Revue

CR de la 25e rencontre philosophique du Moulin du chapitre (18, 19 et 20 juillet 2025)

Séminaire sur le temps

Sur la notion de temps, compte rendu d’un séminaire, avec étude des représentations sur le temps, apport sur le temps selon F. Wolff, rando-philo avec café philo, ciné philo sur Citizen Kane, et philosophie et poésie…

Introduction

Le séminaire a pour objectif, sur un thème choisi (le temps), d’une part d’approfondir cette notion, d’autre part d’expérimenter de nouvelles pratiques philosophiques et de les analyser.

Planning

Cette année, nous avons notamment expérimenté : un débroussaillage de la notion de temps, avec problématisation et conceptualisation (1) ; suivi de la conception du « temps du monde » selon F. Wolff (2) ; un atelier philo sur le mot inducteur « temps » selon la méthode AGSAS (3), suivi d’une DVDP sur « Avons-nous une puissance sur le temps ? » (4) ; une rando philo (5) ; un ciné philo sur Citizen Kane, avec « Ecrire un texte à plusieurs » (6) ; un atelier sur « philosophie et poésie » : « Qu’est-ce que la poésie peut apporter à la philosophie ? (7).
Le prochain séminaire philosophique aura lieu en juillet 2026 sur « la Politique ».

Débroussaillage de la notion de temps (Michel Tozzi)

Cette activité s’est faite autour d’un travail sur les deux processus philosophiques de problématisation et de conceptualisation.

Elaborer, en groupe, des questions philosophiques sur le temps

La capacité à élaborer des questions, qui n’est pas facile, est une des façons de problématiser. Il faudrait compléter ce travail en explicitant les enjeux humains de chaque question. Les questions sont autant de façon de saisir un bout de la notion, pour détricoter sa pelote emmêlée…

Est-ce que c’est le temps ou moi qui passe ?
Le temps est-il fléché ? Est-il linéaire ou circulaire ?
Le temps est-il comptable, mesurable ?
Quand a-t-on éprouvé le besoin de mesurer le temps ?
Qu’est-ce que l’éternité ? Est-elle temporelle ou hors temps ?
Qu’est-ce que l’immortalité ?
L’instant est-il un plein temps ?
Y a-t-il un rapport entre temps et durée ?
Y a-t-il un temps ou des temps ?
Le temps est-il toujours une notion objective ?
Le temps est-il une construction humaine ?
Le temps implique-t-il un début, une durée, une fin ?
Y a-t-il eu un non-temps ? Peut-il y avoir un hors-temps ?
Le temps sans événements est-il concevable ?
Pourquoi appelle-t-on temps la météo ?
Le temps a-t-il une utilité ?
Le temps est-il lié à un besoin d’organisation humaine ?
Quelle relation entre le temps et la vie, le vivant ?
Le temps nous transforme-t-il ?
Est-il un repère de notre transformation ?

Il aurait pu être utile de faire un travail de regroupement des questions, de se demander dans quel domaine d’application chacune est posée (Ex. la métaphysique, l’éthique etc.) ; puis de chercher les enjeux humains, existentiel de ces questions ; enfin (autre voie de la problématisation), de dégager la difficulté à y répondre, le problème qu’elle pose.

Tenter, en groupe, de définir le temps

Il s’agit ici de faire émerger nos représentations du temps, souvent spontanées. Définir est un processus de conceptualisation, qui essaye de passer d’une notion vague et floue à un concept plus précis, à le configurer (G. Deleuze), pour savoir de quoi l’on parle. On peut réfléchir aux présupposés des définitions ci-dessous, et les discuter ; voir si certaines définitions sont contradictoires avec d’autres, quels liens elles entretiennent entre elles, quel est l’intérêt et les limites des métaphores utilisées (fleur qui fane, voyage)

Le temps est un repère qui organise notre perception consciente du monde.
Le temps est un outil qui permet d’intervenir sur le monde.
Le temps est une construction mentale humaine.
Le temps une fleur qui fane.
Le temps est un voyage.
Le temps est une brique de base de l’univers non démontable, dont seuls les effets peuvent être analysés.
Le temps comporte une partie consciente et une partie inconsciente.
Le temps est permanent, linéaire et fléché, selon notre conception occidentale.

L’atelier de philo AGSAS (Emmanuelle Hernandez). Un Atelier de Réflexion sur la Condition Humaine (AGSAS / J. Lévine) au Moulin du Chapitre.

Cet atelier s’est déroulé auprès d’adultes (vingt personnes).

La méthode utilisée

s’inscrit dans un cadre précis composé d’invariants incontournables nécessaires à la mise en place d’un « espace hors menace ».
L’espace : les participants sont disposés en cercle, les tables sont mises de côté.
Les annonces : en début de chaque atelier, on rappelle les points suivants :

  • Pas de jugements, pas de moqueries.
  • C’est un atelier de pensée et non de parole. Il n’y a pas d’obligation à parler. Pour prendre la parole, il faut être en possession du « bâton de parole ».
  • Intervention a minima de l’animateur (hors du cercle)
  • Engagement à réfléchir de la place d’«une personne du monde » (« n’importe quelle personne de la Terre et qui regarde d’en haut comment ça se passe »).
  • L’atelier ne dure que 10 minutes
  • Avant-propos sur le mot « philosopher ». La première question que l’on va se poser : « Pour vous, qu’est-ce que philosopher » ?
  • Enoncé du thème sous la forme d’un mot inducteur. Ce dernier peut être choisi par l’animateur ou par les participants. Il est précisé que pendant la première minute qui suivra l’énoncé du thème, on ne pourra pas prendre la parole afin de laisser s’installer le mot dans notre tête

Le mot inducteur : LE TEMPS

Déroulement

Première partie (10 minutes ou minimum deux tours).

Deuxième partie (10 à 15 minutes) : phase de verbalisation : « Comment ça s’est passé pour vous » ? Ressentis, satisfaction ou insatisfaction du fonctionnement de l’atelier. Mettre en mots si les participants le souhaitent, les raisons de leur silence. A la fin de cette partie, l’animatrice remercie les participants pour leur engagement dans l’atelier.

Lors de cet atelier, l’animatrice s’est installée en dehors du cercle, a pris en note les propos des participants (première partie) et a procédé à une restitution à l’oral de ces derniers, entre la fin de la première partie et le début de la seconde (variable possible de la méthode).

Recueil des propos des participants :

  • Prendre le temps est une expression qui m’interpelle à l’heure actuelle.
  • C’est du rythme.
  • Le temps d’avant, le temps perdu (M. Proust).
  • Le temps qui passe et le temps qu’il fait. L’événement météorologique change ma vision du temps.
  • Citation de J. Lagneau : « Le temps forme de mon impuissance, l’espace forme de ma puissance ».
  • Le temps n’est pas une substance.
  • Le temps qu’il me reste.
  • Le temps c’est la fleur qui se fane.
  • Présent, passé, futur, nous le vivons dans toute sa polysémie qui nous dynamise et nous vivifie.
  • De plus en plus, une énigme.
  • Beau temps pour passer du bon temps
  • Le temps possède une flèche. Mais quel est son arc et où est sa cible ?
  • Se faire autant de souci pour un mot que l’on n’arrive pas à définir…
  • Le temps ne passe pas, il est toujours là.
  • Comment faire pour prendre son temps ?
  • Seul le temps est à nous.
  • Le temps c’est de l’argent, mais on a peur de manquer de temps.
  • Où est-ce que l’on se situe dans ce temps indéfinissable ?
  • Ralentir, courir.
  • Plus nous gagnons du temps, plus il nous dépasse (H. Rosa).
  • Le temps de vivre, il est déjà trop tard.
  • Une énigme d’abord posée à mon corps avant que je commence à y penser.
  • Les rites structurent notre temps.
  • Gérer son temps, c’est une illusion complète.
  • Soyons lucides, il n’y aura aucun survivant.
  • Donc nous prendrons le temps de vivre.
  • Il a fait son temps. Or le temps n’appartient à personne. Représentation que chacun en a.
  • Temps de conjugaison qui me fascine : le futur antérieur, cette ambiguïté n’existe qu’en français.
  • « Il a fait son temps », ces propos m’ont fait réfléchir : le temps personnel, ça m’apparaît une évidence, mais ça change au cours d’une vie par rapport aux événements.
  • « Rien ne nous appartient, seul le temps est à nous » (Sénèque).

Finalités de cet atelier

  • Faire vivre aux participants l’expérience du « cogito », la découverte d’être porteurs d’une pensée dont on est soi-même la source, l’expérience du groupe cogitant et de la solidarité.
  • Découvrir le travail invisible de la pensée, « le langage oral interne », dont la conscientisation est un important facteur d’enrichissement de l’image de soi.
  • Développer le sentiment d’appartenance.
  • Par le défi de mettre de l’ordre dans leurs pensées sur le monde, solliciter les participants à rechercher des concepts explicatifs sur la marche du monde.
  • Offrir un cadre qui permet à chacun selon son rythme de se risquer à la prise de parole pour formuler sa pensée et faire évoluer son expression.
  • Permettre aux participants de se penser comme des « interlocuteurs valables » c’est-à-dire comme « un humain à égalité avec d’autres humains pour ce qui concerne son droit à penser ».

Apprentissages sous-jacents

  • Apprendre que l’on peut changer de point de vue sans violence et sans se sentir vaincu.
  • Apprendre à avoir un avis.
  • Apprendre que l’on peut apprendre des autres.
  • Apprendre par le vécu, la tolérance et le respect de la pensée de chacun.
  • Apprendre à maitriser la langue orale, car il s’agit de faire affleurer à la parole « le langage intérieur » de la pensée.
  • Apprendre à écouter l’autre et pouvoir s’affirmer de manière constructive en faisant entendre son point de vue sans violence.
  • Echanger entre pairs et en toute autonomie sur les grands problèmes de la vie.
  • Apprendre qu’il existe une autre façon de se situer dans un groupe en apprenant à respecter les règles (parler chacun son tour avec le bâton de parole).

Prolongements possibles

  • La trace : nuage, carte mentale…
  • Distribution de post-it sur lesquels les participants sont invités à écrire un mot, une idée ou des paroles qui les ont marqués durant l’atelier.
  • Le débat.
  • La littérature.
  • La mythologie, les contes.
  • Les arts…

Brève biblio

Une Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP) : « Ai-je un pouvoir sur le temps ?" (Michel Tozzi)

La DVDP est un dispositif mis au point dans les années 2003 par Alain Delsol, Sylvain Connac et Michel Tozzi, dans un cycle 3 de l’école primaire. Il est à visée démocratique en ce qu’il se réfère à la pédagogie coopérative, en confiant des rôles différents aux participants (Présidence, reformulation, secrétariat de séance, animation, observation…), avec des règles démocratiques de prise de parole (Demander la parole, donnée dans l’ordre d’inscription, avec priorité aux moins-disants, droit de se taire…), et une éthique communicationnelle (Ecouter attentivement celui qui parle, ne pas se moquer, s’entraider, apporter des idées nouvelles…). Il est aussi à visée philosophique, l’animateur étant vigilant sur la mise en œuvre de compétences de pensée (Problématisation, conceptualisation, argumentation, interprétation…).
On trouvera une description complète de la DVDP sur : https://padlet.com/amlafont1379/5l4icya3mps7fj0b

Quelques idées issues de la discussion :
Nous ne pouvons rien sur le temps objectif, celui de la nature, qui est homogène, continu, mesurable. Il passe dans l’indifférence à mon égard, à la goutte à goutte de la seconde. Quant au temps subjectif, celui de notre conscience, son rythme m’échappe, qui passe trop vite dans le plaisir et trop lentement dans l’impatience. Si je ne peux le gérer à ma guise, je peux ruser avec lui par le souvenir volontaire du passé ou le projet élaboré pour l’avenir, je peux aussi tenter de gérer mes activités dans le temps. Et si je ne peux rien sur ce qui ne dépend pas de moi, sauf à y consentir librement, je peux avoir une prise sur ce qui dépend de moi (distinction stoïcienne), et sauter sur le kairos, l’opportunité qui se présente.

Rando -Philo « La marche du temps » (Christine Marchal et Véronique Lepriol)

Cette rando philo s’est tenue le long de la Rigole de la Plaine à Revel dans le Tarn lors du séminaire du Moulin du Chapitre sur le thème du temps.

PRÉSENTATION

Le but de cette rando-philo était d’interroger en quoi la notion de temps lors d’une marche fait événement, réforme et reforme notre horizon et redéfinit notre rapport au monde.
« Nous ne pensons pas le temps réel. Mais nous le vivons parce que la vie déborde l’intelligence » (Bergson, L’évolution créatrice, 1907)
En effet, en quoi le temps vécu lors d’une marche peut-il nourrir une réflexion philosophique sur le temps ? A quoi un être est-il sensible lors d’une marche ? Par quoi peut-il être affecté ?
Notre objectif a été de collecter des questions philosophiques sur le thème de la marche du temps. D’où notre question aux participants : « Qu’est-ce que la marche nous apprend sur le temps ?»

DISPOSITIF de la RANDO PHILO

Transport sur le site.
Sur place, répartition du groupe en cinq trinômes. Nous énonçons à haute voix la question : «Qu’est-ce que la marche nous apprend sur le temps ?». Nous demandons que chaque trinôme élabore une ou des questions philosophique(s) à partir de cette phrase.

Marche le long de la rigole.
– 1e temps silencieux et marche solitaire. Chacun marche et réfléchit seul (15mn).
– 2e temps en trinôme : marche ensemble et mise en commun des idées ; élaboration d’une ou plusieurs questions philosophique(s) (30mn).
– 3e temps : le groupe se reforme sur le site pour la récolte des questions (15mn).

Retour au Moulin
Mise en commun des questions élaborées, sous l’arbre aux palabres :
– 1er temps : analyse des questions. A chacun des 5 groupes nous avons demandé ce qui a amené cette question.
– 2ème temps : analyse du dispositif.

COMPTE RENDU de la collecte des questions philosophiques

Les questions philosophiques conçues et les réflexions glanées lors du partage en grand groupe sont en italique. Elles permettent de cartographier quatre axes :

L’axe marche et perception du temps par le corps.

  • Sentir et se mouvoir : « Une des façons de percevoir le temps est les changements dans la perception du corps lors de la marche, mais cette perception est-elle objective ou subjective ? »
    Dans un groupe il a beaucoup été question de problèmes corporels (dos, sciatique, proprioception). Ici le temps vécu de la marche s’inscrit corporellement et en raison des difficultés à marcher, avec une grande attention au kinesthésique. C’est la concrétude de la marche, individuelle, physique, tangible. Le temps est ressenti, éprouvé, sa durée est perçue autrement :« le corps qui fait mal », «Le corps vieillit, ralentit ».
  • Rythmicité : «  La marche nous met-elle en phase avec le temps du monde ? »
    Les expériences corporelles de rythmicité permettent d’appréhender la notion de temporalité : perception d’un rythme de pensée différent selon l’environnement ; sensation d’aller plus ou moins vite ; « à pas comptés » ; « en transe ». Une certaine perception du temps est créée en nous par les rythmes de notre corps.
    L’effort physique répété et automatisé rend disponible pour autre chose : « On voit les choses car on peut les regarder.»
    « Je marche, nous marchons », « Chacun marche différemment des autres », « solidaire, solitaire » : la marche individuelle auprès d’autrui génère une synchronisation.
  • Corps et esprit : « Le corps est matière ; le temps est-il esprit ? Arrêter le temps, serait-ce conserver l’esprit ?».
    Il y a eu évocation de l’opposition dualisme/monisme, du transhumanisme comme projet d’arrêter le temps en supprimant le corps, d’arrêter les effets du temps sur soi : « La conscience du temps qui passe nous renvoie à notre propre mort ; éternité ou finitude du temps ou finitude de notre vie ? ».

L’axe marche et spatialisation du temps : « Est-ce que, dans la marche, le temps et l’espace se superposent ? »

« On ne peut faire autrement que se représenter le temps par le changement » : ceci indique l’impossibilité de penser la temporalité dissociée de la spatialité ; l’espace acquiert un statut de partenaire indissociable du temps : « Lorsqu’on marche, suivant le lieu, la perception du temps n’est pas la même. »
« La marche est-elle une bonne métaphore du temps ? »
Le temps vécu et subjectif (la durée) est pensé avec des métaphores rationnelles de l’espace : « cheminement», « flèche du temps », « fleuve du temps », « rester sur la crête », « précipice », « trame »,  « fil », « tisser », « Mais jusqu’à quel point une métaphore nous éclaire et nous égare-t-elle ? ».

L’axe marche et temps de l’homme

« La marche est-elle le temps de l’homme ?»
– Se transformer
« La marche physique comme démarche philosophique surmonte-t-elle un déséquilibre comme un présent fléché vers le futur ? »
« Le moment présent bouge, ne peut être statique » : la marche est dynamique, elle oppose mobilité et immobilité, elle est une suite de déséquilibres, comparable à la démarche philosophique du doute. Le sujet est sensible aux fluctuations de sa propre activité et requestionne son rapport au monde.
– S’immobiliser
« La contemplation de l’environnement sidère-t-elle ou génère-t-elle la pensée ? »
– Se retrouver
« La marche est-elle un retour aux sources ?»

L’expression « retour aux sources » introduit d’une part le désir « d’un retour à soi-même » ; d’autre part l’idée d’origine : « Je me sens vivant quand je marche, je fais partie de la nature » ; « Je suis dans la nature, je fais partie de la nature, nous sommes tous reliés au monde ».

Autres idées

« Le corps n’est pas seul à nous faire percevoir le temps qui passe plus ou moins vite ; plus la vie est remplie de premières fois, plus le temps est intense.
Apport à la philosophie de l’advenance : « Quel avenir ? Si on n’avait pas le subjonctif, on s’ennuierait beaucoup ».

BILAN

Sur le dispositif vécu par les participants : il a été jugé ambitieux.

Les temps de marche ont été perçus par presque tous comme trop courts : trop courts pour analyser sur le vif de ce qui se passe là, pendant cette marche, et souvent les questions sont venues à partir de réminiscences d’un vécu. (A noter que les temps de trajet pour aller sur le sentier sont très longs : 1/2h x 2 = 1heure !)
La marche solitaire a été perçue très différemment : soit essentielle, car un vécu renvoyant chacun à sa propre expérience est un terreau d’idées ; soit inutile, car c’est la discussion en groupe qui est productive.

Pour les deux animatrices de l’atelier.

Le dispositif s’est avéré mal équilibré : temps de marche insuffisants. Lors de la discussion en plénière, nous avons été amenées à oublier la contrainte horaire : ce dernier temps a été plus long que prévu, car personne ne manifestait d’impatience, au contraire, les mains se levaient nombreuses ; nous avons donc choisi de ne pas arrêter, la demande d’arrêter est arrivée spontanément.
C’était pour nous deux une première expérience de rando-philo.
– Le premier temps de préparation conjointe par zoom : nous avons beaucoup travaillé les notions fondamentales et de façon très complémentaire chacune dans son domaine. A partir de ce matériel, nous avons pu construire un dispositif satisfaisant pour nous deux.
– Le deuxième temps, sur place, lors de l’atelier rando-philo, nous avons été amenées, à certains moments, à laisser de côté le dispositif envisagé et à improviser. Lors de la restitution des questions, nous avons récolté un grand nombre d’idées, et nous avons réalisé que notre dispositif ne permettait pas une classification immédiate. Nous avons donc eu un échange d’idées philosophiques mais dispersées.
– Ce troisième temps du compte-rendu, fait conjointement par zoom, nous a permis de relire les questions élaborées et les idées émises lors de la restitution en grand groupe et de les cartographier. C’est ce travail que nous vous restituons. Nous avons pris beaucoup de plaisir, d’intérêt et aussi beaucoup appris et fait de belles découvertes.

Ciné-Philo, à partir du film Citizen Kane (Chistian Belbèze et Michel Khalanski)

Présentation du film

Le film que nous avons choisi n’est pas un récit de science-fiction, C’est un film « quasi-biographique ». Le temps n’y est pas ultra-luminique, c’est tout simplement celui d’une vie humaine (si toutefois une vie humaine peut être simple). Il s’agit de Citizen Kane, le premier film d’Orson Welles, qu’il a coécrit et coproduit, tout en y tenant le rôle-titre. Les acteurs viennent pour la plupart de sa troupe de théâtre, le Mercury Théâtre. Après le succès de sa troupe à Broadway  et après la radiodiffusion sensationnelle de La guerre des Mondes en 1938, Welles a été courtisé par Hollywood. Il a signé un contrat en or avec la RKO Pictures en 1939. Alors qu’il n’avait aucune expérience du cinéma, la firme lui a donné une totale liberté quant au scénario, coécrit avec Herman J. Mankiewicz, quant au choix des acteurs et au montage final. Le film est sorti le 1er mai 1941 à New-York.
Charles Foster Kane est un personnage en partie inspiré par le magnat des journaux américains William Randolph Hearst. Le film reconstitue la vie de Kane sous la forme de « Flashes backs » racontés à un journaliste d’actualités cinématographiques qui cherche à résoudre le mystère du mot prononcé par Kane juste avant de mourir : « Rosebud » (« bouton de rose »).
Au cours du temps Kane, qui est au départ riche mais parfaitement intègre, accumule les pouvoirs et évolue progressivement vers un égoïsme qui le conduit à l’isolement dans un château débordant de richesses artistiques qu’il nomme Xanadu. Il finira là sa vie, comme Hearst le fera dans sa somptueuse propriété en 1951, dix ans après la sortie du film, après avoir tenté vainement d’empêcher la diffusion de Citizen Kane.
Il est un peu long (2 heures) mais ce film est souvent cité en première place dans la liste des meilleurs films de l’histoire du cinéma ; voilà un argument pour le voir ou le revoir, en plus d’être un sujet de discussion philosophique.

Retour sur Atelier Ciné Philo 2025 - Citizen Kane

Le choix du Film

Il y a trois façons de traiter spécifiquement le temps au cinéma : l’imagination, comme la machine à explorer le temps, l’exploration des règles scientifiques hors du monde sensible, avec Interstellar par exemple, et par l’expérience humaine du temps vécu. C’est dans ce troisième groupe de films que nous avons choisi Citizen Kane, l’œuvre cinématographique la plus célèbre d’Orson Wells.
Le film raconte la vie fictive de Kane, inspirée de celle du milliardaire Hearst, à travers des témoignages en flashbacks. D’abord idéaliste et brillant, il devient comme Hearst un magnat de la presse puis échoue en politique, se replie dans un palais où il sombre dans la solitude. Obsédé par le pouvoir, il perd ses amitiés et humilie sa seconde femme. Il meurt isolé en prononçant « rosebud », un mystère jamais élucidé.

La séance de projection le samedi soir

Le film est long et environ 40% du public l’a déjà vu ; de plus la version est en V.O. sous-titrée. Cela a peut-être suscité plusieurs départs en début et pendant la séance. Cependant les participants qui sont restés jusqu’au bout ont été enchantés par le film qui sera abondamment applaudi à la fin. La richesse du scénario, la qualité du noir et blanc et la profondeur des thèmes abordés seront soulignés directement après la projection créant ainsi l’impression d’une expérience commune propice à l’échange philosophique qui doit suivre.

L’atelier du dimanche matin

Une image

L’atelier était découpé en 9 phases. Nous reproduisons ici la feuille descriptive donnée aux participants. Des groupes de 3 à 5 personnes se sont constitués.
L’atelier s’est déroulé selon le minutage indiqué jusqu’à la phase C. Les participants n’ont toutefois pas pris la pause prévue en phase 2.
Les animateurs ont alors décidé de proposer une collation tout en continuant à travailler sur le temps de pause.
Durant la phase D, les animateurs ont rencontré une difficulté : les textes proposés par les 4 groupes n’étaient pas directement exploitables pour être écrits sur un paperboard. Parfois trop longs, parfois incomplets, ils ont dû être résumés en mots-clés, qui n’ont bien sûr pas la même portée symbolique. Cela a grandement perturbé le choix du sujet à retenir pour la CRP.
Le temps fut ensuite respecté jusqu’à la fin de l’atelier, mais la 3e phase organisationnelle de debrief n’a pas été réalisée. Cette phase de debrief a eu lieu le lendemain à la demande de plusieurs participants.

Le travail des groupes

C’est donc un ensemble de mots clés que chaque groupe a retourné en plénière.

Une image

Un vote a ensuite conduit les participants à choisir le thème du groupe 3 comme espace de questionnement pour la CRP. Cinq questions ont ensuite été formulées : Le sens d’une vie est-il inaccessible ? Que signifie « signifiant » sans « signifié » ? La finalité d’une vie justifie-t-elle les moyens mis en œuvre pour la réaliser ? Quelle voix emprunter pour ne pas tomber dans une voie sans issue dans le temps ? Et « Comment « mettre en œuvre » sa vie ? ». Cette dernière question a été choisie par vote pour la CRP.

La CRP - Comment mettre en œuvre sa vie ?

Il convient de préciser que si la séance avait été préparée conjointement par les deux animateurs, la CRP a été animée uniquement par Christian Belbeze, qui a choisi un mode d’animation personnel. Ce mode, à l’opposé de la DVDP (Discussion à Visée Démocratique et Philosophique) habituellement pratiquée dans ce séminaire, ne prévoit aucune liste d’attente pour la prise de parole. Lever la main peut faciliter l’intervention mais n’est en rien obligatoire. Dans ce type d’animation souvent qualifié « d’anarchiste », l’appel à la majorité n’intervient qu’en cas de demande explicite et les règles de la CRP peuvent être coconstruites au fil de l’expérience. Pour en savoir plus, consulter le document « Les ateliers moulins » sur https://www.clubdiscussion.fr/p/les-ateliers-moulins-dossier-diplome.html
La CRP a débuté par une tentative de définition du mot « œuvre », l’animateur insistant pour conserver ce mot, alors que plusieurs participants souhaitaient le définir dans son contexte : « mettre en œuvre ». Après débat, une définition du Larousse a été adoptée : « l’œuvre est un ensemble d’actions en vue d’un certain résultat ». Les participants ont ensuite soulevé la notion de voie liée à un ensemble d’actions, en soulignant que Kane s’est trompé de « voix » en suivant la voix de sa seconde femme la chanteuse et les voix des électeurs. « La perte des voix reçues et rêvées fait perdre la voie. » L’animateur a noté que cette perte est favorisée par l’ivresse du pouvoir et de l’argent. La CRP s’est conclue sur l’idée que, pour faire de sa vie une œuvre, il ne faut pas suivre les méthodes du citoyen Kane (corruption…) ni sortir de la réalité. D’autres notions abordées font appel à une interprétation psychanalytique : la séparation de la mère et l’absence de la fonction correctrice du père. La métaphore du puzzle a été évoquée, la recherche de la pièce manquante faisant écho à Rosebud.

Analyse du dispositif

Si tous ont apprécié les phases de l’atelier jusqu’à la CRP, le débrief a suscité de grands écarts d’appréciation. Les avis allaient de « stimulante » à « pire atelier philo jamais vécu ». Le parti-pris adopté pour le debrief a causé un étonnement chez les participants habitués à des échanges plus sereins et sans le bruit généré par des interventions multiples.
Dans ce dispositif, l’animateur participe directement aux échanges en suscitant des interrogations en vue de renforcer l’intensité du débat et l’implication des débateurs. L’absence de régulation de la parole génère un bruit inaccoutumé et une apparence chaotique des interventions qui ont dérouté les participants. L’animateur a remarqué que le bruit excessif relevait aussi de la responsabilité des participants, ce qui n’a pas convaincu toute l’assistance.

Poésie et philosophie – Qu’est-ce que la poésie peut apporter à la philosophie ? (Francis Tolmer et Viola Oelher)

Objectif de l’atelier : faire identifier comment la poésie peut enrichir la pensée philosophique.

DESCRIPTION DU DISPOSITIF

Courte introduction : poésie et philosophie sont deux mondes différents. La question posée est : de quelle manière la poésie peut enrichir la pensée philosophique ?
Les participants sont répartis en groupes de 3 ou 4 personnes, et sont invités à choisir deux poèmes sur le thème du temps parmi 20 poèmes affichés. Les poèmes ont été répartis en différentes catégories, correspondant à différentes conceptions du temps (ex : temps linéaire, temps cyclique, etc.). Ces catégories sont identifiées par un code couleur, les participants sont invités à choisir 2 poèmes dans 2 catégories différentes.
Les participants travaillent en sous-groupes (30’) pour répondre aux questions suivantes :

Pour chaque poème, pris séparément
Avant toute réflexion, quel effet vous fait ce poème ? (Ressenti, intuition, émotion, sentiment, …).
Que dit-il sur le temps, et/ ou quelle(s) question(s) pose-t-il ?
Comment le dit-il ? (Eléments de « langage poétique » : métaphores, figures de style, registre de vocabulaire, images, allusions, etc.).
Pour les deux poèmes, pris ensemble :
A quelle conception du temps chaque poème se rattache-t-il ?
Que vous inspire cette comparaison ?
Restitution des travaux en grand groupe (45’). Les participants déclament les poèmes choisis par leur groupe et expliquent leurs réponses aux questions
Débat (30’) : qu’est-ce que la poésie peut apporter à la pensée philosophique ?

RETOUR CRITIQUE SUR L’ATELIER

  • Thème qui a suscité beaucoup de contributions riches.
  • La comparaison de 2 poèmes a permis de mettre en évidence les différentes conceptions du temps.
  • On observe une difficulté généralisée à identifier et verbaliser clairement les émotions suscitées par les poèmes.
  • Beaucoup de participants ont aimé travailler sur des poèmes, cependant pour certains (rares), la poésie n’est pas parlante.
  • Trop de poèmes proposés (20), ce qui rallonge le temps du choix des poèmes par le groupe, et plonge certains participants dans une envie de tout lire.

A refaire : soit proposer moins de poèmes, soit distribuer directement les poèmes choisis par les animateurs aux différents groupes.

  • Trop de questions posées : les 3 premières questions sont suffisantes.
  • Le temps gagné sur le choix des poèmes peut être investi dans le débat final qui n’a pas fait le tour de la question (qu’est-ce que la poésie peut apporter à la pensée philosophique ?)
  • Observation : plusieurs participants ont souligné qu’ils lisaient de la philosophie et de la poésie, et faisaient déjà un lien entre poésie et philosophie en tant que nourriture intellectuelle et émotionnelle.
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