Contribution à la table ronde (Unesco, nov. 2012)
La table ronde de Philoformation s'est faite autour de deux schémas de discussions : dans l'un, l'animateur est très présent et toutes les prises de parole convergent vers lui ; dans l'autre, il n'est plus du tout intervenant, même s'il semble encore présent physiquement. Très succinctement, la question de la table ronde était : "Est-ce que le passage de l'un à l'autre schéma (quel que soit le sens du passage), est un progrès ?".
L'Atelier Philosophie Agsas-Lévine est un Atelier de Réflexion sur la Condition Humaine (ARCH). Il vise la construction d'une pensée autonome, responsable, donnée pour authentique là où en est chacun. C'est un dispositif pédagogique rigoureux, explicite et ritualisé. Il s'agit de permettre aux enfants de prendre conscience, par eux-mêmes, qu'ils sont pourvus d'un appareil à penser le monde et à réfléchir aux grands problèmes de la vie. Ce n'est pas une discussion.
L'atelier Philosophie Agsas-Lévine affirme qu'il n'y a pas d'enfant qui ne serait pas concerné par la condition humaine. Le "Philosopher" consiste alors à s'interroger sur le sens de son existence et celle de tous les êtres, pour faire des choix personnels. Les enfants sont invités à vivre le sentiment d'appartenance à l'humanité en tant que personne du monde et interlocuteur valable au sein du groupe.
Le postulat de départ pour l'animation de l'atelier ne peut en aucun cas être représenté par le shéma1. Il serait plus proche du schéma 2. Toutefois, à aucun moment, il ne peut y avoir de passage du schéma 1 au schéma 2. Nous proposons en revanche un schéma 3 que nous allons expliciter.
Document (format PDF) : Les interactions dans un atelier-PHILOSOPHIE-AGSAS
I) Le travail de la pensée dans les ateliers de philosophie AGSAS
A) L'enfant au travail est génétiquement philosophe.
Nous proposons, sur le schéma 3, deux bulles pour chaque enfant. Celles-ci représentent la pensée personnelle qui émerge et la pensée groupale.
Il y a débat implicite et explicite. Il faut réfléchir, écouter, se questionner, construire de la pensée. L'enfant est à la fois en réception, en interaction et en production. C'est difficile, complexe, il faut soupeser, faire sien ce qu'on entend, dépasser son opinion en écoutant les autres...
Du fait que l'enseignant soit dans le silence, qu'il ne donne pas d'indication sur une exigence langagière, et que la source de réflexion ne soit qu'un mot inducteur, libère ainsi chacun, et lui permet, dans sa zone proximale de développement, tout en écoutant les autres, de faire des essais et de s'approprier de nouvelles formulations. Le regard des autres l'invite à une plus grande précision de vocabulaire et d'expression. Il y a des refrains, des répétitions pour faire sienne la pensée, le langage de l'autre. L'enfant n'est donc pas obligé d'apporter quelque chose de nouveau, il a le droit de répéter, de reformuler la pensée d'un autre. Il peut également rester silencieux pour écouter ou approfondir sa pensée personnelle.
B) L'enseignant ne prend pas la parole.
Mais il est là, très présent, accompagnant le groupe dans sa capacité à faire avancer la réflexion de chacun. Il dit à l'enfant qu'il est capable de penser sans que le maître intervienne : "Je sais que vous êtes capables de penser sans moi, sérieusement, en tant que personne du monde". La posture de l'enseignant est très spécifique. Ici, il accepte de suspendre sa parole pour que la pensée des enfants advienne. C'est pourquoi il peut apparaître dans le cercle ou à l'extérieur. Il ne juge pas, n'évalue pas, ne relance pas.
C) Jacques Lévine a fait le pari du mot inducteur
Ce mot permet à l'enfant de s'interroger sur ce que pensent les mots, sur ce que les mots pensent du monde. La séance fonctionne comme un mot dont la coquille se déchire pour laisser apparaître les expériences de vie dont il est porteur. Le bâton de parole circule de main en main. Il faut attendre son tour de parole pour parler et surseoir à son désir de réaction immédiate.
II) Les adultes animateurs sont des pédagogues formés
A) Ils connaissent les concepts de Jacques Lévine.
Jacques Lévine a mené un travail de recherche à partir de nombreuses expérimentations. Il a mis en évidence différentes étapes de la pensée de l'enfant (la pensée de l'émotion, la pensée factuelle, la pensée complexe). Face à un inventaire, l'enseignant ne sera pas surpris, parce qu'il sait que c'est un passage obligé pour aller vers un ordonnancement du monde, la catégorisation.
B) Ils connaissent les invariants et les variables de la méthode.
La préoccupation de chacun répond à cette question: "Comment aider tous les enfants à penser tranquillement, par eux-mêmes, pour eux-mêmes et ensemble les grandes questions de la vie".
C) Ils acceptent de suspendre leur parole.
Pendant la formation, l'enseignant est amené à réfléchir sur sa pratique habituelle de classe, sur la façon dont il gère la parole (80% du temps, c'est l'enseignant qui parle), sur l'autorisation à penser (On ne peut obliger un élève à penser).
A réfléchir également sur ses représentations du métier, par exemple sur le "tout faire en ne faisant rien", dont parle P. Meirieu.
Habituellement, dans la classe, l'enseignant pose des questions, guide, transmet et évalue de sa position de surplomb. Il veut emmener les élèves vers le sujet qu'il a préparé, il essaie d'aller plus loin. Il est pour eux celui qui connaît les réponses aux questions. Le plus scolaire d'entre eux essaiera de répondre comme le maître voudrait qu'il réponde dans une pensée normative. Celui pour lequel les apprentissages n'ont pas de sens, décroche.
Lors des ateliers de philosophie, l'enseignant accepte de suspendre sa parole pour permettre à chacun de se risquer à penser là où il en est ; il permet ainsi l'émergence chez les enfants d'une pensée autonome, vivante, responsable et authentique.
C'est la pensée du groupe qui va permettre à chaque enfant d'avancer dans sa pensée personnelle. C'est le travail personnel du passage de la pensée à la parole par le "langage orale interne" qui imposera à l'enfant des exigences sur la forme de son discours et sur des éléments illustratifs ou argumentatifs, afin de traduire le plus précisément possible sa pensée et se faire comprendre du groupe. C'est la pensée du groupe qui va permettre à chaque enfant d'avancer dans sa pensée personnelle. C'est le travail personnel du passage de la pensée à la parole par le "langage oral interne" qui imposera à l'enfant des exigences sur la forme de son discours et sur des éléments illustratifs ou argumentatifs, afin de traduire le plus précisément possible sa pensée, et se faire comprendre du groupe. Le silence de l'adulte, la qualité de son écoute et de sa présence, la capacité à instaurer un climat de confiance et de non-jugement, d'accueil de la parole sont les éléments travaillés lors des formations. Ce sont les conditions de la mise en place d'un "espace hors menace" (J. Lévine), qui permet aux enfants de se risquer à penser, et de prendre conscience que tous sont en train de contribuer à l'espace de pensée.
La formation des enseignants repose sur des échanges réguliers dans un groupe avec un formateur, des bilans. Il s'agit pour l'enseignant non d'apprendre des connaissances, mais d'évoluer sur une posture (état d'esprit), un autre regard professionnel.
Les Ateliers de Philosophie Agsas-Lévine développent chez les enfants les compétences nécessaires pour s'engager sur un cheminement philosophique.
Ce rendez-vous régulier avec la pensée est attendu avec impatience, quel que soit l'âge des enfants. Il suscite plaisir et désir d'en savoir davantage. Le rapport à la connaissance s'en trouve modifié.
L'atelier de Philosophie Agsas-Lévine "articule avec un rare bonheur le respect et la singularité de chacun et l'aspiration à l'universalité... L'intime et l'universel se répondent, s'appellent réciproquement, et permettent d'entrer dans les fondamentaux anthropologiques" (P. Meirieu). "En allant bien au-delà de la pédagogie, [ils préfigurent] une nouvelle conception de la vie relationnelle et de l'avenir de la condition humaine" (Jacques Lévine).
(1) Nous disons échange, et non discussion.