Revue

Conditions et manifestations de la pensée réflexive dans les discussions à visée philosophique (3e Séminaire d'automne organisé par le laboratoire LiDiLEM, Grenoble, du 30 novembre au 2 décembre 2017)

Cette synthèse a été réalisée par Jean-Pascal Simon, maître de conférences en sciences du langage, à partir des notes prises lors des journées, mais aussi des documents préparatoires envoyés par les intervenants à ces journées. Il s'agit donc d'un écrit à multiples mains (voir les co-auteurs en note 19).

I) Présentation

Ce séminaire avait pour objectif de permettre des échanges entre les chercheurs et les acteurs de terrain. Il a été organisé avec le soutien de l'Institut Carnot de l'Éducation Auvergne Rhône-Alpes (ICE - AuRA). L'ICE-AuRA a pour but de favoriser la rencontre et la coopération entre chercheurs et praticiens. Il s'agit d'un dispositif expérimental d'échange, de dialogue et de construction de projets communs. Les laboratoires LiDiLEM (Grenoble) et ACTé (Clermont-Ferrand), ayant une longue tradition de travail avec des équipes pédagogiques, ont déposé chacun un projet de recherche conjoint à des projets pédagogiques qui ont été retenus par l'ICE. Ces deux équipes réunissant les chercheurs et les enseignants sont donc les acteurs centraux de ces journées. Ce séminaire a été ouvert à tout.e.s ceux et celles qui travaillent autour de la problématique de la philosophie avec les enfants, près de 80 personnes se sont inscrites à ces journées, chacune des sessions a regroupé une quarantaine de participants.

Un appel à contribution a été lancé, sollicitant des contributions de deux ordres : des présentations de dispositifs pédagogiques, didactiques et des travaux de recherche. Quinze interventions ont été organisées selon une logique thématique, souhaitant que dans une même journée on retrouve à la fois des contributions pédagogiques, didactiques et de recherche.

C'est le 3e séminaire d'automne que nous organisons sur cette problématique, le premier (octobre 2013) a réuni une quinzaine de chercheurs autour d'un travail d'analyses du corpus philosophèmes (Clermont-Ferrand) portant sur les propriétés réflexives du dialogue, les relations langage-pensée dans la cognition distribuée, les habiletés inférentielles chez l'enfant, et des conditions d'émergence de l'abstraction et de ses effets cognitifs et sociocognitifs. Cette rencontre fut aussi l'occasion de travailler à la préparation du colloque qui s'est déroulé à Clermont-Ferrand en 2014.

Le deuxième séminaire (novembre 2015) a réuni une trentaine de chercheurs, enseignants-chercheurs, enseignants, étudiants, doctorants... autour d'une Discussion à Visée Démocratique et Philosophique animée par Michel Tozzi. Ce travail a donné lieu à une publication collective : J-P. Simon & M. Tozzi (2017), Paroles de philosophes en herbe, regards croisés de chercheurs sur une discussion sur la justice en CM2, Grenoble : UGA éditions.

II) Thématiques abordées

Les lignes qui vont suivre ne pourront que donner un aperçu de quelques questionnements abordés, de quelques pistes de réflexion suggérées. Des publications plus exhaustives sont prévues : sous forme d'articles dans Diotime, et d'un ouvrage dans la collection Sphères éducatives de l'Université Clermont-Auvergne1.

A) Argumentation, réflexivité

L'intervention liminaire de François Galichet (Université de Strasbourg), Débat argumentatif et débat herméneutique : quelles compétences pour philosopher ?, nous a proposé de nous interroger sur les objectifs du philosopher en repartant et développant les idées qu'il a présentées dans la conclusion à l'ouvrage Paroles de philosophe en herbes2, qui opérait une distinction entre compétences argumentatives et herméneutiques. Il propose de compléter la trilogie des compétences à l'oeuvre dans les ateliers de philosophie proposée par M. Tozzi : conceptualiser / problématiser / argumenter, par la compétence interprétative ou herméneutique. Pour lui la démarche herméneutique est également à l'oeuvre dans les discussions philosophiques, il s'agit alors de ce qui fait sens et d'expliciter la signification qu'ont les faits pour les sujets parlants / pensants.

On retrouve cette réflexion sur le sens que donne le sujet à une situation, dans la présentation faite par Agathe Vernay et Emmanuelle Rozier. Au CLEPT (Collège Lycée Elitaire pour Tous) : "La question de la réflexivité est au coeur de l'organisation et des pratiques du Collège Lycée Elitaire Pour Tous". Construit à partir de la parole des décrocheurs, qui sont de pertinents analyseurs des insuffisances de l'offre scolaire, le CLEPT, qui a pour mission d'accueillir des jeunes qui ont décroché depuis 6 mois à 6 ans et souhaitent renouer avec un itinéraire scolaire, a fait de la posture réflexive un axe fort de ses pratiques et de ses visées. Un documentariste, compagnon de route du Clept depuis son ouverture, a réalisé un film, "Le CLEPT, une utopie concrète", dont le dispositif filmique lui-même s'inscrit dans ce sillon de la réflexivité, nous donnant ainsi un précieux outil de travail.

Au CLEPT, la réflexivité n'est pas l'apanage d'une discipline particulière (la philosophie) ou d'un dispositif de parole périphérique. Elle est cultivée partout, tant chez les enseignants que chez les enseignés, en cours, dans les bilans, pendant les ateliers, dans les échanges tutoraux collectifs ou individuels, parce qu'elle est une clé de l'émancipation. À partir d'une ou deux séquences de ce documentaire, ont été explicitées les démarches et les obstacles rencontrés. Les extraits du documentaire qui ont été présentés ont montré des moments réflexifs dans l'ensemble des enseignements, en philosophie bien sûr, mais aussi dans des temps de "vie de classe" où, par exemple les élèves sont conduits à réfléchir sur des questions comme "Qu'est-ce que ça veut dire qu'être élève ?". A un autre moment du film, la voix off précise que "l'essentiel n'est pas de trouver la bonne réponse, mais de se poser la bonne question pour traquer les évidences, le formalisme ...". Tout est dit !

B) Discours, représentations et pratiques

Philippe Roiné (Université de Cergy-Pontoise, Docteur associé laboratoire EMA), s'est interrogé, dans sa contribution intitulée : Le discours enseignant et la "Représentation du discours" de l'élève, sur les caractéristiques du discours de l'enseignant-animateur de la DVP et ceci plus particulièrement dans le cadre du processus de conceptualisation qu'il a défini dans sa thèse (Roiné, 2016)3 à partir de la triade énoncée par Tozzi (1993), "conceptualiser", "argumenter", "problématiser". Il a analysé dans une perspective dialogique la place des reprises ainsi que les formes de "Représentation du Discours Autre" des discours des élèves au sein du discours de l'enseignant.

Son analyse, qui porte sur son corpus de doctorat, conduit à une caractérisation de certains énoncés du discours enseignant en montrant :

  • les formes prises par la représentation du discours de l'élève dans le discours enseignant, et principalement la présence ou non de commentaires méta-énonciatifs ;
  • l'origine du discours représenté ou repris (scripturale, orale, immédiate ou plus lointaine) ;
  • les effets de ce discours auprès des élèves. Il s'agira de montrer si les reprises ou représentations du discours des élèves dans le discours enseignant ont un effet sur les processus de conceptualisation en oeuvre.

La présentation de Antonietta Specogna (U. de Lorraine - INTERPSY), Valérie Saint-Dizier de Almeida (U. de Lorraine - INTERPSY), Emmanuelle Auriac-Slusarczyk (U. Clermont-Ferrand, Laboratoire ACTé - ESPE), & Joselyne Bartoli, "Freins et leviers à la mise en place de DVP en école élémentaire : le point de vue d'enseignants", nous a proposé une double analyse de pratiques et de discours. L'analyse des pratiques est conduite à partir d'un corpus recueilli en classe de CM2, au cours d'un atelier de philosophie traitant de la question : "Qu'est-ce que c'est une grande personne ?" L'analyse illustre quelques dérives possibles à partir de paroles ou enchaînement interlocutoires (effectivement ou tendanciellement) moralisateurs.

La seconde partie de la présentation porte sur des entretiens avec des enseignants pratiquant la philosophie pour enfant. Elle permet de pointer les principaux freins perçus par les enseignants quant à l'institutionnalisation des pratiques de DVP depuis leur entrée récente dans les textes officiels (2015).

Michel Tozzi (didactien de l'apprentissage du philosopher, Université P. Valéry de Montpellier), a proposé une "Typologie des difficultés rencontrées quand on anime un atelier philo". Après avoir balayé les craintes préalables que l'on peut rencontrer avant de se lancer dans un atelier philo, qu'il s'agisse d'une interrogation sur la compétence des enfants à propos desquels il rappelle qu'"il n'y a pas d'âge pour commencer à réfléchir !" ou sur celle de l'animateur en proposant un cadre sécurisant pour lui et les enfants. Michel Tozzi a abordé une quinzaine de questions comme celui du choix du sujet, du support, de l'organisation spatio-temporelle, du rôle de l'animateur : doit-il donner son point de vue, quel degré de guidage (ou de liberté) ... proposant des réponses à toutes ces questions que se pose souvent l'animateur d'atelier philo. On trouvera dans Diotime n° 75 sa contribution4.

C) De l'oralité à la scripturalité philosophique

Nathalie Frieden (U. Fribourg), nous a proposé d'explorer avec elle : "Les effets des diverses écritures philosophiques". Aujourd'hui les ateliers de philosophie permettent d'éprouver le plaisir de penser ensemble dans le dialogue. N. Frieden suggère de donner aux participants de ces pratiques également la possibilité de penser à l'écrit et avec l'écrit. Elle suggère de recourir à l'écrit comme moyen de suspendre le dialogue et de capitaliser ce qui s'est dit. Elle souligne le fait que l'écriture, pratique langagière non naturelle, s'inscrit dans un autre mode de temporalité que la parole : l'écriture est d'abord personnelle, c'est le scripteur qui décide du moment où il donnera son texte (et sa pensée) à lire à autrui (voir le contenu de son intervention dans ce numéro 76 de Diotime).

Pour le linguiste que je suis, l'intervention de N. Frieden pose non seulement des questions d'ordre didactique comme : à quel moment du cours introduire l'écriture ? Et à quelles fins ? Pourquoi et comment varier l'écriture en philosophie ? Qu'en est-il de certaines pratiques scolaires comme la dissertation ? N. Frieden pose la question de la mobilisation de deux ordres langagiers5 : "l'oral" et le "scriptural", qui mobilisent des capacités cognitivo-langagières de manière différente ; par exemple on peut corriger son texte, pas sa parole, ce qui doit nous conduire à nous demander quelle est l'influence du recours exclusif à l'un ou l'autre (ou conjointement des deux) dans la construction de la pensée.

C'est un autre versant de cette problématique de la scripturalité qu'explorent, dans leur intervention : "De l'oral aux écrits philosophiques. Comparaison de classes philosophant versus "tout-venant" Hélène Maire et Emmanuèle Auriac-Slusarczyk (U. Clermont-Ferrand, Laboratoire ACTé - ESPE). Elles se demandent si les bénéfices des discussions à visée philosophique dans différents domaines (développemental, intellectuel, linguistique, cognitif, argumentatif, créatif, réflexif) sont transposables et, le cas échéant, observables, dans une production écrite de type philosophique. Pour cela elles proposent une définition du texte philosophique comme un écrit "qui comporte des idées (nommées concepts), mises plus ou moins en référence à une doxa ou une épistémé (postulats), organisées entre elles selon un mode de productivité renouvelant certaines pistes (divergence) et [...] cette organisation repose sur une aptitude à la distinction entre concepts, sur la base de mots référents employés de manière de moins en moins ordinaire"6.

Pour cela elles ont comparé les productions d'écrits philosophiques de deux groupes, l'un pratiquant la DVP (expérimental), l'autre non (contrôle) avec un pré et post-test (avant et après la pratique de la DVP avec le groupe expérimental. Leur grille d'analyse, très riche, explore différentes dimensions de l'écriture et de la pensée : indices de philosophicité, de performance linguistique, réflexive... Les premiers résultats de cette recherche montrent notamment une augmentation significative du nombre d'hypothèses émises dans les classes philosophant entre le pré et le post-test ; les philosophant utilisent plus de mots évaluatifs et impliquants que la classe témoin, formulent davantage d'hypothèses ...

Cette présentation pose là encore la question de l'articulation entre les deux ordres langagiers de l'oral et du scriptural, et de ce que la pratique philosophique dans l'un peut apporter à l'autre. Du point de vue des sciences du langage et de la didactique, on pourrait se demander comment les élèves s'approprient les genres - au sens de Batkthine (1984, [1953] : 285)7.

D) Gestualité et métaphorisation

Deux communications portaient sur la multimodalité : d'une part Claire Polo (chercheure associée au laboratoire ICAR, UMR 5191), se demande "comment les gestes métaphoriques participent à la construction collective d'analogies cognitives". Et d'autre part, Sandra Lagrange-Lanaspre (Univ. Grenoble Alpes, LIDILEM), s'interroge sur "Le rôle de la métaphore verbale et gestuelle dans le raisonnement collectif". Les deux contributions ont également en commun de porter sur une CRP animée par M. Sasseville en 2015 au collège Vercors à Grenoble8.

L'analyse de Claire Polo s'appuie sur deux présupposés. Le premier consiste à prendre au sérieux la proposition faite par Arnaud au cours de la DVP mise à disposition, selon laquelle "pour réfléchir faut bouger ses mains", idée qui trouve un écho dans le fameux livre de Goldin Meadow, How our hands help us think9, et l'ensemble des recherches portant sur la façon dont les gestes participent à l'activité réflexive autant qu'ils en témoignent. Le second présupposé porte sur la dimension collective de la pensée développée en communauté de recherche philosophique. Sans nier l'existence ni la spécificité des contributions individuelles à la réflexion menée, il s'agit de porter le regard sur l'apport de la discussion collective pour l'avancement du raisonnement.

M. Sasseville choisit de conclure par un tour de table en invitant chaque élève à proposer une analogie de l'objet discuté, à savoir l'activité de penser. Ce faisant, il accorde une place importante à la construction et l'explicitation d'analogies pour appréhender cet objet et en développer un concept. Dans cette courte séquence de conclusion, un élève, Eliott, semble totalement innover, en invoquant l'image de la Voie lactée, d'autres reprennent des analogies explicitement initiées au cours de la discussion (références à l'activité de rêver, aux dossiers ou images mentales, à des systèmes d'engrenage, aux souvenirs) et d'autres, enfin, ne paraissent se positionner que par rapport aux propositions faites plus tôt dans ce tour de table. L'animateur réagit brièvement à chaque proposition, en formulant, au plan verbal, principalement des ratifications. Cependant, il réalise fréquemment, en parallèle de ces ratifications, des gestes métaphoriques venant incarner les analogies mentionnées par les élèves, et, parfois, les prolonger. Une telle gestuelle apparaît pour l'analogie innovante de la Voie lactée, est très fréquente pour les analogies formalisant des fils initiés lors de la discussion, et absente lorsque les élèves ne font que reprendre des idées déjà formulées dans ce tour de table. Cette activité gestuelle de l'animateur semble donc bien ici revêtir un sens didactique qui va au-delà de la simple ratification des propos tenus, permettant de discriminer et de mettre en valeur les propositions les plus susceptibles d'enrichir la réflexion engagée.

En paraphrasant la question initiale de la DVP, d'où viennent ces "bonnes idées" des élèves ? L'analyse linguistique permet de remonter le fil de la discussion et de suivre leur émergence dans les paroles et les gestes de la communauté de recherche tout au long de la séance. Cela donne à voir comment ces analogies cognitives sont collectivement construites, partagées et transformées dans l'interaction verbale et gestuelle... Avec une participation non négligeable de l'animateur d'une part, et d'autre part, d'élèves qui ne reprennent pas nécessairement ces images lors du tour de table final, notamment des filles. L'occasion de mettre en évidence comment nos mains nous aident non seulement à penser, mais à clarifier et partager nos pensées dans l'interaction... Et de souligner l'importance de l'appropriation collective des idées pour le raisonnement exploratoire en communauté de recherche philosophique.

Sandra Lagrange-Lanaspre, explore les réalisations verbales et gestuelles d'un outil cognitif puissant : la métaphore. Comme l'analogie, elle nous permet de penser les objets abstraits, relations, processus qui nous échappent (Fauconnier, 1997 ; Gentner et al., 2001 ; Hofstadter & Sander, 2013 ; Johnson, 1987 ; Lakoff & Johnson, 1980). Si son importance a bien été relevée dans des domaines comme le développement cognitif, l'acquisition du langage ou l'apprentissage, en revanche on ne connaît rien de son rôle dans le raisonnement collectif.

Par ailleurs, dans les Communautés de Recherche Philosophique comme dans d'autres genres oraux, on relève des formes multimodales de métaphore (Cienki & Müller, 2008 ; Colletta, 2004 ; Colletta & Pellenq, 2009) qui, à l'instar de la métaphore verbale, permettent l'expression de l'abstrait. La communication interroge la manière dont les métaphores verbales et gestuelles constituent des ressources réflexives collectives dans un contexte de CRP. Elle a mis en évidence la résonance des formes métaphoriques, et leur enrichissement, à travers les tours de parole et les participants ; ainsi que leur rôle dans l'activité de conceptualisation. Ainsi, un court extrait à la fin de la CRP animée au collège Vercors (novembre 2015), montre bien comment les interlocuteurs ajustent réciproquement non seulement leurs propos, mais aussi leurs gestes coverbaux.

E) Réflexivité, pensée, conceptualisation

Quatre communications abordent cette problématique avec des regards différents.

Anne-Sophie Cayet, dans une perspective didactique et pédagogique, a expliqué que les classes de français langue seconde, compte tenu de leur diversité, offrent un contexte propice au développement d'une dimension plurilingue et interculturelle dans l'enseignement-apprentissage, telle qu'elle est promue par le Conseil de l'Europe. Or, dans la pratique, la prise en compte de cette diversité et les activités dites interculturelles peuvent avoir tendance à ethniciser la relation et à réifier les langues-cultures des élèves.

Elle a rendu compte d'une recherche-action menée dans une Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Nouvellement Arrivés (UPE2A), dans un collège de la région marseillaise. Entre janvier et avril 2016, 15 ateliers de philosophie ont été proposés dans le cadre des cours de Français Langue Seconde (FLS). Elle a montré que la mise en place de DVP, adaptées pour des adolescents en cours d'apprentissage de la langue française, peut être un dispositif permettant de travailler cette dimension interculturelle. Cela permet d'éviter les dérives culturalistes et de rendre un pouvoir d'action à ces élèves allophones nouvellement arrivés en France. Elle a montré comment cette proposition pédagogique est un moyen de mettre en oeuvre une approche interculturelle dite "sociobiographique", inscrite dans l'historicité, la subjectivité et l'inventivité des sujets plurilingues. Elle a présenté une analyse d'un extrait de DVP portant sur la liberté dans lequel on voit comment les élèves, partant de la verbalisation de leur expérience (souvent douloureuse) arrivent à produire une représentation de leur conception de la liberté sous forme de "dessins réflexifs". Les dessins produits ne sont pas sans rapport avec la question précédente de la métaphore ; ainsi Z. représente la liberté comme une route qui se sépare en trois voies possibles ; plus classique, la représentation de la colombe...

Avec un angle plus didactique, Anda Fournel nous a proposé d'explorer ce qui témoigne, dans les verbalisations des enfants, d'un désir de savoir. En effet, dans le développement de l'enfant, ce désir participe à la construction de ses croyances du monde extérieur qu'il distingue progressivement de son monde intérieur. Le besoin d'explication et la recherche de causes marquent le développement du questionnement méta-discursif et méta-communicatif, ce dont témoignent les "pourquoi" répétés par l'enfant dès son plus jeune âge. Wittgenstein10 soulignait que, si l'enfant apprend à agir selon les choses qu'il croit et avec lesquels il bâtit un monde, ce n'est pas le sentiment d'évidence qui tient débout l'édifice, mais tout ce qu'il y a autour, des éléments qui restent mobiles et flexibles. D'abord on croit après on doute, disait-il, c'est d'ailleurs ce qui nous fait dire "je croyais que je le savais" et maintenant "je me demande". L'analyse des actes de langage reste une porte d'accès privilégié à ce processus.

Ainsi, elle montre, en analysant un corpus de DVP recueillies en classe primaire, et tout particulièrement à la mise en discussion et une éventuelle transaction autour de leurs états de savoir, comment les enfants expriment leur attitude par rapport au savoir et comment ils verbalisent des états d'esprit comme l'envie, la curiosité : Enfant : "bah: c'est intéressant et j'aimerais bien savoir euh // et comprendre euh bah euh comment s'est arrivé euh ça" ; "on veut savoir quel est son animal mystère parce que // peut-être qu'elle choisira un truc qu'on ne s'attendait pas::// voilà on (ne) sait pas ce qu'elle va choisir du coup on a super envie" (corpus philéduc).

On constate que le cadre interactionnel de la DVP offre la possibilité aux jeunes locuteurs de relier le contenu propositionnel de leurs représentations au monde, via les forces illocutoires du discours. Ils accomplissent ainsi des assertions, des questions, etc. tout en manifestant leurs attitudes (désirs, intentions, volonté, etc.) à propos des faits représentés11.

Avec une analyse plus "macro" de plusieurs DVP, Lidia Lebas-Fraczak a constaté que les animateurs sont souvent en attente d'idées "nouvelles" dans les interventions des élèves, et valorisent celles-ci, en tant qu'idées "intéressantes", au détriment des idées "reprises".

Cela semble cohérent avec la valorisation de l'individualité dans notre société actuelle au détriment de la collectivité, mais, on peut se demander qu'est-ce qu'une idée "nouvelle" ? Et si une idée nouvelle est toujours entièrement nouvelle ? N'est-elle pas souvent (voire nécessairement) élaborée à partir d'idées "anciennes", et son intérêt ne réside-t-il pas aussi dans la cohérence avec celles-ci ? Inversement, une idée reprise n'est-elle pas toujours en partie nouvelle, ce qui la rend digne d'être reconnue en tant qu'apport à la réflexion collective, tout comme sa cohérence avec les idées exprimées précédemment et le raisonnement que cette cohérence implique ?

Ces interrogations sont à rapprocher avec la problématique de la construction collective du raisonnement et de la conceptualisation, telle qu'elle se manifeste systématiquement dans les DVP analysées, et sa reconnaissance par les animateurs (cf. Auriel & Lebas-Fraczak, 2014 ; Lebas-Fraczak & Auriel, 2015 ; Lebas-Fraczak, 2016).

Abordant la question de la formation des animateurs à l'appropriation et l'utilisation à bon escient de ces outils ou habiletés de pensée, Véronique Delille a fait le lien avec les avancées théoriques développées par Olivier Houdé12 quant au rôle de la métacognition dans la modification de notre pensée, et donc de nos actions, dans le monde qui nous entoure.

Considérant les discussions philosophiques de type recherche épistémologique (modèle Lipman) Véronique Delille a présenté une typologie des interventions de l'animateur.trice qui invitent à mobiliser des outils ou habiletés de pensée. Par des mises en situations, elle a montré que les outils permettent d'éviter des pièges épistémologiques, dans lesquels on tombe très vite si l'animateur n'est pas entrainé à la vigilance et à la métacognition. La présentation n'a permis d'aborder que quelques-uns des outils. Elle a montré, notamment, combien la recherche de contre-exemples est importante pour éviter le "biais de confirmation" qui tend à nous faire chercher (et trouver) les exemples qui vont dans le sens de nos croyances, nos idées reçues, nos préjugés (voir un article de sa part sur cette thématique dans Diotime).

III) Projets pédagogiques

Nous avons précisé en introduction que ce séminaire avait notamment pour but de permettre à des chercheurs et praticiens (certains participants étant d'ailleurs les deux) de se rencontrer. Une large part des journées a été consacrée à une présentation de projets pédagogiques avec un regard plus pratique. Le but étant aussi que les participants puissent enrichir leur pratique personnelle de celles des autres et que les chercheurs découvrent d'autres aspects, d'autres axes possibles de questionnement à partir de ces présentations.

A) Claire Polo & Marjorie Fressoz (Lycée des Portes de l'Oisans, Vizille), à travers leur projet Social Phil In nous ont proposé de croiser et de comparer deux démarches pédagogiques : les DVP et les enseignements d'exploration en classe de 2?? qui abordent des questions socialement vives à travers des controverses socio-scientifiques (CSS). Ces deux enseignantes (de Lettres et de Sciences Economiques et Sociales) ont mis en place un cycle thématique de 8 séances d'1h30 sur la thématique de la migration des personnes dont voici la progression :

  • Séance n°1 : Introduction de la thématique à travers des supports littéraires (lecture et défrichage collectifs)
  • Séance n°2 : À partir de données sociales (graphiques, tableaux, textes) : travail en groupe de synthèse d'informations.
  • Séance n°3 : Problématisation et questionnement des supports littéraires (classe entière).
  • Séance n°4 : Mise en commun des travaux de groupe avec émergence, classement et sélection des questions.
  • Séance n°5 : Discussion à visée philosophique à partir d'une ou deux questions, avec une prise de notes en temps réel sous forme de carte conceptuelle.
  • Séance n°6 : Rencontre avec des membres d'un ou plusieurs groupe(s) concerné(s). Synthèse argumentée écrite à rédiger individuellement à la maison.
  • Séance n°7 : Production littéraire individuelle "à la manière de...".
  • Séance n°8 : Sélection de quelques textes et mise en voix collective.

La présentation qui portait essentiellement sur la séance n° 5 a proposé des critères qui permettent de rapprocher et différencier controverses socio-scientifiques (CSS) et DVP, afin de voir comment DVP, CSS et expression littéraire peuvent s'enrichir mutuellement pour la formation à la citoyenneté et le développement de la pensée réflexive.

Les CSS et les DVP ont en commun de poser comme objet de discours et de dialogue, un désaccord ou pour le moins une divergence de point de vue, le dialogue autour d'une question socialement vive. Alors que la CSS polarise spontanément les opinions des discutants ainsi que la divergence d'intérêts, la DVP va mettre au second plan les intérêts, et se centrera sur la nouveauté et la singularité.

B) Bernard Slusarczyk a présenté le bilan et les perspectives d'un dispositif qui permet de passer de l'oral des DVP à des écrits philosophiques. Depuis quatre ans, une cohorte d'élèves constituée des quatre classes d'un niveau scolaire (6e en 2014-2015,5e en 2015-2016, 4e en 2016-2017 puis 3e en 2017-2018) pratique les discussions à visée philosophique au collège AG Monnet de Champeix. Le dispositif proposé aux élèves reprend celui initié lors d'une expérience précédente (Slusarczyk, B. et coll., 2015) : les discussions sont pratiquées dans un cadre institutionnel : l'heure de vie de classe.

Les dispositifs de discussion à visée philosophique sont proposés comme des modalités officielles de mise en réflexion des élèves les uns avec les autres. Ils permettent en autres, l'évolution progressive des capacités de raisonnement des élèves.

Les enseignants sont formés par des formateurs, qui eux-mêmes se sont formés à la source via la mise en avant de modèles théoriques solides (l'inventeur, Matthew Lipman, ou des représentants de courants alternatifs, en France, Jacques Lévine, psychanalyste, Michel Tozzi, philosophe, au Québec, Marie-France Daniel et Michel Sasseville, philosophes). Sont essentiellement intervenus pour les différentes formations, Auriac-Slusarcyk Emmanuèle, Maitre de Conférences 16e HDR Laboratoire ACTé EA4281 Axe 1: Situations de transmission de connaissances et d'apprentissage Clermont Universités, Thébault Cathy, Doctorante et Slusarczyk, Bernard, Principal du Collège, chercheur associé au laboratoire Acté. Les formations des enseignants se sont déroulées sous trois formes : une formation initiale sous forme de présentation des modèles théoriques, des différents protocoles utilisés, du matériel possible. Cette formation s'est déroulée en trois temps : une première présentation à l'année N-1, un approfondissement à la rentrée et une formation d'initiative locale de trois jours après deux mois de pratique. Ensuite ont été proposés une formation en cours d'année visant à échanger sur un retour des différentes pratiques utilisées par les enseignants, puis la participation au colloque international "Philosez" du 2 au 4 juin 2014 à Clermont-Ferrand, où les enseignants ont pu assister aux différentes conférences proposées sur les pratiques philosophiques à l'école.

Au terme de la première année de pratique, indépendamment les uns des autres, enseignants et élèves ont fait part au chef d'établissement de leur souhait de continuer les discussions philosophiques l'année suivante. L'expérience est reconduite en 2015-2016 pour toute la cohorte scolarisée alors en 5e. Un projet Cardie est alors déposé et accepté. D'abord initiées dans le cadre de l'heure de vie de classe, les discussions à visée philosophique transitent, avec la mise en place de la réforme du collège, vers l'éducation morale et civique (EMC : programme primaire comme collège, BO, MEN). Les discussions s'installent dans la pratique pédagogique et la culture du collège. La poursuite des discussions à visée philosophique mises en place en 2014 est assurée par son intégration dans les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) au niveau 4e pour l'année scolaire 2016-2017. Ainsi, la cohorte pourra poursuivre l'expérience sur une heure-quinzaine de français en co-intervention avec un autre enseignant (français, SVT, Hist-géo). Cette évolution structurelle installe la pratique des DVP dans l'enseignement, mais elle correspond surtout à une évolution du projet et à une demande pédagogique.

En effet, au bout d'une année et demie de pratique, les élèves ont fait part aux enseignants de leur souhait de participer à la prise de notes effectuée jusqu'alors par les seuls enseignants. Lors d'un retour sur les pratiques, les enseignants ont demandé aux formateurs les pistes possibles pour associer les élèves à un écrit, mémoire des discussions. Cette demande des élèves fait largement écho à la recherche de sens dans la production écrite, Graal du professeur de lettre en collège. Par ailleurs, les résultats mis en évidence lors d'une expérience précédente en Collège (Slusarczyk, B., 2016) invitent, en classe de 4e, à réfléchir sur une pratique des DVP différentes de celle proposée en 6e ou en 5e. La proposition des formateurs à intégrer un projet plus large initié par M. Gagnon, professeur à l'Université de Montréal (La mobilisation transversale de la pensée critique d'élèves du primaire dans des contextes disciplinaires variés : quelles relations avec les croyances épistémologiques et les perceptions des contrats didactiques?) répond à la demande des élèves, de l'équipe enseignante du collège et des constats nuancés sur les DVP en classe de 4e.

Le protocole utilisé et mis en place au Collège pour les DVP évolue. Le protocole permet désormais aux enseignants de mettre les élèves en position de prise de notes puis d'utilisation de ces notes pour rédiger un écrit mémorisable au-delà d'un simple rappel par lecture de notes parsemées, l'écrit doit répondre à des conditions de transmissibilité et être compréhensible par n'importe quel lecteur. Cette évolution a nécessité un accompagnement sur les points évoqués ci-dessus :

  • Comment permettre la prise de notes ?
  • Comment transformer cette prise de note en support d'écriture ?
  • Comment transformer le support d'écriture en écrit transmissible (publiable) ?

Les deux premiers points ont trouvé une réponse par le matériel expérimental proposé par Thébault Cathy. L'utilisation de ce matériel a nécessité une évolution du protocole en place. La mise en oeuvre du dispositif a été pensée et mise en place a priori. Il a bénéficié d'un suivi et d'une évaluation extérieure par l'équipe de chercheurs à l'origine du matériel expérimental.

Les hypothèses de travail et de recherche se rejoignent dans les objectifs fixés :

  • Améliorer la capacité de raisonnement des élèves.
  • Produire une trace écrite du raisonnement collectif.
  • Un ouvrage a été publié avec une partie des traces écrites produites en 2016-2017.

Depuis la rentrée 2017-2018, les élèves, maintenant en classe de 3e, continuent institutionnellement la philosophie dans le cadre des EPI. Les séances sont animées par un philosophe (intervenant extérieur à l'établissement) et devraient déboucher sur des productions d'écrits philosophiques qui seront mis en regard de ceux produits, sur les mêmes thèmes, par des adultes philosophants.

C) Alain Buchet, Catherine Christodoulidis & Maria-Julia Stonborough-Eisinger (Prophilo, Suisse) nous ont décrit le projet Vivre-Ensemble 2016-2018, mis en place dans le primaire public genevois. L'association romande proPhilo13 a obtenu des fonds du Département de l'Instruction Publique genevois pour organiser, préparer et animer 720 ateliers de dialogue philosophique avec des élèves âgés entre 7 et 12 ans dans une quinzaine d'écoles primaires genevoises, dont certaines sont en Réseau d'Éducation Prioritaire (REP) et d'autres ont des classes spécialisées (en effectifs limités avec des élèves rencontrant des difficultés sociales, comportementales et/ou cognitives). Pour certaines classes, ces ateliers se sont déroulés chaque semaine sur un semestre, pour d'autres, sur l'année, mais sur base bimensuelle. Chaque classe a bénéficié de 15 ateliers. Les animateurs de proPhilo ont travaillé en binôme pour permettre la mise en place d'une pratique d'observation formative. Le projet a donné lieu à une évaluation par oral et par questionnaire des enseignants et des élèves.

D) Maxime Ledieu, Gersende Piat & Véronique Gosselin (Collège Vercors - Grenoble) ont présenté le projet Initiation à la pensée philosophique mis en place au collège Vercors en 201314.

Établissement situé en REP, le collège se situe au carrefour de quartiers défavorisés (indice de précarité le plus élevé de l'agglomération grenobloise) aux identités spécifiques. Le quartier de l'Abbaye, fortement marqué par une population de gens du voyage sédentarisés, avec un rapport à l'école complexe : décrochage scolaire, absentéisme, distance par rapport à l'écrit pour une population inscrite dans l'oralité. Les quartiers Teisseire-Jouhaux concentrent une population magrébine éloignée de la langue française. Au collège Vercors, les communautés se côtoient sans pour autant véritablement vivre ensemble et nous avons constaté que les élèves ne parvenaient pas à avoir un regard réflexif sur leurs croyances, leurs opinions, leurs valeurs... et que cela conduisait souvent à des situations de violence ou d'ignorance de l'autre.

La mise en place des Discussions à Visée Philosophique (DVP) a offert aux élèves un cadre dans lequel ils peuvent interroger leurs opinions, leurs points de vue dans une perspective philosophique. Cela leur permet d'apprendre à problématiser, conceptualiser, argumenter pour sortir du débat sans fondement. La discussion philosophique encourage la réflexion, car elle permet un va-et-vient entre particulier et général, singulier et universel, concret et abstrait. Les élèves ont ainsi abordé des thèmes comme : le destin, l'obéissance, le courage, l'art ...

Des interviews d'élèves ont été conduits par l'équipe, ils permettent une évaluation qualitative des apports de ce projet pédagogique. Les élèves engagés dans ce projet en 2013 (ils étaient alors en 6e et sont aujourd'hui en 3e) ont été interrogés individuellement.

Quelques exemples de questions (et de réponses) :

  • En quoi consistent les ateliers philo ? "ça consiste à nous poser des questions sur ce qui nous entoure à discuter", "c'est pas les professeurs qui posent des questions c'est nous/ en fait vous nous orientez vers la question que vous voulez que l'on se pose, mais sans nous dire la question // vous nous poussez un peu".
  • Que fait le professeur ? "ben : il nous écoute" ; "il essaye de reformuler ce qu'on dit".
  • De quels thèmes avez-vous parlé ? "cette année on a parlé de la pensée // puis on a parlé du rire", "c'était une histoire // c'était un homme il avait une bague invisible // on se posait la question nous qu'est-ce qu'on ferait si on avait la bague".
  • Que font les élèves pendant les séances ? "ah on parle (...) on parle beaucoup" ; "(...) on écoute on rebondit sur les personnes", "on réfléchit on propose des idées, des hypothèses".

Pour conclure avec une dernière parole d'élève : "si y'avait pas la philosophie y'aurait pas des copains qui m'auraient appris des trucs"...

E) Un dernier projet de recherche-action débutant a été exposé par Christelle Blanc-Lanaute & Céline Farget (Collège Vercors - Grenoble) & Jean-Pascal Simon (Univ. Grenoble Alpes, LIDILEM, 38000 Grenoble, France). Les CRP sont des moments où sont mises en oeuvre une série d'habiletés de pensée, d'attitudes, de stratégies, de compétences de la part des élèves (postures et habiletés de pensée), mais aussi de l'animateur qu'est alors l'enseignant (gestes professionnels) ; nous voulons voir comment on peut favoriser des transferts de ces compétences (de l'enseignant et des élèves) dans des activités de lecture.

Il s'agit donc de construire et de tester des scénarii pédagogiques en s'inspirant de l'expérience de la pratique des CRP au collège Vercors qui a contribué à modifier certaines postures d'enseignants. Ces changements ne sont pas exclusivement dûs à la pratique des CRP (ils résultent aussi de réflexions pédagogiques globales), l'engagement dans cette pratique et les réflexions qu'elle suscite ont conduit à des changements ou des évolutions dans les relations entre professeur et élèves, mais aussi la manière d'aborder certains contenus propres à chaque discipline.

Nous partons donc de l'hypothèse selon laquelle certains gestes professionnels mobilisés lors de l'animation de CRP peuvent être remobilisés dans les séances de lecture-compréhension :

  • mettre en place un cadre favorisant la mise en discussion de la compréhension ;
  • encourager le dialogue entre les enfants ;
  • conduire les élèves à explorer ce qui est sous-entendu dans ce qu'ils disent ou écrivent ;
  • demander aux élèves de donner des raisons à ce qu'ils disent ou écrivent ;
  • favoriser la prise en considération de plusieurs points de vue.
  • ...

et que du coup, les élèves seront incités à :

  • tenir compte du contexte ;
  • apporter des raisons et les évaluer ;
  • dégager des présupposés ;
  • identifier des conséquences ;
  • élaborer des distinctions ;
  • définir les termes employés ;
  • élaborer ses idées à partir de celles des autres ;
  • reformuler les propos d'autrui ;
  • se situer par rapport aux autres : exprimer son accord, son désaccord...

Il ne s'agit pas de faire des CRP pendant les temps de classe de français, mais d'aborder la compréhension en lecture autrement que par des questionnaires de compréhension ; et comme pour une CRP, de placer élèves et enseignants dans un processus de recherche commun et de co-construction du sens que l'on peut donner à un texte, considérant la lecture-compréhension comme un acte global d'interprétation : les élèves construisent des hypothèses de sens dans le cadre d'une activité avec les autres et en utilisant un certain nombre d'outils pour tester la validité de ces hypothèses. Il s'agira aussi de voir en quoi une discussion préalable autour de thèmes mettant en jeu des concepts, des idées portées par les textes, permet une meilleure exploration des sens d'un texte et in fine une meilleure compréhension.

IV) Projets en émergence dans la région grenobloise15

Une table-ronde a permis de présenter plusieurs projets en émergence qui ont vocation à rejoindre le projet philéduc. Il s'agit de trois actions mises en place avec des acteurs éducatifs "hors Education Nationale" comme le service éducatif de la ville de Pont-de-Claix, la Maison des écrits16 à Échirolles et l'Hexagone, scène nationale arts - sciences17 à Meylan.

A) En 2016-17, le service éducatif de la ville de Pont-de-Claix a mis en place des ateliers philo dans le cadre des activités périscolaires, mais le créneau horaire (après une journée de classe) et le contexte (en face d'activités plus ludiques permettant à l'enfant de se "défouler" de sa journée de classe) ont conduit à plutôt favoriser cette pratique dans le contexte scolaire, la principale du collège de secteur s'étant montrée favorable à ce genre d'activité. Ainsi la ville a pris en charge la mise en place et l'encadrement d'un club philo "Philomène et les filousophes" se déroulant le mardi de 11h à 12h (horaire où un nombre significatif d'élèves sont disponibles.

Depuis début novembre, un atelier hebdomadaire est coanimé par un animateur et une étudiante du département de philosophie de l'Université Grenoble-Alpes. Lors de la table ronde, les échanges ont porté sur le cadre qui a été instauré18.

B) La Maison des écrits, ville d'Échirolles conduit un projet "Philo plastique" avec trois écoles REP. Ainsi les enfants de ces écoles vont participer à un cycle de sept ateliers qui mêlent DVDP, ateliers d'écriture et intervention de plasticien. Il s'agit d'explorer des thèmes comme "la différence", "l'identité", "l'altruisme"... à travers des approches variées et complémentaires : lecture d'albums de littérature de jeunesse, DVP, écriture et production plastique (voir le projet dans le n° 76 de Diotime).

C) Enfin le Collège des Buclos, Meylan : il s'agit d'un parcours artistique et culturel incluant des temps de DVP en lien avec l'Hexagone, scène nationale arts - sciences. Le projet est organisé autour de plusieurs temps : d'abord une intervention d'une conteuse sur le thème de la création du monde chez les Grecs, puis des spectacles à l'Hexagone notamment Digital Vaudou, et une sortie au musée des Confluences à Lyon. Ce projet a la particularité de faire travailler ensemble deux enseignantes de disciplines différentes (français et SVT) et deux classes de niveaux différents (6? et 3?). Les pratiques de DVP viennent s'articuler aux spectacles et à la sortie. D'abord animées par les intervenants du LiDiLEM, elles seront dans un second temps animées par les enseignantes elles-mêmes.

Ces trois projets bénéficient de l'appui du projet "Philéduc" qui peut prendre des formes variées : coanimation, supervision, formation ...


(1) C'est dans cette collection qu'un certain nombre de participants à ces journées ont collaboré pour un ouvrage coordonné par Emmanuèle Auriac-Slusarczyk & Jean-Marc Colletta (2015). Les ateliers de philosophie : une pensée collective en actes. Clermont Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal [en ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01468211/document].

(2) Simon, J.-P. & Tozzi, M (2017), Paroles de philosophes en herbe, regards croisés de chercheurs sur une discussion sur la justice en CM2, Grenoble : UGA éditions.

(3) Roiné (2016) Etude des éléments dialogiques présents dans les processus de conceptualisation lors des discussions à visée philosophique en cycle 3 de l'école élémentaire. Thèse de doctorat : Université de Cergy Pontoise.

(4) [en ligne : http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=110953]

(5) Cf. Dabène Michel (1990), "Éléments pour une analyse de l'activité scripturale", pp. 9-26 dans LIDIL n°3 : des écrits extra-ordinaires, Grenoble : PUG-LIDILEM, qui reprend et développe la conceptualisation de J. Peytard.

(6) Auriac-Slusarczyk, E., Thebaut, C., Slusarczyk, B., & Daniel, M.-F. (in press). Premiers écrits philosophiques. Productivité conceptuelle et créativité rédactionelle du CE2 au CM2. Bulletin de Psychologie.

(7) Bakhtine M. (1984, [1953]) Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.

(8) Une analyse de cette CRP a été faite par Anda Fournel (2016) Quand les élèves se demandent d'où viennent les pensées [en ligne : https://philoenfant.org/2016/02/29/la-philo-pour-enfants-quand-les-eleves-se-demandent-dou-viennent-les-pensees/]

(9) Susan Goldin-Meadow (2005) Hearing Gesture : How Our Hands Help Us Think, Harvard Universtiy Press.

(10) (1965), De la certitude, Coll. Tel, Gallimard.

(11) cf. Vanderveken, (2002), "Logique illocutoire, grammaire universelle et pragmatique du discours", in J. Bernicot & A. Trognon (Eds.), Pragmatique et psychologie (pp. 33-56). Nancy : Presses Universitaires de Nancy.

(12) Oudé, (2014), Le raisonnement, Coll. Que-sais-je n°1671, PUF.

(13) http://prophilo.ch/

(14) Déjà présenté dans DIOTIME n° 72 par Chrystelle Blanc-Lanaute, Les ateliers philo au collège Vercors. http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=109331

(15) Projets qui ont rejoint à l'automne 2017 le PR17 et le PAE01 soutenus par l'Institut Carnot de l'Education Auvergne-Rhône-Alpes.

(16) https://www.echirolles.fr/culture-sports-loisirs/lecture-et-ecriture/maison-des-ecrits

(17) https://www.theatre-hexagone.eu/

(18) Cf. la contribution de Ch. Secher dans ce numéro qui détaille cela.

(19) Co-auteurs de cette synthèse :

  • Nathalie Frieden (Université de Fribourg, Suisse).
  • Hélène Maire et Emmanuèle Auriac-Slusarczyk (Univ. Clermont-Ferrand, Laboratoire ACTé EA4281 ESPE).
  • Anne-Sophie Cayet (Laboratoire DILTEC EA 2288 - ED 268, Université Sorbonne-Nouvelle, Paris 3).
  • Alain Buchet, Catherine Christodoulidis & Maria-Julia Stonborough-Eisinger (Prophilo, Suisse).
  • Anda Fournel (Univ. Grenoble Alpes, LIDILEM).
  • Lidia Lebas-Fraczak, (Université Clermont Auvergne, Laboratoire de Recherche sur le Langage).
  • Claire Polo et Marjorie Fressoz (Lycée des Portes de l'Oisans, Vizille).
  • Bernard Slusarczyk & al. (Collèges A. Camus et A.G. Champeix).
  • Christelle Blanc-Lanaute & Céline Farget (Collège Vercors - Grenoble) & Jean-Pascal Simon (Univ. Grenoble Alpes, LIDILEM, 38000 Grenoble, France).
  • Maxime Ledieu, Gersende Piat & Véronique Gosselin (Collège Vercors - Grenoble).
  • Sandra Lagrange-Lanaspre (Univ. Grenoble Alpes, LIDILEM, 38000 Grenoble, France).
  • Claire Polo (chercheure associée au laboratoire ICAR, UMR 5191).
  • Véronique Delille, (association Asphodèle : Penser/ouvrir).
  • Christophe Secher (Ville de Pont-de-Claix).
  • Nadia Madji & Sandrine Poutineau (Maison des écrits, ville d'Échirolles).
  • Marylise Darve & Valérie Fejoz (Collège des Buclos, Meylan) & Magalie Gheraïeb (Hexagone Scène nationale Arts Sciences).
  • Michel Tozzi (Université Montpellier, France).
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