Revue

« Mais alors, qu’est-ce qui compte ? » – Jouer pour apprendre ou apprendre à jouer chez Michael Ende

Introduction

Dans le très court chapitre XXIII du Petit Prince, le personnage éponyme se voit proposer un étrange produit : des pilules qui apaisent la soif. « Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine », explique le marchand (Saint-Exupéry, 2018, p. 1133).
Quelque trente ans plus tard, dans le roman Momo de Michael Ende, il est à nouveau question d’économiser son temps, mais la machine a changé d’échelle : les économies, déposées dans les coffres de la Caisse d’Épargne du Temps [Zeit-Spar-Kasse], sont censées générer des intérêts, de sorte que les Messieurs gris ne font plus miroiter un gain d’une petite heure hebdomadaire mais de « dix fois la durée de votre vie » (Ende, 2009, p. 106). Pour les parents-épargnants, toutefois, un problème se pose : il devient difficile de dégager du temps pour s’occuper de ses enfants. Qu’à cela ne tienne, les agents de la Caisse proposent également un service de gardiennage – ou plutôt une offre d’éducation apparemment progressiste, basée sur l’enseignement par le jeu :

Aujourd’hui, nous allons jouer aux cartes perforées, expliqua Paolo. C’est très utile, mais il faut faire sacrément attention. […] Chacun de nous représente une carte perforée. Chaque carte contient une foule de données : taille, âge, poids, etc. Bien sûr, ce ne sont jamais nos propres données, sinon ce serait trop facile. Parfois, nous sommes juste des chiffres très longs, par exemple MUX/763/y. On nous mélange et on nous met dans un fichier. Ensuite, un de nous doit trouver une carte précise. Il pose des questions pour éliminer toutes les autres cartes. C’est le plus rapide qui gagne. (Ende, 2009, p. 344-345)

L’héroïne du roman, qui est passée au travers du filet tendu par les Messieurs gris, s’inquiète auprès de ses camarades de savoir si le jeu « est amusant » :

– Ce n’est pas ça qui compte, fit Maria craintivement, on ne doit pas parler comme ça.
– Mais alors, qu’est-ce qui compte ? s’enquit Momo. (ibid.)[1]

Qu’est-ce qui compte lorsque des enfants jouent ? Et à plus forte raison : qu’est-ce qui compte lorsque des adultes font jouer des enfants dans une perspective éducative ? Telles sont les questions qui ont constitué notre horizon réflexif tout au long d’une séquence de cours de français associant littérature et philosophie, conduite à l’automne 2024 avec deux groupes d’élèves de Sixième du Collège Jeanne-d’Albret (Pau).
Pour y voir plus clair, nous avons reconstitué le jeu évoqué dans les lignes qui précèdent et nous y avons joué. À ce titre, ce travail s’inspire librement de la pratique du philosophe américain Gareth B. Matthews qui, dans le chapitre “Words” de ses Dialogues with Children, élabore un dispositif permettant à ses élèves de philosopher à partir d’une expérience ludique (Matthews, 1984, p. 63-74)2[2]. Nous avons également adopté un cadre théorique matthewsien, en travaillant à l’articulation du geste herméneutique et du geste analytique (Martens, 2008, p. 3 ; Matthews, 2024, p. 12-13), soit plus précisément à l’articulation entre la question : « Que vaut le jeu éducatif “La Traque” ? » et « Qu’est-ce qui compte dans un jeu éducatif ? » Comme Matthews, nous avons progressé avec le souci de ne jamais perdre de vue notre source romanesque, littérairement et philosophiquement dense ; nous l’avons régulièrement mise en rapport avec l’essai de Sébastien Charbonnier, Aimer s’apprend aussi, qui propose une réflexion d’ampleur sur le jeu dans ses rapports aux apprentissages.

Présentation du jeu “La Traque” reconstitué à partir du roman Momo de Michael Ende

L’anonymisation des joueuses et joueurs par tirage au sort d’un matricule

Une partie se joue à 2, 3 ou 4 joueuses et joueurs ; elle commence par le tirage au sort par chacune et chacun d’un matricule, utilisé pour déterminer l’ordre de passage dans les différents rôles d’enquêteur, d’informateur, d’arbitre et de juge-chronomètre. Pour une partie à quatre, on tire les matricules DAK/922/r, MUX/763/y, HPY/436/b et TMJ/352/s. Les tours de jeu se succèdent de telle sorte que chacune et chacun occupe successivement les quatre rôles à l’intérieur de chaque manche, et qu’à chaque nouvelle manche chaque enquêteur soit renseigné par un informateur différent.

Tableau de données

Notons que cette première étape d’anonymisation, sur laquelle nous reviendrons (infra, 3.2.2.) suscite d’emblée parmi mes élèves des réactions contrastées : des réticentes chez certains, par exemple chez Abou-Baker M., qui demande, sarcastique : « Monsieur on a un matricule, ça veut dire qu’on est des voitures ? ». Mais aussi de l’adhésion chez d’autres, qui s’attachent à leur matricule et demandent à le garder pour les séances suivantes plutôt que de procéder à des nouveaux tirages au sort.

Présentation de deux cartes recto-verso et de l’ensemble d’un jeu de douze cartes

La notice du jeu commence par la courte amorce narrative suivante : « Le secret de la Caisse d’Épargne du Temps a été révélé, un grave péril court sur les réserves de cigares ! Retrouvez le coupable… avant qu’il ne soit trop tard ». Cette accroche fait référence au chapitre 9 du roman, au cours duquel les Messieurs gris instruisent le procès de l’agent BLW/553/c, accusé d’avoir trahi la Caisse et reconnu coupable de haute trahison au terme de la procédure.
Le but du jeu est donc d’identifier ce coupable, tiré au sort au début de chaque tour parmi un groupe de douze suspects ; aux élèves qui pratiquent chez eux le jeu de société, cela évoque immédiatement une variante numérique du “Qui est-ce ?”.
“La Traque” comprend trois lots distincts de 12 cartes (un lot par manche). Chaque carte représente un suspect singularisé par ses « mensurations » dans six rubriques : l’âge, la taille, le poids, le niveau de diplôme, le revenu et la consommation de cigares[3] Sur chaque carte, la valeur de chaque rubrique est identique au recto (face “chiffres”) et au verso (face “graphiques”). Voici deux exemples de cartes recto-verso, toutes deux extraites du lot de la manche 3 :

Tableau de données

Sur la face “graphiques”, plus facile à jouer, les quatre couloirs verticaux délimités par des lignes pointillées correspondent aux quatre tranches quantitatives (basse, moyenne, haute et extrême) détaillées ci-après en annexe 2 pour chaque rubrique. Par exemple, la taille de BRU/638/q (1,69 m), le situe dans la tranche moyenne : la barre correspondante s’arrête donc dans le deuxième couloir ; tandis que celle de WBF/167/p (1,88 m) le situe dans la tranche haute : la barre s’arrête dans le troisième couloir. Le poids de BRU/638/q (53 kg), le situe dans la tranche basse : la barre s’arrête dans le premier couloir ; tandis que celui de WBF/167/p (1,88 m) le situe dans la tranche extrême, la barre s’arrête dans le quatrième couloir.

Tableau de données

Présentation des modalités de l’enquête

Afin d’identifier le coupable (tiré au sort par l’informateur sous le contrôle de l’arbitre), l’enquêteur pose une série de questions qui doit lui permettre d’éliminer progressivement les onze suspects à innocenter, en utilisant cette annexe 2. L’ordre des questions est libre mais l’enquêteur ne peut tester chaque rubrique qu’une fois. Le canevas de la question est le suivant :

Tableau de données

L’informateur doit répondre avec justesse et du tac-au-tac, à partir d’un Tableau des suspects faisant apparaître les réponses grâce au code-couleurs utilisé dans chaque case : tranche Basse, blanc ; tranche Moyenne, gris-clair ; tranche Haute, gris-foncé ; tranche Extrême, noir. Voici l’imprimé de ce tableau pour la manche 3, figurant tel quel au dos de l’enveloppe contenant les douze cartes correspondantes :

Tableau de données

À partir de ce tableau synoptique, on peut vérifier que les tranches sont représentées pour chaque rubrique de manière homogène (trois suspects de chaque tranche dans chaque rubrique) et qu’aucun profil de suspect n’est similaire à un autre.
L’enquêteur doit aller le plus vite possible car le nombre de points qu’il obtient à l’issue de chaque enquête dépend de son temps enregistré au chronomètre par l’arbitre :

Tableau de données

Voici un exemple de déroulement d’enquête ; l’enquêteur découvre ici le coupable en quatre questions :

Tableau de données

Tableau de données

Présentation des stratégies élaborées par les élèves

Au fil des séances, les élèves découvrent deux astuces pour améliorer leurs scores.

Première astuce : se débarrasser tout de suite des rubriques peu maniables

Quand on joue avec la face “chiffres”, il faut prendre conscience que toutes les rubriques ne se valent pas en termes de maniabilité, parce que leurs tranches sont inégalement faciles à mémoriser et à utiliser :

  • deux rubriques sont faciles d’utilisation : les revenus (intervalles de 1000 à partir de 1, il suffit donc de considérer le chiffre des milliers) et le niveau de diplôme (intervalles de deux à partir de 3) ;
  • deux sont moyennement faciles : la consommation (intervalles de 10 mais à partir de la borne 6), l’âge (intervalles de 20 mais à partir de la borne 25) ;
  • deux sont franchement difficiles : la taille (intervalles de 16 à partir de la borne 145) et le poids (intervalles de 17 à partir de la borne 50).

Le plus simple est peut-être d’évacuer au moins l’une des deux rubriques difficiles dès le commencement du jeu en les utilisant à partir de la première tranche (Basse) ou de la dernière (Extrême) ; c’est plus simple car il n’y a alors en fait qu’une borne à utiliser (pour la taille on repère les suspects de moins d’1,60 m ou de plus d’1,93 m ; pour le poids, on repère les suspects de moins de 66 kg ou de plus de 101 kg).

Deuxième astuce : perdre un peu de temps pour en gagner

La première question est indifférente : elle élimine trois ou neuf cartes en fonction de la chance de la joueuse ou du joueur (cf. supra, 1.3.), mais dès la deuxième question, il faut prendre le temps de faire quelques vérifications pour s’assurer d’éliminer au moins deux ou trois cartes, à défaut de quoi les six questions autorisées peuvent s’avérer insuffisantes. C’est en particulier vrai si les premières questions obtiennent des réponses négatives, moins rentables en termes de nombre de cartes éliminées.

Questionnement philosophique à l’articulation des deux gestes méthodiques herméneutique et analytique

Au moment d’appliquer avec mes élèves le geste herméneutique à “La Traque”, j’ai en tête un projet déterminé : leur permettre de dégager les caractères fondamentalement stérilisants de ce jeu de cartes perforées. C’est, rappelons-le, le jeu que les Messieurs gris utilisent pour occuper les enfants, et au passage les empêcher de réitérer leur tentative de sédition ; dans un cauchemar que fait Momo au chapitre suivant, ce ne sont plus seulement les cartes mais ses camarades eux-mêmes que l’on perfore (p. 352).
La difficulté – mais aussi l’intérêt – de l’expérience, c’est que mes élèves de Sixième du Collège Jeanne-d’Albret plébiscitent dans un premier temps le jeu, au point de demander à y jouer à chaque début de cours.
Le constat de cet écart est le point de départ du temps spécifique de discussion philosophique de la séquence, occupant la dernière séance afin que le travail conceptuel puisse s’opérer à partir de ce que nous avons lu et vécu ensemble. Je mène la discussion en introduisant aux moments opportuns des citations ou des reformulations des textes que nous avons travaillés, et des verbatims d’élèves issus des comptes-rendus rédigés après chaque partie. Voici la synthèse des éléments dégagés avec les deux groupes distincts de Sixième, émaillée de renvois développés aux extraits qui avaient constitué notre parcours de lecture.
J’organise ce temps de discussion en recourant à deux détours afin de construire une critique du jeu tout en faisant bon accueil à l’impression générale positive des élèves.

Premier détour : la comparaison avec le “Similio”

Le jeu “Similio” est en apparence très semblable mais en réalité assez différent de “La Traque”.
Au départ, les deux jeux semblent très proches : il s’agit de trouver une carte parmi douze en éliminant progressivement les onze autres. Dans les deux cas, il y a un informateur et un enquêteur (dans “Similio” ils sont désignés comme « le narrateur » et « les autres joueurs »).
Toutefois, pour jouer à “Similio”, il faut mobiliser des connaissances – par exemple relatives à l’univers d’Harry Potter dans la version que nous avons utilisée – que l’on partage avec les autres joueurs parce que l’on a une expérience – de lecture ou de visionnage – en commun. Enquêter consiste à se demander ce que l’informateur a voulu nous dire en positionnant telle carte dans telle orientation ; la signification de cet indice n’est jamais évidente puisque l’informateur demeure muet et n’explicite pas à partir de quel paramètre (âge, genre, appartenance à telle famille, à telle maison…) il signale une ressemblance ou une différence. Un temps de concertation entre enquêteurs est donc presque toujours nécessaire. De son côté, l’informateur doit prendre en compte ce que les enquêteurs savent et anticiper leur raisonnement déductif pour optimiser les chances de succès. Ce jeu coopératif repose donc fondamentalement sur la capacité d’écoute au sens large, incluant les micro-interactions non-verbales. La joueuse exemplaire, c’est Momo elle-même : « Ce que la petite Momo savait faire comme personne, c’était écouter. […] Elle regardait son interlocuteur de ses grands yeux sombres, et celui-ci sentait émerger en lui des idées qu’il ne soupçonnait pas » (Ende, 2009, p. 25-26)[4]. Cette aptitude à établir un « cogito sympathique » la qualifie pour apporter une contribution décisive à tout jeu coopératif, mais aussi et au sens plus large à toute entreprise d’apprentissage à plusieurs :

Apprendre ensemble, c’est précisément s’accorder : prendre le temps d’entendre à quelle distance nous fonctionnons bien. Opération délicate et minutieuse, qui suppose de se découvrir, donc de faire confiance. Jamais une atmosphère confiscatoire pour la pensée n’autorisera cela. (Charbonnier, 2018, p. 51 – « Atmosphère »)

À l’inverse, “La Traque” semble parfois produire un non-cogito antipathique – des moments d’agressivité et une atmosphère confiscatoire –, par exemple à travers une remarque agacée de Baptiste D. (pourtant bon camarade !) : « il faut un bon informateur. Par exemple moi je n’ai gagné aucun point parce que celui qui jouait le rôle de l’informateur a mal lu la fiche ».
Il est exact que si l’informateur se trompe, la solution est hors de portée, quelles que soient la rigueur et la concentration de l’enquêteur. Pour faire suite au repérage de cette défaillance structurelle, je demande aux élèves s’ils souhaitent essayer de transformer “La Traque” en un jeu coopératif, afin que l’informateur et l’enquêteur partagent l’objectif du succès et que le premier ne soit pas tenté de faire de l’antijeu. Mais l’un d’entre eux perçoit immédiatement une impossibilité : « ça ne serait plus le même jeu ». Et nous voici plongés, à l’initiative d’Oihan S.-B., dans le problème de l’identité, qualifié par le philosophe allemand Ekkehard Martens, confrère de Matthews, lecteur et commentateur attentif de son œuvre, comme « une des plus difficiles et intéressantes questions philosophiques » (Martens, 2008, p. 4).
Dans le chapitre intitulé “The Ship” de ses Dialogues with Children, Matthews invente une variation sur l’histoire du bateau de Thésée à partir d’une visite de la Ciudad de Inca, effectuée avec sa femme et son fils en août 1982 au port de Leith (Matthews, 1984, p. 37-48 ; voir aussi Matthews, 2024, p. 23-25). Au cours de la visite, le couple et l’enfant sont estomaqués d’entendre le guide affirmer sans sourciller que ce navire, initialement construit en 1848 mais reconstruit à neuf en 1981 à hauteur de quatre-vingt-cinq pourcents de ses planches, est le plus ancien voilier en service. L’anecdote permet à Matthews d’introduire le problème de l’identité dans son groupe de discussion philosophique : le voilier actuel et le voilier initial peuvent-ils être considérés comme le même ? Ses élèves s’engagent alors spontanément dans une tentative d’identification de la partie du navire la plus importante – la quille ? la coque ? la cabine du capitaine ? –, qui permettrait de dire que, tant que celle-ci demeure inchangée, le bateau reste effectivement le même, même si ses parties secondaires sont remplacées.
L’analogie avec notre démarche de reconstitution du jeu de cartes perforées peut être établie : à partir d’une première version préparée par mes soins et introduite en classe en début de séquence, les élèves proposent différentes modifications afin de perfectionner le jeu : nous passons ainsi de lots de neuf cartes à des lots de douze cartes (pour allonger un peu la durée moyenne des enquêtes) ; nous doublons le recto numérique d’un verso graphique (à la demande des élèves dyscalculiques) ; nous créons une version avec des données totalement aléatoires (avant de faire marche-arrière car cela donnait une trop grande place à la chance). Ces modifications successives, aboutissant à autant de nouveaux états du jeu comme les rénovations produisent de nouveaux états du navire, ont été collectivement approuvées, parce qu’elles ne portaient pas sur un paramètre impactant « l’esprit du jeu ». Au contraire, modifier les règles pour passer d’une version agonistique à une version coopérative aurait impliqué de toucher à l’un de ses paramètres décisifs, de sorte que le jeu dans une telle projection est perçu comme radicalement autre. Il suffit d’ailleurs de revenir au texte du roman de Michael Ende pour avoir la confirmation de cette intuition : « C’est le plus rapide qui gagne », expliquait Paolo dans sa brève présentation du jeu à Momo (supra, introduction). L’approche par la distinction « de la substance et de l’accident ou de l’essentiel et de l’inessentiel » (Martens, 2008, p. 4 ; Matthews, 1980, p. 75-76), finalement abandonnée par les élèves de Matthews dans leur réflexion sur le bateau au profit de l’hypothèse d’une identité garantie par le caractère progressif de la transformation, est donc dans notre cas pleinement pertinente ; les premières altérations portaient sur des caractères accidentels ou inessentiels du jeu tandis que la dernière aurait affecté un caractère substantiel ou essentiel. “La Traque” est donc essentiellement un jeu de compétition, ce qui le rend fondamentalement impropre à favoriser le « cogito sympathique » ou à tolérer tout aménagement en ce sens.[5]

Deuxième détour : la réduction de l’enrobage ludique de “La Traque”

Un exercice de typologie des plaisirs

En synthétisant les comptes rendus de parties, nous élaborons une typologie des plaisirs éprouvés au cours des parties de “La Traque” :
) Un plaisir de divertissement, lié à la suspension de la monotonie scolaire : « C’était bien parce qu’on a pu jouer alors qu’on était en cours au collège et on s’est bien amusé », souligne Ewen J. ; « Ce jeu est plus amusant que travailler », renchérissent Assia G. et Safa R…
) Un plaisir de découverte : « J’ai aimé parce que tu découvres un nouveau jeu » écrit Matvei K. à l’issue de la première séance. Ce plaisir a été entretenu lors des séances suivantes puisque les élèves découvrent à chaque fois une nouvelle version (cf. supra).
) Un plaisir de fierté : « Oui j’ai aimé parce que j’ai eu 140 points » se réjouit Nina C. ; « Oui parce que j’ai eu plus de points que les autres », claironne Adama O. ; « Oui parce que je sais jouer [alors que je n’avais pas compris la dernière fois] », se tranquillise Syrine S…
La plupart de ces joies sont authentiques et constituent de petits succès pour l’éducateur que je suis : échapper à l’ennui, éprouver de la curiosité pour une chose nouvelle, sentir en soi une nouvelle puissance d’agir, il n’y a évidemment là rien que de souhaitable.

Une expérimentation mentale

Mais tous ces plaisirs survivraient-ils à une pratique régulière et prolongée de “La Traque” ? Pour appréhender cette question, je propose aux élèves une expérimentation mentale en leur demandant d’imaginer que dorénavant, les quatre heures de cours de français soient remplacées jusqu’à la fin de l’année par quatre séances hebdomadaires de “La Traque”. Plus de grammaire, plus de dictée, plus de lectures : “La Traque”, rien que “La Traque”. Plus de nouvelles règles non plus, ni de nouvelles cartes à inventer ou de nouvelles stratégies à découvrir. Nous serions alors à peu près dans la situation de Paolo et Maria dans le roman de Michael Ende. Comment les élèves réagiraient-ils ?
Ils conviennent que les plaisirs du divertissement () et de la découverte () s’émousseraient de fait puisque le jeu appartiendrait désormais à la routine scolaire. Il est par ailleurs probable que les progrès réalisés en termes de rapidité du raisonnement atteindraient rapidement un plafond ce qui couperait court aux plaisirs de fierté ().
Deux caractères propres de “La Traque” apparaissent alors en pleine lumière :
) L’horizon moral qu’il dessine est loin d’être neutre, puisqu’il nous accoutume à distinguer des individus par leurs seuls caractères chiffrables. La première étape d’anonymisation, dont nous avons vu qu’elle jouait un rôle fonctionnel pour la distribution des rôles successifs, s’inscrit également dans cette perspective axiologique : à travers ce jeu, les Messieurs gris instillent l’idée que chaque être est quantifiable, intégrable à un système d’équivalence universelle ; ils nourrissent une vision du monde expurgé de tout ce qui fait une personne, ils éclipsent tout ce qui compte humainement au profit de tout ce qui se compte numériquement. Ils apprennent aux enfants à devenir des grandes personnes dans le sens plat que revêt l’expression sous la plume de Saint-Exupéry :

Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? » Alors seulement elles croient le connaître. (Saint-Exupéry, 2018, p. 1096).

) L’expérimentation mentale ayant décrété la fin du travail d’élaboration du jeu, les séances cesseraient d’être des heures de laboratoire au cours desquelles on jouerait tout en réfléchissant aux options possibles pour faire évoluer le jeu. Que reste-t-il de l’expérience ludique quand il ne s’agit plus de créer le jeu, mais simplement de le jouer ? Une mise à l’épreuve, sous la pression du chronomètre, de la précision de notre lecture – dont celle, complexe, de tableaux à double entrée croisant les « rubriques » et les « tranches » – et de la rigueur de nos déductions, à partir d’une série d’opérations intellectuelles fractionnées et répétitives ne consistant in fine qu’à prélever et à comparer des informations entièrement dépourvues de signification pour retrouver un coupable tiré au sort. Il ressort de ce travail de réduction qu’une faculté, habituellement associée à l’idée de jeu, se signale par son absence criante : l’imagination !

La fin et le moyen

Lorsque l’expérimentation mentale a réduit l’enrobage ludique, on comprend donc que le jeu n’était pas ici la fin – on n’apprenait pas véritablement à jouer – mais simplement le moyen – on jouait pour apprendre autre chose. Il en va ainsi de la philosophie elle-même, qui, quoiqu’« elle soit à elle-même sa propre récompense, comme la poésie », perd dans bien des cas son statut autotélique et se trouve inscrite dans les programmes de formation comme un moyen au service d’autre chose : « Il est entendu que l’étude de la philosophie a certains usages fonctionnels : c’est une bonne préparation à certains emplois, de juriste par exemple, car elle confère une pensée claire et un raisonnement solide » (Matthews, 2024, p. 22)[6].
Mais si la philosophie est parfois mise au service de l’institution juridique, au service de qui ou de quoi le jeu est-il mis à disposition ici ? Pour le dire autrement, de quelle fin “La Traque” est-elle le moyen ? Pour le découvrir, il nous faut identifier, d’après ce qui a été dit précédemment, cette partie de nos vies au sein de laquelle nous pouvons nous contenter de mobiliser une pure rationalité calculatoire à l’exclusion de toute expression personnelle () et de tout apport imaginatif (). Et cette partie, c’est tout le contraire du jeu, le sérieux :

Le jeu concerne les activités joyeuses et libres, les plus dignes de l’homme, alors que le sérieux est requis pour les activités de gestion – celles qu’il faut bien faire, mais qui sont de loin les moins intéressantes car ce sont celles où l’on n’apprend rien. […] Le sérieux est la part empirico-économique de l’homme, il couvre le spectre des besoins élémentaires : bien manger, boire, dormir, se réchauffer. Nous ne pouvons pas éviter de prendre ces besoins au sérieux, sinon nous mourrons ; mais apprendre outrepasse largement les scrupules que nous devons mettre à survivre. Le jeu est la vie même avec tous ses risques : « vivre en jouant » est la part critique de la vie humaine ! (Charbonnier, 2018, p. 170 – « Jeu »)

Peut-on dire que l’on « n’apprend rien » en jouant à la Traque ? Disons que l’on n’apprend rien au-delà « de la table de 12 et de la forme passive du verbe être » (Matthews, 2024, p. 32)[7] : il s’agit donc d’un modèle d’apprentissage borné, qui n’ouvre sur aucun « défi intellectuel » et ne met donc sur la voie d’aucune découverte. On pratique une sorte de musculation intellectuelle permettant d’accroitre son rendement déductif, on se laisse tirer « vers un idéal préconçu ». « Ce n’est pas de ma faute si je gagne tout le temps, je suis une machine » s’amuse une jeune adulte invitée à participer, comme pour s’excuser de ses victoires à répétition. Elle ne croit pas si bien dire : les cartes perforées (Lochkarten) sont l’ancêtre de l’informatique, si bien que le spectre de l’ordinateur est partout présent dans ce jeu alors même que les élèves ne manipulent que du papier cartonné.
“La Traque” est donc un jeu au service du non-jeu ; il est par conséquent reconnu coupable d’imposture. À travers cette condamnation, il ne s’agit pas de bannir le sérieux, qui ne peut être entièrement évacué de nos vies, mais de refuser qu’un jeu institutionnel tourne aussi radicalement le dos au jeu comme état d’esprit, car nous avons alors tous les ingrédients d’un brouillage conceptuel mortifère. Brouiller cette frontière conceptuelle, c’est se rendre deux fois incapable : d’incarner une humanité joueuse et joyeuse (à chaque fois que c’est possible), et de faire preuve de sérieux (à chaque fois que c’est nécessaire).

En jouant pour de vrai, incarner une humanité joyeuse et émancipée

Alors que j’annonce la troisième séance de “La Traque”, Baptiste D. fait entendre à rebours de l’enthousiasme général une voix dissonante : « On ne pourrait pas plutôt dessiner ? ». Dessiner, c’est-à-dire créer, s’installer dans cet espace intellectuel inventif commun « à la philosophie, à la musique et au jeu » (Matthews, 2024, p. 22)[8], ce même espace qu’investissent les enfants au début du roman à l’occasion d’une saynète théâtrale improvisée (Ende, 2009, p. 37-54). L’écoute si particulière de Momo fait office de catalyseur : voici l’amphithéâtre transformé en navire de science-fiction, et l’orage vespéral en « typhon errant ». Mais ce qui est remarquable ici, c’est la différence de climat politique entre le moment qui précède la création et l’instant de grâce où elle se déploie, écart qui constitue une discrète mais magnifique illustration des vertus émancipatrices de la pensée créative à l’œuvre.

Voilà ce dont on manque : apprendre à créer, aimer créer. C’est toujours encore un problème politique : comment changer le monde, comment en créer un meilleur ? […] Ce qui se joue dans la création, c’est la puissance de l’imaginaire à produire d’autres mondes possibles, à nous raconter d’autres récits à nous-mêmes ! (Charbonnier, 2018, p. 93 – « Création »)

Encore quelques minutes avant que le jeu ne prenne grâce à l’arrivée de Momo, les réflexes d’oppression misogyne prévalaient chez les enfants : les garçons se distribuaient les rôles principaux et singularisés – le capitaine, le premier timonier, le scientifique – et proposaient aux filles un rôle collectif de figuration – des matelotes. Mais dès que la magie opère, les filles se taillent des rôles importants sans rencontrer de résistance : « Maurine et Sara, dont la mémoire phénoménale égalait des bibliothèques entières » (Ende, 2009, p. 41) sont des autorités scientifiques respectées ; Sandra et ses comparses, des plongeuses intrépides ; l’indigène Momosan, un puits de culture ancestrale qui offre la clé du salut face au Choum-Choum Caoutchoulasticum. Le jeu authentique ne relève pas du divertissement, il est déjà une subversion de l’ordre établi, une préparation et un combustible pour les luttes à venir.

Faire preuve de sérieux pour se prémunir du piège de l’escapisme

Mais il ne suffit pas de savoir jouer comme un enfant, il faut encore savoir être sérieux comme un enfant, ou – cela revient presque au même – comme un hobbit. Dans le premier livre du Seigneur des Anneaux, Merry observe que quand les choses « deviennent sérieuses » – c’est-à-dire commencent à tourner vraiment mal – il faut soi-même « être sérieux » c’est-à-dire se mettre en capacité de « parvenir à ses fins » (Tolkien, 2018, p. 161)[9]. Autrement dit : lorsqu’il y a péril en la demeure, il est utile de savoir compter.
Gigi incarne le risque de faillite morale découlant d’une incapacité à délimiter les sphères du jeu et du sérieux. À Beppo qui lui demande de considérer comme « vraie » la menace imminente que constituent les Messieurs gris, Gigi répond par la désinvolture : « Qu’est-ce que ça veut dire, la “vérité” ? Tu es un être dépourvu d’imagination, Beppo. Le monde entier est une histoire dont nous sommes les personnages » (Ende, 2009, p. 165)[10]. Derrière le brio de la formule se cache ici la paresse de l’escapisme, c’est-à-dire de cet usage morbide de l’imagination qui consiste à dresser un écran de fumée entre la réalité et soi pour se dissimuler la nécessité d’une praxis concertée.
Quelques mois plus tard, Momo a disparu ; ce vide atteste que « cette histoire n’était pas une fiction » (ibid., p. 279)[11] et coupe désormais à Gigi toute possibilité de retraite dans la mauvaise foi. Il se décide alors à reprendre le flambeau de la lutte qu’il croit pouvoir mener en position avantageuse : « Je ne suis plus le petit Gigi Cicérone d’autrefois. Je suis quelqu’un maintenant. Nous verrons si vous pouvez rivaliser avec moi » (ibid., p. 280)[12]. Mais ses adversaires lui opposent un tranquille « tu n’es rien ». Et en un sens ils ont raison, on n’est rien tout seul :

La confiance n’est jamais un amour arrêté de soi (les autres m’ont aimé, donc je suis aimable), c’est au contraire la confiance dans l’agir, la puissance de continuer à rencontrer les autres pour faire avec eux. Le concept de confiance, éminemment relationnel, nous renvoie aux échanges d’énergies nécessaires pour tout mouvement, tant il est vrai qu’un homme n’est rien par lui-même, qu’il n’est rien tout seul, qu’il n’est quelque chose que par les sympathies qui sont en lui et par celles qu’il réveille dans les autres. (Charbonnier, 2018, p. 78-79 – « Confiance »)

Gigi pensait pouvoir mobiliser sa notoriété d’artiste ; mais cette notoriété-même est l’œuvre des Messieurs gris, qui peuvent à tout moment reprendre ce qu’ils ont donné. Au fond – et Gigi le savait autrefois mais il l’a oublié en tournant le dos à son enfance – il n’existe aucun lien analytique consistant entre la notoriété et la qualité d’artiste : « chacun de nous est artiste dans la mesure où il effectue une double démarche ; il ne se contente pas d’être homme de métier mais veut faire de tout travail un moyen d’expression ; il ne se contente pas de ressentir mais cherche à faire partager » (Rancière, 2004, p. 120). La véritable artiste du roman, c’est encore Momo, qui n’ambitionne pas de remplir des stades mais simplement de faire entendre à ses amis la musique qui résonne en elle. Gigi est au contraire trop attaché à son nouveau train de vie de rockstar pour faire le grand saut vers l’autre. Il courbe par conséquent l’échine au premier coup de semonce, face à un ennemi qui lui conseille de « cesser de se prendre au sérieux » (Ende, 2009, p. 282)[13]. En obtempérant, il donne son adhésion à la fable des pouvoirs : tout ira pour le mieux si chacun reste à sa place. Mais cette fois il ne s’illusionne pas sur sa tricherie et sombre dans une tristesse abyssale : « Il devint le clown, la marionnette de son public, et il le savait. […] Gigi le rêveur était devenu Girolamo le menteur » (ibid., p. 283)[14] – « Le pouvoir fait de nous des pantins » (Charbonnier, 2018, p. 74)
Au sein de la configuration actancielle du roman, Gigi représente donc une mise en garde : restons sérieux. La fraîcheur cognitive de l’enfance est un don précieux tant qu’elle s’accompagne d’une attention lucide aux tournants que prennent nos vies, en particulier lorsque d’aucuns aimeraient, pour leur profit, nous faire prendre le mauvais tournant de la servilité. De naïf à dupe il n’y a qu’un pas, ne laissons pas l’adversaire nous enfermer dans « des positions truquées et des existences étriquées » :

Réussir à devenir indifférent à ce que je vaux, ne pas dépenser une minute de mon existence à tenter de répondre à ça, c’est réorienter mes puissances d’agir vers les vrais problèmes : la connaissance de nous-mêmes et de nos intérêts mutuels. (Charbonnier, 2018, p. 80)

Conclusion

À l’issue de cette séquence de cours, je suis mis en accusation par Gabin Ch. : « Monsieur, en nous faisant jouer à ce jeu, vous nous avez empoisonnés ». La sonnerie retentit, l’irrépressible appel de la récréation vide ma salle de classe et m’empêche – ou me dispense – de m’expliquer.
Voici ma réponse d’escalier. Dans la mesure où mon projet était de jouer à petites doses, en encadrant les temps de jeu d’une réflexion pour développer nos défenses intellectuelles, il s’agissait moins d’une tentative d’empoisonnement que de vaccination. Mais cette correction passe encore à côté de l’essentiel : se faire vacciner ne suppose que de tendre son bras et de laisser le produit faire effet, alors qu’il s’agit ici de reprendre un contrôle actif sur l’une de nos « formes de vie » (Ende, Eppler, Tächl, 2014), sur l’un des substrats collectifs de nos décisions individuelles : que veut dire, pour nous, aujourd’hui, jouer ?
J’ai voulu leur apprendre et apprendre avec eux, en lisant en jouant, à détecter l’approche des tristes sires d’hier et d’aujourd’hui qui s’échinent à nous convaincre d’aller plus vite en toutes choses, et qui ont bien souvent une solution à nous vendre à cette fin. À l’ère de « l’intelligence électronique »[15] que le roman annonçait dès 1973, ils sont plus nombreux que jamais. Mais il sera toujours possible de leur opposer la patience et la douceur du Petit Prince déclinant très poliment l’offre du marchand de pilules contre la soif : « Moi, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine… » (Saint-Exupéry, 2018, p. 1133).
À celles et ceux qui voudraient tenter cette nouvelle expérience philosophico-littéraire, on peut recommander pour conclure la jolie fontaine de la Place de la Déportation, dans le quartier du Château de Pau. Ou dans un autre style, pour les arpenteurs des Mondes Secondaires, la très démonstrative fontaine de la Fraternité magique [the Fountain of Magical Brethren], située au neuvième sous-sol du Ministère londonien de la Magie, et qui contient, comme “La Traque”, son lot de faux-semblants et de duperies à débusquer (Rowling, 2023, 105 et 553).

  • Charbonnier, S. (2018), Aimer s’apprend aussi / Méditations spinoziennes, Paris, Vrin.
  • Ende, M. (2009), Momo, trad. fr. C. Gepner, Montrouge, Bayard jeunesse. [Ende, M. (2021), Momo oder Die seltsame Geschichte von den Zeit-Dieben und von dem Kind, das den Menschen die gestohlene Zeit zurückbrachte / Ein Märchen-Roman mit Bildern des Autors, Stuttgart, Thienemann Verlag.]
  • Ende, M., Eppler, E. & Tächl, H. (2014), Phantasie / Kultur / Politik, München, Hockebooks.
  • Martens, E. (2008), « „Werkzeugkiste“ und „Schatztruhe“ für die professionelle Ausbildung der Kinderphilosophen – von Gareth B. Matthews lernen », Zeitschrift für Didaktik der Philosophie und Ethik, n°1/2008.
  • Matthews, G. B. (1980), Philosophy and the Young Child, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts.
  • Matthews, G. B. (1984), Dialogues with Children, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts.
  • Matthews, G. B. (2024), Philosophie de l’enfance, trad. fr. P. Audran, Paris, Vrin. [Matthews, G. B. (1994), The Philosophy of Childhood, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts.]
  • Rancière, J. (2004), Le maître ignorant, Paris, 10/18.
  • Rowling, J. K. (2023), Harry Potter et l’Ordre du Phénix (illustrations de J. Kay), Paris, Gallimard.
  • Saint-Exupéry, A. (2018), Du vent, du sable et des étoiles / Œuvres, Paris, Gallimard.
  • Tolkien, J. R. R. (2018), Le Seigneur des Anneaux, Paris, Pocket [Tolkien J. R. R. (2004), The Lord of the Rings, New York, Houghton Mifflin Company]
Notes
  1. »Heute spielen wir Lochkarten«, erklärte Paolo, »das ist sehr nützlich, aber man muss höllisch aufpassen. […] Jeder von uns stellt eine Lochkarte dar. Jede Lochkarte enthält eine Menge verschiedener Angaben: wie groß, wie alt, wie schwer und so weiter. Aber natürlich nie das, was man wirklich ist, sonst wäre es ja zu einfach. Manchmal sind wir auch nur lange Zahlen, MUX/763/y zum Beispiel. Dann werden wir gemischt und kommen in eine Kartei. Und dann muss einer von uns eine bestimmte Karte herausfinden. Er muss Fragen stellen, und zwar so, dass er alle anderen Karten aussondert und nur die eine zum Schluss übrig bleibt. Wer es am schnellsten kann, hat gewonnen.« »Und das macht Spaß?«, fragte Momo etwas zweifelnd.
    »Darauf kommt es nicht an«, meinte Maria ängstlich, »so darf man nicht reden.«
    »Aber worauf kommt es denn an?«, wollte Momo wissen. (Ende, 2021, p. 239-240) ↩︎

  2. Le dispositif matthewsien, inspiré d’un moment satirique des Voyages de Gulliver, part de l’hypothèse communément admise que la fonction essentielle du langage serait de dénommer les objets, pour mieux permettre aux élèves de récuser cette hypothèse à partir de leur expérience ludique. Nous verrons que le dispositif présenté ici possède ce même caractère déceptif, le but étant dans les deux cas de nous faire éprouver que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent. ↩︎

  3. Les Messieurs gris sont dans un état de dépendance vitale par rapport à ces cigares, constitués des pétales des fleurs-horaires matérialisant le temps qu’ils volent aux hommes. ↩︎

  4. Was die kleine Momo konnte wie kein anderer, das war: zuhören. […] Dabei schaute sie den anderen mit ihren großen, dunklen Augen an und der Betreffende fühlte, wie in ihm auf einmal Gedanken auftauchten, von denen er nie geahnt hatte, dass sie in ihm steckten. (Ende, 2021, p. 14-15) ↩︎

  5. La solution que nous trouvons pour corriger la défaillance repérée par Baptiste D. est d’introduire un intéressement pour l’informateur, sous la forme d’un bonus de 10 pts, aux seules conditions que ses réponses soient justes et rapides (sous le contrôle de l’arbitre) et ce quel que soit le résultat de l’enquête. ↩︎

  6. To be sure, the study of philosophy has certain practical uses. It is good preparation for certain vocations, like the law, that reward clear thinking and strong reasoning. But, like poetry, philosophy is also its own reward. (Matthews, 1994, p. 4) ↩︎

  7. If the most daunting intellectual challenges that Sam and Nick face are to learn the twelve-times table and the passive form of the verb “to be,” condescension toward these children as thinkers has some warrant in fact. (Matthews, 1994, p. 13) ↩︎

  8. My aim was – and is, for I sometimes follow this practice even today – to convince my students that philosophy is a natural activity, quite as natural as making music and playing games. (Matthews, 1994, p. 4). Sur la parenté de la philosophie et du jeu, voir aussi le chapitre « Play » de Philosophy and the Young Child (Matthews, 1980, p.11-22) ↩︎

  9. I kept my knowledge to myself, till this spring when things got serious. Then we formed our conspiracy; and as we were serious, too, and meant business, we have not been too scrupulous. (Tolkien, 2004, p. 105) ↩︎

  10. »Was heißt denn wahr!«, antwortete Gigi. »Du bist ein Mensch ohne Phantasie, Beppo. Die ganze Welt ist eine große Geschichte und wir spielen darin mit. Doch, Beppo, doch, ich glaube alles, was Momo erzählt hat, genauso wie du!« (Ende, 2021, p. 112) ↩︎

  11. Er wollte ihnen von den grauen Herren erzählen! Und er wollte dazusagen, dass dies keine erfundene Geschichte sei. (ibid., p. 193) ↩︎

  12. »Ich bin nicht mehr der kleine, unbekannte Gigi Fremdenführer. Ich bin jetzt ein großer Mann. Wir werden ja sehen, ob ihr es mit mir aufnehmen könnt.« (ibid., p. 193) ↩︎

  13. »Nimm dich selbst nicht so ernst.« (ibid., p. 193) ↩︎

  14. Er machte sich zum Hanswurst, zum Hampelmann seines Publikums und er wusste es. […] So war aus dem Träumer Gigi der Lügner Girolamo geworden. (ibid., p. 195-196) ↩︎

  15. « Les enfants sont le matériau humain du futur. L’avenir verra les moteurs à réaction et l’intelligence électronique. Pour faire fonctionner toutes ces machines, il faudra une armée de spécialistes et d’experts ». (Ende, 2008, p. 297) ; »Kinder sind das Menschenmaterial der Zukunft. Die Zukunft wird eine Zeit der Düsenmaschinen und der Elektrogehirne. Ein Heer von Spezialisten und Facharbeitern wird notwendig sein, um alle diese Maschinen zu bedienen.« (Ende, 2021, p. 206) ↩︎

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