, l’étonnement qui poussa comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance … »[1].

Ma conviction était que les personnes que nous rencontrions dans les rues du 14ème seraient d’autant plus disposées à réfléchir avec nous au regard de ce phénomène sidérant que nous vivions tous. Notre époque traverse un désordre qui favorise le besoin de se retrouver pour penser ensemble, le besoin de proximité physique, le besoin de comprendre et de se comprendre, le besoin d’échanger et d’être à l’écoute les uns les autres. Tous ces besoins ne sont-ils pas un commencement pour générer un passage à l’action ? Et les actions ainsi accumulées permettront peut-être un renouveau, des solutions afin de se réinventer soi-même et avec les autres dans notre monde abîmé. La performance La rue s’étonne est, modestement à son échelle, une manifestation de l’étonnement de part sa proposition de discussions à visée philosophique, interrogeant les difficultés du monde et qui se conjugue par sa forme théâtralisée à la surprise. La performance La rue s’étonne, du fait qu’elle soit mise en scène dans la rue avec une troupe de praticiens de la philosophie et des comédiens, provoque une surprise, un effet « spectaculaire » sur les passants. Avec La rue s’étonne nous cherchons, du moins dans l’instant partagé, à faire tomber ces murs en nous, oublier ceux qui nous entourent, le temps d’une discussion ou de plusieurs tout au long d’une journée. Notre performance à visée philosophique théâtralisée dans la rue s’inscrit dans une démarche socratique. Bien d’autres praticiens de la philosophie et artistes, avant nous, ont eu ce même besoin d’interroger la pensée dans la rue dans un geste créatif, lieu populaire par sa diversité permettant d’aller à la rencontre du plus grand nombre. Pour être spectaculaire, créer la surprise des passants, il nous fallait être nombreux. C’est le principe de la performance artistique de rue, en général, offrir une surprise par ce qu’elle créé à l’extérieur de nous-mêmes. Ainsi les principes de l’étonnement philosophique et de la surprise du théâtre de rue de la performance La rue s’étonne éveille à la fois notre pensée et notre imaginaire dans un temps réel.

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Le théâtre de rue : une forme populaire vecteur d’universalité

Mettre en scène dans la rue, c’est revenir aux origines de la philosophie et du théâtre. C’est reprendre la route de l’essentiel. Car philosophie et théâtre ont comme sujet commun la condition humaine. Mais l’une cherche la vérité quand l’autre joue sur les apparences et les émotions[2]. Philosophes et metteurs en scène s’interrogent depuis l’antiquité sur comment la raison au théâtre pourrait être maîtresse de tous les mouvements en scène ? Platon oppose le théâtre, une imitation (mimèsis) des apparences à la philosophie cherchant la vérité dans la cité réelle avec ses citoyens. Le théâtre et ses acteurs interprètent le drame, le tragique ou le comique de l’existence au lieu d’imiter « des hommes comme il faut » animés par le désir du vrai. Pourtant le théâtre est aussi le moyen de figurer les puissances fondamentales (homme, femme, désir, territoire…) et les idéaux humains. Mais cette distinction entre théâtre et philosophie reste toujours en discussion. Dans quelle mesure la magie du pouvoir du théâtre peut-elle être au service d’une élévation de l’âme et de la pensée humaine dans le monde réel ? Une performance comme La rue s’étonne tente de répondre à cette question. Le collectif La rue s’étonne regroupe des aspects du théâtre de rue et de la méthode socratique pour philosopher. Comme Socrate notre collectif La rue s’étonne, avec ses binômes composés de praticiens de la philo et de comédiens descendent dans la rue pour questionner les citoyens. Notre discussion théâtralisée dans les rues invite à prendre le temps de rencontrer l’autre, invite celui-ci à s’arrêter un moment pour réfléchir : un stop à nos agitations quotidiennes pour regarder la vie autrement. Elle peut même apporter un changement de point de vue par la découverte de pensées nouvelles. Nos binômes sont formés pour guider les discutants dans ce sens. Mais pour qu’elle raison prendraient-ils le temps de discuter avec des inconnus ? Qu’est-ce qui motive à l’action de réfléchir dans la rue sur l’existence avec un collectif comme celui de La rue s’étonne ? Le fait que notre discussion à visée philosophique soit théâtralisée dans la rue facilite le contact et l’invitation à ce jeu de la discussion. J’ai pensé nécessaire de mettre en scène nos binômes tout en maintenant une vérité de leurs rôles et de leur interaction dans la réalité de la rue. Dire à quelqu’un, « nous allons pratiquer de la philosophie ensemble », créer souvent une inquiétude. La philosophie reste dans les esprits un champ élitiste. Il y a une confusion entre la pratique de la philosophie et la philosophie des auteurs. Le mode de discussion à visée philosophique théâtralisée comme je l’ai proposé avec La rue s’étonne est une ruse en quelque sorte pour mettre à distance cette confusion. La pratique du jeu théâtral et son support de jeu de cartes fait tomber le mur de l’incompétence et de l’incapacité à penser. Après les 30 minutes ensemble, tous les discutants étaient étonnés, surpris d’avoir eu toutes ces pensées et de ressentir beaucoup de plaisir et de joie par ce processus de réflexion collective durant tout ce temps ! La rue s’étonne prouve que la pratique de la philosophie s’adresse à tous. Certes avec quelques consignes. Nos binômes praticiens/comédiens sont les détenteurs du cadre, les garants que les pensées en mouvement répondent à l’exigence des habilités de la pensée philosophique.

Mais ce théâtre dans la rue est un jeu selon Callois[3]. Nous avons effectivement joué la situation d’une discussion à visée philosophique avec les citoyens dans les espaces publics. La discussion théâtralisée et jouée avec notre binôme de praticiens de la philosophie et nos comédiens avait un début et une fin : 15 minutes de discussion, 10 minutes pour réfléchir à « la pensée retenue » de la discussion et 5 minutes pour l’écrire sur un panneau ardoise et se photographier, souvenir de la « photo de famille » La rue s’étonne. Top chrono ! Fin de la partie. Cette action inhabituelle dans la rue à créer, pour les passants et nos binômes de La rue s’étonne, un espace-temps à part de leur réalité quotidienne. Une séparation vis-à-vis du réel, une forme de bulle à penser dans un temps limité. Après suspension, les habitudes de la vie reprennent leurs cours sans impact majeur sur la réalité. Car le passant-discutant ne joue pas pour de l’argent, n’est pas en compétition avec les autres («ma pensée est mieux que la tienne!»). Lors d’une discussion philosophique théâtralisée avec le collectif La rue s’étonne, il n’y avait rien à gagner en dehors de l’estime de soi, un nouveau regard sur la vie et la possibilité d’une élévation de sa pensée. La production de la pensée entre les uns et les autres génère un sentiment de la valeur personnelle et de respect mutuel. Les binômes et leurs discutants sont à ce moment-là, à la recherche de leur pensée pour répondre à une question qui touche une vérité sur l’existence. Nous nous nourrissons mutuellement de notre perception du monde. C’est une libération dirait Callois, où l’individu plus ou moins réprimé au quotidien, peut participer et exprimer sa pensée, sans besoin de justification. Dans La rue s’étonne, nos binômes sont mis en situation dans une expression théâtrale, rendue ludique par cette posture du jeu de la discussion, mais ni l’un ni l’autre ne jouent à être quelqu’un d’autre, un personnage comme les comédiens au théâtre, au sens de Platon. Le praticien de la philosophie est dans son rôle et ses compétences, il est formé à la pratique de la philosophie. Dans La rue s’étonne, il doit faire preuve d’audace pour vivre la réalité de la rue et oser aborder avec bienveillance et enthousiasme les passants. Cette posture modifie son cadre habituel. Cela ne fait pas de lui un imitateur, une personne qui rentre dans la peau d’un personnage. Ni lui ni le comédien n’ont appris un texte par cœur pour le jouer. Le binôme questionne dans une visée philosophique de la pensée et cadre les échanges avec le jeu de cartes contenant ses habilités de pensées, ses notions, ses cartes initiateurs de question et de citations de philosophes. Ils jouent la discussion sans texte. La pensée est le texte qui se créé en même temps qu’elle se vit, pour l’approfondir, l’emmener plus loin. Le comédien quant à lui ne joue pas non plus un personnage. Il ne rentre pas dans la peau de Hegel ou Deleuze, ou Weil. Il est le passeur de la pensée des auteurs philosophes, dans une certaine mesure, par la connaissance de ses concepts et par les citations qu’il propose. Il doit dans ce rôle repousser les limites des pensées en mouvement de la discussion en jeu. En cela La rue s’étonne s’inscrit plus dans une démarche philosophique. La théâtralité des binômes, leurs attitudes et habillements, atténue le caractère sacré de la pensée philosophique facilitant par l’amusement qu’elle procure, l’engagement du citoyen dans la discussion à visée philosophique.

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L’apparenté avec le théâtre de rue pour être visibles de tous

Nous étions visibles et nombreux, de façon inhabituelle : une troupe dans la rue est une manifestation dans la cité avec un propos et un esthétisme mais une manifestation de résistance philosophique et artistique. On provoque l’interaction sans obligation. Les Souffleurs, compagnie de théâtre de rue, ont intitulé une de leur performance « commandos poétiques », ils descendent dans la rue murmurer des poèmes aux oreilles des passants. Chaque mouvement, chaque geste sont travaillés dans le but de provoquer sur les passants une sensation de ralentissement de la temporalité. Alors on s’arrête, on accueille les mots qui nous sont adressés comme un cadeau intime. J’ai pensé qu’il était aussi important pour chaque groupe de discussions, formé avec nos binômes, de ressentir ce moment comme un privilège. Chaque groupe constitué devenait une bulle de réflexions où les acteurs en présence étaient dans une équité d’échanges, « vos pensées ont la même valeur que les nôtres ». Le théâtre de rue peut prendre des formes encore plus spectaculaires par sa dimension massive dans l’espace (Royal de Luxe, Cie Oposito…). Les troupes doivent impacter le public et attirer leur attention pour leur donner l’envie d’écouter de s’ouvrir à la proposition des artistes. Dans la rue, le public est libre de participer ou pas. La démarche est à l’inverse des théâtres institutionnels où le spectateur décide d’acheter sa place pour voir un spectacle. Ce sont les artistes qui vont à la rencontre du public et il peut passer son chemin. L’attraction par son jeu, son esthétisme et sa dimension joue un rôle important dans le choix du public. Dans la rue, l’espace dépasse la dimension scénique d’un théâtre mais pour exister il faut la force d’un collectif car l’environnement est plus surdimensionné. Notre proposition théâtralisée a merveilleusement bien fonctionnée.

L’expérience de jouer sans texte, une performance d’activité de penser

Le texte s’invente par la pensée en action des acteurs de la discussion en jeu. Tous sont touchés par la pensée des uns et des autres et du plaisir procurer par l’amusement d’être en scène ensemble. Car certaines discussions attirent d’autres passants qui écoutent, regardent et peuvent en fonction du temps de discussion restant, se joindre aux acteurs. Le comédien vit l’expérience dans La rue s’étonne de jouer sans texte. Le comédien a étudié son philosophe célèbre, ses grands axes de pensée, ses citations sur la carte du jeu, mais il n’a pas un rôle écrit appris par cœur. Il est donc avec le praticien et les discutants dans une véritable activité d’expérimenter une pensée. Il est rare que le théâtre institutionnalisé convoque la pensée de cette façon interactive entre le plateau et la salle, entre les acteurs et les spectateurs. Il y a des modes d’activités du théâtre qui pensent mais d’autres fonctionnent comme des retraits, des obstacles de la pensée. Il n’y a plus comme c’est souvent le cas au théâtre en salle, des acteurs en action et des spectateurs en réception sans interaction pensée entre eux. C’est en sortant de la salle sur le principe du cinéma, que nous réfléchissons au propos, aux questionnements et aux émotions. L’activité des spectateurs est moins agissante ces vingt dernières années[4]. Le théâtre de rue offre des formes qui redonnent une activité d’agir et de penser aux spectateurs. Là où les théâtres sont dans la distinction élitiste en invitant le philosophe universitaire à parler dans une salle, les performances de rue, comme La rue s’étonne, invite la pensée du théâtre et de la philosophie. Nous nous inscrivons dans l’exercice de la pensée, de sa mise en acte et de son exposition. J’exerce le théâtre en qualité de metteure en scène depuis 12 ans aussi, j’ai une compréhension de faire du théâtre, de l’acte du théâtre et des aléas du jeu de l’acteur. Dans La rue s’étonne, les praticiens et les comédiens, s’appuient sur leurs savoirs méthodologiques et pédagogiques, les uns questionnent et les autres improvisent. La pensée d’un philosophe est étudiée par le comédien pour jouer son rôle dans cette pratique du théâtre. Les discutants profitent pleinement de cette action théâtralisée en devenant à leur tour acteurs par la pensée philosophique en interaction avec le praticien animateur et le comédien philosophe. Pierre Alféri[5], explique dans son ouvrage « Chercher une phrase » que la pensée est indissociable d’une activité du langage, « penser veut dire chercher une phrase ». La recherche de sa phrase est un mouvement perpétuel. Je trouve que cette recherche de la phrase est présente pendant nos discussions théâtralisées et procède de l’activité de penser entre ses différents acteurs. La rue s’étonne s’inscrit, il me semble, dans cette activité du « penser » grâce au mouvement d’une pensée coopérative des acteurs exposés dans la rue. Une forme de théâtre hybride où le mouvement de la pensée est en jeu et où les acteurs se donnent en spectacle dans l’espace public dans un rapport d’équité fraternelle. Une forme qui unit la pratique du théâtre à la pratique de la philosophie.

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Une performance de rue interactive et laissant de la place à l’improvisation

La rue demande de conquérir tous les publics. En cela, cette démarche populaire, détournant aussi bien la réalité du quotidien que les espaces investis, est vecteur d’universalité. La performance a ce potentiel de capter le plus grand nombre. Nos binômes font preuve d’audace grâce à ce jeu théâtral pour dépasser leurs appréhensions d’aller à la rencontre des passants. Aussi ils doivent vivre pleinement le moment présent avec les discutants, être connectés et à l’écoute de leur environnement, des publics rencontrés et des lieux qu’ils traversent. Cela demande beaucoup d’adaptabilité et une forme de dépassement de soi pour rencontrer l’autre. Chaque membre de notre collectif La rue s’étonne a fait preuve d’audace pour dépasser leurs appréhensions face à la proximité exigée par la performance. Mais c’est à cette condition que s’installe une confiance avec les passants-discutants. La théâtralité de la performance atteint l’autre par l’amusement. Ainsi, l’attention mutuelle qu’on se porte est amplifiée et la pensée se met en mouvement.

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Le Festival Philoscène déclencheur de la création La rue s’étonne

La rue s’étonne a été pensée dès le départ pour être composée d’une troupe de binômes de praticiens et de comédiens la plus nombreuse possible. Plus il y a de binômes, plus la rue s’étonne ! La décision avait été prise : le Festival Philoscène aurait lieu dans les rues du 14ème à Paris sur une seule journée, le samedi 5 juin 2021. Puis celle-ci a été reportée au 26 juin 2021, en raison de l’attente des autorisations d’occupation transmises par la Préfecture. Le thème du Festival Philoscène 2021 était donc « Le rêve ou la récréation du temps ». La programmation de cette journée a débuté en matinée sur deux marchés du 14ème puis s’est poursuivie dès 14h par un parcours déambulatoire du « Cortège des rêveurs » constitué  des Souffleurs-commando poétique et de la compagnie Thaliway, jusqu’à la place de la Garenne au café associatif Le Moulin à Café, notre point de ralliement. Nous avons traversé ensemble des rues piétonnes, place, squares à la rencontre des passants. En parallèle, 2 ateliers de philosophie ont été menés en après-midi place de la Garenne avec Anna Touati et Evelyn Bledniak, ouverts aux familles dès 7 ans. Enfin la clôture de la journée s’est déroulée par deux discussions à visée philosophique publiques, la première à partir d’une « pensée retenue » collectée par le collectif La rue s’étonne suivie d’une seconde à partir de deux chansons sur le thème du rêve. Ces deux discussions ont été menées par Johanna Hawken, marraine du Festival Philoscène et Christian Budex, philosophe.

Processus et déroulement La rue s’étonne

En avril nous avons lancé un appel à participation à La rue s’étonne auprès de praticiens de la philosophie (formés et/ou diplômés à la pratique de la philosophie) et de comédiens. Un élan de solidarité et d’enthousiasme pour ce projet nous a permis de rassembler un collectif de 20 personnes, ainsi composé : 8 binômes de praticiens et comédiens et 4 comédiens philosophes circulants nommés « les comédiens-observateurs». Comme les comédiens étaient plus nombreux certains étaient sans partenaires praticiens, je leur proposais alors la mission de circuler entre les groupes de discutants afin de jouer les perturbateurs ou d’apporter une nouvelle idée durant les discussions écoutées et observées.

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Préparation et formation des binômes

Nous avons organisé deux matinées de formation en mai, dans les locaux du Village Reille[6] dans le 14ème où notre association dispose d’un petit bureau et de salles de travail mis à disposition pour tous les occupants associatifs. Nous avions édité le jeu de cartes et demandé à chaque membre du collectif leur philosophe préféré. Ceci a permis, par regroupement des choix, la composition des binômes. La formation devait mettre en confiance la troupe et construire du lien entre tous. Les duos devaient comprendre le processus en binôme de la performance, apprendre le déroulement d’une discussion pour bien fonctionner entre eux. Une simulation avec un groupe de 5 personnes constitués d’un binôme, de 2 discutants et d’1 comédien observateur pouvant « mettre son grain de sel » pour provoquer ou enrichir la discussion permit de s’entrainer à jouer-discuter. Enfin, une mise en situation pendant la pause déjeuner avec les occupants associatifs du Village Reille permit de se lancer. Au lieu de faire un tour de table pour se présenter, j’ai proposé aux 20 personnes un exercice d’improvisation en binôme : se présenter à son partenaire en improvisant et terminer en lui demandant « A quoi ça sert de rêver ? ». Après cet échauffement, nous avons présenté le jeu de cartes et son usage. Puis nous avons fait une simulation entre nous de 30 minutes avec un groupe praticien/comédien-philosophe/discutant/comédien-observateur. Le collectif était prêt pour la mise en situation avec les occupants associatifs du Village Reille où les discussions et les pensées collectées présageaient déjà du meilleur. Avant de nous quitter, un temps de retour sur expérience a été très utile et a permit de répondre aux questions et de réajuster la méthode et l’usage des cartes pendant les discussions. Constance Gammelin avait préparé un plan de toute l’intervention de La rue s’étonne, avec photos des lieux, adresses dans l’ordre chronologique jusqu’à la fin du parcours. Le collectif La rue s’étonne était né.

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Le jeu de cartes comme médiation pour faciliter les échanges

Le jeu de carte contient 35 cartes[7] : 7 cartes concepts, 7 cartes habilités de pensées, 7 cartes initiateurs et 14 cartes philosophes comprenant leurs citations en correspondance avec les concepts. Ce jeu est le support facilitant les échanges pendant la discussion à la condition de savoir les maitriser. Bien cuisiner ses idées et cultiver sa pensée[8] pour réussir la discussion, demande du savoir faire et du savoir être de la part des animateurs-praticiens et des comédiens. C’est pourquoi, le jeu de cartes, partie intégrante de la performance La rue s’étonne, outil de la performance, ne peut, dans sa forme actuelle, exister de façon autonome pour être commercialisé aux particuliers. Ce jeu de cartes est dépendant et indissociable des discussions menées par notre troupe. Les binômes devaient impérativement utiliser au moins une fois, pendant la discussion, 1 carte de chaque paquet, en commençant par le paquet « concept » (liberté, amour, le temps..), puis, « initiateurs » (faut-il, doit-on, pourquoi…) pour que les discutants cherchent une question philosophique associant le rêve à la notion tirée au sort. Puis la discussion relancée avec cette nouvelle question, la carte « Habilité de pensée » (contextualiser, définir, argumenter…) pouvait être alors tirée au sort à son tour avant de conclure la discussion. Le rôle du comédien était de jouer un philosophe célèbre choisi à partir des 14 cartes « Philosophes » de notre jeu (Deleuze, Nietzsche, de Beauvoir…). Le jeu de cartes permet de rebondir sur un sujet, d’en relancer son contenu si la pensée tourne en rond, d’ouvrir vers une nouvelle interrogation.

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Le jour J

Vous trouverez en Annexe de cet article, le déroulement détaillé d’une discussion de La rue s’étonne, les étapes : aborder les passants, lancer la discussion avec la question du rêve, utiliser le jeu de cartes pour relancer, ouvrir la discussion, les interventions du comédien-philosophe et celle du comédien-observateur. Chaque discussion théâtralisée dure environ 30 minutes : 15 minutes de circulation de la pensée, puis 10 minutes pour définir la « pensée retenue », écriture de celle-ci sur le panneau ardoise et enfin la « photo de famille » en souvenir de ce moment partagé. Le collectif a su s’approprier cette pratique avec beaucoup d’autonomie et d’authenticité liés à la complémentarité de leurs binômes, leurs personnalités et celles tellement variées rencontrées durant toute cette journée. Le collectif La rue s’étonne a démarré sa performance sur les marchés du 14ème le 26 juin à 10h, 4 binômes à la porte d’Orléans et 4 autres à Edgar Quinet, tous excités par cette nouvelle pratique dans la rue, tous témoins de cette création collective. Réjouissant. En démarrant sur un site en petits groupes statiques sur un marché, cela rassurait les équipes pour s’approprier progressivement la pratique. Les deux équipes pouvaient s’entraider au besoin. La diversité des passants et la richesse des discussions a commencé tranquillement, la bruine ne favorisait pas la fréquentation du public dans la rue et puis il fallait bien se mettre en route ! Mais au bout d’une heure la machine était huilée et les discussions fusaient sur les marchés ! Au déjeuner le nombre de discussions menées étaient plus importantes que prévues et les photos circulaient à tout va sur notre groupe whatsapp. Un vrai bonheur. À la pause-déjeuner les échanges allaient bon train. La pluie est revenue plus dense et nous a un peu perturbée à 14h, au démarrage de la déambulation du « Cortège des rêveurs », qui regroupait La rue s’étonne et les Souffleurs. Mais la troupe y a mis tout son cœur, on était bien visible et les passants ont été accueillants et réjouis de se prêter à notre jeu de discussion. La déambulation a duré 3h, ce fût un peu long pour certains. La fatigue se faisait sentir en arrivant place de la Garenne à 17h. La lecture de toutes les pensées retenues sur le podium a redonné de l’énergie au collectif porté par l’enthousiasme et l’émotion de ce partage en public[9].

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Les résultats de la performance La rue s’étonne

160 discussions sur le thème du rêve dans la journée ! Nous avons plus de 500 photos avec les « pensées retenues » et des dizaines de films retraçant La rue s’étonne dans tous ces états ! Au-delà ces chiffres, l’essentiel est que le collectif La rue s’étonne ait fonctionné, que toutes les pensées intervenantes et retenues durant les discussions de La rue s’étonne ait généré beaucoup d’enthousiasme entre tous les acteurs agissants (praticiens/comédiens/discutants). En dehors des temps de discussions, la déambulation, cette marche pour aller d’un point à un autre, a été un facteur de réflexion dans la troupe, toujours favorable pour le cheminement de la réflexion. Aussi, cette accumulation des pensées collectées tout au long de la journée, et nourrit par les discussions, a sûrement été un terreau fertile pour mener chaque nouvelle discussion et un enrichissement individuel. Le collectif La rue s’étonne a vécu un élan de fraternité. Surpris et étonnés par la capacité de réflexions communes, la beauté des pensées et de la bonté immédiate que cette action a produite.

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La restitution publique

Une lecture des pensées retenues, collectées par les binômes, fut appréciée en fin de journée. Johanna Hawken et Christian Budex animèrent ensuite une discussion philosophique à partir d’une pensée. Nous pourrons imaginer de nouvelles formes de restitutions lors du prochain festival telles que : repartir en choisissant une pensée retenue, lancer une discussion avec le public invité dans un théâtre (déplacement des publics dans les lieux culturels et théâtres), discussion pouvant être menée par des philosophes de la pratique de la philosophie. Des formes alternatives pourront être envisagées : exposition arts plastiques des pensées retenues, lecture mise en scène sur plateau avec les binômes puis interaction avec la salle, un temps de réception des pensées retenues sur un concept puis de réaction et recherche avec le public permettant d’approfondir la pensée.

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Les perspectives de la troupe La Rue S’étonne

Cette magnifique première expérience a constitué la troupe La rue s’étonne. Nous voudrions diffuser dans d’autres manifestations, Festivals et auprès de municipalités notre performance La rue s’étonne. Nous allons aussi faire des séances d’approfondissement philosophique et théâtral pour la troupe, principalement sur les concepts en lien avec les philosophes de notre jeu de cartes. Une perspective de transmission éducative La Rue S’étonne en milieu scolaire est en cours de réflexion. Il s’agirait de transmettre et de tutorer les enfants et les adolescents à la pratique La rue s’étonne par nos binômes praticiens/comédiens afin que les jeunes soient autonomes à mener des discussions théâtralisées avec leurs camarades dans la cour de l’école.

« On peut dire que, quand elle est mise en scène, la philosophie fait apparaître le penser comme comportement et non seulement comme contenu de pensée ».[10]

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Réflexions d’avenir

Les dialogues se construisent par l’immédiateté de la pensée durant la discussion entre le praticien de la philosophie, le comédien et les discutants. Les pensées et les dialogues se réinventent à chaque nouvelle rencontre puisque les discutants diffèrent tous les 30 minutes. Les binômes génèrent de discussions en discussions non seulement une circulation des pensées mais une matière possible de dialogues provenant du monde social, du monde philosophique et du monde théâtral. Pour renforcer la partie théâtrale et le jeu des comédiens, j’envisage pour le prochain Festival, d’expérimenter, avec le collectif La rue s’étonne, au terme des discussions de chaque groupe, une petite improvisation des comédiens (le comédien-philosophe et le comédien-observateur qui écrit les « pensées intervenantes »[11]) à partir des pensées collectées durant la discussion. Les « pensées intervenantes » seraient transformées en dialogues improvisés pour la clôture des discussions. Les trois appartenances de la pensée (monde du social, de la philosophie et du théâtre) seraient en harmonie dans le processus de la performance. Cette improvisation des comédiens en clôture des discussions, comme une reformulation poétique, apporterait cette distanciation de la pensée précédemment survenue. Une autre réalité dans l’instant présent. Cette perspective sera pour moi un excellent prétexte pour aborder le travail de Brecht et poursuivre ma recherche d’associer le théâtre et la philosophie dans la rue. Une pensée populaire qui germe de l’action. Une résistance accrue dans les sillons des champs du possible. À vos tabliers et vivement 2022 !

  • Haumesser M., Combes-Lafitte C. et Puyuelo N. Textes réunis (2008). Philosophie du théâtre. Paris : Librairie philosophique J.VRIN.

  • http://www.laphilo.com Aristote, Métaphysique, Livre I, 2, 982b/Aristote-l’étonnement comme origine de la philosophie.

  • Conférence de la BPI. (2019). « Penser en théâtre et en philosophie » invité Denis Guénoun, professeur émérite de l’Université Paris-Sorbonne, metteur en scène et philosophe. - https://www.youtube.com/watch?v=Y9wtbO-2RDQ/

  • Article en ligne d’André Combes (2008). « Le philosophe au théâtre ». Extrait p.6 - site CAIRN.INFO matières à réflexion, extrait de Klincksieck | « Études Germaniques » /2 n° 250 | pages 205 à 228 ISSN 0014-2115ISBN 9782252036549DOI 10.3917/eger.250.0205

  • Mémoire Annie Mako. DU de la pratique de la philosophie Université de Nantes 2019

  • Mémoire Aline Lebert DU à l’Université de Nantes « Ecrit réflexif Pour l'obtention du Diplôme Universitaire - Formation à l'animation d'ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents à l'école et dans la cité ». 2021

Consignes et déroulement de la performance

et son jeu de cartes La rue s’étonne

Je vais reformuler les consignes et le déroulement des discussions de La rue s’étonne avec le jeu de cartes en support (et non les règles d’un jeu de cartes qui serait autonome à la performance comme initialement édité) car comme je vous l’ai expliqué précédemment, le jeu de cartes est indissociable de la performance et sa commercialisation indépendamment de la performance n’est plus envisageable aujourd’hui. Jeu de cartes et performance La rue s’étonne vont de pairs.

En résumé, le jeu de cartes utilisé dans la performance La rue s’étonne contient :

-7 cartes Concepts :

La liberté, le bonheur, l’amour, le temps, la vie/la mort, la nature et la vérité, en compléments ou sous thématiques du rêve thème du Festival Philoscène 2021.

-7 cartes Initiateurs :

Faut-il … ? Doit-on… ? Peut-on … ? Pourquoi… ? Est-il toujours vrai que…. ? A quelle condition… ? Peut-on toujours dire que… ?

-7 cartes Habilités de pensée :

• Reformuler : reformuler l’idée pour sa compréhension

• Concrétiser : donner un ou plusieurs exemples. Illustrer avec son expérience

• Argumenter : justifier son propos. Expliquer ce qu’on veut dire.

Défendre son opinion

• Objecter : qu’est-ce qui ne va pas dans cette idée ?

• Contextualiser : dans quelle situation ou contexte, cette idée ne se vérifie pas ? ne marche pas ?

• Définir : donner une définition à la notion, au thème, au sujet : c’est quoi pour vous cette notion ?

• Se positionner : d’accord / pas d’accord avec l’idée

-14 cartes Philosophes (avec citations en lien avec les 7 concepts du jeu) :

Socrate / Aristote / Pascal / Descartes / Rousseau / Kant / Wittgenstein / Arendt / Weil / de Beauvoir / Deleuze / Diderot / Nietzsche / Dewey.

La règle pour la discussion avec le jeu de cartes en support :

4 joueurs dans les rôles principaux : 1 animateur (praticien de la philosophie), 1 comédien-philosophe et 2 discutants (passants abordés) au minimum.

La durée d’une discussion étant de 30 minutes : 15 minutes de discussion, 10 mn pour la « pensée retenue » et 5 mn pour la « Photo de famille ».

Le kit matériel du binôme en plus des cartes :

Chaque binôme dispose d’un kit de matériel indispensable pour mener les discussions La rue s’étonne :

-le tablier Philoscène

-le jeu de cartes La rue s’étonne

-du gel hydrolique/masques (bientôt sans !)

-des craies de couleurs

-des mini-éponges + une mini bouteille d’eau

  • un panneau carton ardoise

Le déroulement de la discussion avec le jeu de cartes en support :

L’animateur (praticien de la philo) est garant de la discussion à visée philosophique dans le respect, l’écoute et la bienveillance entre les participants. Avec le comédien-philosophe ils interpellent les passants et se présentent de façon théâtrale « Venez réfléchir ! Qu’est-ce-que vous pensez du rêve ? », « Bonjour ! C’est le jeu La rue s’étonne ! Voilà nom du philosophe et je suis son élève initié ! »

L’animateur détient 3 paquets de cartes : Concepts, Initiateurs et Habilités de pensée qu’il fait tirer au sort aux discutants. Il doit faire tirer au sort 1 carte de chaque paquet au moins une fois durant la discussion, en commençant par le paquet des cartes « concepts », puis « initiateurs » puis « habilités de pensée », ceci dans le but de mener la discussion pour qu’elle soit bien argumentée. Avant de lancer la discussion il fait l’usage d’un objet sonore de son choix (sifflet, clochette, etc.) réutilisé également pour signaler la fin de la partie.

Le comédien-Philosophe est garant de la théâtralisation de la discussion par son interprétation d’un philosophe célèbre improvisé qui se manifeste en transmettant quelques unes de ces grandes réflexions et en s’appuyant pour relancer la discussion sur l’une ou plusieurs des citations en lien avec sa carte du jeu Philosophe qu’il incarne. Il fait de l’esprit et réfléchit avec amusement, car réfléchir cela peut être sérieux mais certainement pas grave ! il intervient pour mettre un peu de piment à la discussion. Il doit improviser et imaginer les traits de caractères d’un Kant, d’un Aristote ou encore d’une Simone de Beauvoir ! En binôme avec l’animateur, il veille à la qualité de la discussion. C’est également lui le maître du temps, il signale le début et la fin de la partie grâce à son objet de mesure (sablier ou chronomètre) toutes les 15 minutes.

Le comédien-observateur circulent entre les discussions en cours pour écouter, intervenir en provocant ou en apportant une nouvelle pensée.

Les discutants sont deux à 4 maximums par discussion (il peut y avoir plus de 4 personnes quand il s’agit de familles). La 1ère question posée par le binôme permet de lancer la discussion. L’un peut tirer la 1ère carte concept au cours de la discussion, un autre celle initiateur, puis ainsi de suite, à tour de rôle.

A partir du tirage au sort des cartes Concepts et Initiateurs proposées par l’Animateur les discutants doivent construire une question philosophique en associant le thème initiale (comme le rêve par exemple). Le comédien et l’animateur peuvent les aider à formuler la question. Puis la discussion est relancée avec cette nouvelle question par les discutants encouragée par les interventions et relances de l’animateur et du comédien.

La trace de la discussion

A la fin des 15 mn de discussion, le binôme animateur/comédien-philosophe demande aux discutants qu’elle est « la pensée retenue » de la discussion. Une fois la décision prise, la pensée retenue est écrite sur le panneau ardoise et tous ensemble prenne la « photo de famille » La rue s’étonne. Il y a également eu de nombreux discutants qui ont écrit à la craie sur le bitume des rues et des places les pensées retenues.

Notes
  1. Aristote, Métaphysique, Livre I, 2, 982b source http://laphilo.com/ Aristote-l’étonnement comme origine de la philosophie. ↩︎

  2. J’aborde dans mon mémoire de DU de la pratique de la philosophie Université de Nantes cette distinction entre Platon et Aristote sur la question de la relation entre théâtre et philosophie. Pour Aristote le théâtre est l’expression du vraisemblable de l’existence. ↩︎

  3. Haumesser M., Combes-Lafitte C. et Puyuelo N. Textes réunis (2008). Philosophie du théâtre. Paris : Librairie philosophique J.VRIN. ↩︎

  4. Source vidéo YouTube conférence de la BPI « Penser en théâtre et en philosophie » propos de l’invité Denis Guénoun, professeur émérite de l’Université Paris-Sorbonne, metteur en scène et philosophe, juin 2019. ↩︎

  5. Denis Guénoun, lors de sa conférence de la BPI en ligne « Penser en théâtre et en philosophie » organisée par la BPI cite Pierre Alféri et son ouvrage « Chercher une phrase » édité en 1991 chez Christian Bourgois Editions puis réédité collection Titres. Il explique l’importance de ce processus en mouvement qui lui semble essentiel pour la pensée philosophique et théâtrale. ↩︎

  6. Situé impasse Reille, Paris 14e, dans un ancien couvent mis à disposition pour une durée de 15 mois par in’li, (groupe ActionLogement) Le Village Reille est un nouveau projet partenarial porté par Plateau Urbain et ses sociétaires accueille un centre d’hébergement d’urgence, une colocation solidaire et 55 structures associatives ou issues du monde de l’ESS notamment dans les champs culturel et social. ↩︎

  7. Aline Lebert développe dans son mémoire de DU à l’Université de Nantes « Ecrit réflexif Pour l'obtention du Diplôme Universitaire - Formation à l'animation d'ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents à l'école et dans la cité » l’histoire et l’intérêt d’utiliser le jeu de cartes dans la pratique de la philosophie avec les enfants. Elle donne son point de vue sur notre support de cartes qu’elle a pu expérimenter en qualité de praticienne en binôme avec un comédien lors de La rue s’étonne en juin dernier. ↩︎

  8. Slogan que j’ai conçu pour présenter la performance La rue s’étonne ↩︎

  9. Vous pouvez télécharger le pdf de notre bilan Festival Philoscène 2021 pour plus d’information sur notre site www.babdp.org/festival-philoscene ↩︎

  10. Extrait p.6 de l’Article en ligne d’André Combes « Le philosophe au théâtre » site CAIRN.INFO matières à réflexion, extrait de Klincksieck | « Études Germaniques »2008/2 n° 250 | pages 205 à 228 ISSN 0014-2115ISBN 9782252036549DOI 10.3917/eger.250.0205 ↩︎

  11. Terme utilisé par Brecht, extrait du même Article d’André Combes p.11 ↩︎

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