Origine du projet
Les 2, 3 et 4 juin 2014, la ville de Clermont-Ferrand a accueilli à la Maison des sciences de l'Homme et à l'École Supérieure du Professorat et de l'Éducation Clermont-Auvergne un colloque organisé par Emmanuelle Auriac intitulé : "Les discussions philosophiques de 5 à 18 ans en milieu scolaire : quels regards des sciences humaines et sociales" (voir en ligne : http://philosez.sciencesconf.org/).
À l'issue de ce colloque, plusieurs chercheurs travaillant dans des champs disciplinaires différents ont estimé, afin de poursuivre le travail engagé, qu'il fallait croiser les méthodologies de recherche de ces différents champs disciplinaires par l'analyse croisée d'une Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP). C'est ainsi que Jean-Pascal Simon, pour le Département Licence Sciences et technologies (DLST) de l'Université Stendhal de Grenoble, a décidé d'organiser un workshop avec un triple objectif :
- permettre une meilleure connaissance respective des concepts et outils d'analyses ;
- apporter un éclairage mutuel des différentes disciplines afin de mieux connaitre les mécanismes cognitivo-langagiers à l'oeuvre dans ce type d'oral ;
- susciter des recherches interdisciplinaires sur les DVDP.
Un appel à contribution a été lancé à tout chercheur qui souhaitait présenter une analyse de la discussion citée dans le titre de ce projet : "Pourquoi on dit c'est pas juste?", DVDP animée par Michel Tozzi auprès d'un public de CM2 lors des journées mondiales de la philosophie organisées par l'UNESCO en novembre 2014.
Bilan
Ce séminaire a réuni pendant deux jours 26 personnes (chercheurs, enseignants-chercheurs, enseignants, étudiants) autour de dix interventions analysant cette DVDP avec des outils issus de domaines disciplinaires différents : didactique de la philosophie, sciences du langage, psychologie, ergonomie, sciences de l'éducation...
À l'issue de ces deux journées M. Tozzi est revenu sur les modèles et les analyses qui ont été présentés, a posé un certain nombre de pistes de recherche formulant un ensemble de questions, et suggéré "que chacun explicite en quoi le modèle qu'il convoque lui semble pertinent pour répondre à telle ou telle question...".
En effet, dans neuf interventions sur dix du séminaire, il est fait allusion à des modèles (avec leurs théories et concepts) pour analyser le verbatim et la vidéo proposés à l'analyse : analyse didactique des processus de pensée, grilles syntaxiques, formalisation des rapports entre concepts, stades épistémologiques de M.-F. Daniel, analyse du travail, contrat didactique et analyse conversationnelle ou interlocutoire, médiation de Feuerstein, logiciel informatique, théories du doute et de l'argumentation...
On pourrait faire l'inventaire des modèles disponibles, mais qui manquent ici : par exemple l'analyse à travers la vidéo du para verbal et du gestuel ; ou l'analyse transactionnelle pour l'étude de la posture d' "interlocuteur valable" etc.
Les modèles apparaissent ici comme des outils de description-explication (est-ce la même chose ?) du réel, convoqués pour l'analyse de pratiques d'animation, de gestes professionnels d'animateur de DVDP. Se posent alors les questions de la validité de ces modèles, dans leur construction, leur évolution, leur opérationnalité.
Opérationnalité pour leur pertinence descriptive-explicative : rendent-ils compte du réel, de sa complexité ? Il appert épistémologiquement que tout modèle est à la fois intéressant pour "attraper" un bout du réel, et limité : par la pertinence et la cohérence de sa construction, par son champ restreint de validité, par son fonctionnement interne (on l'a bien vu dans les hésitations à manipuler les critères pour classer une intervention dans telle ou telle case, ce qui donne lieu à des conflits d'interprétation).
Dans quelle mesure les modèles proposés sont-ils efficaces pour rendre compte d'une DVDP ?
Sont-ils un outil pertinent d'analyse de la pratique d'un animateur de DVDP, et de la dynamique de construction collective d'une réponse à une question posée ou d'un concept à construire ? Certains modèles sont-ils plus pertinents que d'autres ? En quoi et quel point de vue ?
Peuvent-ils par ailleurs être un outil d'autoévaluation de sa pratique, d'évaluation d'une pratique ? Doit-on, peut-on, et comment, passer d'une description à un jugement normatif ? Enfin, peut-on s'appuyer sur leur caractère explicatif pour en faire un repère prescriptif (conseil, recommandation, préconisation...) ?
De l'opacité du réel nait la perplexité de la compréhension humaine, et la pensée complexe est un défi ambitieux qui doit être borné par la modestie de la raison scientifique. D'où l'intérêt de la multiplicité des modèles convoqués pour faire face, chacun prétendant attraper un bout de réel sans jamais en voir le bout... Ils sont donc à la fois nécessaires et en même temps limités et relatifs.
Nous en avons besoin, mais sans les mythifier, faute de nous mystifier.
Pistes de recherches
Il serait utile que chacun formule les questions qui, de son point de vue, lui semblent essentielles pour analyser une DVDP... La recherche commence toujours par élaborer des questions, à trouver les questions pertinentes sur un champ d'investigation.
À partir de cette question directrice : "Quels sont les modèles les plus pertinents pour décrire et expliquer le fonctionnement de la DVDP ?", voici quelques pistes de recherche :
- Comment éclairer les exigences de l'animateur : exigence démocratique du fonctionnement du groupe (par intention d'éduquer au débat démocratique, à la citoyenneté délibérative) ; exigence de philosophicité des échanges et apprentissage du penser par soi-même, repérage des degrés de philosophicité de la discussion ?
- Comment décrire avec finesse les compétences, les gestes professionnels d'animateur d'une DVDP, sa boite à outils ? Et en particulier sa façon de saisir le kairos ?
- Comment mettre en évidence, à partir des traces langagières, les "moments philosophiques" de la discussion ; les processus de pensée mobilisés/construits par les élèves ? Les compétences ou "gestes d'études" qu'ils développent ?
- Comment analyser la progression d'une discussion ? La construction collective de réponses à une question, de définitions d'une notion ?
- Comment s'articule dans cette démarche l'élaboration de pensées individuelles avec une co-construction collective ?
- Comment analyser la posture d'"interlocuteur valable", et repérer comment l'animateur la met en place, et les élèves s'y installent ?
Il serait souhaitable que chacun explicite en quoi le modèle qu'il convoque lui semble pertinent pour répondre à telle ou telle question...
Nous avons ainsi, par les contributions sollicitées, les grandes lignes d'une future publication collective dont nous rendrons ultérieurement compte (Il s'agira d'un ouvrage publié par les PUF de Grenoble...).