Les États Généraux de l’Éducation de 1995 ont formellement dressé le constat que l’évaluation, dans le système éducatif camerounais, comportait des effets de biais notoires, légitimant ainsi leur caractère inadapté (p.31). D’où la recommandation de mettre en œuvre un système fiable en congruence avec les objectifs clairement définis.
Les nombreuses directives officielles ainsi que les différents programmes agréés dans la foulée, se sont donné comme ambition principale de compléter et clarifier ces exhortations. Mais le virage le plus radical semble avoir été amorcé depuis quelques années avec l’introduction de l’APC (Approche Par Compétence). Avec cette démarche pédagogique, l’espoir demeure d’implémenter des compétences en termes de savoir, de savoir-faire et de savoir-être, mais aussi d’évaluer les apprenants en toute objectivité. Des instruments de mesure ont été proposés pour limiter au maximum les effets pervers. Cependant, le constat sur le terrain illustre que l’évaluation oscille entre approximation et confusion, d’où l’urgence de clarifications nécessaires pour mieux outiller les enseignants afin qu’ils maîtrisent le nouveau paradigme et s’éloignent des anciennes pratiques dont les procédures sont aujourd’hui largement dépassées. Le présent travail se propose d’interroger la logique qui dirige et justifie l’évaluation de la philosophie au secondaire selon l’Approche Par Compétence (APC) en vue de dégager les procédures adaptées pour ce cadre disciplinaire en contexte camerounais.
The 1995 General Forum on Education formally established that evaluation in the Cameroonian educational system has notorious perverse effects; thus legitimized their unsuitable nature (p.31). Hence reinforce the reconstruction to implement reliable system of evaluation in convergence whit clearly defined objectives. The many official directives as well as the various programs approved have given themselves as main ambition to supplement and clarify this ambition. But the most radical turn seems to have been initiated in recent years whit the introduction of the competence based approach. Whit this educational approach, the hope remains to implement skills in term of knowledge, know-how and life skills, but also to assess learner’s objectivity. Measuring instruments have been proposed to limit the perverse effects as much as possible. However, the observation on the ground clearly illustrates that this evaluation oscillates between approximation and confusion; hence the urgency of the necessary clarification to better equip teachers so that they master the new paradigm and move away from old evaluation practices whose procedures are now largely outdated. The present work proposes to question the logic which directs and justifies the evaluation of philosophy at the secondary level according to competence based approach in order to identify the procedures adapted for this disciplinary framework in the Cameroonian context.
INTRODUCTION
D’après Rey et al. (2003) « Les systèmes d’éducation succombent aujourd’hui à la tentation de définir les cursus scolaires en termes de compétences ». Ainsi, l’arrivée de ce concept dans le champ de l’éducation est une tendance manifeste des systèmes éducatifs de nos jours. Selon TOZZI (2010), cette propension observable au niveau mondial a imposé des conséquences sur l’écriture des programmes, la manière de faire travailler les élèves et la façon d’évaluer dont la philosophie ne saurait s’en passer, au risque de renforcer l’idée que son éducation demeure élitiste, réservée à une classe de privilégiée. Ainsi, pour Rey. O « si de nombreux travaux ont permis de préciser ce que peuvent être les compétences dans l’éducation, leur évaluation reste en effet problématique. Car, poursuit-il, pour passer d’une évaluation traditionnelle des savoirs à une prise en compte des compétences, les acteurs du système éducatif semblent privilégier la voie de changements incrémentaux ». (2012). Dès lors, si l’on admet que l’enseignement philosophique n’a pas échappé à la logique de compétences, on peut s’interroger sur l’impact de ces « changements incrémentaux » : Qu’est-ce qu’une compétence philosophique ? Qu’induirait cette nouvelle pratique d’évaluation par rapport aux pratiques traditionnelles ? Quelles directives officielles arrêter afin d’évaluer les apprenants en toute objectivité ?
L’ère de l’enseignement par objectifs
Hérité du système français, l’enseignement de la philosophie au secondaire au Cameroun est devenu une discipline scolaire après les indépendances. D’abord professée dans les séminaires pendant la période indépendantiste, c’est la loi fédérale de 1962 portant sur l’organisation de l’enseignement secondaire qui fixe le cadre de son enseignement dans les lycées publics en termes de contenus, de modalités pédagogiques et des objectifs à implémenter. Le nouveau curricula d’éducation philosophique en cours au secondaire au Cameroun a succédé à l’ancien programme fondé sur l’enseignement par objectifs.
Entrée en vigueur à partir des années 2000, en remplacement du projet de la décennie 1990, le programme de formation philosophique de l’époque était destiné à l’acquisition de l’esprit philosophique et le développement des valeurs éthiques morales et universelles avec pour mission principale d’encourager la lecture des philosophes en vue de l’enrichissement de la culture philosophique. L’Arrêté 114/D/28 du 07 Octobre 1998, élaboré dans l’esprit de réforme de la nouvelle loi de l’orientation de l’éducation au Cameroun, prône ouvertement une pédagogie axée sur les objectifs sous forme de séquences didactiques. Ainsi :
Chaque cours comporte un objectif pédagogique terminal sous-tendu par des objectifs pédagogiques intermédiaires correspondant aux différentes séquences ou patries du cours, lesquelles définissent son contenu. La fiche pédagogique qui est obligatoire, indique également les auxiliaires pédagogiques à utiliser, les activités pédagogiques et les activités d’apprentissage à mettre en œuvre, le questionnaire d’évaluation et le timing prévus pour chaque séquence.[1]
L’Arrêté N° 08/C/20/MINEDUC du 16 février 1996 précise les objectifs poursuivis, la nature des sujets et leur mode d’évaluation. L’évaluation en philosophie vise principalement deux objectifs :
-
Apprécier l’exercice du jugement du candidat et sa capacité à construire une réflexion personnelle, argumentée et cohérente;
-
Vérifier l’approfondissement critique des connaissances déjà acquises.
Les épreuves quant à eux comportent trois (03) sujets au choix et tiennent à deux (02) types :
Type I : Deux (02) sujets de dissertations : l’un sous forme de question et l’autre sous forme d’affirmation
Type II : Un (01) sujet de commentaire d’un texte d’une longueur maximale de vingt (20) lignes, tiré d’une œuvre inscrite au programme. Pour les séries C, D, E, G le commentaire est remplacé par un exercice sur texte. L’arrêté indique que : « L’extrait sera tiré d’une œuvre d’auteur classique et devra se rapporter explicitement à une notion du programme (…) Un maximum de quatre (04) questions est proposé aux candidats »
La Circulaire N°118/C/20 MINEDUC du 09/05/1978 édicte les critères d’évaluation des apprentissages en précisant qu’elles doivent être orientés vers : « *la recherche d’une plus grande objectivité dans l’appréciation des copies (…) en réduisant le plus possible la part de subjectivité *». Les décisions qui suivront, notamment l’Arrêté N° 08/C/20/MINEDUC du 16 février 1996, confirmeront les mêmes modalités et critères d’évaluation.
Les tableaux ci-dessous précisent les éléments d’appréciation ainsi que le barème de notation.
-
Pour une dissertation
PARTIE NOTATION Présentation
P2 Points Introduction
I4 Points Examen du problème
EP5 Points (6 pour les séries C, D, E, G) Précision des termes, maîtrise du vocabulaire Philosophique et rédaction
R3 Points Connaissance des auteurs
CA4 Points (3 pour les séries C, D, E, G) Conclusion
C2 Points -
Pour le commentaire composé.
PARTIE NOTATION Présentation
P2 Points Définition du problème Posé : DP 4 Points Explication analytique : EA 5 Points (6 pour les séries C, D, E, G) Réfutation du texte : RT 3 Points Réinterprétation du texte : RIT 4 Points (3 pour les séries C, D, E, G) Conclusion : C 2 Points -
Pour l’étude sur texte :
REFERENCE ELEMENTS D'APPRECIATION NOTATION Q.1 Idée générale du texte 3 points Q.2 Explication des concepts et/ou expressions tirées du texte 2 points Q.3 Aspects particuliers du texte ou point de vue de l'auteur à clarifier 3 points Q.4 Essai: réflexion personnelle du candidat dont le texte constitue le point de départ 12 points
L’essai, qui est une dissertation en miniature sera noté de la manière suivante :
P : 1 point | R : 1 point |
I : 2 points | A : 2 points |
EP : 5 points ; | C : 1 point |
LE NOUVEAU CURRICULA DE PHILOSOPHIE AU SECONDAIRE
Engagé depuis 2008, L’enseignement de la philosophie s’est progressivement plié à l’APC. En effet, soucieux d’atteindre son émergence à l’horizon 2035, le gouvernement Camerounais a mis l’accent sur la qualité de l’éducation. Ainsi, en accord avec les Objectifs du Développement Durable (ODD), après ceux de Jomtien (1997) et Dakar(2000), les Ministères en charge du secteur de l’Education ont engagé depuis bientôt une dizaine d’années, des réformes curriculaires dont l’ambition est de rapprocher les enseignements de la réalité en les insérant dans les contextes de vie. Une telle approche fondée sur l’approche situationnelle a, par rapport aux anciennes méthodes, le mérite d’être plus efficace car elle déboucherait sur les compétences. Au niveau de l’enseignement philosophique au secondaire, elle s’est traduite par la réforme de l’ancien programme axé sur les objectifs et la mise en œuvre des nouveaux programmes d’études du second cycle selon l’Approche Par les Compétences, avec entrée par les situations de vie(APC/ESV).De manière concrète, cette réforme qui vient consolider les acquis de la vision de l’école camerounaise telle que définie dans la Loi d’Orientation de l’Education au Cameroun de 1998, s’est réalisée, par l’écriture des programmes d’études des classes du secondaire avec pour ambition de « Changer en profondeur, d’en faire un citoyen actif et un homme accompli en vue d’une intégration harmonieuse dans la société, à travers une communication saine et un dialogue constructif avec les autres partenaires sociaux, en vue de la consolidation du savoir-vivre-ensemble. »(2018)
Etalé sur tout le second cycle, comme l’indique le tableau (1), l’enseignement philosophique du secondaire, selon les textes réglementaires répond à un certain nombre d’impératifs dont :
(i) Poursuivre les enseignements selon l’Approche Par les Compétences, avec le souci de continuer à offrir à un maximum de jeunes Camerounais, une formation de qualité ;
(ii) Participer activement à l’ouverture des jeunes du secondaire à la citoyenneté mondiale, aux nouvelles technologies, à l’insertion sociale et à la possibilité de poursuivre, plus tard, des études supérieures.
Ainsi, le nouveau curricula vise « à favoriser la quête de la sagesse à travers le recours à la réflexion théorique et à l’esprit critique entendus comme des préalables à toute action véritablement humaine » et a pour but ultime « la réflexion sur la condition humaine dans son triple questionnement : l’homme dans ses relations avec autrui, l’homme dans ses relations avec la nature et l’homme dans ses relations avec l’absolu »(2018).
Quant aux tâches d’évaluation, elles visent prioritairement à :
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Vérifier l’acquisition des notions philosophiques essentielles au programme,
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Evaluer la capacité du candidat à construire un jugement conceptuellement et logiquement crédible,
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Vérifier l’aptitude à débattre des situations et problèmes inhérents au milieu de vie à l’aune de la réflexion philosophique.
Ainsi, les évaluations se déploient à travers les activités d’intégration, suivis de correction et de remédiation de façon formative et de manière finale sous forme de sujet unique (dissertation/commentaire de texte, étude sur texte) proposant deux parties : l’évaluation des ressources (09pts) et l’'évaluation de l’agir compétent(09 pts)(Tableau 2).
DES TECHNIQUES TRADITIONNELLES AUX PRATIQUES NOUVELLES
Malgré le virage des programmes par objectifs depuis la décennie 90, le parcours historique de l’enseignement philosophique [2] a établi le constat de la constance des contenus d’enseignements et la persistance des techniques traditionnelles d’évaluation qui datent de 1978 ainsi que des effets de biais qu’elle entraîne. Dans leur mémoire Kameni F et al [3] tentent de comprendre pourquoi sur le terrain on relève de disparités récurrentes dans les copies en philosophie. Leur constat a établi que la notation des copies serait entachée de subjectivité et les biais relevés en même temps qu’elles posent le problème de la non fiabilité des corrections. Leur postulat de travail s’appuie donc sur l’hypothèse suivante : Les contingences liées à la correction des copies entraînent des biais évaluatrices en philosophie. L’objectif recherché à travers ce travail consistait à « relever les contingences qui expliquent les biais évaluatifs qui surviennent dans la correction des copies de philosophies » (p.3).Pour vérifier cette hypothèse, ils procèdent à un sondage auprès de 12 enseignants de la ville de Maroua qui ont été invités à corriger une copie identique de la production d’un élève. Le résultat confirme un écart considérable des notes attribuées par les différents correcteurs qui varie entre 12.5 et 14.5 ; soit 02 points. Poursuivant leur investigation, ils observent que ces écarts qui sont en fait des distorsions qui passent de travers les normes de l’évaluation sont des origines diverses et proviennent soit de l’évaluateur lui-même ; soit des caractéristiques de la production de l’évalué, des conditions d’évaluation, ou des distorsions des copies. Ainsi, ce sont ces facteurs qui sont à l’origine de ces biais d’évaluation en philosophie ; ce qui les amènent à conclure qu’en philosophie : « la notation des copies est toujours aléatoire car des examinateurs (correcteurs) n’évaluent pas de la même façon, les mêmes objets, n’utilisent pas de manière identique les échelles de notes et produisent des jugements qui n’ont pas de stabilité dans le temps » (p.54).L’évaluation étant au cœur des apprentissages, son objectivité est nécessaire car « les résultats auxquels elle conduit et les décisions qui s’en suivent ont un enjeu vital pour le cursus académique des évalués ainsi que leur vie future »(p.119). Dès lors, Kameni F,Nanga C.L et Tchaya J.M proposent pour remédier aux biais évaluatifs avec de plus en plus de conscience et une franche collaboration (p.119), une bonne maitrise des critères de correction et une flexibilité dans leur application car en fait : « Étant donné que le correcteur de philosophie est un enseignant, [ ] Le processus d’évaluation étant lié à celui d’enseignement, l’enseignant à l’obligation de maîtriser les méthodes, les techniques et les procédés d’évaluation des élèves » (p.89). De même, au regard de la spécificité de l’enseignement de la philosophie au secondaire, et compte tenu des nouvelles orientations fondées sur l’APC, les auteurs conseillent aux enseignants de philosophie de proposer des exercices qui invitent les élèves à une réflexion sur leur action afin qu’ils puissent aboutir, à la fin du cheminement, à une prise de conscience qui leur permettra de construire leur propre savoir. Sur ce, ils insistent sur les opérations intellectuelles : problématiser, conceptualiser, argumenter qui sont essentielles en philosophie. Bien plus, pour ce qui est des conditions de corrections, Kameni et al suggèrent une clarification du barème de correction afin que les apprenants puissent s’auto-évaluer pour ne plus être surpris par des notes qu’ils contesteront à coup sûr. Au-delà, les corrections à plusieurs niveaux sont nécessaires comme la double correction systématique, l’anonymat des copies, la correction par question et non de l’ensemble. Tout ceci permettrait d’éviter de nombreuses distorsions qui fausseraient les résultats de l’évaluation. Enfin, les investigateurs des pratiques d’évaluation en philosophie recommandent une nouvelle conception de l’épreuve de philosophie. Sans renier l’ancienne formulation, ils estiment qu’il s’agit pour les enseignants de construire une épreuve de qualité répondant aux critères de fiabilité, de validité et de fidélité, et comportant des consignes de travail , des détails explicites afin que les apprenants puissent identifier ce qui est attendu deux. Ce sont ces caractéristiques qui, désormais doivent guider et orienter leurs productions (p.89).De nos jours, l’expression commune parle de compétences. Dès lors, si c’est en terme de compétences que se définit désormais les nouveaux programmes, il apparait urgent d’envisager une nouvelle façon d’évaluer qui prendra en compte :
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La qualité des questions
-
Les caractéristiques de la compétence,
-
Les outils d’appréciation ou check list,
-
Le barème
La qualité des questions
D’après la Circulaire de 1922, la dissertation, forme canonique de l’évaluation des élèves à l’époque des humanités triomphantes demeure, « la forme la plus personnelle, la plus élaborée du travail de l’élève en philosophie, c’est là que se mesure son intelligence ». Un peu plus tard, le commentaire a été recommandé car les textes étaient considérés comme le lieu d’expression de la pensée « authentique » de l’auteur. Ainsi, la dissertation et le commentaire de texte se sont imposées au fil du temps comme ‘‘exercices par excellence’’ Poucet(2001). Toutefois, ces exercices se sont montrés au fil du temps assez limitant. Selon Pierre Merle, ces modes d’évaluation relèvent du passé et seraient jugés « pauvres, peu propices à la pensée philosophique »(2009).Aussi, à l’aune des pratiques actuelles, érigées sur l’approche par compétences, il serait opportun de proposer des exercices permettant d’évaluer la compétence philosophique, fondés sur le choix :
- Des items évaluables
En effet, selon Rey, O, une solution fréquente pour une évaluation pertinente «* consiste à refaire des épreuves d’évaluations découpant la compétence en items évaluables selon les routines traditionnelles *» (2012, p.4).Ainsi, une évaluation « authentique » s’appuierait sur des questions en rapport avec le domaine étudié. En France, le rapport Bouveresse-Derrida(1989) commis pour réfléchir sur l’avenir de l’enseignement philosophique a proposé notamment « *une série de questions visant à évaluer l’assimilation du vocabulaire philosophique de base et des distinctions conceptuelles élémentaires ainsi que les connaissances des points de repères dans l’histoire de la philosophie *».
- Renvoyant à des situations complexes
Dans le système scolaire, le souci de conceptualiser autant que possible les questions de connaissances est nécessaire pour en faire une évaluation « authentique » (Perrenoud, 2004).
D’où la préférence pour des situations-problèmes qui sont assimilées à des « cas » ou des exercices artificiels sont à construire pour permettre le développement de compétences. Pour Jonnaert (2011), les situations sont la source des compétences et parmi les critères qui permettent d’affirmer qu’une personne est compétente : la situation est première, car ce n’est qu’en situation que l’on peut constater, ou non, la compétence. (Rey, O, 2012).Dès lors, intégrées à un certain nombre d’épreuves auxquelles on confronte un individu, les situations visent à déboucher sur des performances qui permettent de jauger indirectement, par inférence, la forme d’organisation mentale qu’on appellera la compétence d’un individu, faute de pouvoir la mesurer directement (Rey, O, 2012).
- Ancré dans des familles de situations
L’élément majeur qui se dégage de l’analyse de l’ensemble des définitions évoquées est l’ancrage d’une compétence dans une classe de situations et dans un contexte qui lui donnent du sens (Jonnaert, 2002). En réalité, les situations d’une même famille sont presque « isomorphes » entre elles ; ce qui permet qu’une compétence utilisée dans le cadre d’une situation A d’une famille peut être réinvestie avec succès dans une situation B de la même famille. Il y a donc un degré de familiarité suffisant entre les deux situations pour permettre aux personnes de les reconnaître et donc de mobiliser des connaissances antérieures, déjà utilisées, pour traiter la situation « nouvelle » mais, plus ou moins familière par certains de ses traits (Rey, O, 2012 ; p.5).Dans ce cas, les exercices proposés doivent non seulement permettre de maîtriser des procédures, mais aussi d’interpréter la situation pour choisir les procédures qu’il convient d’utiliser et de savoir les combiner entre elles à bon escient. L’enjeu crucial est de savoir mobiliser des ressources de façon pertinente. (Rey, O, 2012).
Quelles compétences implémenter en philosophie ?
Dans la littérature éducative officielle, il existe plusieurs définitions « théoriques » du concept de compétences qu’il importe d’évoquer.
Pour D’Hainaut (1988), la compétence est un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être qui permet d’exercer convenablement un rôle, une fonction ou une activité.
Pour Jonnaert, Lauwaers et Pesenti (1990), la compétence a un caractère global et est la combinaison d’un ensemble de ressources qui, coordonnées entre elles, permettent d’appréhender une situation et d’y répondre plus ou moins pertinemment. En ce sens, la compétence serait spécifique à une situation et à une classe de situations, voire à plusieurs classes de situations présentant des intersections plus ou moins larges.
Pour Perrenoud (1997) la notion de compétence renvoie à des ressources mobilisables dans une situation spécifique et permettant d’agir efficacement.
Une compétence | D'Hainaut (1988) | Raynal et Rieunier (1997) | Gillet (1991) | Jonnaert, Lauwaers et Pesenti (1990) | Perrenoud (1997) |
---|---|---|---|---|---|
Fait référence à un ensemble d'éléments | Des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être | Des comportements | Un système de connaissances conceptuelles et procédurales | Des capacités | Des ressources |
Que le sujet peut mobiliser | (non précisé) | Ces comportements sont potentiels | Ces connaissances sont organisées en schémas opératoires | Ces capacités sont à sélectionner et à coordonner | Ces ressources sont mobilisables |
Pour traiter une situation | Traitement des situations | Une activité complexe | L'identification d'une tâche-problème et sa résolution | La représentation de la situation par le sujet | Un type défini de situations |
Avec succès | «Exercer convenablement un rôle, une fonction ou une activité. » | « Exercer efficacement une activité. » | « Une action efficace. » | « Répondre plus ou moins pertinemment à la sollicitation de la représentation de la situation. » | «Agir efficacement. » |
Tableau 2 : Comparaison de différentes définitions du concept de compétence (Jonnaert, 2002, p. 31)
D’après Jonnaert, (2002), deux concepts sont récurrents dans les définitions analysées : le concept de situation et celui de ressource. L’idée que le traitement de la situation doit être achevé pour qu’il y ait compétence revient dans pratiquement toutes les définitions. Dans ce cas, la définition de la compétence d’une personne en situation pourrait être la suivante :
La compétence est la mise en œuvre par une personne en situation, dans un contexte déterminé, d’un ensemble diversifié mais coordonné de ressources ; cette mise en œuvre repose sur le choix, la mobilisation et l’organisation de ces ressources et sur les actions pertinentes qu’elles permettent pour un traitement réussi de cette situation.
Cependant, même si elle est intéressante, une telle définition reste très générale, d’où la tendance à se tourner vers une approche disciplinaire.
D’après les didacticiens de la philosophie, la compétence philosophique se résume au savoir philosopher, c’est-à-dire la capacité à penser par soi-même qui impose la mobilisation de diverses ressources combinées entre elles et qui se déploient à travers trois processus qui donnent une allure, une visée philosophique à une pensée (Tozzi, 2005):
-
Problématiser, c’est-à-dire mettre en question ses affirmations, considérer ses thèses comme des hypothèses, remonter au problème dont elles se prétendent les solutions, interroger la question elle-même, dans ses présupposés et conséquences ;
-
Conceptualiser, c’est-à-dire tenter de définir les notions convoquées pour penser, identifier et élaborer des distinctions conceptuelles, pour préciser ce dont on parle ;
-
Argumenter, c’est-à-dire déconstruire des affirmations, répondre à des objections, fonder rationnellement son discours, pour savoir si ce qu’on dit est vrai.
Quels outils d’appréciation ?
D’après la définition retenue ci-haut, trois éléments constants au moins, seraient constitutifs du concept de compétence selon la littérature contemporaine : il s’agit ; des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Ainsi, des protocoles ont été suggérés pour évaluer ces différents domaines. Actuellement, la situation à cet égard est plus que confuse car ce qui importe ce ne sont pas simplement l’évocation de ces contenus, mais leur mobilisation, leur combinaison et leur articulation « à bon escient et au bon moment » (Tozzi, 2010).C’est pourquoi c’est précisément l’utilisation en synergie et l’intégration collective dans l’action en situation des différentes ressources qui détermine la compétence. Dès lors, « Être compétent ne consiste pas à rajouter un savoir-faire et un savoir-être à des savoirs, mais de savoir ce qu’on sait, comment on le sait, avec quel pouvoir d’agir pour faire face à des situations nouvelles » (Clerc, 2012, cité par Rey, O ; 2012).
Dans cette optique, la compétence renvoie à une tâche intégrale et ne saurait être fractionnée abusivement. De même, l’évaluation dans une approche par compétence ne doit pas être parcellisée, découpée en tranches car c’est bien la combinaison des diverses tâches spécifiques qui donne globalement un sens et une finalité à l’activité scolaire.
D’après TOZZI (2010), une production philosophique est une synthèse de plusieurs ressources :
Par exemple dans une dissertation acceptable, il y a mise en œuvre une connaissance langagière, lexicale et sémantique, et la plupart du temps la connaissance de notions, d’auteurs, d’autres connaissances disciplinaires, la référence à un cours, à l’expérience personnelle, un savoir conceptualiser et argumenter, analyser un exemple, un habitus d’ordonner des idées etc.
En fait, si on définit la compétence comme la « mobilisation de façon intégrée des ressources internes et externes sur un type de tâche déterminé complexe et nouvelle » (Tozzi, 2005): trois « capacités philosophiques de base » sont utiles dans les tâches philosophiques complexes : à savoir problématiser, conceptualiser et argumenter. De même, la réalisation d’une tâche à visée philosophique impose certaines compétences communicationnelles : lexicales et syntaxiques car on n’écris pas pour soi mais pour se faire lire et méthodologiques, car il faut adopter le meilleur plan possible selon le sujet et, en même temps il faut respecter la logique dialectique, notamment l’introduction doit problématiser la question (derrière la question, où sont le problème et ses enjeux, les difficultés à le résoudre…), les parties doivent par exemple soutenir des points de vue différents, la conclusion doit récapituler la pensée exposée. Ces compétences dites transversales sont utiles pour disserter sur un sujet ou commenter un texte. Ainsi, Ce qui semble déterminant dans une activité à visée philosophique peut alors être regroupé en deux catégories : d’une part des compétences disciplinaires et d’autre part des compétences transversales. En conséquence, les outils d’appréciation d’un travail philosophique doivent logiquement dériver de ces deux domaines comme l’indique le tableau ci-dessous.
TABLEAU DE DIMENSION | ||
---|---|---|
Compétences disciplinaires 60% |
Compétences transversales 40% |
|
Problématiser 20% |
Définitions des termes Compréhension et position du problème Enoncé du plan | Présenter Clarté de l’expression écrite |
Conceptualiser 20% |
Maîtrise du vocabulaire philosophique Précision des termes et concepts majeurs Rapport avec les théories philosophiques | Ordonner Mise en relation des idées |
Argumenter 20% |
Convocation congruente des auteurs Discussion des idées (ou réfutation du texte) Validation des thèses pertinentes | Rédiger Correction syntaxique |
Le barème
Selon Pierre Windecker (2017), la question de l’évaluation des travaux philosophiques continue de susciter une certaine inquiétude dans l’opinion, tant il est vrai que resurgit toujours l’embarras dans l’évaluation du travail des élèves et que les erreurs de notation ne sont pas le seul fait des enseignants de philosophie. Ainsi s’impose la nécessité de définir des « critères » auxquels chacun pourrait se référer en vue d’une évaluation équitable. D’après Pierre Merle (2009), ces critères communs doivent préfigurer le barème qui, est à la fois un guide possible pour le professeur, un moyen d’autocontrôle et une garantie d’équité pour les élèves. Dès lors, les exercices canoniques peuvent être retenus au risque de perdre l’exclusivité de l’enseignement philosophique car d’après Poucet(2001), ces exercices visent trois objectifs : atteindre le vrai, faire usage de sa capacité à juger et assumer une fonction morale. Mais les critères d’appréciation inspirés de la compétence doivent servir de barème pour procurer du crédit et de la légitimité à l’évaluation des travaux philosophiques.
-
Pour la dissertation notée sur 20 points
Partie Formule de calcul Note Présentation (20X8/40) 2 pts Problématisation (20X12/60) 4 pts Conceptualisation (20X12/60) 4 pts (5 pts pour les séries C, D, E, TI) Argumentation (20X12/60) 4 pts (3 pts pour les séries C, D, E, TI) Rédaction (20X8/40) 2 pts Ordonner (20X8/40) 2 pts Conclusion (20X8/40) 2pts -
Pour le commentaire de texte noté sur 20 points :
Partie Formule de calcul Note Présentation (20X8/40) 2 pts Définition du Problème (20X12/60) 4 pts Explication analytique (20X12/60) 4 pts (5 pts pour les séries C, D, E, TI) Discussion (20X12/60) 4 pts (3 pts pour les séries C, D, E, TI) Réinterprétation (20X12/60) 4 pts Conclusion (20X8/40) 2pts -
Pour l’étude sur texte notée sur 20 points :
Références Compétences Eléments d'appréciation NOTATION Q.1 Savoir Idée générale du texte 3 points Q.2 Savoir-faire Explication des concepts et/ou expressions tirées du texte 2 points Q.3 Aspects particuliers du texte/ point de vue de l'auteur à clarifier ou QCM 3 points Q.4 Agir compétent Essai: réflexion personnelle du candidat dont le texte constitue le point de départ 12 points
L’essai, qui est une dissertation en miniature sera noté sur 12 points de la manière suivante :
Partie | Note |
---|---|
Présentation | 1 pt |
Problématisation | 3 pts |
Conceptualisation | 3 pts |
Argumentation | 3 pts |
Rédaction | 1 pt |
Conclusion | 1 pt |
Conclusion
Au Cameroun, la redéfinition des contenus de la philosophie du secondaire ainsi que de la manière de les évaluer selon l’approche par compétences ont entrainé les confusions (compétences/objectifs) et des approximations notoires (tâches/parties).Bien plus, les consignes se sont muées en formules canoniques alors qu’elles doivent montrer exactement ce que l’apprenant doit produire afin qu’il puisse lui-même s’auto-évaluer. En même temps, tous les anciens critères ont été subtilement reconduits; ce qui n’a pas éliminé les effets de biais tant décriés. Tout ceci a induit auprès des enseignants un doute qu’il importe de clarifier.
En effet, l’évaluation en éducation a connu des changements majeurs avec l’entrée en vigueur des nouvelles théories de l’apprentissage dont le constructivisme et le socioconstructivisme. La conception des programmes selon l’Approche par Compétences a imposé des nouvelles façons d’évaluer qui remettent en question les anciennes approches. Ainsi, que se soit pour effectuer le suivi du travail des apprenants ou pour réguler les activités d’enseignement, des exigences d’ordre méthodologique sont à respecter car comme le souligne Jacques Tardif : « dans une formation axée sur le développement des compétences, il devient incontournable de repenser complètement le système d’évaluation » (2006 ; p. 95).
D’après Scallon, G. (2004) deux buts spécifiques sont assignés à l’évaluation selon l’APC : d’une part l’aide à l’apprentissage et la reconnaissance des compétences d’autre part. Ce qui implique, non seulement la définition rigoureuse des compétences à évaluer, mais aussi un souci dans la rédaction des questions sous format d’épreuves présentant des consignes claires, ainsi que la définition des critères fondés sur les éléments de compétences et un barème d’évaluation pertinent. Ainsi, à la redéfinition complète de sa pratique d’enseignement s’est greffée l’obligation d’une évaluation dans une approche par compétences de la philosophie au secondaire. Selon Rey, O, quand une personne développe une compétence dans différentes situations, on peut, en fait analyser cette construction à travers ses phases progressives: un traitement compétent d’une situation (réussir une action), une mise en mots de ce qui a permis cette réussite (expliciter la compétence) et, une utilisation de cette compétence pour une nouvelle situation (adapter la compétence) (2012,p 6).Une évaluation pertinente doit passer en revue ces trois situations et les outils d’appréciation doivent être explicites afin d’éviter d’éventuelles erreurs de notation.
Tel est le « chantier de la didactique du philosopher». TOZZI(2010) qu’il faut relever afin que la réforme actuelle ne se résume pas en une idéologie pédagogique mais induise-à terme- des habitus favorables à l’implantation effective de la professionnalisation tant voulue par les pouvoirs publics.
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[Livres]
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Perrenoud, P. (1997) : Construire des compétences dès l’école. Paris. ESF. Ѐditions.
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Vial, M. (2001) : Se former pour évaluer. Se donner une problématique et élaborer des concepts. Bruxelles. De Boeck Université.
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[Articles, revues et thèses]
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Bruno Poucet, (2001) :« De la rédaction à la dissertation », In Histoire de l’Education. Numéro 89.En ligne à l'adresse suivante : http://histoire-education.revues.org/index844.html
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Jonnaert Ph, Barrette J, Boufrahi S et Masciotra D (2004):« Contribution critique au développement des programmes d’études : compétences, constructivisme et interdisciplinarité » In Revue des sciences de l'éducation, vol. 30, n° 3, p. 667-696.
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[Textes, Arrêtés et rapports]
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Arrêtés N°114/D/28 du 07 0ct.1998 et N°362/D/30 du 18 sept. 2000, portant définition des finalités, de la méthode et des objectifs de la philosophie dans l’enseignement secondaire général et technique en République du Cameroun.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Arrêté N° 226/18/MINESEC du 22 Août.2018 portant définition des programmes d’études de philosophie des classes seconde ESG.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Arrêté N° 08/C/20/MINEDUC du 16 février 1996 portant définition de la nature, la durée et coefficient des épreuves au Baccalauréat de l’enseignement secondaire général
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Circulaire N°118/C/20/MINEDUCdu09/05/1978 portant définition des critères d’évaluation des exercices de philosophie en classes francophones de l’enseignement général.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Loi N°98/004 du 14 Avril 1998 portant Orientation de l’Education au Cameroun
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : RAPPORT DES ETATS GENERAUX DE L’EDUCATION. Yaoundé, 27 Mai 1995.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Programme d’études de philosophie ; 1er A, Juillet 2019.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Programme d’études de philosophie.1er C, D, E, TI. Juillet 2019.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Programme d’études de philosophie ; Tle A, Août 2020.
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REPUBLIQUE DU CAMEROUN : Programme d’études de philosophie. Tle C, D, E, TI. Août 2020.
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Annexes
Arrêtés N°114/D/28 du 07 0ct.1998 portant définition des finalités, de la méthode et des objectifs de la philosophie dans l’enseignement secondaire général et technique en République du Cameroun. ↩︎
Kalambele J. (2016) Les manuels de philosophie dans l’enseignement secondaire au Cameroun : bilan critique. Mémoire de Maitrise en Education. Université Laval. Québec. ↩︎
Kameni F, Nanga C.L et Tchaya J.M (2013).Contingences liées à la correction des copies et biais évaluatrices en philosophie : cas des enseignants des établissements d’enseignement secondaires de la ville de Maroua, Mémoire, DIPEN II, ENS de Maroua. ↩︎