(Nous avons publié dans le numéro précédent la première partie de cet article)
Comme nous l'avons en partie expliqué, l'atelier démarre d'emblée par une prise de risque, de la part de l'élève et de la part de l'animateur, prise de risque du choix et du jugement, qui se prolonge tout au long de l'exercice. En réfléchissant sur ses choix, en les articulant, tout en sachant qu'il devra les argumenter, voire les justifier, afin d'en approfondir la teneur et d'en vérifier le contenu, l'élève prend un risque qu'il ne faut pas sous-estimer. Périodiquement, certains n'y arriveront d'ailleurs pas. Risque d'exprimer ce qu'il pense, risque de parler devant les camarades, risque de parler devant l'enseignant, risque de ne pas pouvoir justifier ses choix, crainte de "mal faire", etc. Pour l'enseignant, la prise de risque est d'entendre des choix et des arguments qui pourront lui sembler aberrants, inquiétants, voire faux. Sans pour autant manifester sa désapprobation ou son inquiétude. Tout en continuant la procédure de questionnement, à cet élève ou à un autre. Certains enseignants avouent en outre leur impatience face à ce genre de situation, révélatrice d'une certaine inquiétude.
En général, l'atelier commence par une question. Une question ouverte, et non fermée, car elle ne fait pas appel à des connaissances spécifiques qui autoriseraient une autorité quelconque à valider ou invalider la réponse comme étant bonne ou mauvaise, vraie ou fausse. Car il s'agit de produire une pensée, et non de fournir la bonne ou la vraie réponse. Exigence qui peut surprendre l'élève, peu habitué à ce type de demande. Car si l'exigence de vérité n'est pas au rendez-vous, il en est d'autres qui ne sont pas moins exigeantes. La réponse répond-elle à la question ? L'esquive-t-elle ? Répond-elle à une autre question ? La réponse est-elle claire ? Est-elle un minimum justifiée par un argument ? Déjà, il s'agit nécessairement de produire des phrases, plutôt que de manifester un simple assentiment ou articuler un mot isolé. Il s'agit de construire la pensée, et non de vérifier l'apprentissage d'une leçon.
L'incertitude face à l'absence de validation immédiate et assurée gênera d'ailleurs souvent les élèves les plus " scolaires ". Ils auront l'impression d'être livrés au néant. Ils demanderont et redemanderont ce qu'il faut faire, incrédules, ayant du mal à croire qu'on réclame d'eux uniquement de penser, sans attendus de réponses spécifiques, validées d'avance. Lorsqu'il s'agit d'une discussion avec l'ensemble de la classe, ces élèves appliqués et studieux se sentiront abandonnés par le maître, trahison les privant d'une présence sécurisante, de la garantie habituelle et réconfortante d'un jugement certifié conforme. Même les " cancres " seront inquiétés par ce type de procédure, qui les soustrait eux aussi à la spécificité de leur statut, volontaire ou non, dans lequel ils se sont installés. Car c'est au jugement de l'ensemble de la classe que doit se mesurer chaque élève, un jugement mouvant et inattendu, imprévisible et déstabilisant, auquel il est demandé de se confronter. Confrontation autrement plus périlleuse que celle de la quasi-incontestable autorité du maître, même si la parole revêt une apparence plus libre et spontanée. Ainsi, ce qui pouvait paraître apparemment trop facile s'avère au contraire ardu, très ardu pour certains.
Toutefois, comme nous l'avons déjà dit, afin de dédramatiser la prise de risque auprès des élèves, l'exercice est souvent présenté comme un jeu, comparable à un autre, et l'aspect ludique doit être périodiquement rappelé, en alternance avec des moments plus sérieux. Pour les enfants qui ont du mal à exprimer leur opinion, il s'agit d'être patient, de recourir à eux de temps à autre afin qu'ils ne se sentent pas exclus, quand bien même ils ne réussissent pas à verbaliser aisément, ou même très peu, et à rassurer les timides en leur proposant de parler plus tard s'ils se sentent coincés. L'enseignant devrait ainsi veiller à ce que tous puissent s'exprimer un minimum, en s'assurant que les plus loquaces n'écrasent pas les autres, danger récurrent de toute discussion. D'autant plus que ceux qui produisent de l'oral de manière plus laborieuse ne sont pas nécessairement les moins intéressants et les moins profonds.
Répondre à des questions de connaissance présuppose un apprentissage spécifique : une leçon apprise, des éléments d'information retenus. Articuler une pensée implique la totalité de l'être. C'est en ce sens que le discours ne renvoie plus à de simples enjeux de savoir théorique et formel, mais à un savoir-faire, voire à un savoir être. Car c'est la pensée tout entière qui est convoquée lorsqu'il s'agit de faire un choix. De là l'intérêt de se risquer à l'articulation d'un choix, conçu comme acte inaugural de la pensée. Reste ensuite à justifier la proposition initiale en mobilisant les connaissances acquises, en élaborant les arguments et les raisonnements possibles, en tentant de répondre en un second temps aux questions et aux objections. Quitte à revenir sur son jugement initial, décision on ne peut plus fondamentale, car elle manifeste une certaine liberté de pensée et un rapport honnête et courageux aux autres, ainsi qu'à ce que l'on peut nommer une quête ou un souci de vérité.
Dernier point important au sujet du jugement : il correspond à une réalité existentielle dans la mesure où les connaissances sont généralement ce qui nous permet d'effectuer des choix, jour après jour. Une telle pratique permet donc de rendre sa réalité usuelle à l'enseignement, puisqu'il ne renvoie plus uniquement à la classe, aux bonnes et mauvaises notes et à la succession prévisible des années, mais à ce qui constitue le rapport entre un sujet et le monde qui l'entoure, le monde qu'il habite. Il s'agit donc de travailler au corps la tendance schizophrénique de la double vie, du double langage, entre l'école et la rue, entre les livres et la maison, entre la classe et la cour de récréation, hiatus qui affaiblit énormément - quand il ne mine pas carrément - le travail de l'enseignant et le processus d'éducation auquel est censé participer l'enfant. Ainsi, au cours de l'exercice philosophique, l'élève sera amené à effectuer des choix pour répondre aux questions, à analyser ses propres choix et ceux de ses camarades, à justifier ces choix, à déterminer le degré de validité des arguments invoqués, et même à poser des jugements sur les comportements qui président aux discours, aux réactions et aux réponses de chacun. Autant de décisions cruciales, qui se doivent d'être lentement construites et examinées, car non seulement elles ne sont pas annexes au fonctionnement quotidien, mais elles en forment la substance et le creuset. Et s'il s'agit de réfléchir, discuter et travailler plus directement la matière spécifiquement scolaire, l'appropriation de cette matière en sera facilitée, puisque l'élève sera invité à la mettre en oeuvre, à la rendre opératoire, à prendre position par rapport à elle, pratique qui interdit une sorte d'extériorité formelle au travail de classe. Nul ne peut dès lors se cantonner à une position extérieure, puisque la règle du jeu pose comme préalable de se situer par rapport à la matière étudiée. La vie est rendue à la matière, la matière est rendue à la vie.
7 - QUESTIONNER, ARGUMENTER, APPROFONDIR
S'il est un principe fondamental qu'il s'agit d'inculquer dans notre affaire, c'est le réflexe du questionnement, questionner l'autre et questionner soi-même, questionner tout ce qui est énoncé. Or il est un accès privilégié au questionnement : le " pourquoi ? ", élément dynamique et déclencheur, fondateur de la pensée et du discours, qui procurera à la pensée et au discours sa substance, en lui demandant de s'étayer et de s'approfondir. Le " pourquoi ? ", auquel fait écho un " parce que ", répond à divers types de demande : " Qu'est-ce qui nous fait dire cela ? ", " De quel droit dit-on cela ? ", " Comment expliquer qu'il en soit ainsi ? ", " Dans quel but dit-on cela ? ", " Que signifie ce que l'on dit ? ", " Qu'implique ce que l'on dit ? ". Sont questionnés à la fois le sens des paroles, la raison d'être de leur objet, la légitimité de leur auteur. Ce processus multiforme déclenché par un puissant adverbe interrogatif, invite à extraire le discours de sa plate et immédiate évidence, afin d'en démêler les arcanes, d'en éclairer la genèse, d'en entrevoir les implications et les conséquences. " Mot magique " dirons-nous avec les plus jeunes, afin de leur laisser entrevoir la force et les innombrables possibilités du questionnement contenu au sein du " pourquoi ? ". S'il est un terme qui permet de montrer le pouvoir des mots, c'est celui-là, qui, lancé à un interlocuteur, le laisse souvent embarrassé, alors que l'auteur du discours doit simplement rendre compte un minimum de ses propres paroles.
Les élèves saisissent bien la portée du " pourquoi ? ", car une fois initiés à ce terme, lorsqu'ils doivent poser une question, ils s'empressent de l'utiliser à répétition, si ce n'est à tort et à travers, comme solution de facilité : " Pourquoi as-tu dit ça ? ". Car si " Combien ? ", " Quand ? ", " Comment ? ", " Où ? ", " Qui ? ", " Quel ? ", " Que ? " ou " Est-ce que ? " requièrent pour leur utilisation la compréhension de circonstances spécifiques et l'élaboration d'une phrase appropriée, le " Pourquoi ? " peut toujours être casé de manière simple, sans gros effort de l'imagination. À tel point qu'il sera parfois utile d'en suspendre momentanément l'utilisation, dans le cas d'une systématisation abusive qui semble gêner la progression du travail. Car si la question est facile à poser, il est d'autant plus difficile d'y répondre ; or celui qui questionne se doit aussi de réaliser un véritable travail, permettant de faire émerger de nouvelles idées, en posant des problèmes spécifiques à l'interlocuteur, et non en trouvant un " truc " qui peut être casé à tout propos.
Le questionnement impose donc à l'élève de justifier ses propos, de fournir des arguments, des preuves, des raisonnements, autant de nouvelles propositions qui en principe devraient à la fois soutenir la proposition ou les propositions initiales, et en approfondir la teneur. Dans cette perspective, sont tenus en échec un certain nombre de type d'arguments classiques qui, s'ils ne sont pas prononcés ouvertement, font pourtant office de loi, surtout en classe : l'argument d'autorité par exemple. Car dans l'exercice philosophique, il n'est plus question de se référer au maître, aux parents ou à un livre quelconque pour établir la valeur d'une idée. Non pas que ces sources " premières " de la connaissance soient invalidées d'office, loin de là - il serait d'ailleurs difficile et vain de prétendre s'en abstraire -, mais elles trouveront leur place uniquement dans le cadre d'une construction intellectuelle, c'est-à-dire en un agencement de propositions établies par l'élève. En ce sens, il devient l'auteur de son propre discours, même si l'empreinte d'une quelconque influence peut se faire sentir de manière appuyée.
Le processus dans lequel est engagé chaque participant à travers ce questionnement est nommé, chez Platon, principe anagogique. Il s'agit de retracer en amont l'origine d'une pensée particulière, afin d'en vérifier la teneur, car c'est en cette origine que se retrouve le véritable sens d'une idée, et non en son apparente évidence. De plus, le processus de remontée dans l'être de l'idée rend à la pensée sa vigueur, ce qui permet de passer du stade de l'opinion à celui de l'idée. En effet, la distinction entre l'opinion et l'idée se résume au travail qui l'engendre et l'entoure. Une même proposition peut donc être considérée opinion ou idée selon le mode de lecture ou d'analyse utilisé, selon le degré d'intensité de l'interprétation. Enfin, cette enquête sur la causalité d'une idée fournit aussi dans le temps un certain nombre d'idées annexes, corrélats de l'idée initiale, qui éclairent cette dernière. Certaines contradictions ou incohérences émergent, qui s'offrent à l'étude et à la critique. Cette confrontation entre les différentes idées devient ainsi l'occasion, à travers un effort de cohérence que l'on peut assimiler à un souci de vérité, d'identifier et de retravailler divers postulats jusque-là restés inconscients dans l'esprit de leur auteur. Confronté à une multiplicité de propositions, l'intellect se doit d'en découvrir l'unité fondatrice et causale.
Ainsi, le travail qui consistait en premier temps à fournir des arguments pour répondre à des questions quant à la justification d'un propos initial, se transforme rapidement en un travail d'approfondissement. L'argumentation pouvant pratiquement se réduire à un simple prétexte, celui d'une exploration ou d'un examen plus fouillé. Ce qui nous autorise à évaluer la légitimité d'une idée non par quelque canon établi a priori, ou par appartenance à un texte officiel, mais grâce au rapport qu'une idée spécifique entretient avec son environnement intellectuel. Mais pour réaliser un tel projet, il est nécessaire d'apprendre à poser des questions, exercice qui constitue un art en soi. Car si certaines questions, percutantes, facilitent le travail et donnent lieu à un approfondissement, d'autres au contraire trouvent porte close ou n'invitent nullement à la production de concepts.
Le travail du questionnement oscille entre deux écueils. D'une part la question qui ressemble à un cours, difficile à comprendre, avec un long préambule qui souvent contient déjà les réponses attendues : celles qui laissent l'interlocuteur sur le carreau, soit par incompréhension, soit parce qu'il sent bien que l'on n'attend de lui rien d'autre qu'un acquiescement. D'autre part la question vague qui ne demande rien de spécifique : le " Dis-m'en plus " peu inspirant qui n'invite à rien. Sur cet aspect du travail, davantage encore que sur d'autres aspects, l'enseignant apprendra des élèves, c'est-à-dire de la multiplicité, car il est difficile de prévoir quel genre de question opèrera plus qu'une autre dans un cas particulier : c'est uniquement grâce à l'expérience, " sur le tas ", que cette pratique s'améliorera. Car s'il est plus facilement possible pour l'enseignant d'entrevoir un point aveugle ou une contradiction dans une parole donnée, ce n'est pas pour autant qu'il trouvera les mots qui feront mouche chez l'interlocuteur, lui faisant prendre conscience du problème interne que couve son discours. C'est pourquoi toute la classe est invitée à se pencher sur les propositions d'un " auteur ", car chacun doit réaliser que ce n'est pas tant de donner " sa " réponse qui représente le véritable travail, que de forger les questions appropriées. D'autant plus qu'une vraie question exige de ne pas mettre de l'avant ses propres idées, ce qui implique un redoublement du travail : prendre conscience des idées que l'on véhicule, et réussir à taire ses propres concepts et convictions, les mettre de côté pour s'adresser à quelqu'un afin de savoir ce qu'il pense, sans chercher à lui communiquer la " bonne pensée " ou à induire un contenu. Critique interne, nous dit Hegel, qui interroge de l'intérieur une thèse, à distinguer de la critique externe, qui consiste à avancer arguments et concepts servant à objecter. Questionner, c'est faire accoucher, ce qui signifie que les idées doivent émerger chez celui qui est interrogé, et non être fournies clé en main par le questionneur. Questionner, c'est créer un interstice de respiration et non boucher un trou.
La singularité du discours présuppose une sorte d'originalité de ce discours, originalité qui en constituerait la spécificité. Pourtant, on pourrait difficilement affirmer que tout ce que l'on entend dans une discussion de classe possède une telle caractéristique d'originalité. Aussi, sans exclure le côté parfois inattendu de certaines réponses, pour le moins surprenantes, proposons l'hypothèse que la forme première de la singularité est plutôt celle de l'engagement. S'engager sur une idée, prendre des options sur une idée, c'est la rendre singulière, ou personnelle, par un phénomène d'appropriation. Ainsi, régulièrement, au cours de l'exercice, l'élève devra prendre parti, que ce soit par la production d'une idée ou par son rapport aux idées des autres. Pas uniquement sur le fait d'être d'accord ou non, mais aussi sur la nature même du discours proposé, sa cohérence, sa logique ou sa justesse, le sien ou celui d'un autre. Parti pris qui, comme on l'a vu, devra dans la mesure du possible pouvoir être expliqué, argumenté, justifié, etc.
L'idée de déterminer sa position par rapport à une question donnée, quel qu'en soit le degré d'abstraction, implique un acte de réflexion, une prise de conscience, qui demande aux élèves un effort, à certains plus qu'à d'autres. Car il devient nécessaire de se poser consciemment la question du choix personnel, ce qui dans les petites classes n'est pas nécessairement un acquis. Pour que cet acte s'effectue, il s'agit tout d'abord ne pas tomber dans un premier piège : le réflexe de la répétition, très courant en ces âges. Dire comme les autres, fussent-ils les élèves ou le maître, c'est la tentation et la solution de facilité, le réflexe fusionnel si commun chez les enfants. Fusion avec le groupe, parce que cela fait moins peur, parce qu'on se sent moins seul ou parce qu'il faut faire comme les autres. Fusion avec le maître, parce qu'il est un adulte, parce qu'il est celui qui sait, parce qu'il doit avoir raison.
Pour cette raison, au cours de notre exercice, il est crucial que l'enseignant ne manifeste ni accord ni désaccord, tout au moins sur le contenu, et même sur la forme, ce qui ne l'empêchera nullement de revenir en d'autres moments sur un problème soulevé qu'il lui semble devoir traiter lui-même. Quant au rapport entre camarades, afin d'assurer qu'il n'y ait pas de répétition mécanique, une des règles du jeu consiste à interdire de redire ce qui a déjà été dit par quelqu'un d'autre, ou par soi-même, au risque d'un symbolique "mauvais point" ou d'une élimination momentanée. On observera parfois certains élèves qui tentent d'articuler différentes formulations d'une même réponse afin de reprendre l'idée et ne pas pour autant être sanctionnés par la règle du jeu, ce qui en soi est un mécanisme intéressant. Car il s'agira pour tous de se demander si cette " nouvelle " réponse est identique ou non à la précédente, ou si elle a produit une quelconque nouveauté conceptuelle. L'animateur pourra à tout moment demander à la classe : "Est-ce que quelqu'un a déjà dit cela ?". Et pour que la proposition puisse être refusée, il faudra pour commencer qu'au moins un élève reconnaisse qu'il s'agit d'une réponse identique à celle de quelqu'un d'autre : il devra expliquer en quoi ces réponses sont semblables et de préférence nommer l'auteur de la réponse initiale. En cas de doute ou de dissension, l'animateur pourra proposer une discussion et provoquer un vote sur la question, vote au cours duquel chacun devra trancher le litige.
Ne pas répéter. Assurer qu'une réponse répond à la question. Déterminer si la question est une question, si elle porte bien sur l'objet qu'elle est censée questionner. Déceler les incohérences d'une proposition. Diverses règles parmi d'autres, autant d'exigences diverses qui invitent chacun à arbitrer la discussion en usant de son jugement. Un tel fonctionnement présente l'avantage suivant : il oblige déjà chacun à écouter et à se rappeler ce que disent les autres, puisque à tout moment l'élève peut être sollicité afin d'évaluer la légitimité de ce qui a été dit. Toute analyse, toute lecture particulière et personnelle des idées évoquées pourra infléchir la discussion dans un sens ou dans un autre, puisque les discours s'élaborent en réciprocité et ne sont pas imperméables les uns des autres : ils se valident ou s'invalident mutuellement, ils s'approfondissent ou se problématisent entre eux. Ce qui nous conduit à un autre aspect de la singularisation : le principe de responsabilité, sous-jacent à l'exercice.
Certes, toute discussion implique un certain sens de responsabilité, ne serait-ce que par rapport aux idées que l'on émet soi-même. Mais dans la mesure où nous interdisons de sauter du coq à l'âne, où nous empêchons de passer d'une idée à une autre au gré des inspirations individuelles sans établir de lien, du fait que le groupe entier reste sur une idée donnée avant de passer à une autre, afin de la travailler, chacun devient implicitement responsable des idées des autres. Que ce soit en la questionnant, afin de lui faire dire ce qu'elle n'a pas encore dit, en posant sur elle des jugements de forme, ou en provoquant des problèmes de fond, on prend une lourde responsabilité, vis-à-vis de l'auteur de l'idée et de la classe tout entière. Le fait de se décentrer, afin de s'occuper en priorité des idées du voisin, offre de manière paradoxale un degré accru de singularisation, au travers de la prise de responsabilité. Se distancier de soi-même signifie en effet devenir responsable, puisque l'on est plus que jamais à l'écoute des autres, puisque l'on répond aux autres.
Autre aspect crucial du caractère singulier de l'idée : la justification ou l'explication. Car si une idée donnée peut avoir un sens commun et obvie, voire une signification apparemment objective, elle peut aussi trouver dans l'esprit et les mots de son auteur ou de son interprète un contenu très particulier. Aussi incongru soit ce contenu, il ne sera pas question de l'écarter d'un simple revers de main. D'autant plus que certaines propositions apparemment absurdes, ou dotées de tournures étranges, prendront réellement corps de manière inopinée après quelque explication ou modification. Des mots spécifiques connaîtront aussi une telle dérive, utilisés en des acceptions étranges, quand ils ne s'installeront pas, à l'occasion, carrément dans le contresens par rapport à leur définition classique. Dans ces divers cas de figure, que ce soit paralogisme, incompréhension ou inadéquation, le rôle de l'enseignant ne sera pas de " rectifier " des propos qui ne lui appartiennent pas, mais de faire confiance à l'auteur et au groupe, quitte à attirer l'attention de tous et solliciter leur avis sur un point particulier ou un autre, en évitant, bien sûr, de projeter une quelconque " bonne " pensée téléguidée. Il fera confiance au groupe, et il s'apercevra que bon nombre " d'erreurs de tir " se rectifieront d'elles-mêmes, procédure plus gratifiante, pédagogique et cohérente que s'il corrigeait lui-même, bien que nettement plus lente.
D'ailleurs nul ne peut sans son accord le moindrement modifier la proposition d'un participant. Déjà parce que toute proposition ou idée inscrite au tableau est signée, ce qui singularise d'office la pensée. Le " on " n'a pas ici droit de cité. Toute suggestion de modification ou d'explication par un camarade devra donc être acceptée par l'auteur pour pouvoir être inscrite au tableau. Mais le groupe peut sanctionner globalement par le biais d'un vote majoritaire une proposition qui lui paraît inadéquate : par exemple une proposition qui est hors sujet. C'est d'ailleurs le seul rôle imparti au groupe en tant que groupe : faire office de jury, afin d'approuver ou de sanctionner une hypothèse ou une analyse, puisque l'animateur de la discussion n'a pas ce droit. Il sera toutefois utile de spécifier que cette fonction d'arbitrage est d'ordre purement pragmatique, en expliquant que le groupe peut tout à fait se tromper, dans la mesure où une personne seule peut avoir raison contre tous. Mais avouons qu'en classe, en général, le groupe reste, dans ses jugements, relativement pertinent, suffisamment en tout cas pour permettre de l'utiliser comme référent, ne serait-ce que pour des raisons pratiques. Restons toutefois ouvert à des revirements de situation significatifs, et pour cela il est conseillé de barrer les propositions refusées plutôt que de les effacer.
Nous reprenons à notre compte cette expression de Leibniz, car elle spécifie pour nous de manière précise ce qui distingue la discussion " ordinaire " de la discussion philosophique. Pour cet auteur, la réalité ou substance des choses ne réside pas tant dans leur être distinct, que dans leur rapport à ce qu'elles ne sont pas. Ce qui distingue une entité fait plutôt appel à définition, analyse relativement statique d'un objet figé et isolé, tandis que saisir une entité dans son rapport à une ou plusieurs autres invite à la problématisation, posture intellectuelle plus vivante et dynamique. Non que la définition soit exclue, mais parce qu'elle se voit subordonnée à un ensemble de situations dont le caractère mouvant modifie et travaille au corps le sens qui ne peut plus être défini a priori. Le travail de la pensée consiste dès lors à éprouver la résistance d'une idée ou d'un concept en les frottant à ce qui leur paraît en un premier temps étranger, révélant ainsi les limites constitutives de leur être. Pour être cohérent avec nous-même, proposons le principe que le rapport entre discussion " ordinaire " et discussion " philosophique " consiste justement en l'explicitation du rapport, rapport constitutif et déterminant, car l'explicitation du rapport modifie en les éclairant et donc en les modifiant les éléments mêmes du rapport.
Pour être plus concret et visible, prenons le premier degré de ce rapport, tel que nous l'intégrons à notre pratique : la reformulation, utilisée comme outil de vérification de l'écoute. Comment pourrions-nous prétendre mener une quelconque discussion, et a fortiori une discussion philosophique, si les interlocuteurs ne s'écoutent guère ? D'autant plus qu'une des caractéristiques de l'échange philosophique pourrait consister en la contiguïté et le rapprochement entre les arguments afin de faire émerger les éléments essentiels de l'architectonique. " Enlève ta chemise, et viens pour le corps à corps ! " enjoint Platon. Non pas un corps à corps destiné à savoir qui l'emportera, mais dans le but de mettre à l'épreuve les idées et les rapports qu'elles entretiennent en elles-mêmes et entre elles. Ce ne sont jamais la présence des mots ou leur existence que l'on peut contester, mais uniquement leur utilisation ou leur fonction, c'est-à-dire le lien occasionnel qu'ils conservent avec d'autres mots, et la finalité à laquelle ils sont théoriquement assujettis.
La reformulation, qui renvoie à l'agrément des parties en présence quant à l'objet de leur discussion ou à la nature de leurs différences, condition d'une discussion réelle, paraît ainsi représenter la première étape du " lien " que nous tentons d'établir comme principe. Lien à la fois intellectuel, comme nous venons de le définir, mais aussi lien psychologique : instaurer un minimum d'empathie avec l'interlocuteur. En effet, reformuler posément, en sollicitant l'accord du partenaire sur le résumé de ses propos, exige de ne pas interpréter de manière réductionniste, empêche de caricaturer, et oblige surtout à bien distinguer la compréhension des arguments entendus et les diverses nuances, rectifications ou objections qui surgissent et que l'on s'apprête à avancer en réaction à ce qui a été entendu. Quant à celui qui entend sa parole reformulée, un tel exercice le contraint à entendre ce qui est entendu par son auditeur, expérience qui en soi n'est pas évidente, car entendre nos propres idées ou mots prononcés par une bouche autre que la nôtre peut représenter en soi une expérience assez douloureuse. Ne serait-ce que parce que cela nous force à repenser nos propos, de manière plus distante, avec toute la dimension critique que ce dédoublement infère. Bien souvent nous ressentirons une certaine irritation envers celui qui fait ainsi office de miroir, qui avive ainsi notre anxiété. D'autre part, notre auditeur n'est pas une machine à enregistrer : il traduit avec les mots qui lui sont propres, il résume comme il peut. Il nous faut alors savoir distinguer l'essentiel de l'accessoire, faire le deuil de " l'ampleur " de notre pensée et de tout ce que nous voudrions dire ou ajouter, pour être capable d'admettre que ces paroles étrangères correspondent bien aux nôtres. Un tel jugement est délicat, qui doit évaluer l'adéquation entre deux formulations : sans une certaine liberté de pensée accompagnée de rigueur, elle devient impossible. Si l'on joue le jeu, la reformulation permettra toutefois de mieux entrevoir ce que contiennent nos idées, d'en percevoir les faiblesses et les limites.
Le lien substantiel, nous le voyons déjà, est aussi l'unité d'un discours, unité transcendante, pas nécessairement exprimée, qui contient de manière condensée le contenu, abrégé ou intention de notre pensée, proposition réduite dont la forme et le fond souvent nous échappent. Une fois formulée, cette unité sous-jacente peut même nous surprendre ou nous insupporter. Elle est le principe unificateur ou générateur de nos exemples, cause antécédente du fameux " c'est comme quand... " si populaire chez les enfants, et les adultes. L'établissement explicite de ce lien requiert de réquisitionner des mots clefs, ou concepts, termes choisis qui rendent opératoire le discours en extrayant l'intimité du sens. Pour ce faire, il devient nécessaire de travailler l'art de la bréviloquence. Ainsi il pourra être demandé à un orateur de forger une proposition simple, phrase unique qui lui semble capturer l'essentiel de ce qu'il tente de signifier à travers une multiplicité de phrases dont l'enchevêtrement a souvent pour rôle premier d'obscurcir le sens plutôt que de le rendre manifeste. C'est cette phrase qui sera notée au tableau, pour servir de témoin exclusif d'une pensée donnée. Néanmoins ne soyons pas étonnés si un élève ne réussit pas à relever ce défi, et s'il lui faut solliciter l'aide de ses camarades accomplir sa tâche. Périodiquement, il sera nécessaire de transformer quelques aspects cruciaux de la parole initiale pour réussir ce pari : à partir du moment où notre discours s'explicite, nous nous voyons souvent obligés d'en modifier les termes.
Le lien substantiel est donc l'unité d'un discours, mais il est aussi l'unité de deux ou plusieurs discours. Bien entendu, dans la mesure où des paroles proviennent d'origines différentes, on peut s'attendre à ce qu'elles comportent une dimension contradictoire ou conflictuelle. Contrairement à une parole unique qui doit s'astreindre à un souci de cohérence, la multiplicité des auteurs n'oblige en rien à un quelconque consensus. Toutefois, l'exigence de la discussion implique tout de même une unité : celle de l'objet. Il s'agit donc en premier lieu d'identifier, en dépit de la variété des formes d'expression, des angles d'attaques du propos ou de la diversité des perspectives, quelque communauté de sens sans laquelle nous nous retrouvons engoncés dans l'absurdité, le solipsisme et le dialogue de sourds. En même temps que cette communauté d'objet, et grâce à elle, nous découvrirons les différences conceptuelles, accompagnées des visions du monde qui les sous-tendent, différences qui nous permettront d'estimer et prononcer les enjeux de la discussion. " Dialectique du même et de l'autre ", propose Platon : en quoi l'objet de la discussion est-il même et autre ? La phrase simple, proposition unique qui nous semble toujours si nécessaire prendra naturellement la forme d'une problématique. Proposition qui pose un problème sous la forme d'une question, d'une contradiction ou d'un paradoxe. Nous retrouvons ici la même demande : l'art de la bréviloquence. Mais souvent, afin de placer en regard deux propositions, il nous faut découvrir une ou des antinomies dont les termes ne sont nullement exprimés, de manière consciente, dans les propositions initiales. De la même manière où nous devions creuser un discours unique pour en saisir le sens et l'intention, en produisant de nouveaux concepts et une proposition simple, un certain travail d'approfondissement doit être effectué pour capturer et montrer de manière visible ce qui oppose deux discours. De manière surprenante, nous découvrirons alors périodiquement que des propos qui se veulent contradictoires ne le sont guère, qui se paraphrasent allègrement, arguant exclusivement sur quelque point de sémantique ou autre subtilité peu substantielle, tandis que ceux qui prétendent " aller dans le même sens " entretiennent une illusion fusionnelle dépourvue de toute justification.
Dans la Critique de la raison pure, Kant distingue deux types de concepts : les concepts empiriques, tirés de l'expérience, et les concepts purs, produits dérivés de la raison. Ainsi le concept " homme " provient pour bonne partie de l'expérience, mais celui de " contradiction " est engendré par la raison. Car si je peux percevoir par les organes des sens des hommes concrets, je ne peux pas percevoir de contradictions par ces mêmes organes, ce dernier concept renvoyant uniquement à un problème d'intelligible et non de sensible, donc à un travail d'analyse et de synthèse. Or il nous semble que le travail philosophique doit tendre à la production de concepts, certes empiriques, mais aussi purs concepts de raison. Processus d'abstraction que nous avons déjà traité. Mais nous souhaitons revenir sur la production de ces concepts purs à travers lesquels se forge une pensée consciente d'elle-même et de son fonctionnement. Une pensée qui peut et doit périodiquement s'abstraire d'elle-même pour s'engager dans un processus de métaréflexion.
L'aspect le plus évident de ce processus existe très tôt sur le plan intuitif, en ce que nous nommerons intuition logique. Car si l'enfance se caractérise par une vision magique du monde, un monde où tout peut arriver sans que cela ne surprenne, petit à petit l'esprit s'initie à " l'ordre des choses ". Par un processus associatif, prélude au cheminement de la raison, des objets, des êtres et des phénomènes sont reliés ensemble. Divers liens sont établis, qui lentement deviendront la structuration de l'espace, du temps, de la causalité, de la logique, du langage, de l'existence, avec toutes les lourdeurs et les rigidités que cette vision figée du monde implique, certes, mais qui s'avèrent aussi la condition nécessaire à l'avènement de la raison. Raisonner consiste à connaître ou reconnaître la réalité des choses, à la comprendre et donc à prévoir, car si rien n'est prévisible, si rien n'est reconnaissable, notre raison devient caduque. Ce qui explique notre étonnement, lorsque qu'un événement dépasse les frontières de notre raison et de ses attendus. La transformation dont nous parlons est celle d'un esprit pour lequel tout est possible, qui peu à peu distingue le possible et l'impossible, ainsi que le compossible : ce qui est possible par rapport à une condition donnée, fondement même de la pensée logique : " si ceci, alors cela ", ou bien " si d'une part ceci et d'autre part ceci, alors cela " base du très classique syllogisme.
L'exercice philosophique, par le biais de la discussion ou autre, consiste donc à inviter la raison à effectuer un double travail sur elle-même. D'une part, aller " au bout " de ses interrogations, de ses problèmes, de ses analyses. D'autre part, se voir fonctionner, repérer les mécanismes, à la fois ceux qui opèrent et produisent de la pensée, et ceux qui freinent, dévient ou interrompent le processus de réflexion. Ces deux aspects du travail se nourrissant mutuellement, puisque la perception des limites permet de saisir la nature précise d'un processus, et l'identification d'un processus permet de retravailler ou dépasser les limites. Ainsi le travail de métaréflexion permet à la pensée de progresser. Or c'est précisément le problème qui est soulevé par les enseignants qui nous disent " Je ne sais pas quoi répondre aux questions des élèves " ou bien " Ça tourne en rond, je ne vois pas comment faire avancer la discussion " : comment faire progresser la pensée. La solution n'est ni de fournir des réponses toutes faites sur lesquelles les élèves se précipiteront, ni de simplement proposer une piste qui " sortira d'affaire " le groupe, mais d'inviter les uns et les autres à observer leur propre fonctionnement, leurs idées, leurs contradictions, leurs glissements de sens, etc., tout simplement par quelques petites règles méthodologiques qui spécifient le rôle et la finalité de chaque moment de réflexion.
Le premier aspect de ce processus consiste à être conscient de la nature de nos propos, comme de nos actes, et pour cela savoir catégoriser ces propos, savoir nommer la forme ou la finalité de notre parole. Sommes-nous en train de poser une question, de proposer une nouvelle idée, de répondre à une objection ou d'en fournir une, de démontrer ou de prouver une idée, d'argumenter ou de problématiser, de donner un exemple ou de conceptualiser une illustration, de rapporter des faits ou de les interpréter ? Il s'agit ici d'émerger du " Je veux dire quelque chose... Ça me fait penser à... Je voudrais ajouter... ". Autant de souhaits exprimés de " commenter ", " nuancer ", " compléter ", " rebondir ", ou " préciser " qui, vérification faite, ne signifient pas grand-chose, sont très vagues ou restent très éloignés de ce qu'ils disent. Ce type d'analyse renvoie en premier à l'intention de la prise de parole, car pour son auteur, elle est souvent vécue et perçue exclusivement comme une " pulsion de parole ", quelque chose qui nous vient à l'esprit et demande à sortir, le plus vite possible, opinions d'origine principalement associative, dont nous ignorons la nature et le rôle. Ignorance qui explique un certain nombre de difficultés d'articulation, de balbutiements, de ratures et de contradictions. Prendre conscience de ce que l'on veut dire, signifie aussi travailler et lisser cette parole en fonction d'une finalité ordonnatrice permettant de mieux structurer la pensée. Bien que lors des premières tentatives, le fait de catégoriser ou définir semble rendre notre parole plus confuse encore. Faire et se voir faire, comme action simultanée, peut être pensé et subi initialement comme un facteur dédoublant, alourdissant la tâche, mais plus ou moins rapidement, au fur et à mesure que se développe la capacité d'être à la fois " dedans " et " dehors ", ce processus facilite le travail de la pensée et de l'expression en clarifiant la compréhension.
Dire les mots, c'est penser, nous dit Hegel, affirmant qu'il serait illusoire de croire penser sans forger par des concepts cette pensée. L'intention, le ressenti, l'impression, l'intuition, autant de formes inadéquates, insuffisantes et trompeuses de la pensée, une pensée non consciente d'elle-même. Certes ce présupposé, comme tout présupposé, connaît ses limites, mais il connaît aussi son utilité. Savoir ce que l'on dit, c'est dire ce que l'on dit, c'est annoncer son intention, c'est définir la forme, c'est articuler la relation à ce qui a déjà été dit. Toutefois, comme pour l'ensemble de l'exercice, il ne s'agit pas ici de faire un travail de vocabulaire, sur les termes " hypothèse ", " objection ", " abstrait ", " essentiel " ou autres, bien que cela ne soit guère exclu, en un autre temps. Non pas savoir, mais savoir-faire ; non pas connaître, mais utiliser. Notre affaire est surtout que l'élève s'entraîne à penser sa pensée, c'est-à-dire à tenter de spécifier la nature de son discours. En un sens, peu importent les mots qu'il utilise, ceux qui seront les siens en un premier temps, approximatifs et inhabituels, ou ceux qu'il acquerra au cours de la pratique, plus précis ou plus conventionnels. L'important est surtout de desceller l'immédiateté qui le lie à sa parole, de creuser un interstice, d'installer une respiration, pour passer de l'implicite à l'explicite, afin que le sujet se détache de lui-même et que la pensée devienne un objet pour elle-même. Nos opinions sont des vérités, nous indique Pascal, à condition d'entendre ce qu'elles disent, et la vérité de nos opinions n'est pas toujours là où nous le pensons. Tentons alors de nous en rapprocher.