Revue

Comment s'approprier "du" problème, plutôt que de fuir ?

Dans ce texte, je voudrais poursuivre la réflexion entamée dans mon travail sur la problématisation en philosophie avec L'Érotisme des problèmes. En continuant à problématiser cette question (par souci de cohérence entre le dire et le faire), j'ai réalisé que la manière dont j'ai décrit la rencontre avec un événement problématique était parfois trop floue.

Je souhaite notamment proposer ici, à titre d'hypothèse, une petite systématisation syntaxique des façons de parler des problèmes. En suivant l'adage de Canguilhem ("Le mot n'est pas le concept"), je voudrais souligner que le mot "problème" peut cacher des concepts différents selon la manière dont il est amené syntaxiquement dans la phrase.

Cette polysémie doit être explicitée et analysée, car cela permet de comprendre l'idée que je défends, a priori contre-intuitive, à savoir la désirabilité des problèmes : désirabilité en droit comme fin éthique bonne, car vivre un problème permet de se construire soi-même, par-delà les déterminations premières de la socialisation primaire ; désirabilité en fait comme résultat de cette pratique éthique, c'est-à-dire qu'il peut exister des dispositions construites, en soi, qui nous font affronter le caractère difficultueux des problèmes plutôt que de les fuir.

Mais avant de développer cet enjeu de subjectivation que constitue la problématisation, je souhaite commencer par un petit détournement didactique de deux concepts de Freud.

Les principes de réalité et de plaisir revisités

Voici comment je définirais le "principe de réalité" d'un point de vue didactique : la technicité des savoirs disciplinaires nécessite un effort d'appropriation que l'individu n'est pas normalement disposé à fournir.

Je pense qu'il ne faut jamais oublier ce principe de réalité : son déni produit ce que Bourdieu appelle l'illusion scolastique, c'est-à-dire une situation d'incompréhension mutuelle entre enseignant et apprenant, qui risque souvent de se teinter de mépris de la part de l'enseignant. La philosophie est une discipline reine dans la production de ce phénomène de mépris social (Pinto, 2007), qui peut prendre la forme très violente de déshumanisation d'autrui, sur le mode : "Comment peut-on ne se poser aucune question ? Tout homme véritablement homme use de sa raison, donc celui qui accepte bêtement des opinions n'accomplit pas sa pleine humanité." C'est proche de ce que Bachelard a nommé le complexe de Cassandre (1949, p.75) et cela produit une littérature à part entière sur la prétendue "barbarie" des non-curieux. Les élèves, malheureusement pour eux, se voient souvent rangés dans cette catégorie archaïque.

Par opposition, le principe de réalité consiste à souligner qu'il est parfaitement normal que l'on ait toujours mieux à faire qu'apprendre. C'est voir les choses à l'envers que de considérer qu'il n'est pas normal qu'un individu ne se pose pas de questions. En tant qu'être vivant devant survivre, nous avons besoin de nous nourrir et d'avoir un lieu protégé où dormir, avant que d'envisager consacrer du temps à penser. Ce qui est anormal, miraculeux, ce sont les instants où l'on se donne le temps de questionner le monde et où l'on dispose de l'énergie suffisante pour rester plus qu'un instant dans l'inconfort.

Quand on théorise les conditions d'apprentissage de la philosophie, il ne faut jamais perdre de vue le chiasme fondamental entre sécurité biologique et matérielle d'un côté, et désécurisation psychologique de l'autre. Celle-ci n'est possible que sur fond de celle-là ; inversement, les carences de celle-là entraînent un besoin de sécurisation et une sensibilisation aux discours sécuritaires. Si certaines personnes sont réticentes à apprendre la philosophie, c'est tout simplement parce que leur inquiétude propre serait de trop pour la situation d'inquiétude vitale qui est la leur à ce moment-là. Il y a là une sorte de chiasme dans les normativités respectives de la survie (biologique) et de la vie (psychique). D'où l'extrême importance, à mes yeux, de ce rappel de Simondon : "C'est au temps où le calme biologique règne que l'inquiétude se manifeste, et c'est au temps où la douleur existe que la spiritualité se commue en réflexes défensifs ; la peur transforme la spiritualité en superstition" (1958, p. 283).

Passons maintenant au "principe de plaisir" reconceptualisé dans un cadre didactique : la sensibilité aux thèmes d'une discipline et aux problèmes qui les traversent est inégalement distribuée dans une population en fonction des parcours d'existence de chacun.

Est fondamental, pour les didactiques, le rôle structurant des savoirs disciplinaires dans la situation d'apprentissage. Il ne s'agit donc pas simplement de comprendre comment on "apprend à apprendre" ou de réduire les conditions d'apprentissage à une vague curiosité dont certains élèves seraient bien pourvus alors que d'autres se complairaient dans une bêtise autosatisfaite. De fait, il existe des apprenants qui peuvent désirer fortement mieux connaître l'histoire et se moquer éperdument des mathématiques, voire de dévorer les livres sur la Commune et se ficher royalement du système féodal français au Moyen Âge. Les savoirs n'ont pas la même saveur pour les individus et chacun doit composer avec ses propres déterminations quant au goût d'apprendre telle ou telle chose.

Ces deux principes étant posés, voyons maintenant comment les problèmes nous traversent et se construisent au gré de leurs différentes dimensions.

Les modes d'individuation des problèmes

Je voudrais reformuler les quatre dimensions du problème, que j'ai analysées par ailleurs (Charbonnier, 2015) par un jeu de catégorisation syntaxique. Je fais l'hypothèse que le déterminant qui accompagne le substantif "problème" actualise chaque fois singulièrement, donc différemment, le concept de problème.

0) Tout problème vécu comme une violence est un problème qui s'impose à nous. Cette imposition peut provenir d'une réalité non intentionnelle ou bien être artificiellement construite par un tiers c'est le cas, typiquement, des situations didactiques en classe.

Le "problème" désigne ici un événement perçu d'emblée comme non désirable, car venant perturber le cours des choses et compliquer le projet en cours. L'individu s'appréhende comme individu individué, comme un "moi" substantiel face à d'autres "moi" substantiels : ce sont les moments où l'on compte sur ses acquis et sur ce qu'on a été capable de faire et d'être.

D'où l'usage du déterminant défini possessif : "C'est son problème" (au professeur), dit l'élève qui ne veut pas être embêté. Ou bien la posture symétrique : "C'est pas mon problème" signifie pareillement un refus d'entrée dans l'apprentissage.

En ce sens dirimant, le mot "problème" n'oriente pas vers une dynamique d'apprentissage. On le voit bien avec la formule inverse : revendiquer la possession d'un problème est encore un refus de dialoguer avec l'autre et d'entrer dans une situation d'apprentissage. "C'est mon problème" s'entend comme une phrase performative qui signifie à l'autre l'ordre de ne pas s'immiscer.

L'idée de problème est ici associée avec l'imaginaire de la maîtrise, en un sens décapacitant : je dois gérer seul, je ne dois pas me montrer faible, les incertitudes de l'autre ne me concernent pas, etc. On est dans un imaginaire politique très individualiste et anxiogène, où autrui est d'abord vu comme une gêne (à ma tranquillité, s'il vient me chercher avec son problème, ou bien à mon honneur car j'aurais honte s'il voyait mon problème) et non comme une aide possible ou un partenaire.

Après avoir rappelé les affres de ce régime propre à ce que Deleuze nomme l'image dogmatique de la pensée, où règne l'amour des solutions, où les problèmes sont perçus comme imposés parce que réductible à des objets possédés par chacun, voyons comment décliner les quatre dimensions de la problématisation en poursuivant l'exercice de caractérisation par un déterminant propre à chacune.

1) Un problème résolu, philosophiquement, est un problème qui a été construit par l'individu. Il s'agit donc d'un problème chargé de sens, puisque la résolution exprime une solution dont l'individu sait à quel problème elle répond. C'est le critère fondamentalement joyeux de la problématisation, que Michel Fabre a bien mis en avant : s'il est important que les savoirs soient appris de manière problématisée à l'École, c'est parce qu'il en va du sens même des savoirs. Sans problématisation, les apprentissages manquent le sens et réduisent les disciplines à des ensembles d'énoncés propositionnels ennuyeux, dont ont ne voit pas bien pourquoi il serait fondamental, politiquement, que tous les jeunes gens d'une société les aient croisés au moins une fois dans leur vie.

Le problème résolu me semble devoir être désigné par le déterminant défini démonstratif. On parlera de ceproblème, de telproblème. Il s'agit non plus d'être possédé par un problème (plus qu'on ne le possède d'ailleurs), mais plutôt de savoir circonscrire le lieu du réel où il se situe. La haute conscience généalogique du domaine de pertinence du problème est ce qui permet d'en conserver la résolution de manière casuistique et heuristique. En effet, un problème bien résolu évite les tentations d'imposition à autrui de la résolution, car si l'on problématise véritablement on apprend aussi que ce qui convient à un moment en un certain lieu ne conviendra pas ailleurs (casuistique) ; la modestie que cela induit rend également sensible au rôle de repère ou de suggestion de mes résolutions pour d'autres résolutions à venir (pour moi ou les autres), car si l'on problématise véritablement, on est protégé de vouloir plaquer brutalement sur des réalités différentes telle ou telle résolution (désir de donner à penser aux autres plutôt que de leur imposer une pensée).

2) Si l'on continue à remonter le fil de l'individuation des problèmes, nous pouvons parler du moment de leur construction. Ce moment m'apparaît bien traduit par le déterminant défini qu'est l' article défini : " Voilà le problème". Le moment de la construction est le moment d'universalisation relative du problème. Je veux dire par là que, lorsqu'on construit le problème, l'effort et l'énergie intellectuels que cela suppose induisent psychiquement la nécessité de le penser comme le problème. C'est un moment d'occupation totale des énergies psychiques qui nous fait abonder dans le problème.

Ce serait une erreur de vouloir dénoncer, à ce moment-là, une induction illégitime ou bien une généralisation abusive. Car il ne peut pas en être autrement : si l'on construit vraiment le problème, on ne peut pas le relativiser ou bien le déconstruire au moment même où l'on tente de lui donner sa force. L'opération de construction est une canalisation des forces positives de la pensée. Dans un tel moment, je pense que mon analyse est en train d'affronter le problème. "C'est ça le problème !" est l'eurêka de la construction des problèmes.

3) On comprendra mieux sans doute ce moment constructif par contraste avec la position d'un problème. Lorsqu'il s'agit de poser un problème, c'est le déterminant indéfini qu'est l' article indéfini qui convient le mieux.

Pouvoir poser un problème, c'est accepter de mettre de côté, intentionnellement, des données ou des conditions dont on va décider qu'elles ne font pas problème. Comme le disait Bachelard, pour qu'il y ait un vrai problème (et non un doute de papier, ou une manière faussement profonde de tout questionner caricature de la posture philosophique), il faut que tout ne fasse pas problème.

La position du problème correspond donc à un moment de haute conscience de la contingence de nos choix qui configurent la situation d'apprentissage : on élit un problème dans la mesure où l'on se repose, par ailleurs, sur des certitudes. Certes, en droit, celles-ci pourront être remises en cause, être elles-mêmes problématisées : mais plus tard, ailleurs, par d'autres (ne serait-ce que par moi plus tard, c'est-à-dire par moi devenu un autre que celui que je suis maintenant).

Poser un problème, c'est donc acter qu'il y a un problème, et cet acte n'est pas une donnée, un cela-va-de-soi, comme le disait, une fois encore, Bachelard : c'est bien une décision et une action de la pensée qui se met en position d'apprendre, comme on dirait qu'un coureur se met dans les starting-blocks.

4) Enfin, il faut aller jusqu'à l'indénombrable, c'est-à-dire le déterminant indéfini qu'est l' article partitif, pour comprendre le concept de problème dans la dimension d'exposition à du problème.

C'est ici que ces distinctions syntaxiques m'apparaissent précieuses, car elles permettent une rigueur nécessaire pour ne pas parler d'exposition à tel problème, ou bien d'exposition au problème, ou encore d'exposition à un problème. Ces trois expressions traduisent une confusion qui provoquera nécessairement des malentendus car ce sont des mélanges mal fichus, brouillant ce que signifie problématiser.

Par exemple, croire qu'on peut exposer des élèves à tel problème, c'est projeter sa propre compréhension d'un problème résolu (dans l'esprit de l'enseignant) dans la structure d'une situation didactique qui va être vécu, d'un point de vue problématologique, complètement différemment par les élèves. C'est, à mon avis, la source première des malentendus scolaires.

Pour prendre un autre exemple, la formule "exposition à un problème" (expression que j'ai moi-même pu utiliser) est malheureuse également, car elle suppose une élection (un problème, parmi tant d'autres possibles) qui ne va pas de soi : peut-être qu'un même objet ou un même événement peut amener à poser d'autres problèmes que celui auquel pense l'enseignant.

Ce qui traduit le mieux la dimension d'exposition est donc bien la formule employant l'article partitif : on est toujours exposé à du problème : la rencontre comme telle est nécessairement en deçà de toute individuation.

Ce que l'individu vit dans l'exposition à du problème, c'est ce sentiment à la fois distinct et obscur (pour employer un chiasme leibnizien, dont Deleuze eut à s'expliquer tant il paraît être une hétérodoxie) que quelque chose (perçue distinctement) appelle un effort de problématisation même si la conscience demeure encore parfaitement obscure de ce qu'elle est. Il faut même dire, pour être rigoureux, que cette chose n'existe pas encore, que nous n'avons pas à la "découvrir", puisque c'est nous qui allons la produire.

J'insiste car se joue là, selon moi, le sens proprement politique de l'apprentissage de la philosophie. Ce qui est en jeu, c'est de savoir comment nous allons accorder nos vies et qu'est-ce qui fait que nous nous intéressons à la même chose ? Passer du partitif (il y a du problème) à l'indéfini (il y a un problème) est une opération de dialogue extrêmement complexe qui n'est peut être rien moins que l'essence de la vie démocratique. Apprendre à faire cela, c'est apprendre à vivre ensemble, c'est-à-dire nous construire comme Public au sens radicalement démocratique de Dewey : le vrai travail du public, ce n'est pas de surveiller ceux qui gouvernent, c'est d'identifier son intérêt comme public, c'est-à-dire les intérêts mutuels qui le structurent comme public par exemple : avoir un bon système d'éducation). C'est l'énigme politique par excellence selon Dewey (1929) : "Comment intéresser les hommes à l'activité politique fondamentale qui est de chercher à définir leurs intérêts ?". Comment le public pourrait parvenir à former des jugements raisonnables et pertinents pour s'occuper des conséquences (des activités humaines) problématiques qui le concernent en premier lieu ?

Or, les situations didactiques à l'École négligent très souvent ce passage du "il y a du problème" à "il y a un problème", en court-circuitant ce temps infiniment précieux et démocratique de la position du problème. Sans compter, de plus, qu'il ne va pas de soi que les élèves soient exposés au moindre problème : cette absence d'exposition rend dès lors abstrait et désincarné les savoirs visés par les apprentissages.

Que nous dit ce trajet syntaxique de l'individuation des problèmes ?

Le pari politique de la problématisation, c'est donc de soutenir que les problèmes permettent de nous construire activement comme individus reliés les uns aux autres, par opposition aux solutions qui sont comme des formes imposées sur chacun, devenu matière passive (schème de l'hylémorphisme).

Dès lors, les individus qui fuient les problèmes (perçus comme des ennuis, des prises de tête ou des emmerdes, selon le degré de vulgarité de chacun) ne fuient en réalité rien.Je soutiens que l'amour des solutions, la réduction du savoir à sa forme propositionnelle, est une disposition aversive qui ignore fondamentalement ce qu'elle cherche à éviter.

On ne fuit pas un problème, on fuit "tout court", et on ne sait pas ce qu'on fuit. C'est pourquoi cela prend souvent la forme d'une fuite sur place, d'un enfermement dans des structures d'isolement progressif. Fuir, c'est rester en soi-même, c'est-à-dire vouloir demeurer ce que les autres ont fait de moi à un moment où nous ne pouvions être reliés véritablement (dans le temps de la socialisation primaire notamment, relayée par la culture de masse). Comme le dit Cavell, dans le beau passage où il définit la philosophie comme une "éducation des adultes" : mes réponses, celles auxquelles je tiens et qui me viennent spontanément "n'ont jamais été des conclusions auxquelles j'étais arrivé, moi ; elles ont été purement et simplement absorbées par moi." (1979, p.196) Cette situation dit bien la dépossession première que produit d'abord l'éducation. Or, non seulement j'"ai" des solutions que je ne me suis jamais véritablement appropriées, mais le plus dangereux, épistémologiquement et éthiquement, est que ces réponses me privent du désir de questionner. Si l'idée d'aliénation a un sens, c'est celui-là : rendre indésirable aux yeux des individus les problèmes, c'est-à-dire la possibilité de rencontrer autrui acception bien paradoxale du concept, j'en ai conscience, au regard de son étymologie.

La problématisation apparaît alors pour ce qu'elle permet : une déconstruction-reconstruction de soi, une reprise de soi, une formation de soi au sens émancipateur de la Bildung, préalable indispensable à l'éthos politique, c'est-à-dire à l'aptitude à dialoguer. Qui n'est pas eu la joie d'être apprenant par les problèmes sera un danger potentiel en tant qu'enseignant !

En effet, comment puis-je rencontrer l'autre si je ne me suis pas investigué ?Si je n'ai pas une connaissance politique de moi-même, de mes violences propres, de mes contradictions, je ne peux même pas entrer en relation : aucune création d'un collectif réel n'est alors possible, autrui ne m'apparaît pas. La situation d'apprentissage est réduite à un agglomérat d'individualités déconnectées les unes des autres. M'indigner contre les autres ("Ils ne sont pas curieux", "Ils ne savent rien", etc.) se nourrit de toutes mes projections, basées sur l'ignorance de moi-même.

Défendre une conception résolument démocratique de l'apprentissage de la philosophie, c'est soutenir qu'il y a identité entre les deux. Ce n'est pas qu'il faille des règles démocratiques pour bien apprendre à philosopher (inférence), ce n'est pas qu'il faille apprendre à philosopher pour bien vivre en démocratie (inférence inverse) : non, il s'agit d'une seule et même activité. En ce sens, la politique réussie et l'existence d'un collectif sont une seule et même chose.La démocratie se définit en acte par cette identité à construire dans des situations d'apprentissage mutuel. C'est pourquoi l'éthique est en même temps politique : en nous, déjà, nous sommes divisés ; et réussir à devenir un in-dividu, c'est-à-dire construire une unité réelle du collectif que je suis, est un projet politique à part entière.

Voilà ce que signifie la problématisation en philosophie : viser une situation d'apprentissage qui permette la construction d'un collectif réel, et non factice. C'est très difficile ! L'altérité, notamment sous sa forme humaine que sont les autres, peut alors devenir un élément nourricier du soi, non plus comme passivité subie, mais comme ingrédient de la construction de soi. L'aphorisme éthique qui traduirait le mieux ce que la problématisation peut nous faire devenir pourrait se formuler ainsi : je ne suis jamais autant ce que j'ai à devenir qu'avec les autres.

En conclusion, je pense que la juste compréhension de ce qu'est un problème philosophique, de sa puissance pratique, existentielle, c'est-à-dire productrice de devenir, rend désirable les problèmes.

C'est pourquoi je m'emploie à essayer de comprendre ce qu'est un problème. Ce problème du problème, loin d'être une coquetterie autoréflexive, est le problème que j'essaie de construire, après avoir posé qu'il y avait un problème avec la place du désir dans l'apprentissage de la philosophie.

Je pense que si je partage ce problème avec d'autres, cela est susceptible de faire naître une appétence pour les problèmes philosophiques, appétence qui constitue une force psychique (une disposition) supérieure à l'appétence pour le confort d'être ce qu'on est c'est-à-dire l'amour des solutions. Un tel désir prévient de la fuite en soi-même, sorte de solipsisme qui fonctionne tragiquement, puisqu'il tend à réaliser ses propres craintes et à confirmer la valeur de ses croyances en se protégeant de vivre des valeurs plus proches de la vie "il vaut mieux faire comme on me dit de faire", juge le conformiste très sensible au jugement des autres. Or la joie qu'il y a à construire des problèmes est une expérience à vivre qui, si elle est faite, permet, comparativement, de renoncer aux valeurs premières qui apparaîtraient pour ce qu'elles sont : pauvres.

"Essayez" est l'injonction problématologique par excellence.

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