L'attitude philosophique est la manière d'être que l'on peut considérer comme une condition du philosopher. Il est certaines attitudes qui sont à peu près générales : nous n'irons pas jusqu'à prétendre qu'elles sont universelles. L'histoire de la philosophie est peuplée d'individus qui se font un malin plaisir à remettre en cause le moindre point d'accord qui risquerait d'être jusque-là accordé, afin de marquer à jamais cette harmonie ou ce consensus du sceau de son individualité. Ainsi ces qualités générales seraient par exemple le désir de savoir, qui présuppose la conscience d'une certaine ignorance, d'où le désir de voir progresser cette connaissance. Le doute, bien qu'il s'articule parfois étrangement au sein d'un dogmatisme soutenu. La suspension du jugement, qui permet d'examiner un problème avec un esprit relativement ouvert, ce qui trop souvent se limite à envisager les hypothèses adverses afin de les comprendre tout en étant convaincu dans le fond du bien fondé des siennes. En ce sens, la problématisation, c'est-à-dire la capacité d'envisager les problèmes posés par des idées particulières serait un terme plus adéquat, qui n'exclut nullement le parti pris. Mais nous verrons cela dans les compétences, même si cela relève tout de même d'une attitude. L'étonnement semble une autre attitude à peu près généralement acceptée, qui permet de regarder avec un oeil neuf ou émerveillé ce qui apparaît aux autres comme la banalité du quotidien. Ainsi, si l'observation et l'analyse semblent être essentielles au philosopher, ce sont des compétences qui seront acquises du fait d'une attitude, qu'on pourrait nommer la disponibilité, ou l'attention, source d'étonnement. En effet, le fait de distinguer présuppose une attention accrue où des faits ordinaires deviennent étonnants parce qu'ils ne sont plus pris comme acquis. Il en va de même pour le questionnement, qui avant d'être une compétence conceptuelle ou analytique présuppose une mise en abyme du monde de la connaissance et du sujet pensant, où plus rien ne va de soi. Sorte de retour à l'enfance où plus rien n'est donné, où l'exigence du pourquoi et du comment s'applique presque systématiquement à tout : l'esprit opère en creux, non plus en plein.
En un second temps, après les attitudes philosophiques généralement reconnues, mentionnons quelques attitudes particulières, plus sujettes à la controverse, mais suffisamment courantes ou marquantes pour être remarquées. Ne serait-ce que parce qu'elles posent un problème intéressant et porteur. La première est la dimension agonistique du philosopher, qui se nourrit de la contradiction et incite à la confrontation. Si elle est présente très tôt en Grèce, chez Héraclite ou Socrate, elle est quelque peu mise entre parenthèses chez les stoïciens, et dans une tradition que l'on pourrait nommer scientifique, que l'on retrouve par exemple dans le pragmatisme américain. Car ce n'est plus la confrontation des hommes et des principes entre eux qui est facteur d'avancée de la pensée. Chez les stoïciens, il s'agit plutôt de la capacité d'acceptation du monde, cela devient en quelque sorte la capacité d'agir sur soi par le fait même de cette appréhension ou compréhension du monde. Dans le pragmatisme américain, comme dans la démarche scientifique, c'est la collaboration et le travail collectif qui sont mis de l'avant. Un penseur comme Marx, s'inspirant de Hegel, alliera toutefois la capacité de comprendre le monde, la conscience, à une confrontation de ce monde à lui-même, la dimension agonistique trouvant son articulation et son sens dans l'accomplissement dialectique de ce monde, par la médiation de l'homme, lui-même historiquement pétri de ces conflits. Acceptation du monde et conflit seront deux attitudes philosophiques premières aussi cruciales que souvent opposées, comme le spécifiera Descartes. Il en va de même pour la distanciation, pour certains philosophes établie comme une condition cruciale au philosopher. La réduction phénoménologique, qui exige de dépasser le factuel pour saisir les enjeux généraux et conceptuels dont le fait n'est que le symptôme, en est un exemple, qui renvoie à une très ancienne tradition pour qui le philosopher, en sa tentative de saisir l'essentiel et le catégoriel, l'éloigne du singulier. Mais là encore, des courants comme le nominalisme, le cynisme, le positivisme ou l'existentialisme, récusent une telle attitude, qui accorde aux concepts ou aux universaux une trop grande et factice réalité, pour ancrer plus spécifiquement le sujet dans une réalité concrète ou matérielle. Une dernière opposition d'attitudes qui nous semble devoir être mentionnée est celle autour de l'humanisme. Là encore, si le souci pour l'homme et l'empathie pour l'être pensant - seul à avoir accès à la raison ou au philosopher - semble aller de soi, au point de le glorifier en le démarquant nettement de tout ce qui existe, en particulier du monde animal, cette attitude n'est pas absolument généralisable. Les philosophies du soupçon, entre autres, ont voulu montrer à quel point cette puissance particulière de l'homme est cause et principe de sa défaillance, au point d'en faire un être haïssable entre tous, comme nous le rencontrerons chez Schopenhauer. Bien que Pascal ou Augustin convoquent cette faiblesse humaine pour témoigner de sa glorieuse spécificité. Le rapport au divin faussera souvent sur ce point la donne, car l'homme sera à la fois le seul être capable de Dieu, sujet à la grâce, mais pour cette même raison, faillible et pervers en son refus réitéré du bien. Sur un autre registre, Arendt nous montrera le potentiel de mal que contient l'humain.
De cela concluons tout de même, comme dernière attitude commune, à une certaine posture radicale du philosopher. Car aussi attaché soit-il au singulier, le philosophe tend à s'ancrer dans une certaine vision du monde, à partir de laquelle il lira et décodera les faits, les événements, les choses et les êtres, y cherchant une certaine cohérence, voire une justification des ses choix généraux a priori.En ce sens, il sera toujours prêt à poursuivre et dénoncer l'incohérence, quand bien même il aura, tel Montaigne, tenté de développer un certain éclectisme conçu comme une alternative au dogmatisme et à l'esprit de système. Ou Nietzsche encore, critiquant la lourdeur philosophique, mais qui tout en développant une théorie du Gai Savoir, ne saura s'empêcher de prôner une thèse fort appuyée, très exigeante et lourde de conséquences. Cette posture radicale prétend parfois à une position de juste milieu, conçu comme un idéal de sagesse. Ainsi chez Aristote, la vertu se trouve théoriquement entre deux excès : par exemple le prudent se situe à distances égales entre le téméraire et le peureux. Chez Kant, la position critique, faisant écho au doute cartésien, tente aussi de placer la juste attitude dans un "ni, ni", entre scepticisme et dogmatisme : ni acceptation béate et rigide, ni refus systématique et craintif. La perspective critique émane d'une méfiance universelle à l'égard des jugements a priori, mais elle invite à sonder le fondement et les conditions de leur possibilité. On peut toutefois se demander, chez Descartes comme chez Kant, si le refus de l'argument d'autorité n'a pas cédé la place à une sorte de puissance débridée de la raison singulière, à de nouvelles évidences, plus complexes peut-être, ou même plus légitimes, qui bien qu'elles émanent de l'esprit de cet individu et proclament fièrement l'autonomie de la raison singulière et de l'individu, ne tombent pas dans d'autres formes plus subtiles ou plus modernes du dogmatisme traditionnel. Jusqu'au post-modernisme, qui tente de réduire à un acte peccamineux toute adhérence au rationnel et à l'universalité.
Parmi ces attitudes spécifiques, liées à différents courants de pensée, il en est quelques-unes sur lesquelles nous souhaiterions nous attarder. La première, nous pourrions la nommer ignorance acquise, humilité, ou sobriété. Comme nous l'avons déjà évoqué, le terme de philosophie est né d'un constat de manque, et du désir de combler ce manque. Toutefois, à travers l'histoire de la pensée, un phénomène s'est peu à peu instauré, imputables aux succès de la science : la certitude et le dogmatisme liés à l'esprit de système et à son cortège de vérités établies. Depuis toujours, plus d'un philosophe patenté n'hésitera pas à asséner un certain nombre de vérités non négociables, d'après lui non problématisables. Surtout en ces deux derniers siècles de "philosophie des professeurs". Car il ne s'agit plus désormais d'une sagesse dont la quête est ouverte ou infinie, mais de l'efficacité d'une pensée ou d'une axiologie, tant sur le plan de la vérité que sur le plan de la morale. Certes toute pensée, aussi interrogative et peu assertorique soit-elle, détient nécessairement quelques affirmations qui servent de postulat, mais il n'en reste pas moins vrai que sur le plan de l'attitude, celui du rapport aux idées, certains schémas spécifiques induisent plus naturellement un sentiment de grande certitude, en particulier lorsqu'il s'agit de l'élaboration d'un système, tandis que d'autres prônent plutôt un état d'incertitude dont les implications seront conséquentes. Prenons pour exemple le principe de la "Docte ignorance", de Nicolas de Cues, qui consiste en gros à affirmer que l'ignorance est une vertu qui s'acquiert, et qui permet de penser, car toute pensée digne de ce nom n'est jamais qu'une conjecture, qui demande à être toujours examinée d'un regard scrutateur et critique. Cela rejoint d'ailleurs la pensée plus récente de Popper, pour qui la science se caractérise justement par le fait que toute proposition peut être mise en question, contrairement au dogme, à l'acte de foi, certitude qui est plutôt de nature religieuse. Pour Leibniz, il s'agira plutôt d'inquiéter, de promouvoir cette inquiétude qui interdit la quiétude, car la quiétude est la mort de la pensée.
La logique rigoureuse d'un Kant, où chaque terme est défini au sein d'une mécanique implacable, n'incite certainement pas à une telle distanciation et mise en abyme de la pensée. L'attitude de la question et de la problématisation n'est certainement pas celle de la réponse et de la définition. Toutefois, elle connaît aussi sa propre légitimité, à travers son exigence de rigueur, ne serait-ce que parce que philosopher signifie aussi mettre un discours à l'épreuve de lui-même. Un système implique de ce fait d'établir une architecture où les concepts et les propositions s'emboîtent les uns dans les autres au cours du développement de cette pensée. Et comme l'explique Leibniz, plus le cheminement dure dans l'espace et le temps, plus il sera difficile à la pensée de rester cohérente avec elle-même.
La qualité de cette architecture définira ainsi la consistance de la pensée, au-delà du contenu même de cette pensée. Il en va de même pour les disciples d'un auteur, qui vérifieront leur interprétation à l'aune de l'amplitude de la pensée qui sert de référent. Et si le risque est grand de tomber dans le piège du dogmatisme engendré par l'argument d'autorité, dont l'exemple type est la scolastique médiévale dans le rapport quasi pathologique qu'elle entretint avec la pensée d'Aristote, philosophe dont les propositions furent durant des siècles considérées incontestables, n'oublions pas que le problème inverse de l'opinion, qui peut sans scrupule affirmer n'importe quoi et faire dire n'importe quoi, est tout aussi calamiteux. Et lorsque Nietzsche écrit que le philosophe se doit de procéder à l'instar d'un banquier, il tente de nous dire que les mots et les pensées ont une valeur précise qu'il s'agit de ne pas prendre à la légère. Ainsi l'âpreté qui peut être reprochée au philosophe est aussi une qualité qui ne va pas de soi, même si là encore Nietzsche ne recule pas devant la contradiction en critiquant l'ascétisme philosophique et la dimension laborieuse de la démarche socratique qui demande des comptes à rendre sur le moindre terme ou la moindre expression. Cette même rigueur exige d'entendre ce que nous disons lorsque nous le disons, entendre la "vérité de nos opinions", comme le dit Pascal. Ainsi cette rigueur exige un attachement à la réalité qui doit dépasser celui de la sincérité, du désir de l'apparence, de l'envie d'avoir raison ou du sentiment de propriété. Si elle ne tombe pas dans le dogmatisme, la rigueur peut incarner une réelle mise à l'épreuve de l'être et de la pensée, bien que sous prétexte de scientificité elle risque d'obscurcir et de broyer toute pensée, toute intuition, toute créativité.
Ceci nous mène à une autre vertu philosophique : l'authenticité, que nous souhaiterions surtout distinguer de la sincérité. Elle est liée au courage, à la ténacité, à la volonté, en opposition à la velléité et la complaisance de l'opinion. Elle relève de l'affirmation du singulier, dans son conflit à l'altérité, au tout, à l'opacité de l'être, dans son heurt avec les obstacles et l'adversité. Elle est sans doute une des formes premières de la vérité, que nous nommerions vérité singulière, ou vérité de l'être. C'est l'être tout entier, sous sa forme singulière, qui en est le vecteur et le substrat, et non pas quelque simple discours. C'est celle que l'on entend murmurer derrière l'injonction kantienne du "Aude sapere", Ose savoir ! Ose déjà savoir ce que tu penses, sans quoi tu ne pourras pas connaître et apprendre. Et pour cela, ta pensée doit d'exprimer à travers des mots, elle doit s'objectiver, devenir un objet pour elle-même. C'est aussi cette exigence qui se profile derrière la recommandation de Descartes qui nous enjoint de poursuivre notre chemin en cas d'incertitude de l'esprit. Et plus carrément exprimée par Kierkegaard, lorsqu'il nous affirme qu'il n'y a d'autre vérité que la vérité subjective. L'authenticité est ce qui nous fait dire qu'une personne est "vraie", au-delà ou en deçà du discours, ou à travers le discours. Sans considération pour une sorte de vérité ou d'universalité a priori, nous nous demandons simplement si cette personne assume son propre discours, jusqu'au bout, pour autant que ce "bout" ait un sens. Même à travers ses contradictions et son inconscience, et peut-être à cause d'elles, l'être se taille un passage et se forge lui-même. Il mesurera sa faillite ou son mensonge en proportion à ses concessions, à ses petits calculs. Aussi aberrant que soit son être aux yeux du monde, et à ses propres yeux, il poursuit sa destinée, il persévère dans son être, comme dirait Spinoza.
Face à cette authenticité, difficile à vivre, car souvent insupportable pour les autres, voyons une qualité philosophique inverse, que nous nommerons disponibilité, ou ouverture, ou réceptivité. IL s'agit d'être là, d'être présent au monde, d'adhérer à ce qui est autre. Car si l'authenticité tend à être sourde à l'altérité, la disponibilité lui est complètement acquise. De deux manières différentes d'ailleurs : disponible comme le tigre à l'affût, ou disponible comme les feuilles au vent. Dans cette distinction, seule varie l'issue de l'affaire, portée par la nature de l'être, car le tigre ne décide pas en dernière instance de bondir sur sa proie : sa tigrité s'occupe de tout. Mais la feuille portée par le vent épouse tout autant la moindre aspérité de l'être. Certes cette disponibilité peut être conçue de manières différentes, comme celles de l'autre à soi : celle du monde, celle des autres, celle de tout ce qui peut devenir outil, de tout ce qui est instrumentalisable, comme Heidegger l'entend. Mais plus encore, c'est de la disponibilité de soi dont il s'agit : l'ouverture de soi au monde, un soi qui peut être réduit au statut de simple ouverture, un interstice à travers lequel passe le flux des êtres et des choses, comme tente de le décrire la vision taoïste, qui, à l'esprit occidental et volontariste, apparaîtra parfois comme une attitude passive et maladive.
Toutefois, pour ceux à qui cette vision semblerait fataliste, demandons si la lecture d'un texte ou l'écoute d'un propos, ou la vision d'un spectacle, n'exige pas une telle disponibilité. Combien de fois affirmons-nous ne pas comprendre telle ou telle parole, alors qu'il ne s'agit pas d'un problème de compréhension, mais uniquement d'un refus d'acceptation : un refus de changer de place ou de position, ne serait-ce que le temps d'un instant. Penser, entrer en dialogue avec soi-même, comme le prescrit Platon, ne présuppose-t-il pas une forme d'aliénation ? Si je ne suis pas disposé à ne pas être moi-même momentanément, comment pourrais-je penser ? Si je ne suis pas prêt à effectuer le détour de l'altérité, si je me cramponne à moi-même comme un noyé à sa bouée, comment pourrais-je prétendre délibérer ? Si mon moi et les pensées qui lui appartiennent sont d'une telle évidence, comment pourrait s'effectuer cette conversion qui est au coeur de la dynamique philosophique ? Être disponible, c'est être à l'écoute, c'est accompagner l'autre dans son parcours, c'est même le précéder pour lui montrer ou lui éviter les écueils et les embûches, comme le pratique Socrate avec ses interlocuteurs, car il n'existe pas de voie royale : le chemin que l'on choisit est nécessairement boueux et jonché d'ornières. Mais accepter de suivre une autre direction, c'est savoir que la nôtre n'est pas mieux lotie, c'est risquer d'apprendre quelque chose et d'envisager de nouveaux horizons.
Proche de cette réceptivité, plus radicale, nous trouvons la contemplation, "l'autre" manière d'être, face à l'action. Car celui qui agit n'a pas le temps de contempler, son esprit est trop occupé à produire, à survivre, à travailler, il est trop engagé dans les affaires de ce monde, il est peut-être même trop occupé à penser. Ainsi chez Aristote ou Platon, la contemplation du bien, du beau ou du vrai est une disposition par excellence de l'intellect digne de ce nom. De là viendront les arts libéraux, tels la musique, la rhétorique ou les mathématiques, ceux de l'homme libre, qui a le temps de penser parce qu'il n'est pas obligé de travailler. Celui qui contemple se trouve dans le temple, cet espace qui - étymologiquement - se situe entre le ciel et la terre : il regarde attentivement, il s'absorbe dans la vue de l'objet en une attitude quasi mystique : il n'attend rien du monde, sinon de pouvoir être aperçu.
La dernière vertu philosophique que nous souhaiterions aborder est la prudence. Cette prudence qui est censée nous faire percevoir les dangers qui nous guettent, et qui pourraient de ce fait nous inciter à l'inaction, par crainte, par un principe de précaution. La prudence n'aime pas les risques inutiles, et de là on peut facilement penser que tout risque est superflu. Il en va ainsi pour nos "bons élèves", grands ou petits, qui ne se risqueront guère à affirmer quelque chose qui ne serait pas parfait, qui ne serait pas complet, qui ne serait pas irréprochable, qui ne serait pas le reflet fidèle de l'ampleur de leur pensée. En tentant de prévoir les conséquences fâcheuses de nos actes, nous voudrons les éviter, et pour nous simplifier la vie, pour plus de sécurité, nous nous abstiendrons. Comme toute parole est prise de risque, autant se taire, surtout si les autres nous écoutent.
Mais en dehors de cette prudence qui ressemble à une morale frileuse et bourgeoise, que Saint Paul condamne avec fougue, quel sens plus vigoureux pouvons-nous donner à ce terme ? Elle est tout de même l'une des vertus cardinales chrétiennes : elle nous invite simplement à réfléchir avant de parler et d'agir, à agir en toute conscience, à faire ce qui convient plutôt que de réagir de manière impulsive ou inconsidérée. Kant s'intéresse à cette sagesse pratique et antique : elle constitue pour lui une habileté, celle qui nous fait choisir les moyens menant au plus grand bien-être. La prudence présuppose du jugement et de l'esprit, elle forme le citoyen, elle relève de la politique plutôt que de la morale. Mais si la philosophie est une pratique, telle que nous l'entendons, alors l'art philosophique doit aussi s'astreindre à cette prudence, qui saisit le moment opportun, qui s'empare du meilleur moyen, par souci d'efficacité, cette dernière étant une autre forme de la vérité. Certes Platon distingue le politique du philosophe, à travers cette modalité de l'action, mais après tout, s'il invite le roi à être philosophe, il invite aussi le philosophe à être roi, à devenir politique : c'est-à-dire à saisir les limites de son être, dans l'espace et le temps.
Toute vérité n'est pas bonne à dire, n'importe quand et à n'importe qui, nous dit Jankélévitch, mais savoir ce qu'il faut dire, ce que l'on peut dire, comment le dire, à qui le dire, quand le dire, cela ne fait-il pas aussi partie de la vérité ? La vérité est collective, elle n'est ni singulière, ni transcendante, nous disent les pragmatistes, et sans doute en cela prennent-ils mieux en charge la dimension pratique du philosopher, qui n'est pas un simple savoir, mais un savoir-faire, un savoir être.
Les attitudes sont des aptitudes. L'origine est la même, le sens quasiment identique. Si ce n'est que le premier renvoie à l'être, à un savoir-être, et le second à l'action, à un savoir-faire. Mais il reste à savoir si l'action doit déterminer l'être, ou si l'être doit déterminer l'action. Là encore, question d'attitude ou d'acte de foi, ce positionnement déterminera à la fois le contenu de la philosophie enseignée, mais aussi la manière de l'enseigner, la nécessité de l'enseigner, le rapport à l'autre, le rapport à soi ainsi que le rapport au monde. Mais pour prendre en charge cette problématique faut-il encore ne pas nier que le philosopher ait un sujet : nous-même, ou l'autre. Constat qui nous empêche de parler pour la philosophie et nous autorise à se saisir de la parole uniquement dans la perspective réduite d'un être singulier, d'une parole singulière. Mais là encore, c'est prôner une attitude spécifique qui ne saurait échapper à la critique de celui qui souhaiterait y échapper.