Revue

Approche de la notion d’actualité par différents dispositifs

Le thème choisi portait sur « Philosophie et actualité ».

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Introduction : Débroussaillage de la notion d’actualité (Michel Tozzi)

Il s’agissait au début du séminaire de savoir ce dont on parlait : je fis donc un exposé conceptualisant la notion d’actualité. L’actualité, c’est « un ensemble de faits qui viennent de se produire portés par les journalistes dans les media au rang d’événements importants au regard de certains critères de choix ». Marcel Gauchet parle de la « médiatisation du présent ».

Penser philosophiquement l’actualité, c’est donc a) tenter de définir la notion ; b) mais aussi se demander pourquoi et en quoi la prégnance de l’actualité caractérise notre époque ; c) puis déterminer si on peut analyser philosophiquement l’actualité malgré le manque de recul ; d) et enfin quelle approche philosophique (par exemple éthique ou politique) peut-on avoir sur telle ou telle actualité …

Qu’est-ce que l’actualité

L’actuel s’oppose au potentiel. C’est ce qui selon Aristote est « en acte », et pas seulement « en puissance », le passage de la puissance à l’acte (ex. : la statue est potentiellement, en puissance dans le marbre, le sculpteur la fait exister en acte). Pour qu’il y ait actualité (condition nécessaire mais non suffisante), il faut que quelque chose existe en fait, et non pourrait ou devrait exister. Et que ça arrive au présent. L’actualité est historiquement située, elle concerne la présence d’un ou plusieurs événements. Un fait passé, qui a fait actualité à l’époque (ex. : un meurtre) peut d’ailleurs revenir à l’actualité (au moment du procès).

Mais tout ce qui arrive ne fait pas actualité : tout dépend de l’événement, de sa signification, sa portée… Car des milliers de faits se passent en même temps, mais peu font « événement ». Qu’est-ce qu’un événement ? Et qu’est-ce que « faire événement » ?

Est événement « ce qui arrive (dimension temporelle) et a quelque importance (dimension évaluative) pour l’homme ».  Ce peut être quelque chose qui surgit inopinément, brutalement (un tremblement de terre très puissant qui frappe matériellement et psychologiquement une population), qui était imprédictible et semble dû au hasard, bien que l’on puisse en analyser après coup les causes, et qui a des conséquences significatives pour la suite.

Ou ce peut être quelque chose de provoqué à dessein, pour déclencher de l’émotion, « faire le scoop », pour que l’on en parle, et que cela produise des effets attendus : on « fait alors l’événement ». Faire événement peut être une intention des acteurs sociaux, qui cherchent une visibilité revendicative, pour par exemple attirer l’attention sur une cause ; ou (se) faire de la publicité ; ou justifier pour un élu une politique publique etc.

La conception de l’événement est elle-même problématique : on a critiqué « l’histoire événementielle », celle des grands hommes et des batailles, qui invisibilise tous les acteurs sociaux populaires. L’événement cache ici le fonctionnement social, les effets de structure. Puis on a réhabilité l’événement : ex. de la destruction des deux tours du 11 septembre, comme « événement monde » …

L’actualité est aujourd’hui ce dont on parle dans les médias, ce que les médias ont sélectionné comme « important », significatif pour eux et leur public. Ce qui suppose des critères de choix. C’est un événement qui fait sens dans le présent, pour les contemporains. Ou plusieurs événements : on parle des « actualités », ensemble des nouvelles du jour (la nouveauté est aussi un critère de sélection). L’actualité des événements est ainsi très lié au système médiatique, qui rend visible par son information des faits élevés au statut d’événement. Mais comme il y a des événements tous les jours, leur nouveauté et leur importance tend à être banalisées, sans hiérarchisation…

Ceux qui font l’actualité, ce sont les journalistes, et on peut critiquer leurs critères de choix (fiabilité des sources, recherche du scoop, priorité de l’émotion). La question de l’échelle est déterminante comme un des critères : actualité locale (les chiens écrasés, mais un fait divers peut avoir une résonnance nationale), régionale, nationale, internationale. C’est l’enjeu de la « une » et des titres d’un journal papier, radio télé : l’actualité est médiatiquement mise en scène. L’importance d’un événement peut en éclipser un autre, jugé moins « important » (mais qu’est-ce que l’importance, qu’est-ce ce qui compte, et pour qui ?). L’actualité est périssable : une nouvelle en chasse une autre, car il faut accrocher le lecteur, l’auditeur. Mais elle peut durer si le phénomène a un impact et des enjeux qui persistent : une semaine (la mort de la reine d’Angleterre), des mois (l’Ukraine), des années (le réchauffement climatique).

Peut-on penser philosophiquement l’actualité ?

La penser philosophiquement, c’est chercher quel est le sens profond de ce qui arrive, en quoi l’événement, souvent imprévisible d’ailleurs, est significatif de l’histoire de l’humanité, de la nation, marquant au niveau historique, social, culturel, anthropologique. On dira par exemple que la guerre de 1914 est vraiment le début du 20e, que le réchauffement climatique actuel sera le grand problème du 21e, que l’avènement du numérique est l’invention la plus importante depuis l’imprimerie, voire nous a fait sortir du néolithique ; ou que l’intelligence artificielle (ex. : chat GPT) va faire longtemps l’actualité.

Penser philosophiquement l’actualité, c’est ce qu’a fait Kant en qualifiant son temps de « siècle des Lumières », en résumant en une seule expression sa modernité. Ce qu’a fait Hannah Arendt, en montrant au procès d’Eichmann comment fonctionne la « banalité du mal ». Ou Nietzsche, tirant les conséquences nihilistes de « la mort de Dieu ». Quelle est donc le sens d’un événement ? Le point de vue du journaliste, de l’historien, du sociologue et du philosophe ne sont pas les mêmes.

C’est très difficile de penser philosophiquement l’actualité, à cause du manque de recul, de réflexion et de profondeur face à l’immédiateté et aux émotions soulevées : ce n’est souvent qu’a posteriori que bien des événements prennent tout leur sens. Les historiens éclairent le présent, car le présent est gros du passé, mais n’échappe pas à l’incertitude, l’aléatoire, l’imprévisible, qui font effraction, surprise…

Peut-on philosopher sur l’actualité ?

L’actualité, parce qu’elle peut être surprenante, dérangeante, déclenche des émotions, est motivante. Elle se prête bien à la réflexion et à la discussion, entre adultes comme avec les élèves. Ex. : « que nous dit éthiquement et politiquement l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? ». Mais on manque de recul.

Une difficulté majeure ici est l’information, pour discuter à partir de faits bien établis. Or la notion de fait est problématique : d’une part un fait semble donné, il s’impose à nous, manifestant une résistance du réel. Mais d’autre part les faits sont construits : la science construit des faits, nous dit Bachelard. Par exemple, un fait historique est mis en évidence par les historiens selon des méthodes rigoureuses : recherche et analyse de documents indépendants entre eux, critique interne et externe de ces documents etc. Ils peuvent être manipulés : la guerre (le mot est interdit) devient pour Poutine une « opération spéciale », les témoignages peuvent être difficiles à recueillir, partiels, et surtout biaisés par l’idéologie, les enjeux de pouvoir, tel ou tel média, la recherche du scoop. Et les réseaux sociaux réagissent instantanément, et regorgent de fake news, infox, « vérités alternatives » … Les faits passés sont validés dans leur existence par le crible méthodologique des historiens. Mais les « faits » présents, face aux « faits alternatifs » de la post-vérité ? De plus Nietzsche disait : « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations ». Quelle est alors la bonne interprétation ? A moins qu’elles ne se valent : mais alors l’événement risque de ne plus avoir grand sens !

L’actualité peut être à la fois un support pour la réflexion et un exemple à analyser. Certains pensent que le philosophe doit se taire sur l’actualité, et réfléchir sur des exemples passés, faute de quoi il risque d’être piégé par l’immédiateté de l’actualité et pris dans les opinions. D’autres au contraire pensent que le philosophe doit être la « conscience de son temps » … Par exemple Sartre affirme que le philosophe doit être un « intellectuel engagé », et prendre position dans le débat public et par des actions militantes (ex. : Sartre sur son tonneau à Boulogne-Billancourt haranguant les ouvriers, ou Simone Veil ne mangeant pendant la guerre que l’équivalent d’une ration alimentaire française par solidarité, ou Foucault dans sa lutte contre la logique des prisons et la société du contrôle).

Bref, devant l’actualité, le philosophe doit être prudent dans ses analyses et commentaires, car sa responsabilité philosophique est engagée…

Voilà la synthèse de la discussion qui suivit après des groupes de travail sur mon exposé, par Marcelle Tozzi :

Qu’entend-on par « actualité » ? Entend-on les événements qui ont lieu au présent ou le reflet que nous en donnent les médias ?

Il semblerait que nous ne puissions pas avoir un accès direct à la chose, au réel, mais que toujours sa connaissance doive passer par un processus de médiatisation. Cette médiatisation peut être la simple mise en récit par l’utilisation du langage ou de l’image. D’une manière élargie, ce sont les médias dans le sens habituel – journaux, télévision, réseaux sociaux, etc. – qui assurent la fonction de nous rendre accessibles les événements, de nous informer. Il est bien évident que le processus inévitable de médiatisation imprime sa marque aux récits par les choix opérés, par la tonalité donnée, aussi par les occultations et distorsions faites, volontairement ou pas.

Dès lors on peut se poser la question de savoir si nous sommes condamnés à être les prisonniers de la caverne de Platon. Ici vient la question de la responsabilité, celle des médias, mais aussi de nous, les « cibles ».

La responsabilité des médias

Les enjeux qui gouvernent les médias sont largement financiers, ce sont des entreprises qui doivent être rentables. Leurs produits doivent se vendre et pour cela il est avéré que jouer sur les émotions est un levier à privilégier.

La politique est aussi un autre enjeu majeur. Cela est évident pour les journaux d’opinion, mais cela l’est aussi pour les médias soutenus par des groupes puissants orientés idéologiquement.

Ici la tonalité émotionnelle peut varier en faisant appel aux « passions tristes » (nous avons vis-à-vis d’elles un grand penchant !), ou bien recherchant notre enthousiasme en nous présentant notre territoire comme le meilleur des mondes possibles. Dans ce dernier cas, il n’est que de penser aux journaux édités par les municipalités ou les régions sur les réalisations de l’équipe en place. On peut aussi évoquer le travestissement massif de l’information dans les régimes totalitaires. A l’intérieur, tout va vers des lendemains qui chantent, à l’extérieur tout est hostile.

La presse scientifique ou thématique semble moins dépendante de l’impact émotionnel attendu.

Notre responsabilité en tant que récepteur de l’information

L’époque actuelle nous sature d’informations qui peuvent nous mener à la confusion, à avoir une vision du monde contradictoire et morcelée, mais c’est surtout la tonalité catastrophiste qui nous impacte fortement.

Nous ne sommes pourtant pas démunis devant les actualités qui nous arrivent via les médias. Nous avons la possibilité de varier les sources d’informations, de les recouper, de refuser ce qui nous paraît toxique, de privilégier ce qui a un effet formatif au-delà de ce qui est simplement informatif. Nous devons exercer nos propres capacités d’analyse…

En un mot nous devons viser à être un citoyen éclairé, branché sur les autres, à la recherche de la construction d’un monde commun, durable et pacifié si possible.

Nous avons le devoir de défendre la liberté de la presse.

Ce compte-rendu d’un atelier du séminaire du Moulin du Chapitre n’échappe pas aux nécessaires distorsions de la mise en récit par rapport à l’évènement lui-même ! …

Atelier « Actualité et langage » (Elisabeth Golinvaux et Christine Marchand)

Objectifs poursuivis

  • Élaborer un questionnement philosophique pour tenter de comprendre mieux ce qui se joue entre Actualité et Langages, en débusquent les a priori, les opinions, et en suscitant des arguments ;

  • Éprouver si l’exercice d’une méthode nous permet de penser plus et mieux, de manière sensible, par soi-même avec les autres ; et observer en quoi et à quelles conditions elle nous le permet.

Dispositif

  1. Introduction du sujet et présentation des objectifs et du déroulement de l’atelier – groupe plénier – 15’

  2. Présentation de “la méthode” - groupe plénier – 10’

  3. Présentation des deux thèmes et consignes d’élaboration de la question – groupe plénier – 15’

  4. Séparation en demi-groupes et élaboration de la question à problématiser – 20’

  5. Problématisation de la question choisie en demi-groupes – 60’

  6. Pause – 15’

  7. Retours – groupe plénier – 30’

    1. Exposition à l’autre groupe du passage de la question à la problématisation

    2. Compréhension et suivi du dispositif + fruits et obstacles

    3. Retours et questions de l’autre demi-groupe

    4. Retours sur l’ensemble du dispositif.

Méthode

Cette proposition est fondée sur « la méthode » proposée par Maxime Rovere dans sa Masterclass en ligne : « La méthode philosophique pour développer votre esprit citrique ». Cette proposition articule les mouvements de conceptualisation et de problématisation.

Nota : La structuration, l’appel à… la respiration et aux fonctions sont de notre cru. En voici les étapes :

  1. Je… respire profondément et retiens toute forme de réponse ! Une question n’est pas une problématique ; nous allons la construire ensemble.

  2. Nous identifions les mots de la question qui sont porteurs des notions essentielles.

  3. Pour chacune d’elle :

  • Nous élaborons rapidement une définition simple

  • Nous faisons travailler les antonymes (2 à 3)

  • Nous faisons travailler les synonymes (2 à 3).

  • Nous faisons travailler la syntaxe en faisant jouer les différences/ressemblances /implications entre : le substantif, l’adjectif, le verbe.

  1. Je… respire profondément et laisse apparaître les paradoxes et contradictions de notre question.

  2. Nous les posons et explicitons en 3 étapes :

  • Nous débusquons l’absent (l’élément qui n’apparait pas alors qu’il fait partie de notre problèmes)

  • Nous changeons d’échelle

  • Nous changeons de perspective.

Fonctions

  1. Gardien du dispositif  2) Gardien de la parole et du temps 3) Synthétiseur (à chaud et à froid).

Deux thèmes pour susciter la réflexion

Premier thème : DIALOGUE (d’une des animatrices) AVEC CHAT GPT (juillet 2023).

  • Question : Chat GPT est-il une menace pour la pensée humaine ? Réponse de Chat GPT :

« En tant qu’assistant, je ne suis pas en mesure de donner une opinion personnelle. Cependant, il est important de noter que les Chatbots GPT sont des outils conçus pour aider les utilisateurs à répondre à leurs questions et à résoudre leurs problèmes. Il est donc important de les utiliser de manière responsable et de ne pas les considérer comme une source unique de vérité. Il est également important de ne pas se fier uniquement aux réponses fournies par les Chatbots, mais plutôt de les considérer comme des outils complémentaires à notre propre réflexion et raisonnement ».

  • Question : Chat GPT conduit il a la pensée unique ? Réponse de Chat GPT :

« Non, le Chat GPT ne conduit pas nécessairement à la pensée unique. Bien que GPT soit un modèle de langage puissant qui peut fournir des réponses précises et cohérentes, il est toujours possible d’avoir des conversations diverses et variées en utilisant divers sujets et en posant des questions ouvertes. Cependant, il est important de garder à l’esprit que les réponses fournies par GPT sont basées sur les données qu’il a apprises à partir de diverses sources, et peuvent donc être influencées par les biais et les limites de ses sources. Il est donc important de rester critique et d’interroger les réponses fournies par GPT ».

Nota:

Chat bot : bavardage robot ; GPT : Generative Pre-trained Transformer; Générative : grammaire formelle capable de générer l’ensemble infini des phrases d’une langue au moyen d’un ensemble fini de règles ; Pre-trained : apprentissage préalable ; Transformer : former au-delà, transformer.

Deuxième thème : UN DINER EN FAMILLE (Caricature de Caran d’Ache parue dans “Le Figaro” du 14 février 1898.

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Retours

A) Quant au processus proposé par « la méthode »

Certain.e.s se sont engagé.e.s dans le chemin proposé un peu à reculons – le dispositif leur a semblé, a priori, lourd, contraignant et exigeant beaucoup de temps ; crainte, encore, que la contrainte ne tue la créativité. D’autres ont d’emblée adhéré au principe du protocole ; ils/elles ont l’expérience que la contrainte intelligente nous aide à sortir de nos ornières et nous fait apercevoir des points de vue ignorés ; il/elle/s proposent de « faire confiance au protocole » et d’accepter de jouer le jeu sans présupposer qu’il soit un labyrinthe.

Toutes et tous, cependant – sauf une participante –, ont éprouvé un soutien fort du protocole qui les a aidé.e.s à mettre à jour des pistes, des problèmes auxquelles ils/elles n’auraient pas pensé. Ils/elles témoignent de l’aspect particulièrement structurant du travail d’identification des notions importantes de la question et de leurs définitions élaborées collectivement par le passage des tamis proposés. Les contraintes de cette première partie ont « étonnamment » bien fait circuler la parole (tous et toutes ont participé). Par ailleurs, comme le travail de la définition exigeait un consensus, certains participants ont témoigné d’un travail d’élaboration collective de compromis (entre justesse et consensus), dont l’obligation de « frottement des uns aux autres » les ont véritablement transformés.

Une participante, cependant, a ressenti un effet d’ « usine à gaz » dans la traversée du processus qui exige une discipline énorme et dont elle a l’impression qu’il peut appauvrir le contenu à force de s’accrocher à être rigoureux . Elle ferait donc une balance entre ce que l’on gagnerait à avoir une «  pensée à sauts et à gambades » (Montaigne) et une pensée corsetée dans un processus bien canalisé.

Dans le premier groupe, le passage de la conceptualisation à la problématisation, « toujours extrêmement difficile », a été abordé par les tensions présentes dans la question – tensions qui sont devenues contradictions à travailler plus avant. Dans le deuxième groupe, la reformulation progressive des définitions a permis un approfondissement qui a ouvert à de nouvelles questions qui, elles-mêmes, ont mis à jour un présupposé « lourd », véritable impensé de la question. C’est l’examen de ce présupposé qui leur a découvert un paradoxe important.

Les trois dernières étapes (centrées sur la problématisation) ont été relativement peu travaillées. Dans le premier groupe, la recherche de « l’absent » - « peu pensé car il faut faire un pas de côté pour le débusquer » - a été consciemment entreprise et s’est révélée très fructueuse. Rovere dit de lui (l’absent) qu’il est un élément important du problème qui n’apparaît néanmoins pas dans la question ; il invite donc systématiquement à la recherche d’une triangulation et, si cela est nécessaire, à la recherche d’un quatrième point de tension. On retrouve là l’invitation à complexifier (qui nous fait entendre les maugréements d’Ockham). Le deuxième groupe semble avoir parcouru ces étapes (peut-être confusément ?) et n’en a pas donné retour.

Le « changement de perspective » a été suscité, sans le nommer, par une animatrice dans le premier groupe ; bien qu’il semble avoir ouvert des portes, il ne semble néanmoins pas qu’il ait été consciemment travaillé.

Pour ancrer plus encore l’engagement d’une expérience sensible, un des participants suggère d’ajouter une étape supplémentaire au processus : la mise à jour des enjeux de chacun.e vis-à-vis de la question posée.

B) Quant à « la situation » du travail de recherche, quelques éléments.

Le temps donné a été trop court pour parcourir, dans une première expérience, l’ensemble des étapes proposées. Cette proposition était (partiellement) neuve pour les participant.e.s et demandait donc un effort de compréhension qui aurait nécessité le temps d’une exemplification plus poussée. Le manque de temps s’est exprimé par le non-aboutissement de l’ensemble des étapes et par l’expression du sentiment, chez certain.e.s, de devoir aller trop vite (la présence de l’ « usine à gaz n’y est sans doute pas étrangère). Il n’a peut-être pas permis à chacun.e de percevoir ce qui se jouait dans les différentes étapes et d’en explorer tout le potentiel. Paradoxalement, le temps relativement court imposé a aussi été perçu comme un stimulateur de la créativité.

La présence d’un tableau, dans le premier groupe, a été perçue comme très structurante et porteuse de mouvements aisés entre écriture, parole et dialogue. Le deuxième groupe n’en disposait pas et il est probable que l’absence de visualisation commune a alourdi la réalisation du processus.

Le deuxième groupe a élaboré son questionnement au départ d’une image (le dîner), et non d’un texte ; la distance ainsi prise avec la pensée logique a reconduit plus directement les participant.e.s à leur propre expérience et leur a permis d’établir un rapport concret avec elle (les expériences concrètes de difficultés/incapacités de paroles sur des sujets comme ceux du Covid ou de l’Ukraine ont été évoquées). La représentation figurée donne donc accès à une expérience autre. Par ailleurs, une participante a évoqué (sans l’expliciter) l’importance qu’a néanmoins eu pour elle la présence de la légende qui semble avoir orienté sa lecture (« il y a des sujets dont il ne faut pas parler »).

Une participante a souligné l’importance de la présence, dans le groupe, de scientifiques qui ont pu éclairer profondément certains éléments questionnés. La diversité des compétences de chacun.e enrichit le travail collectif.

La proposition de Rovere, extrêmement structurante, a été perçue comme un dispositif qui nous apprend à penser.

Quant au contenu :

Le groupe « Dialogue avec Chat GPT » a collectivement élaboré la question : «  Chat GPT peut-il développer l’esprit critique de l’utilisateur ? ».

Ses explorations l’ont conduit à établir le tableau suivant :

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Le travail qui sous-tend ce tableau leur a permis de percevoir une tension entre, d’une part, le besoin de l’utilisateur qui est de répondre rapidement à une question et, d’autre part, l’esprit critique, qui nécessite une distance par rapport à la réponse obtenue - distance anéantie par la rapidité de la réponse, l’absence de sources (dans le stade actuel de développement de l’outil) et le ton extrêmement dogmatique de la réponse. De manière paradoxale, l’intervention de l’esprit critique de l’utilisateur (par la vérification des données, sources et contextes) signifierait donc un renoncement à la simplicité de l’outil (et sans doute à l’outil lui-même). (Si je fais un chemin à vélo, je ne vais pas le refaire à pied). Une première position se dégage ainsi : par les conditions mêmes de sa réponse et par le ton dogmatique qui lui est assigné, Chat GPT ne viendrait-il pas, à l’inverse, nous enlever la possibilité de développer un esprit critique ?

L’attention sur la double signification du mot inducteur de la question « peut-il » a fait émerger une deuxième thèse. En effet, quoique le ton de Chat GPT soit toujours dogmatique, ses conseils peuvent être pertinents. L’espèce de contradiction qui se dégage entre le ton et le contenu retient l’attention du pédagogue qui perçoit alors la possibilité d’inventer des dispositifs qui considèrent Chat GPT comme un outil qui sera utilisé pour développer l’esprit critique.

La mise à jour des deux thèses, d’égale légitimité, requiert un débat contradictoire sur l’utilisation de cet outil dont les enjeux éducatifs et civilisationnels sont très importants.

Le groupe « Le dîner en famille » a rendu compte de quelques éléments de contenu de son parcours ; en voici la substance :

Sa question : « Jusqu’où le langage peut-il aller pour résoudre un désaccord profond ? ».

Le travail du dispositif a mis à jour un présupposé de la question choisie, inexaminé : le langage peut résoudre un désaccord profond. Dans le questionnement de ce présupposé, un paradoxe est apparu : nous nous efforçons d’avoir un recours exclusif au langage pour aller jusqu’au bout de tous les désaccords, et cela nous conduit à fonctionner comme des machines ou à avoir un comportement bestial.

Ciné philo (Maryse Khalanski, Gunter Gorhan, Georges Dru)

Présentation

Les Nouveaux Chiens de garde est un essai de Serge Halimi concernant les médias, paru en 1997 et actualisé en 2005, qui a connu un grand succès de librairie (250 000 exemplaires). Le titre fait référence à l’ouvrage Les Chiens de garde (1932), dans lequel Paul Nizan dénonçait les prises de position des philosophes les plus célèbres de son époque. Ceux-ci, pour Nizan, garantissaient la perpétuation de l’idéologie bourgeoise en décrivant l’homme dans son identité idéale et immuable plutôt que dans son existence particulière et matérielle

Serge Halimi présente son analyse de ce qu’il considère comme une collusion entre pouvoirs médiatique, politique et économique, à l’aide d’une enquête qui se veut exhaustive sur la télévision et les grands journaux français.  Il entend démontrer le traitement partial et complaisant de certains médias français vis-à-vis de leurs actionnaires.  Il explique aussi le peu de cas qui est fait, selon lui, des mouvements sociaux et la place prépondérante des faits divers dans les journaux télévisés ; il souligne, entre autres, les connivences dans le milieu journalistique, facilitant les autopromotions.  Les Nouveaux Chiens de garde a été réédité en novembre 2005, dans une édition actualisée et augmentée. Dans cette nouvelle édition, il est aussi question du traitement médiatique du référendum sur le traité constitutionnel européen.

Un film documentaire « engagé »

En 2011, le sujet du livre a inspiré un film documentaire éponyme réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, avec la collaboration de Serge Halimi, Renaud Lambert et Pierre Rimbert. Le film est sorti au cinéma en janvier 2012. Ce documentaire illustre le propos de l’essai de Serge Halimi et met des visages sur les acteurs du système médiatique français. Grâce à de nombreuses archives audiovisuelles, l’équipe du documentaire réussit à synthétiser le propos du livre. A partir d’une masse indigeste de débats et de reportages télévisés, ils ont réussi à trouver une formule qui permet à la fois de convaincre et d’amuser. Les séquences choisies font autant l’effet de gags que de pièces à conviction pour attester la déférence souvent grotesque de journalistes vis-à-vis de leurs patrons et des dirigeants politiques. Les réalisateurs tiennent à souligner que «* Les Nouveaux chiens de garde* n’est pas un film contre la profession de journaliste, mais contre une certaine forme d’organisation sociale et économique des médias et un certain type de journalisme. »

Compte-rendu des échanges sur le film

Le dispositif adopté était celui d’échanges en groupes de deux personnes, constitués selon leur affinité et pratiquant un dialogue socratique symétrique. La production de chaque groupe est restituée lors d’une discussion générale.

Michel Tozzi propose une lecture philosophique du film. C’est un film à thèse qui pose la question de l’indépendance des professionnels de l’information et qui y répond en délivrant un message : les journalistes vedettes des grands médias sont au service de puissances financières et des politiciens qui leurs sont liés. L’argumentation repose sur des discours, des commentaires, des situations qui sont censées faire preuve, elle est servie par le langage cinématographique lui-même qui agrège des fragments de films pour leur donner une cohérence idéologique. Il en résulte l’absence de contradiction, même de nuance. Il n’y a pas de présentation d’une thèse alternative en dehors d’une caricature ironique.

Gunter Gorhan soutient : « L’insistance sur l’exactitude des faits se substitue sournoisement à la vérité des interprétations : l’exactitude pouvant être démontrée, elle est objective ; la vérité seulement montrée, est inséparable de la subjectivité de l’interprétant. La phrase-clé, celle de Peyrfitte, Ministre sous De Gaulle : « il s’agit désormais de dépolitiser l’information, la confier aux experts et la rendre plus divertissante. La multiplication des chaînes, suite à la privatisation de l’ORTF, contrairement à la propagande, a uniformisé et baissé le niveau » …

Certains se sont focalisés sur les concepts de manipulation et de fake news: « Je sais le but de la manipulation mais j’ignore celui des fake news (Françoise) ». « Les influenceurs s’appuient sur un fait réel qu’ils interprètent alors que les producteurs de fake news sont des menteurs. Les mises en garde sont utiles pour déjouer les pièges de ces manipulateurs, mais elles encouragent la tendance à se méfier de tout. Une méfiance généralisée peut conduire à se réfugier dans des croyances. (Marcelle et Christine). Aline signale le risque d’une confiance aveugle dans la vulgarisation scientifique qui peut délivrer un message idéologique éloigné de la démarche scientifique. Un groupe a traité du caractère militant du film, qui défend une thèse anticapitaliste sans proposer une alternative crédible, une « troisième voie », autre que celle de l’affrontement entre capitalisme et socialisme, qui serait à l’origine de « nouvelles Lumières » (Luce). Une absence a été relevée dans le film, qui date de ce point de vue : celle des réseaux sociaux qui propagent et démontent les fakes news aujourd’hui (Viola).

Quelques belles formules ont émergé de la discussion : « Le besoin de sens est supérieur au besoin de vérité » (Francis et Christian) ». « Devenir enthousiaste, c’est étymologiquement « avoir le dieu en nous » (Gunter). Georges s’interroge : « A-t-on été transformé ? » ?

ATELIER RANDO PHILO : « Les conditions de la discussion sur l’actualité » (Francis Tolmer, Viola Oelher)

Le but de cet atelier était de faire émerger des façons de rendre plus intéressantes, constructives, réflexives, les discussions que nous pouvons avoir à propos de l’actualité, dans toutes les circonstances où ces discussions peuvent avoir lieu : discussions improvisées et informelles avec des amis, des collègues, discussions au cours des repas, rencontres diverses, etc. En effet on peut constater souvent que les échanges inspirés par l’actualité consistent le plus souvent en l’expression d’opinions, d’émotions, d’avis peu argumentés ; elles s’appuient sur peu de faits, donnent lieu à des expressions parfois très catégoriques, recourent volontiers aux clichés. D’où notre question : quelles stratégies, quelles questions peuvent nous aider à échapper à cet effet « café du commerce » ?

Déroulement de l’atelier

L’atelier se déroule sur un chemin ombragé assez large pour que 3 personnes puissent marcher aisément de front. Les participants sont répartis par groupes de 3. Ci-dessous les consignes qui leur sont données :

Par groupes de 3

1er temps : discussion

Choisissez un sujet d’actualité, soit dans les articles que nous vous avons remis, soit dans un événement de l’actualité récente. Discutez ensemble de ce sujet sur un mode très spontané, « au pied levé », comme vous pourriez échanger lors d’un dîner ou à toute autre occasion informelle, pendant 5 minutes maximum.

2ème temps : partagez vos observations sur la discussion que vous venez d’avoir : facile ou pas, consensuelle, argumentée, factuelle, émotive, intéressante, etc.

3ème temps : Identifiez tout ce qui pourrait rendre intéressante / utile / enrichissante une discussion (souvent improvisée), quelles que soient les personnes avec qui nous échangeons et quel que soit notre niveau de connaissance sur le sujet.

Deux éléments en particulier à noter à noter sur des post-it (une question par post-it) pour affichage et consultation par tous et partage dans la suite de l’atelier :

  • Les questions que nous pouvons poser (et nous poser…) : (exemple : Que savons-nous vraiment ? Qu’est-ce qu’il faudrait savoir d’autre ? En quoi l’événement nous touche ? etc.)

  • Des « stratégies » de discussion pour favoriser la réflexion (exemple : demander des arguments, partager nos expériences concrètes, faire le point de ce qu’on sait et de ce qu’on ne sait pas, etc.).

Retour au Moulin En grand groupe

4ème temps

Affichage et consultation des post-it.

Partage en grand groupe, et débat.

Notes complémentaires :

La partie « randonnée » de l’atelier dure environ 1 heure, l’affichage et consultation des post-its dure 15 minutes et le partage final de 30 à 45 minutes.

Dans un premier temps chaque groupe envoie un rapporteur pour développer ce qu’il a produit. Puis en fonction du temps, on peut avoir un débat sur les conditions de ces discussions sur l’actualité et la mise en pratique des « stratégies » présentées.

La production a été riche et le partage intéressant. Avec l’expérience je prendrais plus de temps pour expliquer les consignes et donner des exemples : les 3 groupes n’ont pas travaillé exactement sur le même plan. La question s’avère difficile à traiter, et elle donne lieu à beaucoup de présupposés (ex : une discussion doit être structurée pour être intéressante, l’émotion ne permet pas d’avoir un échange éclairé, etc.). Par ailleurs, les modes de communication évoqués demanderaient de l’entraînement ou de la mise en situation. Si je devais animer à nouveau ce sujet, je pencherais pour un mode interactif comme par exemple le théâtre-forum.

L’atelier “Que faire de l’actualité”** (Christian Belbèze, Gunter Gorhan, Francis Tolmer)

Cet atelier philosophique poursuit un but. Celui de nous permettre avec humour, et par un jeu de rôle, de nous poser une question qui peut par sa nature même être très anxiogène : “ Que faire avec l’actualité ? ”. L’atelier se divise en trois temps plus un temps de présentation aux participants.

Présentation de l’atelier

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Durant cette introduction, le matériel est présenté aux participants. Le matériel est constitué de 6 pochettes. Chaque pochette contient deux types d’éléments. Une fiche consigne, 6 fiches personnages et une fiche radar. Les fiches personnages étant la rencontre d’un type de réaction à l’actualité avec les trois questions de Kant : « Que puis-je connaître ? », « que dois-je faire ? », « que suis-je en droit d’espérer ? ».

Le premier temps

Le premier temps (environs 40 minutes) est un temps en petit groupe de 2 à trois personnes pour la préparation du débat. Un seul des participants du petit groupe va jouer le rôle de débatteur en prenant la position de son personnage. Chaque personnage est affecté à un groupe, mais les groupes ont accès aux descriptions des autres personnages. Il s’agit d’entraîner celui qui va participer au débat à jouer son rôle.

Le deuxième temps

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Le deuxième temps (environs 40 minutes) est le temps du débat : “Que faire de l’actualité ?”. Les participants jouant le rôle d’un des personnages sont placés au centre du cercle directement devant les animateurs. Le débat porte sur l’actualité en général et les exemples sont libres. Les participants de chaque groupe se placent derrière leur “champion” pour le soutenir. Le rôle de l’animateur est de faire en sorte que les points de vue des différents personnages et leurs divergences ressortent clairement.

Ce temps se termine par la demande à chaque participant de proposer de nommer le personnage joué par les représentants des groupes. Il est alors proposé à chacun de faire son propre radar en se situant par rapport aux 6 personnages.

Le troisième temps

Le troisième temps (environs 40 minutes) est celui qui vient questionner chacun de nous sur celui qui a été absent du débat : le philosophe. La question en débat est donc : “Que faire de l’actualité en tant que philosophe ?

Conclusion de l’atelier

La mise en œuvre de l’atelier demande l’attention des participants, cependant les participants débatteurs se sont véritablement investis de leur rôle avec passion. Et le premier débat fut constitué de joutes verbales délicieusement drôles durant lesquelles les participants à contre-emploi jouaient leur rôle avec passion. Le remplissage du radar se fait parfois avec difficulté, mais plusieurs participants déclarent avoir appris sur leur position.

Le dernier débat a fait émerger le rôle du philosophe comme devant œuvrer à la prise de parole et à la création de lien entre tous les types d’acteurs et avant tout à se poser comme un questionneur. Questionnez, questionnez, questionnez ! a été notre conclusion de ce dernier temps.

Les 6 fiches personnages

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Pour les 19, 20 et 21 Juillet 2024, c’est le thème de la joie qui a été retenu.

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