Articuler débat interprétatif et débat réflexif dans les classes.
La philosophie des programmes de littérature au cycle 3 de l'école élémentaire
Les programmes de 2002 ont bouleversé l'enseignement de la littérature à l'école élémentaire. D'abord, ils introduisent clairement un programme de " littérature " dès le cycle 3 ; et non de " littérature de jeunesse ", ce qui tend à souligner que les auteurs des programmes ne veulent pas établir de hiérarchie, ni même de différence, entre ce qui historiquement a relevé des deux " genres ". Mais c'est surtout la philosophie de ces programmes qui est remarquable : la finalité de l'enseignement de la littérature est clairement de permettre à l'élève de faire une rencontre esthétique, affective et intellectuelle avec le texte. Les enfants ne doivent surtout pas avoir une première approche techniciste, froide, dévitalisée, qui ne ferait que décortiquer les procédures narratives, stylistiques. Toutes les recherches et les réflexions contemporaines sur la définition de la littérature comme " expérience de vérité " (Ricoeur, Bruner), de la littérature de jeunesse (Poslaniec), l'évolution du regard sur l'enfant (porteur d'interrogations métaphysiques et existentielles, Bettelheim) et en particulier sur l'enfant lecteur (Jouve, Jauss, Eco) sont toutes reprises dans les très ambitieux Documents d'application (2002) et d'accompagnement (2004).Les programmes du collège avaient ouvert la voie à cette nouvelle approche, en incitant au recours à la littérature de jeunesse pour permettre à tous les élèves de faire cette rencontre, et aussi en inventant le modèle de la lecture cursive. Mais les programmes 2002 de l'école élémentaire se sont montrés encore plus audacieux. La philosophie même de ces programmes est d'insister sur la fondation d'une " culture commune ", sur la " familiarisation " avec des oeuvres fortes permettant une " rencontre " esthétique et intellectuelle entre le texte et le sujet. L'enfant doit se constituer une " encyclopédie personnelle " (la référence à Eco est explicite) qui lui permettra à la fois au collège de poursuivre son histoire avec la littérature et qui lui aura permis de comprendre que le texte littéraire peut l'aider à donner sens au monde.
Ce que les programmes visent absolument à éviter, c'est bien la dérive techniciste de l'enseignement. L'oeuvre ne doit jamais être un prétexte à l'étude des techniques d'écriture, à un décorticage formaliste : " À l'école primaire, il ne s'agit en aucune façon de proposer aux élèves une initiation à la lecture littéraire qui passerait par une explication formelle des processus narratifs ou stylistiques. (...) Si l'explication n'est pas au programme de l'école primaire, une réflexion collective débouchant sur des propositions interprétatives est possible et nécessaire. Dès l'école maternelle, l'enfant peut réfléchir sur les enjeux de ce qu'on lui lit lorsque le texte résiste à une interprétation immédiate (a fortiori au cycle 3). L'interprétation prend, le plus souvent, la forme d'un débat très libre dans lequel on réfléchit collectivement sur les enjeux esthétiques, psychologiques, moraux, philosophiques qui sont au coeur d'une ou plusieurs oeuvres (s) "1.
Il faut d'abord et avant tout permettre à l'enfant de faire l'expérience initiatique de la rencontre avec la littérature : je rencontre un texte qui va me permettre de mieux me connaître et de mieux connaître le monde. Et en insistant ainsi sur le discours du texte, les programmes ont ouvert la voie de débats réflexifs à visée philosophique : " La littérature de jeunesse, qu'elle soit d'hier ou d'aujourd'hui, n'a jamais manqué de mettre en jeu les grandes valeurs, de montrer comment les choix qui président aux conduites humaines sont difficiles, et comment un être de papier (comme un être de chair) n'est jamais à l'abri des contradictions ou des conflits de valeurs qui guettent chacune de ses décisions. Dans le terrible Rêves amers 2 de Maryse Condé - qui met en scène une petite Haïtienne que la misère et l'oppression poussent à l'exil et, finalement, à la mort - les valeurs morales éclatent sous la violence des relations humaines. C'est évidemment l'occasion d'un examen, difficile, de la dialectique entre singularité de situations et universalité des principes ".Pour permettre à l'élève de saisir cette dimension réflexive de la littérature, les programmes vont donc insister sur une pédagogie non seulement de la compréhension mais aussi et surtout de l'interprétation. Parce que l'on va d'abord s'intéresser à ce que me dit le texte, à ce qu'il peut m'apporter, l'enseignant va devoir pointer les zones d'ombres, les questions, les mystères, qui traversent l'oeuvre. Le débat interprétatif et le débat réflexif sont souvent inextricablement liés : poser des questions sur les blancs du texte, c'est souvent nécessairement soulever les grandes questions métaphysiques qu'il pose et qu'il soulève. Pourquoi madame K s'envole-t-elle, par exemple, à la fin de l'album de Wolf Erlbruch3? Que symbolise cet envol ? Qu'est-ce que le bonheur ? Qu'est-ce que la liberté ? Qu'est-ce que l'accomplissement de soi et une vie réussie ? Il est aussi préconisé dans ces programmes de débattre à partir d'une mise en réseau de textes parlant d'un même thème. C'est, par exemple, ce qu'ils conseillent comme piste pédagogique pour étudier Moi et Rien de Kitty Crowther : " Cet album peut faire partie d'un réseau sur la mort d'un proche avec Les Bigarreaux noirs de Pascal Nottet (Pastel) ou d'un réseau sur l'ami imaginaire avec Le chien invisible de Ponti (L'école des loisirs). "4
C'est donc bien une pédagogie de l'interprétation qui est mise en avant et par conséquent une pédagogie de la discussion sur les énigmes et les problèmes que soulèvent les textes, énigmes et problèmes qui relèvent souvent de la métaphysique.
Les référents théoriques
Je reviens brièvement sur les grandes théories philosophiques, littéraires et psychanalytiques qui ont inspiré ces programmes. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, Paul Ricoeur dans son oeuvre a repensé le concept de littérature et ses liens étroits avec la philosophie5. Il s'agit pour lui, non d'abolir la différence, comme l'aurait peut-être souhaité J. Derrida, mais la hiérarchie entre les deux disciplines. La littérature n'a pas besoin de la philosophie pour réaliser pleinement sa dimension ontologique. Elle pense le monde pleinement et indépendamment d'elle. La métaphore fictionnelle, parce qu'elle représente la possibilité démultipliée d'expériences exemplaires et signifiantes sur la ou les vérité(s) du monde, constitue un espace autonome de pensée. Le philosophe, quand il commente un texte littéraire, quand il fait appel à lui pour approfondir sa réflexion, doit être vigilant de toujours bien respecter la spécificité, l'irréductibilité de l'oeuvre. Il doit toujours veiller au risque d'instrumentalisation et de réduction du texte. L'herméneutique moderne vise à souligner la pluralité et la divergence des interprétations sur les significations du monde et la question de l'identité. De la même façon, Ricoeur ne cherche jamais dans un texte une seule et unique idée essentielle qui fixerait l'oeuvre à cette seule signification, à un seul " message ", mais il souligne toujours la pluralité des interprétations possibles. Pour lui, surtout, la vérité du texte se trouve essentiellement dans la relation que celui-ci va entretenir avec son lecteur, ou plus précisément dans la façon dont son lecteur va percevoir, recevoir ses significations intrinsèques. Nous retrouvons dans les programmes du cycle 3 cette même insistance sur la multiplicité des interprétations possibles d'un texte et cette idée que l'oeuvre ne s'accomplit véritablement que dans l'acte de rencontre avec le sujet qui la lit. Seul un immense respect et une extrême bienveillance envers le texte peuvent éviter ces dérives d'instrumentalisation et de réduction.La fiction littéraire n'est donc pas seulement de l'ordre de l'imaginaire mais a aussi une " fonction référentielle " qui dévoile des dimensions insoupçonnées de la réalité. Elle constitue à ce titre une expérience vivante, authentique, singulière et universelle à la fois, par laquelle les hommes vont pouvoir appréhender le réel. En ce sens, la littérature peut aller plus loin que la spéculation philosophique puisqu'elle peut dire ses impensés. La fiction permet d'expérimenter de nouveaux rapports à la temporalité et à la durée. Elle apporte des points de vue inédits. L'imaginaire est bien un immense laboratoire où les hommes peuvent modeler, dessiner, redessiner à l'infini les situations, les dilemmes, les problèmes qui les travaillent. Dégagée des contraintes du réel empirique, des lois de la physique, et même des lois de la morale ou de la justice (écrivain, je peux commettre un meurtre, et, comme dans Crimes et Châtiments, expérimenter de l'intérieur les tourments du remords), la fiction me permet de vivre par procuration ce que le réel, seul, ne me permettra jamais de vivre : Les expériences de pensée que nous menons dans le grand laboratoire de l'imaginaire sont aussi des explorations menées dans le royaume du bien et du mal " écrit ainsi Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre 6.
Ainsi, la littérature nous donne à voir une forme de vérité du réel. Dans la continuité de Ricoeur, c'est ce qu'énonce aussi Jérôme Bruner dans Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?. Le paradoxe inhérent à la littérature est que c'est par la fiction qu'elle nous donne la possibilité d'explorer l'essence de la réalité : " La fiction crée des mondes possibles, mais ils sont extrapolés à partir du monde que nous connaissons, aussi éloignés qu'ils en puissent paraître. L'art du possible est bien périlleux. Il s'appuie sur le monde qui nous est familier, nous le rend suffisamment étranger pour que nous soyons tentés de nous réfugier dans un autre monde possible, qui se situe bien au-delà de ses limites. C'est à la fois un réconfort et un défi. Au bout du compte, la fiction a le pouvoir de bousculer nos habitudes à l'égard de ce que nous tenons pour réel, ce que nous considérons comme étant la norme. "7
Du coté des théories littéraires, l'École de Constance, au début des années 1970, va être la première à renouveler l'étude des textes littéraires en prenant l'acte de lire comme point central. L'esthétique de la réception de H. R. Jauss et la théorie du " Lecteur implicite " de W. Iser sont les deux branches les plus importantes de cette Ecole qui va pour la première fois privilégier la relation Texte/Lecteur à la relation Auteur/Texte. Pour Wolfgang Iser8, dans L'acte de lecture, il s'agit moins d'englober la perspective historique et sociale de l'acte de lire que de s'attacher à l'acte intime de lecture, à la rencontre singulière entre un sujet et un texte, à la façon dont cette rencontre s'organise, se construit. À partir d'une base matérielle intangible, la lettre du texte, et qui est commune à tous les lecteurs - ce que l'auteur objectivement me donne à voir de la situation, des personnages (Elle s'appelle Emma Bovary, elle a vingt ans, elle habite en Normandie, elle s'ennuie, etc.) - chaque lecteur singulier va construire sa propre approche du récit, en jugeant par exemple les personnages ou la qualité même de l'oeuvre (soit je trouve cette Emma touchante, sublime, soit je la trouve idiote et hystérique ; soit je trouve ce roman ennuyeux et je maudis le professeur qui m'oblige à le lire, soit il transfigure ma vie à tout jamais...). L'approche d'Umberto Eco, cité dans Les documents d'accompagnement des programmes Littérature cycle 3, est très proche de cette théorie du " lecteur implicite ". Dans Lector in Fabula, il examine ce que serait un " lecteur modèle " qui répondrait à toutes les invitations du texte (que ce soit à la rêverie ou à la réflexion)9. C'est aussi à cette figure du " lecteur idéal " qu'Alberto Mangel s'adresse régulièrement dans son oeuvre (comme dans Pinocchio et Robinson, pour une éthique de la lecture). Pour lui, par exemple, " le lecteur idéal ne suit pas une histoire : il y participe "10, indiquant ainsi que la littérature est l'oeuvre autant de l'auteur que du lecteur lui-même puisqu'ils tissent ensemble ce que va être l'histoire. Plus récemment, les recherches se sont penchées sur le lecteur réel et non plus modèle : comment concrètement le lecteur s'approprie le texte. Les travaux de Vincent Jouve viennent, par exemple, compléter cette approche qui ambitionne de prendre en compte le sujet dans sa globalité et son intimité quand il investit et reconstruit le texte11. Mais si je change par ma lecture ce qu'est le texte, le texte aussi change ce que je suis. La lecture transfigure le sujet et la réalité. Je ne suis plus le même après la lecture et le monde lui non plus ne sera plus jamais comme avant : " Lire est donc un voyage, une entrée insolite dans une dimension autre qui, le plus souvent, enrichit l'expérience : le lecteur qui, dans un premier temps, quitte la réalité pour l'univers fictif fait, dans un second temps, retour dans le réel, nourri de la fiction ". C'est donc désormais dans l'acte de rencontre avec le lecteur que se pense la notion de littérature. C'est pourquoi la didactique contemporaine a cherché à mieux comprendre en quoi consiste l'acte de lire, non seulement d'un point de vue technique, mais aussi et surtout dans l'acte intime par lequel je rentre en relation avec le récit. La vulgarisation des théories de la psychanalyse de l'enfant et la recherche universitaire portant sur la littérature de jeunesse ont permis la transposition de ce discours sur la littérature en général au continent plus particulier de la littérature de jeunesse. Avoir pris en compte les interrogations métaphysiques des enfants semble être une grande tendance de la littérature de jeunesse contemporaine. Cette tendance reflète le nouveau statut de l'enfant dans nos sociétés. Il n'est plus un petit être innocent et pur qui doit être protégé du monde et des préoccupations des adultes. En 1976, par le succès de la psychanalyse des contes de fées, Bettelheim a convaincu beaucoup d'éducateurs que la véritable préoccupation des enfants, ce qui les intéresse et les motive profondément, c'est justement de pouvoir répondre à ces grandes angoisses existentielles12. Or les contes de fées traditionnels parlent de façon intelligente, c'est-à-dire de façon symbolique, implicite, et surtout de façon non moralisatrice ou édifiante, de ces questions. Le jeune lecteur comprend spontanément et inconsciemment que ces histoires ne décrivent pas une réalité mais que le " message " du conte est symbolique (et donc qu'il faut l'interpréter). Ces récits ancestraux sont la métaphore des conflits intérieurs qui sont propres à la condition enfantine (la peur d'être abandonné et de mourir de faim, la rivalité entre frères et soeurs, entre mère et fille, le conflit permanent entre " le principe de plaisir " et " le principe de réalité ", la complexité des sentiments humains, etc.). Ils parlent directement à l'inconscient de l'enfant en donnant forme aux tensions, aux peurs, aux désirs qu'il éprouve au quotidien lors de son développement. Les contes de fées lui permettent alors de mieux comprendre ce qui se passe en lui à un niveau inconscient, de dépasser ses conflits et donc de grandir13.La recherche universitaire sur la didactique de la littérature dite " de jeunesse " ne s'est, elle, développée véritablement que dans les années 1980 avec les travaux de Marc Soriano, de Christian Poslaniec, de Catherine Tauveron ou de René Léon, par exemple. Elle a inspiré la rédaction de programmes ambitieux, entraînant à fois un bouleversement des pratiques enseignantes, de la stratégie d'achat d'un certain nombre de parents - soucieux d'offrir des livres qui permettent l'enrichissement intellectuel de leurs enfants, mais aussi par ricochet de la politique de publication14 : les ouvrages ambitieux de littérature se vendant mieux, et notamment ceux qui sont au programme, les éditeurs n'hésitent plus à s'engager dans des publications plus risquées. Ce mécanisme permettant d'expliquer, dans une certaine mesure (l'enchaînement de faits décrits ici n'est pas aussi automatique), l'emballement de l'offre de livres très riches dans leur forme et leur portée, contenant beaucoup d'implicite, parlant de thèmes anthropologiquement forts et faisant le pari de l'intelligence des jeunes lecteurs.
Cette profusion et cette richesse expliquent pourquoi tous ceux qui souhaitent une initiation précoce à la philosophie ont pu s'engouffrer dans les programmes de littérature au cycle 3.
Comment faire appel à la littérature de jeunesse patrimoniale et contemporaine pour animer des séances de réflexion à visée philosophique dans les classes.
Quand j'interviens dans des écoles pour animer des ateliers de discussion à visée philosophique à partir de la littérature, ma démarche est toujours la même15 : après avoir choisi avec les élèves et l'enseignant de la classe le thème des prochaines discussions, j'établis une bibliographie d'une petite dizaine d'albums ou de contes qui servira de culture générale commune à la classe. Ces références permettent d'aborder les différents aspects de la problématique, d'élargir les points de vues, de montrer d'autres façons de regarder le monde et de considérer les problèmes posés. Ces bibliographies se composent à la fois d'albums de littérature de jeunesse comprenant beaucoup d'implicite (priorité est donnée aux albums de la liste cycle 3) et d'albums plus fonctionnels ou documentaires (comme les " goûters philo "). Je privilégie aussi la récurrence à certains auteurs comme T. Ungerer, C. Ponti, A. Browne, G. Solotareff ou W. Erlbruch. Les textes sont lus pendant les jours qui précèdent les discussions sur le thème (entre 8 et 15 jours en général entre deux séances). Le professeur vérifie simplement la compréhension du récit sans engager de réflexion. Les autres livres sont mis à disposition des élèves et ils peuvent les consulter ou les emprunter quand ils le veulent. Le jour de la discussion, tous ces albums sont présents au centre du cercle des élèves et je les invite à faire appel à cette culture littéraire commune à la classe pour réfléchir. Le débat interprétatif et le débat réflexif sont ainsi intimement liés durant ces séances de discussion à visée philosophique.
À mon sens, ce dispositif présente les avantages :
- créer une petite culture littéraire commune à la communauté de recherche ;
- élargir les points de vues et de montrer la problématique sous ses différents aspects (par exemple le mensonge comme un grave défaut - comme dans Pinocchio ou le mensonge comme une ruse relevant d'un moindre mal - le chasseur dans Blancheneige) ;
- mettre le problème à " bonne distance " : je parle de moi mais à travers un récit qui me permet de sortir de l'affectivité, de prendre assez de recul pour commencer à réfléchir. Cet appel fait à la littérature permet effectivement aux élèves de progresser dans leur réflexivité philosophique. À partir " d'exemples exemplaires ", ils quittent le registre de leur quotidienneté - et donc d'une trop grande affectivité - et peuvent commencer à réfléchir sur des notions problématiques. Les élèves découvrent ainsi que la littérature peut leur permettre de donner sens et intelligibilité à leur expérience du monde.
Exemple de mise en réseau sur le thème : " Grandir "
La culture littéraire commune à la classe. Les textes lus avant la première séance par le professeur sont les suivants : Grégoire Solotareff, Toi grand et moi petit (L'école des loisirs), Carl Norac, Un secret pour grandir (L'école des loisirs), Yvan Pommeaux, Une nuit, un chat (L'école des loisirs), Thierry Dedieu, Yakouba (Seuil jeunesse), Charles Perrault, Le Petit Poucet. Texte mis à disposition dans la classe : Brigitte Labbé et Michel Puech, Les petits et les grands, " Les goûters philo ", Milan jeunesse.
- Première séance de discussion : " Est-ce que c'est bien de grandir ? ". Pour commencer la séance, le professeur peut lire Moi, j'attends... de Davide Cali et Serge Bloch (Sarbacane)
- Deuxième séance de discussion : " À quoi reconnaît-on qu'on est grand ? ". Le professeur peut lire Laurent tout seul d'Anaïs Vaugelade (L'école des loisirs)
- Troisième séance de discussion : " Qu'est-ce qu'une " grande personne " ? " Le professeur peut lire Dans les yeux d'Henriette de Virginie Jamin, (les albums Duculot, Casterman)
- Quatrième séance : Réalisation d'une exposition (affiche et dessins des enfants sur le thème).
Conclusion
Depuis la fin des années 1960, selon un " effet boule de neige ", la littérature de jeunesse et la philosophie avec les enfants ont accédé parallèlement à un statut de reconnaissance sociale, universitaire et institutionnelle. Il aura fallu pour cela la conjonction de plusieurs facteurs : la reconnaissance des capacités de l'enfant (à pouvoir lire de la " vraie " littérature et à philosopher), le développement de la recherche (en didactique de la littérature de jeunesse et de la philosophie), la transformation des programmes scolaires (avec donc des programmes de littérature très philosophiques), l'explosion des ventes (avec le succès d'oeuvres fortes et complexes - comme celles de Claude Ponti - mais aussi des " petits manuels de philosophie pour enfants " écrits par des universitaires)16Toutes les deux ont été très longtemps méprisées par l'Institution : la littérature de jeunesse était considérée comme " paralittérature " ou genre honteux. La philosophie avec les enfants, elle, était ignorée et considérée comme une activité démagogique. Elles ont désormais gagné leurs lettres de noblesse et existent enfin en pleine lumière.
Disciplines trop longtemps conflictuelles, la littérature et la philosophie ne trouveraient-elles pas une nouvelle complémentarité grâce au développement conjoint de la didactique de la littérature et de la philosophie avec les enfants ?
(1) Documents d'application des programmes, Littérature, cycle 3, Ibid, p. 6 (nous soulignons).
(2) Ibid, p. 8. (nous soulignons).
(3) Wolf Erlbruch, Remue ménage chez Madame K, Milan. (Liste de référence 2004). Cet album de Wolf Erlbruch interroge les représentations du masculin et du féminin et pose implicitement les questions de l'irrationalité de l'angoisse existentielle. Madame K. est une Emma Bovary qui cherche le sens de son existence dans un quotidien terne et vain. Elle va se prendre d'affection pour un petit oiseau et cet amour va lui donner la force de s'émanciper et de changer de vie. " L'interprétation du texte se construira ainsi en fonction des valeurs mobilisées, statut de la femme, éducation, relations familiales, sens que l'on donne à la vie. Un livre sur les chemins tortueux de la liberté qui pourra entraîner le lecteur à une plus large exploration de l'univers étrange de Wolf Elbruch ." ( Documents d'accompagnement des programmes. Littérature (2). Cycle 3. Paris SCEREN. CNDP. 2004, p. 13).
(4) Documents d'accompagnement des programmes. Littérature (2). Cycle 3. Paris SCEREN. CNDP. 2004, p.11.
(5) Paul Ricoeur, Temps et récit. I. L'intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, coll " Points Essais ", 1991 p. 12.
(6) Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 194.
(7) Jérôme Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, Paris, Retz, 2002, p. 114.
(8) Wolfgang Iser, L'acte de lecture, trad. Franç. Bruxelles, Mardaga, 1985.
(9) Umberto Eco, Lector in Fabula, Paris Grasset, 1985.
(10) Alberto Mangel, Pinocchio et Robinson, pour une éthique de la lecture, L'escampette éditions, 2005 p. 65.
(11) Vincent Jouve, La lecture, Paris, Hachette, coll. " Contours littéraires ", 1993.
(12) Ibid, p. 80.
(13) Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Pluriel, 1976.
(14) C'est ce qu'exprime magnifiquement la fin de L'arbre sans fin de Claude Ponti (L'école des Loisirs) : après la mort de sa grand-mère, la jeune Hipollène va entamer un long voyage initiatique à travers l'arbre sans fin, métaphore de toutes nos filiations. De retour chez soi, après avoir accompli, par le pouvoir de la fiction, toutes les étapes du travail de deuil et de construction de soi, elle retrouve Ortic, le monstre " dévoreur d'enfants perdus ". Il bondit sur elle une dernière fois en hurlant : " Je n'ai pas peur de toi ! ", mais elle peut désormais lui répondre : " Moi non plus, je n'ai pas peur de moi ! ". Le monstre est aussitôt terrassé, et se transforme en " vieille salade moisie "! Hipollène a grandi et ne se laisse plus accaparer par ses pulsions dévorantes. Le détour par l'imaginaire lui aura permis ce cheminement et cette conquête.
(15 ) Voir la description de cette démarche et l'exemple d'une progression sur une année scolaire dans le manuel Lire, réfléchir et débattre à l'école élémentaire. La littérature de jeunesse pour aborder des questions philosophiques, Paris, Hachette, coll. " Pédagogie Pratique ", 2007.
(16) Voir par exemple la récente collection les " Chouette penser ! " chez Gallimard. Les ouvrages sont rédigés par des philosophes universitaires spécialistes de la question, comme Elisabeth de Fontenay, Quand un animal te regarde (2006).