En novembre 2016 se déroulaient, au siège de l'Unesco à Paris, les Rencontres sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques, organisées par Philolab2. Parmi les divers moments d'échanges, plusieurs interventions ont pris place dans le chantier PhiloArt dont ce dossier se veut la trace.
C'est dans l'idée que la pratique philosophique, augmentée d'un rapport à l'art, est l'une des façons de permettre l'émergence de sujets libres, créateurs de leur propre existence, que ce chantier a été conçu. Deux questions qui me taraudaient ont été à l'origine du programme de cette journée : comment susciter l'expérience esthétique chez les jeunes ? Et comment penser la collaboration entre le champ philosophique et le champ artistique dans le domaine des Nouvelles Pratiques Philosophiques ?
Comme souvent et bien heureusement, à ces questions s'en sont ajoutées d'autres, parfois saisies au bond dans les séances de questions-réponses qui suivaient les présentations et qu'il sera enthousiasmant d'approfondir en d'autres occasions.
Notons que deux des interventions de cette journée ne sont pas reprises ici. L'une d'entre elles, celle de Nadine Dupont et Corinne Vida (Ville de Bruxelles) sera publiée ultérieurement. L'autre consistait en une animation d'un jeu philosophique, De la suite dans les idées,proposée par ma collègue Aline Mignon (Laïcité Brabant wallon) dont il est difficile de rendre compte sous la forme écrite. Toutefois, pour limiter la frustration, je vous renvoie vers un article du numéro 69 de Diotime3 dans lequel est expliqué le fonctionnement de ce jeu qui permet de travailler les critères du Beau.
Dans "L'atelier d'enquête philosophique sur une oeuvre d'art", Guillaume Damit (PhiloCité) nous propose une méthode en quatre temps : description de l'oeuvre, interprétation, questionnement et discussion philosophique. L'originalité de la première étape est à souligner puisqu'il s'agit non pas d'examiner ce que l'oeuvre représente mais de la regarder dans sa matérialité ; autrement dit de décrire les matières, les couleurs, les formes et enfin la composition. C'est nourri de cette description formelle que le groupe entame la phase d'interprétation et ensuite de problématisation. Il est intéressant de noter que ces trois premières étapes se font dans l'espace muséal alors qu'intentionnellement la discussion philosophique a lieu dans un autre espace. Relevons pour terminer, et ce point sera également mis en perspective dans l'article suivant, que les résultats obtenus lors de ces animations sont ensuite mis en tension avec les explications de l'artiste et des historiens de l'art.
Dans l'article suivant, l'équipe de Philosoph'art de Lyon associe une heure de philosophie à une heure de pratique artistique et invite pour cela deux intervenants : un philosophe et un artiste. Travail de co-construction qui nécessite, comme montré dans l'article, une préparation importante en amont des animations. Intervenant également dans les musées, un troisième acteur vient parfois s'ajouter à ce duo : le médiateur culturel qui invite les enfants à une visite des lieux. Adélie Foras et Natacha Cartant ont illustré leur propos avec une expérience de terrain concrète à découvrir dans leur article.
A ce stade, relevons les richesses et les difficultés de ce travail en collaboration entre philosophes, artistes et médiateurs culturels. Entre théorie et pratique. Entre construction et information. Mon souhait est de remettre en chantier cette question du partenariat entre les différents acteurs du champ philosophico-artistique : comment le préparer ? Quels apports ? Quels blocages ? Comment chacun peut y trouver sa place au profit du développement de l'esprit critique et créatif des enfants ?
Chiara Pastorini, dans le précédent Diotime (n° 72), nous a éclairés de ses Petites Lumières sur l'interdépendance entre la pratique philosophique et artistique. Au lieu de considérer ces deux disciplines comme opposées (l'une théorique, l'autre concrète), elle souligne les objectifs communs : la conceptualisation, la problématisation et l'argumentation y sont des compétences développées par l'une comme par l'autre. C'est la place du corps qui est ainsi réhabilitée. Elle développe dans ce numéro l'animation qu'elle a réalisée à l'Unesco avec Vincent Mignerot.
Evelyne Clavier nous relate une pratique conjointe étonnante de la philosophie (la DVDP) et de la danse (la Danse Contact Improvisation) avec des adolescents en situation de handicap. Cet article met en avant les dimensions éthique et politique de ce type d'expérimentation. Dans ce cas, c'est la notion d'altérité qui a été dansée et pensée, par des adolescents considérés dès lors comme des interlocuteurs valables et des danseurs potentiels. Et c'est un nouvel acteur qui entre en scène dans cette pièce mêlant philosophie et art : l'école.
Place au théâtre enfin, avec l'expérience de Sophie Geoffrion (Philoland), pour refermer le rideau sur ce dossier. Avant la prochaine représentation... Dans son article c'est une nouvelle fois la collaboration entre le philosophe et l'artiste qui sera évoquée, ainsi que la notion d'espace, en jeu ici dans le basculement de l'espace scénique à l'espace philosophique. Mais d'autres notions, en filigrane parfois dans les articles précédents, sont ici mis sur le devant de la scène : je pense notamment à la transformation, rendue possible par le dispositif présenté, de l'enfant spectateur à l'enfant acteur de sa pensée.
Les enjeux que sont le corps et l'espace où les choses se passent sont des questionnements que je voudrais également évoquer lors d'une prochaine session des Rencontres internationales sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques.
A tout le moins, les différentes expériences proposées, qui souhaitent développer l'esprit critique et créatif, ont elles-mêmes été génératrices de nouvelles idées... Bonne lecture.
(1) Ces animations ont pour particularité de mêler pratiques philosophiques et artistiques.
(2) http://philolabasso.ning.com/
(3) M. Olivier, Diotime n°69, "Philo dell'Arte : se balancer entre pratique philosophique et art plastique".