Revue

Une analyse structurée des discussions philosophiques avec les enfants à partir d’une grille d’analyse en trois parties

Cet article propose d’analyser des discussions philosophiques avec des enfants en s’appuyant sur une grille d’analyse. Cet écrit s’appuie sur une séance de discussion philosophique menée en CM2, à La Réunion, sur le thème de l’amour. La grille d’analyse comporte trois axes principaux : le volume de parole, l’analyse des propos des participants et l’étayage de l’animateur.

J’ai découvert la philosophie pour enfant lorsque j’étais professeure des écoles Stagiaire il y a maintenant 9 ans. Alors que je commençais à me familiariser à ce nouveau métier et à construire ma posture d’enseignante, une collègue m’a conseillée un livre sur la discussion philosophique à l’école primaire. Je fus immédiatement séduite par cette approche qui permet de développer chez les enfants une pensée critique et réfléchie au sein d’un temps et d’un espace bien définis qui leur permettent de s’exprimer. Il m’a semblé évident que cette approche d’enseignement devait aussi se retrouver dans l’ensemble des autres disciplines enseignées à l’école primaire. Mais je n’avais jamais entendu parler ou même vu un tel dispositif au cours de ma formation. Je me suis donc auto-formée lors de mes premières années d’enseignement.

Mais qu’est-ce qui différencie un atelier philosophique des autres disciplines enseignées à l’école ? Peut-on réellement qualifier ces ateliers de « philosophiques » avec des élèves de primaire ? Qu’est-ce qui distingue une réflexion d’un simple échange ? Et surtout, quel est le rôle de l’animateur ? Quelle posture, étayage, doit-il développer pour permettent aux élèves de développer une pensée critique ? Ces questions sont au cœur de la pratique des ateliers philo pour enfants. Elles interrogent non seulement la méthodologie de l’animateur, mais aussi la nature même de la philosophie :

Le volume de parole

Dans un de ses articles, Marie-Paule Vannier (1) propose de comparer les volumes de parole de l’animateur et des élèves. Concernant ma séance, voici ce qui en ressort :

Tableau 01

Ce critère ne garantit pas la teneur philosophique des échanges. En effet, ce n’est pas parce que le volume des discutants est plus élevé qu’ils ont nécessairement philosopher mais il est intéressant de prendre en compte ce critère. Ici, on constate que ce sont les discutants qui ont un volume de parole important. Mais il ne faut pas s’arrêter à cette lecture quantitative et s’intéresser davantage à la qualité des échanges. Il s’agit de la deuxième partie de la grille d’analyse.

Du côté des discutants

Marie-France Daniel, Jean Charles Pettier et Emmanuèle Auriac-Slusarczyk (2) mettent en avant trois instruments de collecte de données dans leur article.

La typologie des échanges : le développement discursif

Il s’agit d’analyser chaque intervention des discutants en fonction de celles des autres. Trois types d’échanges sont possibles :

  • Si les propos d’un participant sont centrés sur son expérience particulière, elle est anecdotique. Ici, il n’y a pas de but commun entre les discutants.
  • Si une intervention n’est adressée qu’à l’animateur et non aux pairs, elle est monologique. Ici les discutants « commencent à entrer dans un processus de recherche, mais orienté essentiellement vers la recherche de « la » bonne réponse (2) ». Il n’y a pas encore de co-construction des réponses.
  • Si les interventions sont explicitement reliées entre elles, elles sont dialogiques. Les discutants commencent à former une communauté de recherche. Ce dialogue peut être :
    • non critique : les discutants « respectent les différences d’opinion, construisent leur point de vue à partir de ceux émis par les pairs et commencent à justifier leurs propos. Toutefois, à ce niveau, les élèves n’évaluent pas les points de vue ou les perspectives en jeu ; ils n’évaluent pas la validité, l’utilité, la viabilité des énoncés ou des critères (2)».
    • quasi-critique : certains participants «sont suffisamment critiques pour questionner les énoncés des pairs, mais ces derniers ne le sont pas suffisamment pour être cognitivement influencés par la critique émise, de sorte que cette dernière ne conduit pas à une modification du point de vue ou de la perspective (2)».
    • critique : lorsque non seulement les participants « améliorent la perspective initiale du groupe, mais qu’ils la modifient. L’incertitude momentanée est acceptée comme faisant partie de toute discussion intéressante et la critique des pairs est recherchée pour elle-même, comme un outil pour avancer dans la compréhension (2)».

Pour analyser la typologie des échanges, j’ai numéroté chaque tour de parole sur le verbatim et j’ai inscrit dans un tableau les numéros des tours de parole de chaque participant.

Tableau 02

Afin de donner du sens à ces nombres, voici un extrait du verbatim des tours de parole 4 à 20 afin d’illustrer les différents types d’échanges possibles :

4. Y : Hadès et Perséphone pour moi c’est pas un vrai amour.
5. Animatrice : pourquoi ?
6. Y: parce qu’Hadès lui il a capturé (Mathésonne : forcé) Perséphone pour qu’elle soit amoureuse de lui, pour se marier. Au lieu que les autres, comme heu… Hercule et Mégara, Héra et… heu…Héphaïstos et Aphrodite, ils éprouvent de la vrai amour. Mais Hadès lui, il a capturé, il a emprisonné en Enfers pour y rester.
7. Animatrice : qu’est-ce que vous avez à dire ? Oui ?
8. E : que Héphaïstos et Aphrodite il a dit que c’est un vrai amour mais c’est Héphaïstos qui voulait épouser Aphrodite. Et Aphrodite elle avait rien dit. Elle n’a pas dit qu’elle l’aimait ou pas.
9. Y : mais maintenant ils sont heureux. Parce que dans l’histoire, Héphaïstos il a fait la femme à l’image de… Aphrodite. Donc ça veut dire qu’ils s’aiment vraiment.
10. E : mais Aphrodite, est-ce qu’elle l’a aimé ?
11. Y : ben oui.
12. Animatrice : pourquoi ?
13. Y : comme si on fait quelque chose à ton effigie.
14. L : alors on ne sait pas si Aphrodite elle aime Héphaïstos. Parce que Héphaïstos il a demandé à épouser Aphrodite mais Aphrodite…
15. E : ….elle n’a rien dit
16. L : elle n’a rien dit. Elle n’a rien demandé.
17. E : elle était obligée.
18. L : c’est pas qu’elle était obligée, elle aurait pu refuser. Mais comme heu… Zeus il avait dit que …heu…
19. E : qu’il allait donner à Héphaïstos tout ce qu’il voulait…
20. L : ben la beauté et la laideur se sont mariés ensemble.

En analysant le tableau, on constate que la typologie des échanges est principalement dialogique. Cependant, l’analyse de ce tableau ne doit pas seulement se baser sur l’aspect quantitatif. Je pense que l’important n’est pas seulement d’avoir un nombre élevé de tour de parole dans une colonne. Il me semble pertinent de prendre en compte l’évolution de la discussion voire même d’une idée précise. Analyser si au fur et à mesure que l’on avance dans la discussion, les prises de parole se rapprochent de plus en plus d’un dialogue critique. En effet, les premiers tours de parole peuvent être anecdotiques ou monologiques. Mais ce qui est important, c’est de constater que plus on se rapproche de la fin de la discussion ou d’une idée, plus les tours de parole deviennent dialogiques. Par exemple, entre le tour de parole 4 à 20, la typologie des échanges passe d’un mode monologique à un mode critique. C’est donc cet aspect qualitatif qu’il faut aussi prendre en compte.

Les marqueurs langagier : le développement langagier

Il s’agit de se concentrer sur les pronoms utilisés par les participants. Lors d’un atelier philo avec des enfants, l’un des objectifs est d’amener les participants à se décentrer de leur vécu afin de les amener vers l’abstraction, la généralisation, qui se caractérise en autre par l’emploi du « on » et/ou du « ils/elles » qui marque un effort de conceptualisation.

Concernant ma séance, j’ai reporté dans ce tableau les numéros de tour de parole qui comportaient un pronom personnel.

Tableau 03

Premier constat qui saute aux yeux : les élèves ne généralisent pas. Mais cela est normal car ma question de départ n’est pas philosophique ! J’ai débuté l’atelier en disant : « Qu’est-ce que vous avez à dire, déjà vous, sur Hadès et Perséphone ? ». J’aurais dû commencer par « Peut-on faire du mal à quelqu’un qu’on aime ? » comme je l’avais prévu. Le fait d’avoir posé cette question non philosophique, qui engage plus les élèves à argumenter qu’à conceptualiser, se ressent au niveau des marqueurs langagiers. En effet, les participants utilisent principalement le « il » ou « elle » pour faire référence aux personnages de l’histoire. Mais la littérature doit permettre d’instaurer une « bonne distance » entre l’expérience personnelle et le concept, entre le général et l’intime (3). La littérature de jeunesse doit être une médiation pour « oser penser (4) », un levier pour approfondir la réflexion et non le socle même de la discussion. En tant qu’animatrice, j’aurai dû guider les élèves (l’étayage sera développé dans la partie suivante) pour les amener à penser au-delà des récits pour que leur réflexion soit plus générale.

Le modèle du processus développemental d’une pensée critique dialogique : le développement cognitif

Une pensée critique se caractérise par une pensée qui doute et qui évalue les principes ou les faits de manière méthodique (Foulquié, 1982 ; Lalande, 1991). Pour favoriser son développement, il faut travailler : la complexification et la diversification de la pensée. Les perspectives épistémologiques (égocentrisme, relativisme et intersubjectivité) qui reflètent la complexification de la pensée doivent être mis en relation avec les modes de pensée (logique, créatif, responsable et métacognitif) qui reflètent eux la diversification de la pensée.
Attardons-nous quelques instants sur les perspectives épistémologiques (5). L’égocentrisme se caractérise par des représentations simples et centrées sur soi. Le relativisme se caractérise par des représentations qui sont tournées vers autrui, qui reflètent la pluralité des idées et une certaine réflexivité. Enfin, dans l’intersubjectivité (qui est marquée par le questionnement, l’incertitude), les représentations sont plus complexes. Il y a évaluation des concepts et des valeurs dans un souci social afin de viser un bien commun. Cette complexification de la pensée permet la décentration (se décentrer de soi pour se tourner vers l’autre et enfin la société) mais aussi l’abstraction (se détacher de son expérience personnelle pour se tourner vers des expériences plus générales avant d’arriver à des relations complexes et conceptuelles).
D’autre part, concernant la diversification de la pensée, elle est composée de quatre modes de pensée. Le mode logique se caractérise par de l’argumentation et de la conceptualisation à partir de critères. Le mode créatif créé de nouvelles relations ainsi qu’une faille dans les incertitudes, ce qui amorce un processus critique. Les élèves transforment les points de vue de la communauté de recherche en les faisant progresser. Concernant le mode responsable, il remet en question des principes sociaux et éthiques mais permet aussi d’éviter les généralisations ou d’anticiper les conséquences d’une action. Enfin, la pensée métacognitive permet une rétrospection afin d’effectuer des retours sur les idées offrant ainsi une possibilité d’autocorrection.
Donc plus les propos des participants se rapprochent d’une pensée métacognitive et d’une perspective épistémologique relevant de l’intersubjectivité, plus la pensée devient critique.
Pour analyser le développement cognitif des participants, j’ai regroupé au sein d’un tableau les numéros de tour de parole.

Tableau 04

Pour illustrer ces nombres, voici quelques propos d’élèves :

4. Y : Hadès et Perséphone pour moi c’est pas un vrai amour.
9. Y : mais maintenant ils sont heureux. Parce que dans l’histoire, Héphaïstos il a fait la femme à l’image de… Aphrodite. Donc ça veut dire qu’ils s’aiment vraiment.
56. L : je reviens sur la phrase d’Y. Il a raison parce que pour aimer, on n’a pas besoin de kidnapper les gens pour leur prouver l’affection de l’amour.
40. L : je crois ce qu’il veut dire c’est la famille et l’amour ça a un lien parce que ça se reproduit.

Remplir ce tableau n’est pas évident. D’une part il faut s’approprier les critères de chaque mode et perspective. Ensuite il faut les retrouver dans les propos des participants puis placer les tours de parole dans le tableau. Il est difficile d’enfermer une idée dans une case. C’est pour cela que je préfère mettre des pointillés et que les numéros sont placés de cette manière. Par exemple, le propos 13 est pour moi logique mais il se rapproche tout de même un peu d’un mode de pensée créatif. C’est pour cela qu’il se situe proche de cette colonne alors que le propos numéro 6 s’en éloigne.
Si une fois de plus on s’intéresse à l’aspect quantitatif, on remarque que les propos des élèves se situent principalement dans un mode de pensée logique/créatif et qu’ils naviguent entre le pré-relativisme et le post-relativisme. Il y a donc encore du chemin à faire avec ces participants pour les aider à développer une pensée critique dialogique.
Mais si on s’attarde un peu plus sur l’aspect qualitatif, sur l’évolution d’un propos, d’une idée, on remarque une évolution. Par exemple pour les tours de parole 4 à 10, on constate une progression au niveau des modes de pensée et des perspectives. Je pense que c’est ça aussi qui est intéressant. Lors d’un atelier, tous les propos des participants ne peuvent pas seulement être métacognitifs et/ou intersubjectifs. Il ne faut donc pas analyser seulement la quantité dans chaque colonne mais l’évolution d’une idée au fil de la discussion.
Pour développer la pensée critique des élèves, on voit ici toute l’importance de l’étayage de l’animateur, de ces relances, reformulations et questions. Les élèves sont capables de dépasser la perspective relativiste s’ils pratiquent régulièrement des ateliers philosophiques et si l’étayage de l’enseignant les stimule dans ce sens (5). Ce qui nous amène à la troisième partie de la grille d’analyse.

L’étayage de l’animateur

La fonction de co-élaboration de sens

C’est Marie-Paul Vannier qui décrit les trois fonctions qui vont suivre (1).

Le questionnement

Il est important de s’attarder sur les questions formulées par l’animateur : sont-elles nominatives ? collectives ? d’ordre personnelle ? ouvertes ? Si l’on se rapporte au verbatim de ma séance, j’ai posé :

  • 6 questions d’ordre logique aux tours de parole suivants :
    34. Oui et pourquoi tu penses ça ?
    38. Alors quel… quel lien entre la famille et l’amour là ?
    51. Alors c’est quoi ta question ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

  • 4 questions d’ordre créatif aux tours de paroles suivants :
    41. Toi J., qu’est-ce que tu voudrais dire ? Sur l’histoire de Hadès et Perséphone par exemple.
    53. Alors pour toi, Perséphone a fini par aimer Hadès c’est ça ? Ou c’est une question ? (M. répond « c’est une question »). Alors ta question c’est est-ce que Perséphone finit par aimer Hadès ? (M. fait oui de la tête) Qu’est-ce que vous en pensez ?

  • 1 question d’ordre responsable au tour de parole 59 « Alors pour vous il aurait dû faire quoi alors ? »

Il ne faut donc pas s’étonner que les élèves aient un mode de pensée principalement logique/créatif et pas du tout métacognitif. Pour les séances suivantes, je me suis donc inspirée des questions proposées par Marie-France Daniel (5).
Cette capacité de l’animateur à poser les bonnes questions au bon moment, à saisir les présupposés philosophiques dans les propos des élèves s’appelle le Kairos philosophique. Ce concept développé par Christine Pierrisnard, désigne l’art d’exploiter les opportunités instantanées dans les échanges pour approfondir la réflexion. Mais cette capacité à saisir le Kairos ne passe pas seulement par le questionnement mais aussi par la reformulation.

La reformulation

Dans son article Véronique Delille (6) décrit la reformulation comme « une reprise de ce qui vient d’être dit » et précise qu’elle peut être :

  • Une répétition qui consiste à répéter les propos d’un participant à l’identique. Ce que je fais au tour de parole numéro 47.
  • Eclairante c’est-à-dire qu’elle permet de mettre en lumière un critère utilisé par un discutant. Ce que je fais au tour de parole 61.
  • Structurante c’est-à-dire qu’elle permet de structurer les propos d’un discutant. Ce que je fais aux tours de parole 32 et 53.

Cette habileté de pensée peut être réalisée par l’animateur et/ou un des discutants qui a le « métier » de reformulateur et/ou un discutant qui souhaite s’auto-corriger. Il faudra donc lors de son analyse prendre en considération qui reformule et quel type de reformulation est faite. Il sera aussi intéressant, mais plus difficile, d’essayer de trouver les reformulations « manquantes » qui auraient pu/dû être faites durant l’atelier afin d’approfondir la réflexion. Par exemple j’aurais dû, par une reformulation éclairante, apporter le mot « consentement » suite au tour de parole 44 lorsque J. dit : « parce que déjà Hadès il l’a kidnappé et il ne lui a pas demandé son avis. »
Dans tous les cas, il est important que le reformulateur n’ajoute pas une nouvelle idée et qu’il demande à la personne dont il a reformulé les propos si la reformulation est correcte (pas de déformation de propos ou de contradiction par exemple). Cette demande de validation (qui peut être verbale ou non) montre que l’on porte de l’intérêt aux propos de l’autre, qu’on essaye de le comprendre et de diffuser sa pensée au sein du groupe.

Autres gestes

Au fil de mes lectures, d’autres critères évoqués me semblent aussi pertinents à inclure dans cette grille concernant l’animateur :

  • Donne-t-il son avis et/ou émet-il des jugements ? Normalement, il n’a pas à le faire.
  • Signale-t-il des contrevérités ou des arguments fallacieux ? L’animateur doit intervenir pour signaler qu’un propos est faux scientifiquement ou qu’il est contraire aux principes de laïcité ou à certaines lois.
  • Transmet-il du vocabulaire et/ou de la culture ? L’animateur peut le faire car il n’émet pas une nouvelle idée mais enrichit les propos.
  • Demande-t-il à un discutant de se positionner sur une question, sur un problème afin « assumer rationnellement sa position (2) ». Ce que je fais au tour de parole 23.
  • Engage-t-il les élèves à poser eux-mêmes des questions ? Je ne le fais pas mais une élève pose spontanément une question à son camarade (tour de parole 10).
  • Souligne-t-il la réussite d’utilisation d’une habileté de pensée en disant par exemple « C’est bien, tu viens de trouver un contre-exemple ».

La fonction d’assurance

C’est lorsque l’animateur instaure un climat de confiance, de bienveillance à l’égard de tous les participants tout au long de l’atelier. Cette mise en confiance passe par de nombreux gestes verbaux mais aussi non verbaux.

La fonction d’enrôlement

Pour conclure, Marie-Paul Vannier évoque la fonction d’enrôlement. Il s’agit de plusieurs moments qui s’observent au début de l’atelier et qui peuvent être analysés comme étant présents, à développer ou absents :

  • La mise en place de rituels avec les élèves : être assis en cercle, allumer une bougie…
  • Un rappel du cahier des charges de chacun des « métiers » : président, reformulateur, dessinateur…
  • Un rappel du rôle de l’animateur : peut intervenir à tout moment pour demander plus d’explication, une reformulation, poser une question…
  • Un rappel des règles mises en place avec les élèves.
  • Un rappel de la séance précédente (si elle a un lien avec la séance du jour).
  • Avant que l’atelier ne commence, l’animateur rappelle son intérêt pour les propos à venir de chacun des discutants.

Si l’on se rapporte à ma séance, on peut remarquer dans le verbatim que cette fonction est totalement absente. Je commence l’atelier en posant directement une question.

Bilan de cette séance

Si on se base sur la grille d’analyse, est-ce que cette séance est philosophique ? Oui. Et je dirai que c’est grâce aux élèves, parce qu’ici c’est eux qui ont mené l’atelier. Les points qui sont à améliorer (le développement de la pensée critique dialogique, les marqueurs langagiers et la fonction d’enrôlement) ne dépendent que de moi en tant qu’animatrice. Grâce à cette grille d’analyse, j’ai maintenant une idée plus précise des points où il faut que je sois vigilante :

  • La question de départ : une question philosophique, qui utilise un pronom personnel général mais pas de question spécifique relative à une histoire bien précise.
  • Les questions que je pose durant l’atelier : aller vers plus de questions ouvertes qui amènent les élèves à développer un mode de pensée responsable et métacognitif.
  • Les différentes reformulations possibles. J’aurais aimé découvrir l’article de Véronique Dellile avant de commencer à animer mes ateliers. Je le trouve très intéressant car il permet à l’animateur de trouver un juste milieu entre une simple redite et une intervention trop dirigée qui devancerait la réflexion des élèves. Il ne faut pas hésiter à mettre en lumière un critère présent dans un propos des élèves. On peut essayer de le faire deviner aux participants, mais il est important qu’il soit clairement dit à un moment.
  • La fonction d’enrôlement au début d’un atelier.

Conclusion

Cette année de formation et les séances que j’ai pu mener en classe m’ont permis de vraiment saisir l’importance du rôle de l’animateur. En effet, l’émergence d’une pensée critique, vigilante et créative ne peut survenir que par l’exploitation d’une œuvre et/ou un temps de discussion défini. C’est l’étayage de l’animateur qui va maintenir les exigences intellectuelles d’un atelier philosophique. Mais cette posture s’apprend, se développe au fil des ateliers et nécessite une analyse de sa pratique. Je pense que tout apprentissage passe par différentes phases : j’apprends, je sais, je fais, je m’améliore puis je transmets afin d’apprendre à nouveau grâce aux remarques et questions des autres. C’est un cycle vertueux infini.
C’est en élaborant cette grille que j’ai vraiment eu l’impression d’un tournant au niveau de ma pratique. Aussi bien au niveau de ma posture lors des ateliers, de ma façon de construire mes séances que de mon analyse des propos des élèves. Cette grille a donc été un support pour moi, tant dans la théorie que dans la pratique. Il s’agit bien entendu d’un prototype qui peut être discuté et amélioré. Je la transmets donc au travers de cet article afin qu’elle soit accessible à d’autres animateurs qui voudraient en apprécier son utilité et/ou l’améliorer. Vous trouverez en annexe une proposition de synthèse de ma grille d’analyse.

Annexe 1 : Grille d’analyse

  1. Le volume de parole
    Tableau 05
  2. Du côté des discutants
    1. La typologie des échanges : le développement discursif Tableau 06
    2. Les marqueurs langagiers : le développement langagier Tableau 07
    3. Le modèle du processus développemental d’une pensée critique dialogique : le développement cognitif Tableau 08
  3. L’étayage de l’animateur
    1. La fonction de co-élaboration de sens
      • Le questionnement est-il d’ordre logique ? créatif ? responsable ? métacognitif ?
      • La reformulation est-elle une répétition ? éclairante ? structurante ?
      • Les autres gestes de l’animateur :
        • Signale-t-il des contrevérités ou des arguments fallacieux ?
        • Donne-t-il son avis et/ou émet-il des jugements ?
        • Transmet-il du vocabulaire et/ou de la culture ?
        • Demande-t-il à un discutant de se positionner sur une question, sur un problème ?
        • Engage-t-il les élèves à poser eux-mêmes des questions ?
        • Souligne-t-il la réussite d’utilisation d’une habileté de pensée ?
    2. La fonction d’assurance
      L’animateur instaure-t-il un cadre bienveillant et confiant ?
    3. La fonction d’enrôlement Tableau 09

Annexe 2 : Verbatim de la séance « Peut-on faire du mal à quelqu’un qu’on aime ? » réalisée avec 11 élèves. Classe de CM2 de l’île de La Réunion

  1. Animatrice : aujourd’hui j’aimerais qu’on parle d’Hadès et Perséphone.
  2. Y : ah !
  3. Animatrice : qu’est-ce que vous avez à dire, déjà vous, sur Hadès et Perséphone ? Oui ?
  4. Y : Hadès et Perséphone pour moi c’est pas un vrai amour.
  5. Animatrice : pourquoi ?
  6. Y: parce qu’Hadès lui il a capturé (M. : forcé) Perséphone pour qu’elle soit amoureuse de lui, pour se marier. Au lieu que les autres, comme heu… Hercule et Mégara, Héra et… heu…Héphaïstos et Aphrodite, ils éprouvent de la vrai amour. Mais Hadès lui, il a capturé, il a emprisonné en Enfers pour y rester.
  7. Animatrice : qu’est-ce que vous avez à dire ? Oui ?
  8. E : que Héphaïstos et Aphrodite il a dit que c’est un vrai amour mais c’est Héphaïstos qui voulait épouser Aphrodite. Et Aphrodite elle avait rien dit. Elle n’a pas dit qu’elle l’aimait ou pas.
  9. Y : mais maintenant ils sont heureux. Parce que dans l’histoire, Héphaïstos il a fait la femme à l’image de… Aphrodite. Donc ça veut dire qu’ils s’aiment vraiment.
  10. E : mais Aphrodite, est-ce qu’elle l’a aimé ?
  11. Y : ben oui.
  12. Animatrice : pourquoi ?
  13. Y : comme si on fait quelque chose à ton effigie.
  14. L : alors on ne sait pas si Aphrodite elle aime Héphaïstos. Parce que Héphaïstos il a demandé à épouser Aphrodite mais Aphrodite…
  15. E : ….elle n’a rien dit
  16. L : elle n’a rien dit. Elle n’a rien demandé.
  17. E : elle était obligée.
  18. L : c’est pas qu’elle était obligée, elle aurait pu refuser. Mais comme heu… Zeus il avait dit que …heu…
  19. E : qu’il allait donner à Héphaïstos tout ce qu’il voulait…
  20. L : ben la beauté et la laideur se sont mariés ensemble.
  21. Animatrice : qu’est-ce que tu en penses Y. ?
  22. Y : elle a raison L. parce que si elle avait pas accepté, ben ca prouvait qu’elle l’aime pas.
  23. Animatrice : alors donc du coup est-ce que tu reviens sur ce que tu as dit ou tu restes sur ce que tu as dit ?
  24. Y (réfléchit) : je reste sur ce que j’ai dit.
  25. Animatrice : donc pour toi, Aphrodite aime Héphaistos.
  26. Y : oui
  27. Animatrice : d’accord. Oui ?
  28. E : elle a dit “si Aphrodite avait refusé”. Mais il faut dire qu’elle n’a pas accepté non plus.
  29. Animatrice : alors est-ce que le fait de ne rien dire c’est accepter quand même ?
  30. Elèves : non
  31. L : dans sa tête elle peut se dire : oh mais il est moche je ne vais pas l’épouser. Dans sa tête elle pourrait se dire ça.   […]
  32. Animatrice : donc Y. il pense… En fait Y. toi tu penses que : Héphaïstos il aime Aphrodite et qu’il a prouvé son amour en réalisant la femme, en créant la femme à l’image d’Aphrodite. C’est ça ? (Oui de la tête). Okay. Mais est-ce que tu penses qu’Aphrodite, elle aime Héphaistos ?
  33. Y : oui
  34. Animatrice : oui et pourquoi tu penses ça ?
  35. Y : moi je pense que si, si Aphrodite est la sœur de …Héra. Moi je pense qu’elles auraient peut-être le même caractère et moi je pense qu’elles n’ont pas le même caractère parce qu’Héra elle , elle est… heu…
  36. L : elle est un peu jalouse
  37. Y : oui elle est jalouse, elle pense qu’à elle et elle regarde tout le temps les autres comment ils sont avant de parler avec eux.
  38. Animatrice : alors quel… quel lien entre la famille et l’amour là ?
  39. Y : parce que… c’est comme heu… Comment je peux le dire… Heu…
  40. L : je crois ce qu’il veut dire c’est la famille et l’amour ça a un lien parce que ça se reproduit. Si par exemple, quand Pandora et heu…Pas Eurysthée le frère heu…  […]
  41. Animatrice : toi J., qu’est-ce que tu voudrais dire ? Sur l’histoire de Hadès et Perséphone par exemple.
  42. J : moi je pense pas trop que Perséphone aime Hadès.
  43. Animatrice : oui, pourquoi ?
  44. J : parce que déjà Hadès il l’a kidnappé et il ne lui a pas demandé son avis.
  45. Animatrice : Y., on écoute. Il ne lui a pas demandé son avis. Oui ?
  46. E : en plus Déméter aimait beaucoup Perséphone et il a rien dit à Déméter du coup, Déméter était très triste de ne plus voir sa fille. Donc il aurait dû prévenir avant de l’enlever et il ne l’aurait même pas dû l’enlever car quand on aime quelqu’un, on n’enlève pas les gens.
  47. Animatrice : quand on aime quelqu’un, on n’enlève pas les gens. Oui M. ?
  48. M : mais maîtresses comment Hadès a fait s’il a kidnappé Perséphone et que Perséphone l’aimait… pas avant et quand…. Orphée est venu, il a dit bravo tu as époustouflé mon mari. Et il a dit qu’il pourra libérer…
  49. Animatrice : Eurydice ?
  50. M : oui
  51. Animatrice : alors c’est quoi ta question ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
  52. M : comment Perséphone a fait pour aimer Hadès aussi vite ?
  53. Animatrice : alors pour toi, Perséphone a fini par aimer Hadès c’est ça ? Ou c’est une question ? (c’est une question) Alors ta question c’est est-ce que Perséphone finit par aimer Hadès ? (oui de la tête) Qu’est-ce que vous en pensez ?
  54. Y : moi je pense que Perséphone elle, elle pense pas que Hadès l’aime. Mais moi je pense que Perséphone elle l’aimera pas parce qu’elle n’oubliera pas le jour où elle s’est fait kidnappée.
  55. Animatrice : les autres ?
  56. L : je reviens sur la phrase d’Y. . Il a raison parce que pour aimer, on n’a pas besoin de kidnapper les gens pour leur prouver l’affection de l’amour. (Y. et L. se serrent la main)
  57. Animatrice : okay. Oui ?
  58. E : surtout qu’il l’a vu pleurer pendant des jours. Donc heu, il fallait pas l’enlever.
  59. Animatrice : alors pour vous il aurait dû faire quoi alors ?  Oui heu S. ?
  60. S : il aurait dû voir Perséphone, et… prouver ses sentiments [inaudible] mais pas de l’enlever.
  61. Animatrice : donc pour vous il faut prouver des sentiments quand on aime quelqu’un c’est ça ? (oui).
  62. M : mais peut être qu’Hadès a fait exprès de donner la grenade à Perséphone comme ça elle reste aux Enfers.
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