Revue

12es Rencontres sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques (Unesco - 14 et 15 novembre 2012)

A l'initiative de Philolab, association de promotion de pratiques philosophiques à l'école et dans la cité2, et à l'occasion de la Journée Mondiale de la philosophie de l'Unesco. se sont tenues pour la douzième année les Rencontres sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) à l'école et dans la cité, coordonnées par Edwige Chirouter. Plus de cinq cents adultes s'étaient inscrits, et une centaine d'enfants ont participé aux démonstrations de pratiques.

M. Cromley, responsable de la section Développement Durable et Ethique de l'Unesco, mettait la Journée Mondiale de la Philosophie en perspective de la jeunesse future3. Une cérémonie très symbolique et très émouvante voyait d'ailleurs, en présence de la Secrétaire Générale de l'Unesco, plusieurs classes de primaire et de collège lire publiquement ce qu'ils souhaitaient pour les enfants du futur. Leurs voeux étaient mis dans deux capsules d'acier qui furent ensuite enterrées avec eux dans les jardins de l'Unesco, avec une plaque demandant qu'elles ne soient ouvertes que dans cinquante ans, par les enfants de 2062...

Après le point sur les travaux des différents chantiers de Philolab (Philocité, Philoécole, Philoformation, Philosoin, Philoart, Philotravail), il revenait à Philippe Meirieu, professeur des universités à Lumière Lyon 2, et grand pédagogue, d'ouvrir les Rencontres par une remarquable conférence introductive sur "L'éducation à la complexité".

Avant de présenter le travail des principaux chantiers pendant le colloque, signalons le ciné philo animé par Ollivier Pourriol4 : autour du thème des catastrophes, il projetait des extraits de films catastrophes, et en faisait une analyse philosophique ; il montrait par exemple comment dans le film Titanic, émergeait à la fin un renversement des valeurs, comme si la mort mettait à égalité les classes sociales... Comme chaque année, il y eut aussi un café philo, animé par G. Gorhan, du café philo des Phares, et des démonstrations de philosophie avec les enfants selon les différentes méthodes (Lipman avec Véronique Delile, Agsas avec Véronique Schutz, Tozzi, Philoteam avec Claire De Chessé...).

Chantier Philoécole (Edwige Chirouter)

Deux aspects ont été particulièrement développés : sur les modes à la fois de la rupture et de la continuité. Pour la rupture, il a semblé qu'il fallait porter la réflexion au-delà de la seule didactique de la philosophie. Depuis de nombreuses années maintenant, nous travaillons sur les compétences réflexives développées dans les ateliers de philosophie (problématiser, argumenter, conceptualiser) ; nous avons démontré que la philosophie était accessible aux enfants (ce qui n'était pas gagné, tant les réticences voire les hostilités de l'institution étaient nombreuses). Il nous semble que le combat est presque gagné et que nous avons acquis une certaine légitimité (il est tout à fait possible que dans les prochains programmes de "morale laïque", il y ait des incitations à des moments de discussions à visée philosophique). C'est donc au-delà de la didactique de la philosophie que nous nous dirigeons pour travailler sur les effets de ces ateliers sur le rapport au savoir et l'estime de soi des élèves. Plusieurs interventions sont allées dans ce sens, comme la présentation du groupe de recherche Phileas de l'Université de Nantes (Cren), ou la communication de Marie-France Daniel (Montréal) et Marta Gimenez (Madrid) sur les émotions en maternelle.

Dans la continuité des travaux, le chantier Philoécole continue à réfléchir sur les supports qui peuvent être utilisés lors des ateliers de philosophie à l'école : il a été notamment visionné les premiers épisodes d'un dessin animé, Miss Questions, qui passera très prochainement sur France 5 ; d'une "ballade philo" présentée par Pascaline Dogliani et Isabelle Duflocq ; et, plus en direction des collégiens et des lycéens, une démonstration de "Rock et Philo" par Francis Métivier (Blaise Pascal expliqué via Nirvana, Bashung Bowie, etc.).

Le chantier Philoécole s'est clos avec l'envie de travailler en plus étroite collaboration avec les autres chantiers. La problématique de l'estime de soi rejoint bien évidemment par exemple celle de Philosoin ; la question de la formation revient constamment dans nos échanges ; les supports nous rapprochent aussi des questions de Philoart. Espérons que les Rencontres de l'année prochaine permettront des moments de rencontres et d'échanges entre les différents chantiers.

Chantier Philoformation (Nathalie Frieden et Véronique Delile)

Le succès avéré depuis 20 ans des Nouvelles Pratiques Philosophiques a fait naître un grand besoin de formation. Partout dans le monde des personnes cherchent à apprendre à animer, partout se montent des cours, des stratégies d'apprentissage s'inventent, des exercices se développent. Le chantier Philoformation, dirigé par Nathalie Frieden (Suisse) et Véronique Delille (France), est né pour mutualiser toutes ces richesses, pour les faire connaître ; et pour permettre à un maximum de personnes d'en profiter, le chantier s'est attelé à la création d'un manuel collaboratif en ligne.

La première journée du colloque a été consacrée pour Philoformation aux communications. Le matin, nous avons entendu Michel Tozzi sur "Observer une discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) pour l'analyser : pourquoi observer ? Quoi ? Comment ?". Il a rappelé que la discussion philosophique n'avait pas pour lui un seul enjeu philosophique mais également un enjeu démocratique. Cet enjeu est visible dans le protocole qu'il utilise au travers de la typologie des règles posées pour l'échange philosophique. Il a aussi souligné la fonction formatrice du rôle d'observateur, qui permet de comprendre les différentes fonctions du protocole de l'extérieur, et fait travailler l'analyse en la distinguant du conseil ou du jugement de la personne.

Ensuite Marie-France Daniel (Québec) est intervenue sur "Pensée critique : comment faire progresser la pensée des élèves au-delà du relativisme ?". Quand un groupe vit les premières discussions, chacun s'intéresse avant tout à pouvoir dire ce qu'il veut dire, à tout prix : c'est ce qui est identifié comme la "perspective égocentrique". Si une vraie progression a lieu, elle tend vers un idéal de "communauté de recherche", où un groupe regarde dans une même direction, celle d'un bien commun, c'est alors la "perspective intersubjective" qui est mobilisée. Entre les deux extrêmes il y a une progression qui passe par la "perspective relativiste". Cette progression et ces étapes font l'objet des recherches de Marie-France Daniel, tant au niveau psychosocial que cognitif.

En fin de matinée Antonietta Specogna et Valérie Saint-Dizier ont présenté "La logique interlocutoire pour l'étude des discussions à visée philosophique". Elles ont montré l'importance de l'approche linguistique pour la compréhension de la richesse de la discussion et des dimensions diverses qui composent l'intercompréhension. La logique interlocutoire permet de découvrir et de formaliser la dimension relationnelle et opératoire de l'activité dans des interactions langagières. La conférencière a présenté la logique interlocutoire, son fondement épistémologique, son cadre paradigmatique (le constructivisme et le paradigme de la communicabilité), les différents modèles qui la composent. Grâce à la sémantique générale de Searle et Vanderveken, on peut mieux comprendre le processus en jeu.

L'après-midi, Sylvain Connac a traité "De la DVP à l'école aux pratiques extra-scolaires" et nous a montré comment, bien que pensée et créée pour la classe, la discussion philosophique pouvait être utilisée dans des contextes hors-scolaires. Il s'est attaché à identifier quels étaient les changements que ce nouveau contexte apportait à la pratique, en mettant le plaisir au centre, avant-même les apprentissages. Il a aussi pu parler de l'outillage inventif qu'il utilise, notamment l'effacement - où, lors du premier tour de parole, l'adulte n'intervient pas -, ou encore la notion de pagaille - l'adulte émet un contre-exemple, ou lit une citation d'auteur qui vient ébranler un consensus trop rapide. Sylvain Connac a donc pu évoquer des gestes d'animation précis et mettre à disposition un canevas de préparation de séance, qui nous permet d'avancer dans la question de la formation et de l'outillage des animateurs.

Enfin, Mathieu Gagnon (Québec) a présenté les "Enjeux de l'intégration de la pratique philosophique aux didactiques spécifiques : le cas de l'Ethique et Culture Religieuse (ECR) au Québec". Il s'agit ici de penser l'adaptation à un changement de contexte intra-scolaire. En effet, la discussion philosophique s'inscrit dans l'enseignement secondaire et l'évaluation des apprentissages y est indispensable. Mathieu Gagnon identifie la nécessité d'avoir une action d'information et d'institutionnalisation, de travailler l'arrimage des compétences travaillées grâce aux Communautés de Recherche Philosophique à celles du programme, de s'appuyer sur les enseignants motivés et volontaires en partant de leurs pratiques pédagogiques pour les enrichir et les complémenter, et non pas faire table rase de la richesse et des savoir-faire, adapter la formation à l'animation afin qu'elle soit au plus près du contexte réel des futurs animateurs.

Lors de la deuxième journée, Nathalie Frieden et Véronique Delille ont été rejointes par Emmanuelle Auriac-Slusarczyk, Sylvain Connac, Mathieu Gagnon, Jean-Charles Pettier, Véronique Schutz et Michel Tozzi pour une table ronde. Celle-ci s'est faite autour de deux schémas de discussions. Dans l'un, l'animateur est très présent. Dans l'autre il ne l'est plus du tout, ou beaucoup moins. Très schématiquement, la question était : "Est-ce que le passage de l'un à l'autre est un progrès ? A quelles conditions y a-t-il de la qualité dans les échanges représentés par chacun de ces schémas ? Comment s'y prendre pour passer de l'un à l'autre ou de l'autre à l'un si le passage nous semble un progrès ?".

Au cours des échanges, les discutants ont souligné que dans la progression d'un groupe dans la pratique de la discussion philosophique sur plusieurs séances, les objectifs pédagogiques, philosophiques et sociaux étaient nombreux. Cette pluralité d'objectifs et la pluralité des moments de discussion philosophique pour un groupe engagé dans ces pratiques sur le long terme peuvent amener à mobiliser chacun des deux schémas. Les discutants ont également évoqué des schémas fantômes, d'autres schémas encore que ceux présentés, imaginant des schémas-synthèse de ces deux, ou encore les enrichissant d'interactions invisibles dans ceux de départ -comme par exemple la flèche de soi à soi d'un participant, rendant compte de la pensée réflexive, muette certes, mais présente et indispensable à la progression dans les échanges. Lors des échanges avec la salle, de nombreuses et passionnantes questions ont été abordées, notamment la question de l'accompagnement et de la constitution de collectif de professionnels ou de groupe d'échanges de pratique pour assurer la formation continue par les pairs après une formation initiale à l'animation de discussion philosophique ; la question des spécificités des discussions philosophiques et de ses outils par rapport aux discussions scientifiques ; la question du devenir auteur de sa propre pratique et de l'émergence de pratiques plurielles ; la porosité des outils et des exercices par rapport aux méthodes employées ou écoles de référence, etc.

L'après-midi, nous avons vécu un atelier de travaux pratiques sur la formation. En effet, Mathieu Gagnon a présenté des extraits de séances filmées en classe. Il a permis aux participants de Philoformation de repérer à la fois de bonnes pratiques, mais aussi des erreurs courantes d'animation, en dirigeant chaque fois le regard sur les gestes de l'animateur et sur leurs effets. Il a permis également d'identifier des outils de co-animation à proposer aux enfants.

Chantier Philosoin (Marianne Remacle, Belgique)

Ces deux journées consacrées à la philosophie et au soin, à la philosophie comme soin, à la philosophie pour le soin, visant au dialogue et à la réflexion commune entre théoriciens et praticiens, ont commencé par la question du soin "philosophique". Philosophie et soin, ou le soin philosophique : deux connecteurs logiques dans ce titre, qui ont conduit à nous questionner sur le lien entre la philosophie comme sagesse et style de vie, et le soin qu'intime la souffrance (Odile Gilon de l'Ulb).

En quel sens comprendre philosophiquement l'idée de soin ? En quel sens la philosophie pourrait-elle constituer un soin, voire une thérapie ? La philosophie engage, depuis l'Antiquité, comme sagesse, un rapport entier à l'existence, et non seulement le soin ponctuel relatif à une pathologie précise : d'où, comment comprendre ce soin de l'âme aujourd'hui ?

Quelle est la place de l'imaginaire dans la pratique philosophique comme soin ? (Odile Gilon) L'imagination, souvent considérée sous son angle pathologique dans la cure psychanalytique, ne pourrait-elle être utilisée comme "connaissance à part entière" ?

La temporalisation que permet l'imagination, notamment par la ritualisation, semble fondamentale pour la structuration de la personnalité. Odile Gilon pose la question, notamment aux médecins, de savoir s'il l'on peut "éduquer" l'imagination, au sens où l'on aiderait ainsi l'enfant à la développer, à la canaliser et à changer le rapport à autrui.

Qu'est-ce qui est proprement thérapeutique dans la philosophie ? "Penser par soi-même" ne consiste-t-il pas uniquement à pouvoir réorganiser le discours de l'autre ? Le réveil de la "vie philosophique" provient-il de la philosophie elle-même ou de la souffrance ?

Ces deux journées n'ont pas suffi à répondre à toutes ces questions. D'autres se sont greffées aux premières.

Esquisse de réponses

Dès l'Antiquité, le lien entre le corps et la philosophie conduit à l'idée d'une puissance soignante de celle-ci : mais y a-t-il un apaisement possible après certaines émotions, certains traumatismes ? (M.C. Rejas, C. Leblanc).

Poser la question du traumatisme, et en particulier du traumatisme chez les enfants, de ce qui "ne se dit pas à autrui, ni à soi-même", c'est poser la question du sens (M.C. Rejas). En effet, l'enfant classe, dans sa "bibliothèque mentale", ces traumatismes comme des émotions brutes, "comme des éléments qui n'ont rien de commun avec les éléments déjà soigneusement rangés", faute de temps, faute d'ouverture, en raison de peurs, ou de menaces intenses (C. Leblanc et le Dr. Pierre). Nous comprenons avec le Dr. Pierre que la force de l'émotion brute ne permet pas toujours la parole, et que si le langage n'a pas fait son travail de codage des émotions, alors elles deviennent une menace. L'émotion traumatique oblige une inversion entre le sujet et l'objet : l'émotion est devenue le sujet et le patient devenu l'objet de ses émotions. Le passé ressurgit dans le présent, s'y écrit comme lui-même et le commande. Cette transposition dans le présent (c'est-à-dire "ce qui est là pour moi ") C. Leblanc et le Dr. Pierre la définissent "comme perméabilité du présent par rapport aux autres moments de la vie".

Dans le contexte psycho-pathologique d'"enfants dys" (Sylvie Sanchez-Olivier), d'enfants ou d'adolescents anorexiques (Corinne Pieters et le Dr. J.P. Benoit), d'enfants atteints de troubles du comportement (Johanna Henrion, Julie Ribalet), l'atelier philo, mais peut-être aussi la consultation philosophique sous forme de discussions "disputatives", de dialogues constructifs et de récit de vie au sens où Ricoeur l'entendait, peut être un outil pour changer de posture, un outil de "déconstruction de l'autonomie narcissique de l'âme soumise à l'inconscient" (Alice Vendetti).

Une étude doctorale, menée par Johanna Henrion, teste actuellement au travers d'un conte philosophique comment la pratique de la discussion à visée philosophique, autour de concepts porteurs et de modèles identificatoires résilients, permet à des élèves, inscrits dans un parcours d'apprentissage professionnel (métiers du bâtiment ), de symboliser le traumatisme, de donner sens à son existence et de se projeter dans l'avenir. Comment la discussion à visée philosophique devient un "tuteur de résilience" pour passer du non-sens au sens ?

Marie-Carmen Rejas soulignait une sorte de paradoxe dans le travail philosophique, à savoir que celui-ci ne peut s'opérer que si l'on a déjà fait un chemin... philosophique. Faire de la philosophie et y trouver du soin présuppose déjà que l'on soit, d'une certaine façon, guéri. Pour l'auteure, l'atelier philo est le lieu où "il se passe quelque chose" (l'évènement selon Deleuze) : c'est en ce sens, très large, qu'il faut comprendre "faire de la philosophie".

Tentative de conclusion

Nous pouvons affirmer dès lors que :

  • La DVP peut elle-même servir de "tuteur de résilience" pour passer du non-sens au sens.
  • La pratique de la philosophie est recherche d'un "revivre", au sens d'une reformulation de la pensée ("Tiens, je n'y avais pas pensé"). Le dialogue philosophique permet l'échange et le changement de perspective : c'est donc à part entière une expérience de l'altérité. La philosophie est "thérapeutique" dans la mesure où elle permet un travail sur le traumatisme dans l'indirect. Il apparaît donc que le "philosopher" permet de mettre à distance l'envahissement par l'affect, car il renvoie au réel connu ; mais est-ce cela qui est désirable ?

Chantier Philoart (Jean-Pierre Bianchi)

Voici deux communications marquantes pour ce chantier :

1) Intervention de Farida Zekkari et Camille Formenti pour l'association Philosophart.

Farida Zekkari, chargée de projets et metteur en scène, et Camille Formenti, philosophe, nous ont projeté un document vidéo présentant l'association Philosophart de Lyon.

La démarche novatrice de Philosophart, nous explique Héléna Hugot, la directrice générale et fondatrice de Philosophart, est d'associer ateliers philo pour les enfants et ateliers de pratique artistique au sein d'une même séance, afin, précise-t-elle, de matérialiser les idées qui sont nées dans la discussion philosophique au moyen d'arts plastiques, de danse ou d'expression théâtrale.

La vocation de cette association est internationale puisqu'elle a mené aussi bien des actions au Vietnam, qu'en Haïti, ou sur l'agglomération lyonnaise.

La vidéo nous présente différents extraits d'ateliers de discussion philosophique menées dans des classes maternelles ou élémentaires, et l'on voit notamment que les animateurs, qui sont toujours, nous précise-t-on, des professionnels formés (minimum Master 2 de philosophie), utilisent quelques outils bien connus des Nouvelles Pratiques Philosophiques, dont le bâton de parole, mais sans pour autant pouvoir déterminer le degré de guidance exact de l'animateur. On suppose, au vu des différents extraits de pratiques présentés par la vidéo, que celui-ci n'est pas forcément uniformisé au sein de l'association, et dépend du vécu et de l'expérience de chaque animateur.

Chaque atelier de discussion philosophique est suivi d'un atelier de pratique artistique qui reprend le thème abordé pour l'approfondir, le matérialiser, le fixer... Cette pratique artistique est le plus souvent d'ordre plastique ou théâtrale, et elle est animée par un animateur différent, qui est un professionnel reconnu soit en art dramatique, soit en arts plastiques. Comme les séances durent en moyenne de une heure trente à deux heures, l'atelier philo dure généralement de trois quarts d'heure à une heure et l'atelier artistique également.

Les enseignants des classes concernées, dans lesquelles est intervenue l'association, nous livrent leur ressenti, et se disent très satisfaits de cette démarche qui mêle philo et art pour aider les enfants à développer leur réflexion sur le monde qui les entoure. Ils jugent que ce travail mené régulièrement a permis de les faire notablement évoluer sur le plan du langage, de la mise en mots de leur pensée, et sur l'acquisition des codes et des règles de la discussion. Ils insistent aussi beaucoup sur l'aspect bénéfique dans le groupe pour apprendre à respecter la parole de l'autre, ainsi que sur le rôle facilitateur de ces ateliers sur les enfants les plus inhibés, sur ceux qui ne s'autorisent que très difficilement à prendre la parole dans le groupe. Ils notent l'engouement fort des enfants pour cette activité et même qu'il arrive souvent que les parents soient associés, lorsque le thème du débat est rapporté à la maison et se continue au domicile de l'enfant.

Jacques-Pascal Bryf, philosophe et ancien responsable des formations internationales à l'IUFM de Lyon, souligne que la première chose que l'enfant apprend dans ces ateliers, c'est qu'il a l'autorisation de parler, et qu'il apprend à être sérieux dans ce qu'il dit, qu'il comprend que la parole peut être très sérieuse, autre chose qu'un objet de divertissement.

Le film se termine par des témoignages de parents d'élèves, et l'un d'entre eux relève l'importance du questionnement sur pourquoi ou comment on fait les choses, dans un monde où les réponses scientifiques qui s'imposent sont souvent les plus prégnantes.

La discussion avec la salle qui a suivi la projection a surtout permis de clarifier certains points présentés dans la vidéo.

2) Intervention de Marie Levavasseur pour la Compagnie Tourneboulé

Marie Levavasseur est comédienne, metteur en scène et directrice artistique de la Compagnie Tourneboulé. Cette compagnie théâtrale, qui est identifiée "Jeune Public", a également la volonté de s'adresser aux adultes accompagnants et de proposer des spectacles qui se situent à plusieurs niveaux de lecture.

C'est à l'occasion de l'écriture de sa dernière création : "Comment moi je", qu'elle s'est particulièrement intéressée à la philosophie avec les enfants... Elle nous raconte elle-même le point de départ de cette aventure :

"La première fois que je me suis intéressée à cette question de la philosophie pour enfants, c'est avec cette nouvelle création, parce que j'ai pris la philosophie comme point de départ pour écrire ce nouveau spectacle. Même si la naissance d'un spectacle est toujours une rencontre de plusieurs désirs, une alchimie étrange entre plusieurs facteurs, il y a eu très certainement l'envie de vouloir faire un spectacle qui s'adresse à de plus jeunes spectateurs, à partir de la maternelle, même si la question de l'adresse est un point complexe. Il est impossible de ne pas prendre en compte la spécificité de la personne à qui on s'adresse. Si je suis artiste, c'est d'abord parce que j'ai envie de dire des choses. Il se pose ensuite la question de comment j'ai envie de le dire, et de manière indissociable à qui j'ai envie de le dire.

Je crois que si j'ai mis dix ans avant de faire un spectacle pour des plus petits, c'est que je voulais un propos fort. Souvent les spectacles que j'ai vu font appel aux sensations : l'ouïe, le toucher, les éléments naturels. On reste dans le domaine du sensoriel. J'avais au contraire envie de m'adresser à l'intellect des jeunes enfants. J'avais envie d'une question forte et c'est ce qui m'a emmenée sur le chemin de la philosophie.

Mais comment écrire un spectacle qui donne envie de réfléchir, de poser des questions, d'interroger la place de la philosophie dans notre société, et notre manière d'appréhender cette discipline ?

Tous les échanges, le travail mené depuis dix ans auprès de ce public, m'ont aussi considérablement nourrie. Que ce soit avant, pendant, ou après la création, on a cette chance, dans le jeune public, d'être très sollicité pour des rencontres, des ateliers, des échanges en dehors du cadre de la représentation. Tous ces moments de partage avec des enfants ont nourri notre travail, nous ont placés dans une relation d'échange, qui nous a naturellement conduits à nous interroger sur notre rapport à l'enfance et notre manière de la considérer, savoir à quel enfant on s'adresse... J'ai la conviction que l'enfant est un être sensible, avec ses propres émotions, sa volonté, capable de réfléchir, avec le désir d'être agent de sa propre vie, et je me retrouve complètement dans cette démarche de la philosophie avec les enfants.

D'autre part, les questionnements philosophiques ont toujours nourri le travail de la création de la compagnie : à chaque point de départ de nos spectacles, il y a toujours eu une question philosophique comme la peur et la difficulté d'aimer dans notre première création, la mort, le deuil, l'abandon, dans la seconde, être un garçon ou une fille dans la troisième... Ce nouveau spectacle s'inscrit dans la continuité des précédents".

- Marie Levavasseur, comment avez-vous travaillé pour créer ce nouveau spectacle, "Comment moi je" ?

"Au préalable, on a procédé à des temps de recherche en plateau où l'on a improvisé autour de thèmes philosophiques, du personnage du philosophe, toujours en cherchant un point d'ancrage très concret et en reliant les impros à notre univers proche de l'objet. Il y a eu également des temps de labo d'écriture, où je me suis nourrie de pas mal de lectures. Le film Ce n'est qu'un début m'a beaucoup inspiré également. J'ai relu un peu de philo, mais très vite j'ai eu peur de me perdre, n'étant pas philosophe et n'ayant aucune envie de repasser mon bac! Enfin, des temps de labos avec le public (interview dans les écoles, répétitions publiques) m'ont permis de tester les images qui fonctionnaient et le niveau de compréhension des enfants.

Rapidement je me suis demandée comment aborder cette question de la philosophie : qu'est ce que cela signifiait de parler de philosophie à des petits ? Comment aborder des thèmes de philo avec ce public ?".

- Quelles ont été vos principales difficultés ?

"J'avais plusieurs peurs, dont, en particpulier, celle de faire un spectacle pédagogique, mais aussi la peur de faire de la philosophie de comptoir parce que je ne suis pas philosophe et ne maitrise pas les concepts, ou bien encore la peur des adultes, toujours très inquiets que les enfants ne comprennent pas tout, et enfin la peur du formatage scolaire : on a le droit de lever le doigt seulement quand on connaît la bonne réponse. La prise de parole est une initiative compliquée, autant parfois pour les enfants que pour les enseignants.

Je me suis affranchie de cette angoisse, en me disant que la philosophie pouvait être quelque chose de très simple. Etait-ce la philosophie en tant que somme de connaissances qui importait, ou l'acte même de philosopher ? Avais-je envie d'aborder la philosophie au sens ancien de recherche d'un savoir complet ou au sens actuel de réflexion critique qui permet d'apprendre à réfléchir, à penser par soi-même ?".

- De quelles aides avez-vous bénéficié ?

" Jean-Charles Pettier m'a aidée pour la construction de l'écriture. Par exemple, j'ai écrit une scène abordant le thème de la mort suite à ses retours. Il m'a également beaucoup apporté sur le niveau de compréhension des enfants, en me faisant des remarques précises sur le choix des mots. C'est lui aussi qui m'a aidée à construire l'accompagnement pédagogique autour du spectacle. J'avais envie que ce spectacle soit un point de départ, une invitation à entrer en philosophie, et il me semblait fondamental de pouvoir donner des éléments aux enseignants et aux parents pour l'organisation de goûters philo après les représentations, la création de valises pédagogiques à exploiter en classe (adaptées en fonction des différentes tranches d'âge), et enfin la création d'une exposition attenante aux spectacles (en cours de réalisation). Sa présence était pour moi importante, car même si on ne se situe pas aux mêmes endroits et si son regard est plus proche de celui du pédagogue, il me donne une légitimité et une liberté plus grande dans l'écriture".

- Quelle histoire raconte votre spectacle ?

Comme je voulais travailler sur la question "Qui suis-je ?", j'ai choisi un personnage "en devenir", qui n'a pas encore d'identité. Il ne sait pas qui il est, car il n'a pas de prénom. Il n'a pas de papa, pas de maman et ne doit compter que sur lui-même pour apprendre à grandir. Pied de nez à la philosophie, Bric à brac, personnage principal de l'histoire, ne se pose pas de questions métaphysiques (ou presque !). Elle répond à chaque fois aux situations qui lui sont proposées de manière très pragmatique. C'est à travers les expériences qu'elle traverse que se posent les questions philosophiques : l'autre, la mort, l'amitié, le fini et l'infini, la filiation, la peur... avec, à chaque fois, en fil rouge, la question "Qu'est-ce que grandir ?".

Le thème de l'abandon est évidemment central mais il n'est pas abordé frontalement, et jamais de manière psychologique. Il est évoqué de manière très suggestive et poétique. C'est davantage le sentiment d'abandon et le fait de savoir comment il résonne en chacun de nous qui m'intéressait, parce qu'il est aussi fondamental dans les étapes de notre construction.

L'autre personnage central de l'histoire est le personnage de Jean-Pierre, philosophe par nature et de profession. Est-ce un hasard ? C'est la première rencontre que fera Bric à brac, une rencontre décalée et inattendue qui sera déterminante dans son parcours. Jean-Pierre, personnage drôle et attachant (et qui adore les questions) se prendra au jeu et tentera d'apporter des réponses aux questions de la petite fille. Jamais dans l'affect, il garde toujours de la distance et renvoie souvent la petite fille face à ses propres interrogations. Il lui apprend à réfléchir, à trouver ses propres réponses. Il sera lui aussi bousculé par cette rencontre et finira par accepter de devenir marraine de l'enfant... (Oui, j'ai bien dit marraine !).

Quelques thèmes traversent la pièce, comme l'amitié, qui est la prise de conscience de l'autre, du partage. Peut-on vivre sans les autres ? Est-ce que l'autre est un autre moi ? A l'âge de la sociabilisation et des premiers liens d'amitié, c'est une expérience forte dans le parcours de Bric à brac. Le thème de la mort, également, est important car il est fondamental dans la construction de la pensée de l'enfant de quatre ans. La prise de conscience du "Je" à cet âge là est simultanée à la prise de conscience de la mort. A partir du moment où je réalise que je peux mourir, je prends conscience de mon existence, et inversement. Enfin, la peur est présente dans tous les contes initiatiques : l'expérience de la peur est fondatrice dans la construction de l'identité. Comment réussir à dépasser ses peurs ? A quoi sert la peur ? Est-ce que c'est normal d'avoir peur ? On sait combien le loup est un personnage emblématique chez les enfants !".

- Et au niveau de la mise en scène ?

"La scénographie peut aussi être présentée comme une métaphore de la philosophie. Dorothée Ruge a imaginé avec moi un univers très poétique et symbolique du parcours de Bric-à-Brac. Un espace en construction, en devenir, comme cette petite fille qui arrive au monde et qui n'est pas encore tout à fait finie. Au centre du plateau, il y a cet arbre bobine, arbre qui évoque aussi l'arbre à palabres ou les colonnes de la Grèce antique, comme cette espace que nous avons imaginé en référence à l'agora. Il est le point central de l'histoire et c'est aussi le lieu refuge du philosophe. C'est aussi de là que se tireront tous les fils de l'histoire. Fils de laine, fils de dentelles cousues, fils à retordre, comme ces fils de la pensée qui nous façonnent. C'est de là que Rémy le musicien tire les fils de son tricot qui lui sert à construire ce grand cocon qui abrite l'espace de jeu et les gradins. Un enfant à qui nous avions demandé ce qu'il avait compris du mot philosophie, nous avait répondu : "Philosopher, ça veut dire tricoter !". C'est exactement ça, philosopher, c'est tricoter avec des idées ou des concepts dans sa tête !

Dans le spectacle, j'ai voulu également faire référence à des grands contes du répertoire qui abordent aussi de vastes questions philosophiques. J'avais envie sous forme de clin d'oeil et de manière décalée de renvoyer à toute la dimension très complexe et riche de l'interprétation de ces contes".

- Que diriez-vous en forme de conclusion, Marie Levavasseur ?

"Même si la philosophie était un point de départ, il y avait l'envie de considérer l'enfant comme une personne capable de réfléchir par elle-même ; j'espère toujours, quand je crée un spectacle, qu'il résonne au-delà de ce que j'avais imaginé au départ. D'où l'importance de l'émotion, de l'humour, des images... Cet exercice d'analyse reste difficile pour moi car même si la dramaturgie était un espace de recherche important, je fonctionne de manière très intuitive. Je réalise que chaque spectacle est une porte d'entrée vers le suivant. Je sais déjà que tout ce processus de création - processus "d'accouchement"- m'aura aussi aidée à avancer dans mon parcours personnel, et m'a aidée à porter un nouveau regard sur cette discipline que j'associais de manière trop restrictive à l'année de ma terminale et comme "matière du baccalauréat." J'aurais certainement aimé, quand j'étais enfant, qu'on m'invite sur le chemin de la philosophie...".

Chantier Philotravail (Claire De Chessé)

La journée du 15 novembre a porté sur le thème : "Délibérer en organisation : entre utopie et pragmatisme". Coorganisée comme workshop par l'équipe Primal de l'Université Paris-ouest Nanterre et le chantier Philotravail de Philolab, le chantier s'est interrogé sur l'actualité de la délibération dans les organisations, avec une intervention sur "De l'éthique de la discussion à la rationalité délibérative" (Université Danemark) ; et sur la pertinence du modèle délibératif pour les organisations, avec des interventions sur "La démocratie en entreprise : justification et possibilité" (Université de Louvain), et "La démocratie délibérative, un modèle pour les organisations ?" (Université catholique de Lille).

Chantier Philocité (A. Ahouandjinou)

Au théâtre de la cité universitaire internationale avant le spectacle et avec les spectateurs, à l'hôpital avec des soignants, dans un foyer de jeunes travailleurs avec les résidents et les professionnels, dans la commune de Tremblay avec les parents, les professionnels de l'animation et les enseignants, au Café des Phares à la Bastille avec qui veut, au sein d'un club de dirigeants ou encore dans un service social, une philosophie "en chantier et débat" s'invite étonnamment. On lui fait une place hétérodoxe, provisoire, apparemment sans lien avec la raison d'être de l'institution. On brouille un peu les rôles et les statuts, à moins qu'on en cherche les limites et l'étendue. Quels rapports y a-t-il entre toutes ces pratiques dans la cité, entre philosophie de travail, au travail, philosophie politique, philosophie esthétique et morale, socio-philosophie ?

Une conversation entre Gunter Gorhan et Bernard Benattar, praticiens de longue date de la philosophie "multi modale", a cherché à en élucider le sens et les enjeux. Comme très souvent, le déroulement effectif fut différent de ce qui avait été prévu.

Avec une vingtaine de personnes, Alexandra Ahouandjinou, "chef de chantier" de Philocité introduisit les échanges, en insistant sur le nécessaire devenir citoyen de la philosophie, tout en faisant le lien avec le thème central de la complexité...

Les deux praticiens de la philosophie furent d'accord sur une trame commune de leurs pratiques, quel que soit l'endroit ou le public : recherche puis mise en commun de vérités subjectives, mais en droit universalisables.

Bernard Benattar notait tout de même une demande pressante et légitime à ses yeux, propre au monde de l'entreprise, une efficacité opérationnelle des réflexions partagées.

Un café philo fut aussi organisé, animé par Gunter Gorhan, en lien avec le thème central de la complexité : "Pourquoi faire simple si on peut faire compliqué ?", avec une quinzaine de personnes, un certain nombre d'intéressés n'ayant pas trouvé le lieu indiqué de façon contradictoire sur les panneaux...

Après avoir introduit nos échanges en énonçant les règles (prises de parole dans l'ordre chronologique, priorité pour les premières), une problématique possible fut esquissée : lorsque le sujet à propos de la complexité est posé dans un café philo - ce qui fut le cas à plusieurs reprises depuis la vingtaine d'années que Gunter Gorhan en anime, s'opposent les "simplificateurs" et les "complexificateurs".

Les simplificateurs, schématiquement, défendent le "il n'y a qu'à", prônent la méthode forte d'Alexandre le Grand face au noeud gordien, tandis que les complexificateurs vous paralysent, en objectant à tout argument : "mais c'est plus compliqué !". Fut également résumée la position d'Edgar Morin, ni simplificateur, ni complexificateur, qui aime citer B. Pascal : "Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de connaître le tout sans connaître les parties...". Le reproche souvent fait à la pensée complexe est de paralyser l'action, puisque celle-ci, par définition, simplifie toujours ; il est impossible de prévoir toute la complexité d'une situation future, à créer justement par cette action. La complexité n'est qu'un principe ou plutôt une règle pour penser la réalité avant d'agir.

Comme la plupart des participants assistaient pour la première fois à un café philo, les échanges qui suivirent portèrent surtout sur les enjeux, les méthodes et les différents styles d'animation.

Table ronde

Signalons aussi l'intervention d'Edwige Chirouter à la table ronde de l'Unesco "Philosophie et avenir de la jeunesse" le jeudi :

"La pratique de la philosophie avec les enfants se développe partout dans le monde depuis plus de trente ans. Ces pratiques bouleversent les représentations traditionnelles de l'enseignement de cette discipline, qui reste cantonnée dans la majorité des pays à l'Université ou aux études secondaires. Ces expérimentations reposent sur trois grands enjeux:

  • d'abord un enjeu anthropologique et existentiel, puisque la pratique de la philosophie avec les enfants est fondée sur la reconnaissance de l'enfant comme sujet (au sens psychanalytique du terme). L'enfant, en tant qu'enfant, vit au quotidien l'expérience originelle de "l'étonnement devant le monde", et pose parfois des questions métaphysiques avec beaucoup d'intensité ("Est-ce que le premier homme avait une maman ?", "Est-ce que Dieu a un Dieu ?", "C'est quoi être amoureux ?" etc.). Il s'agit alors d'écouter son questionnement, de le prendre au sérieux et de le guider dans sa recherche de sens ;
  • le deuxième enjeu est politique, puisque ces pratiques, essentiellement construites sur le modèle du débat démocratique entre les enfants, visent à former des citoyens éclairés, capables d'esprit crique et d'empathie ;
  • le troisième enjeu est plus didactique, puisqu'il s'agit de démocratiser l'accès à une discipline qui reste de fait élitiste. En France notamment, les expérimentations se mènent aussi dans l'enseignement spécialisé auprès d'élèves en échec scolaire ou en situation de handicap. C'est le pari de l'éducabilité philosophique de tous qui est ainsi affirmé

Mes recherches portent spécifiquement sur le lien entre la philosophie avec les enfants et la littérature de jeunesse.

Parallèlement au développement des expérimentations de philosophie avec les enfants, la littérature de jeunesse contemporaine a elle aussi pris de plus en plus en compte les interrogations métaphysiques des très jeunes lecteurs. La littérature de jeunesse est toujours un symptôme de la façon dont une société définit l'enfance. Quand on considère l'enfant comme une petite chose naïve, innocente, ignorante, alors on ne peut lui offrir que des récits qui correspondent à cette représentation, c'est-à-dire des livres mièvres et édulcorés sans aucune profondeur littéraire ou métaphysique ( Martine part à la mer, Petit Ours Brun va chez le docteur, etc.).

Le nouveau regard porté sur l'enfant depuis la fin des années 60 va permettre le développement d'une nouvelle littérature de jeunesse ambitieuse qui aborde avec subtilité de grandes questions métaphysiques ou les dilemmes qui traversent la condition humaine. Des auteurs comme Tomi Ungerer ou Claude Ponti offrent des récits très profonds sur la mort, grandir, la différence, la liberté, le bonheur. Depuis une dizaine d'années, on voit même apparaître toute une série de collections de "manuels de philosophie pour enfants" qui expliquent des concepts ou l'oeuvre des grands auteurs à destination de très jeunes lecteurs (comme les Goûters Philo ou les Petits Platons). Paul Ricoeur définissait la littérature comme un "grand laboratoire" permettant aux hommes "d'expérimenter les limites du bien et du mal". Les enfants sont tout à fait capables de saisir le sens et la portée philosophique des récits pour penser le monde et donner sens à leurs expériences.

Je conclurai mon intervention en affirmant que dans cette période troublée et traversée de "crises", il est plus que jamais nécessaire de saisir cette curiosité philosophique des enfants et leur passion pour les histoires pour permettre à tous d'apprendre à penser, de développer un esprit crique et de donner sens à cette complexité du monde".

Rendez-vous a été pris pour les 13es Rencontres, qui se dérouleront en novembre 2013 à l'Unesco.


(1) On trouvera dans Diotime les comptes rendus des précédents colloques.

(2) Philolab, présidé actuellement par Michel Tozzi, a un site : (http://www.philolab.fr), qui donne nombre d'informations sur les NPP, et sur lequel on peut gratuitement s'inscrire aux différents chantiers de l'association.

(3) Voir sur le site de l'Unesco le compte rendu de la Journée Mondiale de la Philosophie

(4) Voir sur le concept et la pratique du ciné philo le site d'Ollivier Pourriol : http://studiophilo.fr/cinephilo
Il a écrit chez Hachette un livre intéressant pour ceux qui aiment et la philosophie et le cinéma, puisqu'il croise les deux : Ciné philo - Les plus belles questions de la philosophie sur grand écran.

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