Revue

Entretien sur la mort avec des enfants de maternelle

Il existe dans l'école maternelle avec laquelle je travaille, qui a mis en place une démarche de non-violence avec les élèves, des problèmes posés par quelques enfants ne respectant pas la loi du groupe : jet de pierre sur la bouche puis dans l'oeil d'un autre enfant ; risque d'étouffement dans un " tonneau de pneus "...

Faut-il avoir peur de la mort ? sera notre ligne de réflexion. Dans un premier temps, l'interrogation s'adressera aux enseignantes. Puis dans le club de la paix aux enfants.

Je propose un dispositif de pédagogie institutionnelle qui sera, je l'espère, instituant, même si il est factuel. C'est l'occasion d'ouvrir pour les élèves un espace, un lieu où pouvoir se dire, être écouté, compris, et écouter, afin que la communication soit entière. Il s'agit d'un espace de médiation où le symbolique qui unit va remplacer le diabolique qui divise.

EXPLORATION

Dans un premier temps, nous échangeons avec les maîtresses sur des pistes de réflexion possibles.

La peur, c'est quoi ?

Tous les êtres vivants ont peur.

Avertis du danger, le corps et l'esprit sont en alerte, les émotions amènent la réflexion pour se défendre, pour fuir ou faire face.

" La peur peut donner des ailes ".

Elle peut aussi paralyser, tétaniser.

À chacun ses peurs : elles peuvent paraître ténues de l'extérieur, mais être ressenties violemment par celui qui les vit.

  • certaines sont si terribles, si pénibles à supporter qu'on a peur de ses peurs ;
  • certains craignent les araignées d'autres non ;
  • certains craignent l'école d'autres non.

Grandir de peur en peur

Comment apparaissent les premières peurs : certaines se retrouvent à chaque âge et disparaissent en grandissant.

Celles du bébé qui craint de tomber.

Celles du jeune enfant, qui appréhende tout ce qui est nouveau. Il ne peut pas encore établir la différence entre ce qui est connu et ce qu'il ne connaît pas.

La peur de la sorcière, qui subjugue tous les petits lorsque la maman se fâche, ses cris ne peuvent pas appartenir à l'être aimé, nous sommes prêts du déni, donc ce sont forcément ceux d'une personne malfaisante.

La peur de l'abandon, la maman qui nous laisse à l'école, le papa qui s'en va en voyage ou pire l'emprisonnement ou le divorce, déchirures difficilement surmontables.

Toutes ces peurs préfigurent la seule dont personne n'ose parler : celle de la Mort.

Apprivoiser ses peurs

En parler : les monstres nocturnes appartiennent à l'imaginaire, mais le jeune enfant fait difficilement la différence entre son imagination et le réel.

Peur et conscience morale

Conquête fondamentale : découvrir ce qui est bien ou mal et avoir le souci d'autrui.

* Raconte-moi une histoire, la frayeur mise en scène et qui finit bien, permet à l'enfant de prendre du recul et de l'assurance face à ses thèmes de frayeur.

Peurs et dangers :

Jouer à se faire peur : voir des films qui font peur, c'est l'occasion de parler de ce dont on n'osait pas reconnaître qu'on en avait peur.

Surmonter ses peurs : avec l'âge et la verbalisation, on a une meilleure compréhension du danger. Le pire est l'incompréhension. Or les événements ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat de causes complexes à démêler avec l'adulte par une mise en mots.

Faire la part d'une insécurité imaginaire et la réalité, apprendre à mesurer les vrais risques (peur de l'avion).

Une peur utile. Il peut être utile d'avoir peur : savoir se protéger du harcèlement, du racket ou de pédophiles est indispensable. Ne pas avoir peur d'en parler si cela a eu lieu.

La peur est nécessaire pour s'adapter au monde qui nous entoure, chacun apprend à vivre avec.

Ne pas avoir peur d'avoir peur

" Oh le peureux ! " : pouvoir dire sa peur, sans craindre les moqueries, ce n'est pas être lâche. Le courage c'est de savoir vaincre sa peur ou de réussir à la supporter,

Avoir des alliés : dessiner ses rêves pour les apprivoiser, penser à un " grand " qui viendrait dans le rêve pour nous protéger.

Une présence à ses côtés peut rassurer, même si ce n'est qu'un petit animal, qui répond au besoin d'affection et de compagnie.

Y a-t-il des peurs insurmontables ?

C'est quoi une phobie, ces phénomènes disproportionnés qui gâchent la vie ?

Les non-dits sont angoissants : parfois les problèmes de grands (maladie ou difficulté financière) insécurisent, angoissent dans leur quotidien les petits.

Une peur peut en cacher une autre.

La peur de l'échec : manque de confiance, il est donc important de souligner tout ce que le sujet réussit. Découvrir qu'on sait et qu'on a peur de ne pas savoir.

Avant la discussion avec les élèves, il y eut avec les enseignantes une petite difficulté devant la mise en mots de ce thème. En tant qu'adultes, elles hésitent à parler de la mort pour elles et entre elles, selon leur ressenti lié à leur vécu propre. Plus encore avec les enfants, en raison d'une supposée fragilité de ces derniers. En développant au niveau des adultes un travail d'empathie, d'écoute permettant d'entendre sans chercher à donner de réponses, les émotions ont pu s'exprimer. Souvent face à la mort, on est démuni, l'absence de mots face à ce " mal suprême " est patent.

DISPOSITIF

Dans cette école existe déjà un lieu de parole à travers un conseil des enfants, qui aborde des thèmes permettant de vivre ensemble dans l'école. Ce conseil de la Paix se réunit régulièrement et traite des sujets en cours. Ce travail d'écoute et de régulation de la parole est indispensable. Il souligne la nécessité de l'écoute sans laquelle aucun lien ne peut s'actualiser chez l'élève.

Je pratique aussi une reformulation des interventions afin de proposer une syntaxe ou un vocable approprié. En demandant toujours en aval à l'enfant si c'est bien ce qu'il voulait dire, il reste responsable du sens de ce qui est émis.

Narration et reformulation : un équilibre entre deux paroles

Les enfants ont besoin de parler sur le sujet (un oiseau mort dans la cour, la mort d'un proche dans la famille, des morts à la télé dans les films, dans les jeux, aux informations...). La mort est très présente dans leur quotidien, contrairement à ce que les adultes croient ou veulent croire pour les protéger. Cette sollicitation sur ce thème est intéressante, pour extérioriser des non-dits du à leur environnement, qui peuvent entraîner des angoisses, des rébellions et autres manifestations de souffrance. Ils le font de façon simple et assez spontanée, exprimant leur besoin d'être entendu. À cet âge et même plus tard, les élèves maîtrisent mal les connecteurs logiques, leurs énoncés ne sont pas très clairs et encore moins construits selon la "syntaxe normalisée scolaire". Le professeur peut alors reformuler la parole sans en trahir le sens, pour préciser un vocable plus précis ou une syntaxe plus heureuse. Il est important ensuite de demander à l'émetteur si cela correspond à son idée : " c'est bien ce que tu voulais dire ? ".

Dans ce cas précis vu l'âge des enfants participants et leur nombre, l'enseignant est reformulateur de ce qui est dit. Il est difficile pour ces derniers de choisir les mots signifiants, représentatifs d'une notion dans des exposés parfois lacunaires. Il n'est pas simple pour eux de réussir à retenir ce que disent les " copains ".

À la question : "Qu'est-ce qu'on peut faire pour ne pas être pas mort ?", ils émettent pêle-mêle dans un questionnement mutuel :

  • " On n'a pas droit d'aller devant les guerres sinon on se tue !
  • Mais quand on sait pas, on peut aussi être mort ?
  • Quand on sait pas quand y a de la guerre à côté ? ".

Dans leurs propos, le péremptoire voisine avec l'interrogatif. Mais aussi l'injonctif :

  • " Aussi on peut faire un accident de la route et on est mort on va à l'hôpital.
  • Et ben si on va sur la route et ben on se fait tuer par les voitures.
  • On peut se faire écraser.
  • On doit pas aller sur les rails d'un train.
  • Aussi dans le métro.
  • Aussi faut pas se mettre devant une voiture.
  • On va pas sur les rails d'un TGV.
  • On va ni sur les roues ".

Il n'est pas facile d'être subordonné à l'écoute des autres et en même temps d'élaborer sa propre réflexion. Il faut savoir prendre les informations pertinentes dans ce qui s'échange et faire preuve de concentration et d'analyse pour saisir le fil du discours du pair. Les enfants découvrent ainsi l'abstraction. Certains enfants font preuve d'un sens de la logique et jouent le rôle de reformulateur spontanément, quand ils constatent qu'un autre intervenant est un peu " noyé " dans la masse de propositions et risque de se trouver hors sujet.

Par exemple :

  • " Je veux dire la question pour Alexis, et ben la question c'est pour protéger les autres. 
  • Par exemple y a un petit qu'est devant un vélo et le vélo va foncer dans le petit et ben y a un enfant qui va... l'emmène sur un banc".

Et voilà nous sommes revenus au sujet, dans la droite ligne de la communication.

Parfois les enfants vivent une situation très déstabilisante. Ils peuvent se retrouver avec le bâton de parole dans la main et ne plus avoir de mots pour s'exprimer : " ben je sais plus, ça c'est envolé ". Il est utile, de la part de l'adulte, de rassurer l'élève, en lui expliquant qu'il va sans doute retrouver ce qu'il voulait dire, que c'est le fait d'être en train de " penser " qui entraîne ce phénomène de flux des idées et des mots qu'on rattrape au vol. L'enfant se rassied et retrouve confiance et la plupart du temps, deux ou trois interventions plus tard, " c'est revenu ", il est alors prioritaire pour intervenir.

L'enseignant resitue le propos selon l'avancée de la réflexion dans la discussion. Ici nous ne parlions plus de la protection d'un tiers dont on se sentait responsable, mais des préventions à mettre en place pour éviter les accidents à risque.

- " Quand la une dame... et ben... on peut avoir un bébé ".

Le développement de la réflexion est parfois surprenant et dans un entretien à plusieurs, il s'enrichit d'interventions qui paraissent déconnectées. Ici cette intervention de la dame avec son bébé reprend en raccourci la synthèse de ce qui a été dit et qui a cheminé doucement dans la tête de cette petite fille. Elle a entendu les échanges sur les bébés dans le ventre, qui grandissent et, devenus adultes, peuvent à leur tour avoir des bébés et qui devenus très vieux mourront, mais les bébés grandiront. Par ce rappel du cycle de la vie, elle introduit la nécessité de la mort symbolique ou non pour engendrer la vie.

Argumentation : il s'agit de développer avec les enfants une pensée réflexive sur le sujet pour construire ensemble une argumentation en cherchant des exemples pour construire son idée, l'étayer, afin de réussir à se faire comprendre, à faire accepter par d'autres les idées qu'on avance.

Ouvrir le débat sur une ou des problématiques : c'est à dire élaborer des liens entre ce que je dis et ce qui est dit par les uns ou par les autres, pour faire avancer ma pensée et la réflexion collective.

Ex : partir de la question "Qu'est ce que la mort ?" :

  • entendre le problème du statut, du lien de parenté ;
  • évoquer l'aspect évolution de chaque individu qui grandit ;
  • établir le lien avec le cycle de la vie ;
  • envisager la notion de droit : "Peut-on tuer ? Que se passe-t-il alors ?" ;
  • prendre conscience de la notion de l'action : écraser c'est tuer ;
  • rejeter, c'est une autre façon d'aborder la mort, d'exclure de la vie du groupe...

Atteindre à l'élaboration de concepts et de l'universel

Avec les enfants, nous travaillons sur ces liens entre le verbe et la pensée, permettant de reprendre à travers ce qui a été dit les causes, les conséquences, les qualités, les différents cas de figure énoncés, pour faire émerger dans ces extensions ce qui deviendra une construction cognitive à laquelle l'élève puisse se référer. Le débat remplit tout en le dépassant le rôle du conseil de la Paix, qui est tuteur des relations sociales et guide de vie pour les enfants.

LA RENCONTRE PROPREMENT DITE

Elle porte sur le thème de la mort : "Comment s'en protéger ? Comment éviter de la provoquer ?". Elle émane de la demande des maîtresses, qui s'interrogent après plusieurs incidents graves, dûs à quelques enfants qu'aucun discours, sanction ou explication n'ont réussi à calmer.

Par exemple cet enfant qui lance une pierre sur la bouche d'un autre. Après une discussion pleine de fermeté avec les maîtresses, il s'engage à un peu plus de calme et d'attention aux autres. Une semaine après il recommence, cette fois le caillou atteint l'oeil de la victime. Lorsqu'il est encore grondé, il s'étonne de l'être en disant : " J'ai pas visé la bouche ! ".

Nous nous retrouvons au lendemain de la fête des mères, week-end où les enfants pour beaucoup d'entre eux ont eu, on peut le supposer, l'occasion d'être en contact avec leurs grands-parents en famille. Ces retrouvailles intergénérationnelles soulignent les différences d'âge des membres d'une même famille. Les élèves à l'esprit " pointilliste " repèrent les caractéristiques de ces différences tant au niveau physique, flétrissement de la peau, difficulté de déplacement etc., qu'au niveau des rôles et des possibles dans la famille.

Prise de contact

Je me présente, mon nom, mon rôle et leur explique que : " Nous allons réfléchir sur notre vie et le fait de mourir. Chaque fois que vous direz une chose avec laquelle nous serons tous d'accord, Madame D. l'écrira sur la grande feuille au mur. Lorsque ce sera écrit, il ne sera plus nécessaire de le redire, vous pourrez lever la main pour dire une nouvelle idée ".

La discussion est menée avec les trois classes en présence. Nous sommes assis autour d'une grande salle avec un magnétophone au milieu et son micro que les enfants connaissent bien et qui tiendra lieu de bâton de parole. Le calme établi, les enfants se saluent et entrent en relation en se posant les mains les unes sur les autres tout autour du cercle. L'un d'eux proche de moi m'explique que c'est " Le signe de la paix pour dire qu'on est ami".

Je propose un premier essai avec cette question : "Qu'est-ce que la mort pour toi ?". Lors de la première intervention personnelle avec le bâton, l'enfant se tortille et bafouille. Il hésite car il veut refaire une intervention sur le sujet précédent, traité en classe. Il sent confusément que ce n'est pas ce qui est convenu. Mais c'est important pour lui d'exposer son propos : " Quand j'étais bébé, et ben j'étais tout petit j' pouvais rien faire, une fois j'avais touché la mort j'avais pas écouté, après quand je suis sorti du ventre de maman et ben après j' m'en rappelle plus, après j'ai un petit peu grandi je suis venu ici j'ai appris à faire tout, c'est comme ça que je suis devenu grand ".

Souvent les enfants ignorent ou maîtrisent très mal les connecteurs logiques nécessaires pour produire un énoncé clair et construit. Quand ils se lancent dans une explication ou abordent un récit de leur vécu, les phrases sont juxtaposées et la logique qui les soutient ne semble pas évidente pour l'observateur. Parfois il s'agit juste d'une suite de mots, la syntaxe est singulièrement absente. Cependant on voit que la mise en confiance liée à l'écoute fait resurgir des émotions oubliées, comme une certaine souffrance d'être petit. Un enfant rebondit sur celle émise par l'enfant en disant : " on peut rien faire quand on est bébé ".

C'est important de laisser une relative souplesse aux interventions, car ce n'est pas facile de se dire devant tous, de parler de soi. Il est nécessaire que les enfants se sentent libres de toute contrainte : ce qui s'échange ici, ce n'est ni bien ni mal, il n'y a pas de bonne réponse, mais une pensée en construction. Souvent les enfants n'ont pas construit de pensée avant de parler. Leurs phrases sont inachevées. Ils attendent d'être devinés. Il est difficile pour eux de verbaliser leur pensée. Ils ont envie de s'exprimer plus qu'ils n'expriment un discours, leur attention est labile. Ils lèvent la main moins pour parler que pour dire " je suis là, écoute-moi ". Parfois interrogés, ils restent silencieux, surpris d'avoir oublié ce qu'ils voulaient dire. Peut-on parler d'une mort émotionnelle qui paralyse le locuteur et le prive de parole à partager ?

Par contre il y a nécessité de rappeler la règle, de répondre aux questions dont nous convenons ensemble pour avancer dans le débat, car ce n'est pas une conversation, un simple échange de propos qui n'aurait pas de finalité. C'est une réflexion qui s'enrichit et s'élabore en tissant des liens entre les différentes interventions.

Je rappelle les idées déjà émises, cette reformulation permet de préciser la syntaxe en faisant une remarque positive au locuteur : " Nous avons écrit, c'est-à-dire gardé la mémoire de vos paroles sur la grande feuille, je vous les relis ". Un enfant reprend : " quand j'étais petit, j'étais petit comme ça ". Il est difficile d'éviter la frustration de ceux qui ont besoin de temps pour assimiler les questions, pour construire leur réponse, pour oser parler devant tous, et qui de ce fait se décident, semble-t-il, avec une marée de retard, répondant à une question antérieure quand leur tour d'intervenir arrive :

  • " Ma mamie est plus vieille que maman.
  • C'est qu'il sait pas bien marcher les papys, quand ils sont vieux ils ont plus beaucoup de force donc ils ont des cannes pour marcher.
  • Les mamans elles ont moins de force parce que avant elles étaient bébés, elles avaient pas de force, et puis maintenant elles ont plus de force. Et puis après elles deviennent vieux.
  • Moi mamie, elle était malade et puis après elle est morte.
  • Sa maladie elle a eu la crise cardiaque.
  • Ben tu sais ma grand-mère et mon grand-père il est mort parce qu'il avait la maladie méchante.
  • Ben oui c'est méchant une maladie hein !
  • Et ben moi ma mamie est plus vieille que ma maman.
  • Ben tu sais ma maman quand elle était petite, elle était dans le ventre de mon papa.
  • Ma mamie est plus vieille que mon papa.
  • Ça existe des mamies qui ont des moustaches aussi.
  • Ma mamie un jour elle a eu une très grosse maladie et ben maintenant elle est morte.
  • On a déjà dormi au camping-car.

Cette pluie d'interventions permet à de nombreux enfants de s'exprimer et ainsi de rôder le dispositif, régulant les règles pour la prise de parole, de respecter son tour, de ne parler qu'avec le micro en ayant quelque chose à dire. L'enfant qui intervient avec son camping-car est habituellement très timide. Il a été invité à prendre le micro, sa phrase est gardée, pour l'encourager à parler devant tous. Les répétitions de propositions permettent en changeant les termes de faire que tous s'approprient clairement le propos. On peut ainsi ensemble synthétiser ce qui a été énoncé : de la conception à la vie intra utérine jusqu'à la naissance. De l'arrivée à l'école à l'arrivée à l'âge adulte. Puis les prémices de la vieillesse, qui conduisent vers la mort.

Je les invite à avancer dans leur réflexion en posant de nouvelles questions : " Qu'est-ce qui s'est passé quand papy ou quand mamie est morte ? Qu'est-ce que ça veut dire être mort ? ".

  • "  Ça veut dire qu'on est en dessous d'une pierre.
  • Quand on est mort on est dans un cimetière.
  • Quand on est mort ça veut dire et ben qu'on peut plus vivre.
  • Quand on est mort on est mort pour toute la vie.
  • Quand on est mort on est dans un cercueil.
  • Quand on est mort on est un ange. "

" Explique-nous un petit peu, vous savez tous ce que c'est un cercueil ? "

  • " C'est un coffre ".
  • " La pierre tout le monde sait ce que c'est ? ".
  • " C'est le dessus de la tombe, la tombe mmm ben en fait à côté y a des grosses pierres et les gens sont dedans dans le cercueil et le cercueil est dans la tombe.
  • Les cercueils c'est sur l'herbe.
  • Le cercueil est pas sur la terre il est en dessous de la terre.
  • Des fois quand on est mort on est au ciel.
  • C'est l'esprit qui va au ciel.
  • Le cercueil c'est ya quelqu'un qui a quelque chose et dessus ya un petit pot en verre.
  • Quand on est mort on est une petite poussière aussi.
  • Ben quand on est mort on est des squelettes.
  • " Jules nous dit que c'était pour toute la vie ! "
  • " Ouais c'est pas intéressant ! "
  • " Et vous vous pensez que c'est intéressant d'être mort ? "
  • " NON ", réponse générale...

On explique, on argumente encore.

  • " C'est pas intéressant d'être mort parce que ça fait très peur et ça fait pleurer (voix tremblotante).
  • Quand on est mort ben y a des fleurs dessus.
  • Quand on est mort y'a...silence de l'enfant (une maîtresse rappelle la question : est-ce que c'est bien d'être mort ?).
  • Quand on est mort on fait la prière.
  • C'est pas quelque chose qu'on a déjà dit ? (Cet enfant prévient le rappel à la règle, les interventions doivent éviter les répétitions, il affirme son droit à parler).
  • Et ben c'est pas l'homme qui part complètement, c'est l'âme qui part dans le ciel.
  • Quand on est mort et ben, l'homme y peut plus rien faire, il peut que surveiller, il devient un ange gardien.
  • Quand on est mort des fois, quand on est mort, on peut plus aller faire ses courses.
  • C'est pas drôle d'être mort parce qu'on peut plus rien faire.
  • Quand on est mort c'est pas bien parce que on peut plus respirer.
  • Aussi c'est bien d'être mort parce que on est gentil sur la terre si on est gentil et ben on est au paradis et y a plein de choses au paradis et si on est méchant on l'est en enfer ".

J'ouvre le débat et propose la question autrement : "  Est ce que vous auriez envie d'être mort ? ".

  • "Non je voudrais pas être mort parce que maman elle nous prépare des trucs elle me donne des trucs que j'aime bien !
  • Moi j'aime pas être mort parce que ma maman j' l'aime bien !
  • Moi je voudrais rester avec mon papy ma mamie parce que ma mamie elle me donne des jouets.
  • Moi aussi j'aime ma maman et mon papa alors j'ai pas envie d'être mort.

Les enfants énoncent des aspects positifs de la mort selon eux, qui sont liés à la toute puissance à laquelle ils se réfèrent à cet âge. Ce rêve de pouvoir supra naturel est en lien avec la peur de l'adulte devant ces forces occultes qu'il ne s'explique pas.

  • " Quand on est mort et ben on décide si va y avoir la pluie ou l'orage ou la grêle ou le soleil".
  • "  Toi tu aurais envie de ne plus être avec tes copains et d'être mort pour pouvoir dire la pluie ou le soleil ?".
  • "Non !
  • Moi je veux pas être mort parce que je veux rester avec mon papa et ma maman, j'aime bien mes jouets et mon papa et ma maman.
  • Et ben jésus il était allé au ciel et puis après il a  " revi " et après il est encore mort (grande réaction à cette idée d'une possibilité de revivre, d'où un certain brouhaha entravant la saisie d'un dialogue selon les règles, puis le calme se rétablit et l'enfant répète son idée , les autres lui répondent).
  • Ça se peut pas qu'on "revit".
  • Quand on est un ange on disparaît.
  • Ça existe pas parce qu'on peut pas revivre.
  • Ça peut pas parce qu'on devient un squelette !"

J'ouvre encore le débat et propose la question du respect des autres : " Comment peut-on faire pour les protéger ? Que faire pour éviter que les autres ne soient blessés, que les autres soient morts ?"

  • " Faut pas mettre beaucoup de roues dessus et mettre une roue sur les autres roues sinon on va être mort ;
  • on pourrait plus respirer ;
  • on pourrait être un squelette ;
  • on va pas sous notre couverture on peut plus respirer ;
  • et on peut plus avoir de la force ;
  • on peut plus on peut aller à l'hôpital ;
  • et ben des fois quand on est mort et ben après quand on est mort on peut plus respirer ;
  • quand on met beaucoup beaucoup de roues et qu'on met un couvercle et qu'il a même pas de trous et ben on peut plus respirer et après si quelqu'un fonce dedans et ben tous les roues y tombent et ben y peut être mort après s'il est blessé (On est au coeur du problème : c'est l'accident qui s'est produit dans l'école précédemment et qui a impressionné les enfants et les adultes d'où l'importance de laisser chacun le dire avec ses mots) ;
  • si quelqu'un fonce avec un vélo et qui y a quelqu'un dedans et ben il sera blessé ;
  • si on est très haut d'un arbre et qu'on lâche, on peut se tuer ;
  • si l'est tout au bout et qui croît qui peut pas se tuer et qui lâche et ben en fait y peut se tuer ;
  • et ben un TGV ça va très très vite ".
  • et ben à l'école faut apprendre avec les vélos à bien conduire pour quand on est grand pour conduire des motos ou des scooters ou des voitures. Sinon quand on est en retard à notre travail et ben on peut pas y aller plus vite et si on traverse une route et que la voiture va vite et que nous on court et ben on peut se faire écraser ;
  • je veux dire la question pour Alexis, et ben la question c'est pour protéger les autres ;
  • quand la une dame et ben on peut avoir un bébé ;
  • par ex ya un petit qu'est devant un vélo et le vélo va foncer dans le petit et ben ya un enfant qui va l'emmène sur un banc.

Le développement de la réflexion est parfois surprenant et dans un entretien à plusieurs, il s'enrichit d'interventions qui paraissent déconnectées, mais cette dame avec son bébé reprend la synthèse de ce qui a été dit et qui chemine doucement dans la tête de cette petite fille qui a entendu les échanges sur les bébés dans le ventre qui grandissent et devenus adultes peuvent à leur tour avoir des bébés et ce rappel du cycle de la vie introduit la nécessité de la mort symbolique ou non pour engendrer la vie.

  • "Le petit enfant y veut foncer sur le petit et si on le met sur le banc et ben y se fait pas écraser.
  • Des fois moi je protège ma famille quand ya ma petite soeur qui veut descendre de mon lit et ben moi je l'attrape et puis je la met par terre.
  • Et ben sinon elle tombe et elle peut saigner.
  • Faut pas se mettre devant une voiture qui roule sinon on peut se faire écraser.
  • Un jour Joachim a lancé une pierre et Jordan il a saigné de la lèvre.
  • Et ben si on est plus malade on le refait plus.
  • Et ben moi quand j'étais sur le banc et ben Manon et Alexia elles me poussaient et ça m'énervait".

Invitation à la parole auprès des enfants qui n'ont pas parlé

Il peut y avoir sollicitation de la part de l'enseignant " président de séance " auprès d'élèves qui n'ont ni frère ou soeur, ouverture à la protection de son chat ou de son chien : "Qu'est ce qu'on peut faire pour quelqu'un qui ne peut pas se défendre ?".

  • "Ben faut partir à la maison.
  • Et ben un jour ma petite soeur et ben elle était tombée de la cuisine et ben j'avais vu et puis et j'ai pas protégé j'ai rien fait et c'est papa et ben il l'a ramassé.
  • Et ben moi si ya un chat qui veut griffer mon autre chat qui est petit et ben je le prends et ben je vais rentrer vite vite vite à la maison.
  • Et ben moi ma soeur y avait la casserole avec l'eau chaude et ben je l'ai retirée pour pas qu'elle tombe
  • Et ben Joanna quand elle vient à la maison et ben c'est mon autre soeur c'est ma belle soeur, j'ai deux belles soeurs et des fois quand on va se promener et ben si ya un gros chien si y a un caniche qui la mord et ben moi je la prends dans mes bras et puis je vais vite quelque part si par exemple on est dans le jeu et ben je vais dans la cabane je ferme la porte et ben comme ça y pourra pas venir.
  • En fait c'est Kinoun la chienne de ma soeur que je porte.
  • Moi je veux répondre à Anaïs pour protéger son chien, ben tu vas dire au monsieur de mettre la laisse et de s'en aller, comme ça ton chien y craint rien !
  • Aussi il faut pas lancer des pierres.
  • Il faut retirer les motos quand il y a quelqu'un dessous le mur d'escalade.
  • En fait faut prévenir celui qui monte parc'qu'il voit pas dessous.
  • S'il y a quelqu'un sur le mur d'escalade, il peut faire un trou à la tête.
  • Il faut dire qu'y saute pas sur la moto !".

"Eh bien, merci les enfants pour votre participation, cette conversation était très intéressante ! Au revoir !". Nous refaisons le signe de la paix pour nous saluer avant de nous séparer.

De nombreux enfants sont intervenus pour participer au débat. Autant les moyens que les grands, c'est-à-dire des élèves dans une fourchette d'âge de 3 à 6 ans. Quand un dispositif d'écoute fonctionne dans un groupe, les élèves sont plus à même de réfléchir, de développer leur pensée, de s'appuyer sur les interventions des uns et des autres pour enrichir leur propre cheminement, d'assurer l'évolution de leurs idées.

De plus le fait de requérir l'accord de tous pour écrire l'idée retenue qui traduit ce que plusieurs ont exprimé sous des formes différentes, permet de synthétiser ce qui s'est dit, de préciser plus exactement ce qu'ils voulaient dire et de recentrer le débat afin de faire avancer la réflexion. On peut faire le constat suivant dans cette école : les élèves qui élaborent un respect entre eux au quotidien sont moins violents entre eux.

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