Les nouvelles pratiques philosophiques à l'école se sont surtout développées à l'école primaire, et des expériences ont eu lieu en Lycée professionnel. Mais peu d'expériences existent en collège1, en dehors des SEGPA où elles ont trouvé un terrain très favorable auprès d'élèves en difficulté scolaire2. Elles sont dans ce cas initiées :
- soit dans le cadre de l'heure de vie de classe, pour reprendre par exemple un problème conflictuel de façon non immédiatement régulatrice, mais plus distanciée, sous forme de discussion à visée réflexive ;
- soit par des professeurs de français, à partir de la littérature ou de l'étude de mythes, au cours de "débats interprétatifs", ou bien dans une visée d'entraînement à l'argumentation, un des champs fondamentaux de référence de la didactique de la discipline ;
- soit dans le cadre de l'éducation civique : la dimension citoyenne d'un débat sur l'égalité ou la justice pouvant être étayée philosophiquement ;
- soit sous forme d'ateliers au CDI, dans l'établissement...
Ci-dessous deux brefs comptes-rendus de professeurs d'histoire et géographie, avec leur culture disciplinaire : ou comment le débat philo peut se nourrir de recherches documentaires.
À PARTIR DE QUAND N'EST-ON PLUS UN ENFANT ?
Voilà la suite de mes tentatives d'atelier philo avec mes deux classes de sixième, toujours en coordination avec la professeur documentaliste de l'établissement. Le sujet retenu pour ce deuxième débat était : "À partir de quand n'est-on plus un enfant ?". Notre dispositif a pris un peu d'ampleur : la séance du débat proprement dit était précédée de deux séances préparatoires. Les élèves étaient séparés en deux groupes, l'un au CDI pour mener des recherches en rapport avec le thème, l'autre en classe pour préparer l'organisation du débat et rechercher des arguments. Les élèves étaient regroupés par équipes de trois ou quatre sur l'ensemble des trois séances, et comme la première fois, l'équipe désignait un représentant à chacun des deux débats se déroulant la dernière heure. Sans forfanterie, beaucoup de satisfaction... Il faut dire que les élèves comptaient les jours précédant le débat, me demandaient depuis un bon mois quand aurait lieu le prochain... Premier point positif, le dispositif a bien fonctionné. La collègue documentaliste a pu en profiter pour faire de l'initiation à la recherche documentaire, les élèves ont trouvé des informations intéressantes sur la puberté, le passage de l'enfance à l'âge adulte autrefois (évolution de l'âge de la majorité par exemple) ou ailleurs (le travail des enfants au Maroc, etc.). La recherche d'arguments a été très active : j'ai été bluffé par toutes les idées qu'ils ont trouvées, même après une grosse demi-heure de discussion sur le sujet. Les débats ont été de qualité inégale selon les deux classes : dans la première, de profil plutôt plus scolaire, plus sage, les débats étaient assez ternes, aussi bien par le contenu que par la forme. Les prises de parole étaient très brèves, chacun suivait le fil de sa pensée, les échanges se limitaient tout au plus à des questions-réponses entre deux élèves. Dans la deuxième, la qualité des discussions était remarquable, on avait vraiment l'impression d'une réflexion collective cheminant au fil des interventions. Je suis intervenu une ou deux fois par débat pour relancer un peu (est-ce qu'on peut décider de ne plus être un enfant ? Est-ce qu'on peut avoir envie de rester un enfant, comment devient-on adulte ?), mais bien souvent il y avait aussi une intervention d'élève pour recentrer la discussion lorsqu'on s'écartait du thème, ou essayer d'avancer. Au début, les élèves s'appuyaient beaucoup sur les notes prises lors des séances préparatoires, réutilisant les arguments ou les recherches, et s'en sont progressivement détachés. Et dans les deux cas, sur un quart d'heure de discussion, le président n'a eu à intervenir qu'une seule fois pour donner un avertissement... Les arguments échangés peuvent se regrouper en trois catégories : - des critères biologiques : "Monsieur, comment ça s'écrit haquené ?". Ce n'est pas rien d'écouter de jeunes élèves de 11 ou 12 ans échanger sur ce qui va arriver à leur corps dans les années à venir... Une jolie synthèse, de Arezki : on n'est plus un enfant quand on peut soi-même avoir un enfant... - des critères juridiques ou économiques : la majorité, le permis de conduire, le domicile, le travail, la dépendance aux parents, etc. - des critères moraux : quand on ne joue plus, quand on fait moins de bêtises, quand on fait son travail scolaire en se motivant tout seul sans avoir besoin de la surveillance d'un professeur, quand on n'a plus besoin d'être puni ; mais aussi quand on fait une crise d'adolescence, quand on se croit plus grand que les autres, quand on a envie de s'habiller comme on veut, quand on n'a plus envie de faire la vaisselle alors qu'avant on voulait la faire pour être comme les grands... Restent bien des questions, des envies pour la suite : - il semblerait préférable de faire trois débats de 10 minutes plutôt que deux d'un quart d'heure, pour que ce soit un peu plus tonique et pour permettre à plus d'élèves d'y participer ; il semblerait aussi plus utile de prévoir une sous question par débat, pour décliner les différents aspects du thème principal. - Que faire de toutes ces discussions ? J'ai des envies d'affiches, de comptes-rendus, mais c'est peut-être des caprices de prof qui veut absolument quelque chose de palpable, des occasions de travail écrit, qui a des scrupules de mener une activité essentiellement orale. Je me suis plusieurs fois demandé où était vraiment la limite entre une simple discussion entre amis, et un véritable débat. Quelle est la place des apprentissages dans tout ça, ou plus exactement faut-il faire davantage de place à des apprentissages plus traditionnellement scolaires ?...
Patrice Bride
ATELIER PHILO ET ATELIER DE RECHERCHE DOCUMENTAIRE
Nous avons mis en place une sorte d'IDD avec les élèves de cinquième dans le cadre de nos ateliers. Nous sommes partis de la lecture en classe du Petit Prince de Saint-Exupéry. Lecture qui a permis de faire émerger un questionnement, à l'image du Petit prince qui pose sans cesse des questions sur ce qu'il voit, à ceux qu'il rencontre (notre intention était de faire de nos élèves des Petits Princes éclairés...). Etape délicate où il s'agit moins de parler que de guider les remarques et le questionnement, de diriger les débats sans donner de réponses à quoi que ce soit. Au cours de ces premiers échanges, nous avons listé toutes les questions qui sortaient du groupe, sans exception, sans reformulation de notre part. En l'espace d'une heure, une trentaine de questions a été ainsi notée. Les champs sont très divers : on passe de "à quoi sert l'école ?" à "C'est pour quand la fin du monde ?" en passant par "L'homme est-il éternel ?". En gros toutes les questions tournaient autour du thème de l'homme face à ses ressources, dans le temps, mais surtout en regardant l'avenir - d'où le thème sous-jacent du développement durable, mais que nous n'avons jamais mis en avant. L'étape suivante a consisté à effectuer un tri de ces questions, en les rangeant dans deux grandes catégories : ce qui relève de la connaissance et de recherches et ce qui relève des idées et du débat.
Ainsi, à partir de ces premiers échanges ont été mis en place deux activités parallèles, l'une qui s'articule autour d'ateliers philo, l'autre qui se concentre sur la recherche documentaire. Ces deux ne sont pas étrangères, mais complémentaires. Les élèves circulent sans cesse d'une activité à une autre, constatant qu'il n'y a pas qu'une manière de voir les choses, mais une très grande diversité, et que la connaissance n'est sans doute pas grand chose sans les idées, les valeurs que l'on a et que l'on défend. D'autre part, ils voient les thèmes s'enrichir, se complexifier, notamment en nourrissant les échanges philo de faits, et en donnant aux faits une dimension différente, plus riche et plus complexe. Effet miroir, effet rebond. Ce que nous voulions faire, c'est faire émerger le travail de leur propre réflexion, pensant qu'il n'aurait du sens que si les élèves sentent qu'ils maîtrisent la mise en place de l'activité, que tout n'est pas décidé d'avance par les professeurs et qu'il ne s'agit pas d'exécuter "simplement" - avec plus ou moins de bonheur. Notre objectif était aussi de montrer que le savoir est quelque chose de complexe, complexe en soi, parce que des sujets sont compliqués à cerner, parce qu'un même objet de connaissance peut avoir plusieurs facettes Au jour d'aujourd'hui les travaux ne sont qu'à peine amorcés et demain a lieu la quatrième séance où nous avons pensé faire un premier point "méta", retour sur la démarche, sur les premières recherches et les premiers échanges, sur les obstacles, sur ce qui a été obtenu et ce qu'il reste à faire encore. On pense prolonger cela, après les vacances, avec un souci de laisser du temps aux élèves, le temps de s'approprier le travail, le temps de réaliser un projet rendant le plus fidèlement la complexité des connaissances en jeu. Nous avons crée un blog qui, je l'espère, pourra accueillir tous les travaux des élèves.
Régis Guyon
(1) Voir par exemple dans Diotime n° 12, décembre 2001.
(2) Voir notamment dans Diotime n° 9, mai 2001.