Revue

Exploration de la notion de liberté avec différents dispositifs. Compte-rendu du séminaire du Moulin du Chapitre (22 au 24 juillet 2022)

Ces rencontres annuelles, depuis une dizaine d’années, ont un double objectif :

  1. Approfondir un thème philosophique. La notion retenue cette année était celle de la liberté, avec comme notions corrélées dans les séances successives : le courage, la désobéissance, le dilemme, la créativité.

  2. Expérimenter de nouvelles pratiques philosophiques, par exemple la rando philo et le cinéphilo.

Séance I - Débroussailler la notion de liberté et l’éclairer par des conceptions philosophiques (Michel et Marcelle Tozzi)

Dispositif

14h30-15h - Topo sur la notion de liberté : conceptions différentes et problèmes soulevés (Voir annexe I).

15h- 16h30 - Consignes et Travail en groupes sur les textes (Voir Annexe II) : comprendre l’argumentation du texte, être capable de l’exposer et la défendre.

16h30-16h45 : Pause

16h45-17h45 : Discussion à visée philosophique instruite (appuyée sur des textes philosophiques) sur : « L’homme est-il libre ? ». Chacun intervient au nom d’un philosophe.

17h45-18h : Evaluation

Synthèse (Marcelle)

des textes proposés

  • Deux textes nous étaient proposés défendant l’idée que nous sommes libres. Celui de Descartes qui développe les idées suivantes : le libre arbitre est une des perfections de l’homme et « sa volonté très étendue lui permet de choisir le vrai plutôt que le faux ». L’homme est donc responsable de ses actes. « La liberté se connait sans preuve par la seule expérience que nous en avons ».

    Le texte de Sartre : Sartre reconnait bien tous les conditionnements et limites qui nous déterminent, mais il retourne l’argument en disant que précisément « il ne peut y avoir de sujet libre qu’engagé dans un monde résistant ». La liberté s’appuie sur la contrainte. Elle a même le pouvoir de transformer une résistance en une aide à condition d’adapter son projet.

  • Deux textes défendent l’idée que l’homme est essentiellement déterminé.

    Le texte de Spinoza : L’homme ne sait pas gouverner ses désirs, il ne sait pas contenir ses impulsions, le plus souvent « nous voyons le meilleur et nous faisons le pire ». Nous nous croyons libre parce que nous sommes ignorants des causes qui déterminent nos actions.

    Le texte d’Alain s’attache à distinguer le déterminisme du fatalisme. Le déterminisme est une idée raisonnable disant que tout phénomène a une cause ou un ensemble de causes. Que donc si on peut influer sur une cause le résultat sera différent. Le fatalisme est une superstition qui dit « c’est écrit », quelles que soit les modifications apportées aux causes, les modifications étaient aussi prévues et donc le résultat était aussi prévisible (cf : l’histoire d’Œdipe). Le fatalisme nie toute liberté humaine.

Deux autres textes concédant que l’homme est conditionné, mais qu’il peut se libérer.

Celui d’Epictète: « La liberté est une chose non seulement très belle mais très raisonnable ». « Elle consiste à vouloir que les choses arrivent non comme il me plait mais comme elles arrivent ». Il faut s’accommoder du réel, consentir au réel, le contraire serait de la folie, c'est-à-dire aliénation, perte de ma liberté.

Celui de Marx traite des conditions pour parvenir à se libérer collectivement. Les hommes étant soumis à la nécessité de pourvoir à leurs besoins (d’autant que ceux-ci vont en augmentant avec le développement de la civilisation) d’une part, et à contrôler la puissance aveugle de la nature d’autre part, leur liberté ne peut commencer qu’au-delà de ces contingences. Ils doivent donc s’organiser et s’associer pour libérer du temps libre en vue de leur épanouissement. Ils doivent parvenir à réduire la durée de la journée de travail.

Quelques idées tirées de nos discussions

Ce sont des idées qui vont dans le sens de la libération car nous sommes tombés d’accord sur l’idée que la liberté est avant tout un processus : la connaissance de nos déterminismes, l’engagement notamment l’enseignement par la transmission de savoirs et d’éducation, changer ses représentations de ce qui nous paraît être un obstacle, déconstruire nos désirs, hiérarchiser ce qui est juste envies et ce qui est Désir (celui de la Vérité), élaborer des projets en prenant en compte les difficultés, ne pas sous-estimer ce qui dépend de moi, reconnaître sa propre puissance de changer le monde, faire que ma liberté soit au service de fins justes, réaliser que la croyance en ma liberté est une idée auto-réalisatrice, concevoir différents degrés de liberté ou de déterminisme, envisager la cohabitation avec la liberté de l’autre, devenir plus créateur individuellement et collectivement, savourer des moments où on éprouve sa liberté « comme friandise de la vie », alimenter son vouloir vivre…

La notion de consentement au réel est reconnue comme sujet discutable. Elle peut signifier que l’on prend une position passive, là elle peut être rejetée, mais aussi on peut la concevoir comme le lieu même de la liberté, car dire oui sous-entend la possibilité de dire non.

Séance II - Le courage comme manifestation de la liberté (Elizabeth Golinvaux, Georges Dru)

Séance III – La désobéissance comme expression de la liberté (Atelier rando-philo conçu et animé par Francis Tolmer et Viola Oehler)

Thématique

Dans le cadre d’une thématique générale des Rencontres « la liberté », l’atelier est centré sur le sous-thème « Désobéissance ». A ce titre, il interroge les relations entre les deux concepts.

Déroulé de l’atelier

Cadre général : la « randonnée » se pratique le long d’une rigole ombragée permettant de marcher à trois de front. Les participants se répartissent par groupes de 3, et choisissent un « groupe frère » avec lequel ils interagiront au milieu de la randonnée. Une courte introduction expose le déroulé de l’atelier et esquisse des problématiques potentielles nées de la confrontation des concepts de « liberté » et de « désobéissance ».

Temps 1 : exploration, durée 40 minutes

Par groupe de 3, les participants explorent le thème pour identifier des problématiques. Ils sont invités à en écrire au moins deux sur un papier.

Ils disposent de 3 cartes « ressources » destinées à les aider à construire les problématiques, qu’ils utiliseront dans l’ordre si le besoin s’en fait sentir ou par curiosité :

  • Carte 1 « Exploration »

Quelles façons d’obéir connaissez-vous ? (Faites référence à des situations concrètes si possible)

De la même façon : quelles façons de désobéir connaissez-vous ?

A qui / à quoi peut-on désobéir ?

  • Carte 2 « Exploration »

Quels concepts associez-vous positivement et négativement à l’obéissance ?

Même question pour la désobéissance ?

Désobéir à quelque chose, est-ce obéir à autre chose ?

Pourquoi la désobéissance est-elle si valorisée aujourd’hui ?

  • Carte 3 « Problématiques »

Peut-on obéir librement ? Si oui, à quelles conditions ?

Quand la désobéissance est-elle une manifestation de liberté ?

Quelles seraient les conditions d’une désobéissance légitime dans une démocratie ?

Temps 2 : partage et échange de problématiques. Durée : 15 minutes

Chaque groupe échange avec son « groupe frère » : propose à l’autre groupe les problématiques qu’il a identifiées et explique leur intérêt. Chaque groupe choisit ensuite une des problématiques proposées par son « groupe frère » pour la travailler.

Temps 3 : par groupe de 3 : travail de la problématique choisie. Durée : 40 minutes

Construire une / des réponses argumentées.

Temps 4 : en grand groupe, partage et débat :

  • Les problématiques choisies, et pourquoi (écriture des problématiques sur un tableau blanc avant le débat, pour avoir une vue d’ensemble).

  • Les réponses ou réflexions apportées.

Notes sur l’atelier :

Un des intérêts de cet atelier est de produire une grande variété de problématiques. Et de travailler sur une problématique construite par d’autres, avec d’autres présupposés, ce qui favorise le décentrage par rapport à sa propre pensée.

Une des limites constatées : un groupe avait identifié et traité les problématiques proposées par son « groupe frère ». Il a donc travaillé par la suite sur une des problématiques qu’il avait lui-même identifiée et non traitée.

Point de vigilance : le temps 1 (construction des problématiques) est probablement un peu long, il pourrait être réduit à 30 minutes.

Variante possible : laisser un temps après la randonnée et avant le débat pour écrire les problématiques identifiées, traitées et quelques réponses synthétiques, de manière à pouvoir les afficher et ainsi amorcer le débat.

Séance IV – Le dilemme comme mise à l’épreuve de la liberté (Christian Belbèze, Gunter Gorhan, Geneviève Carbonneau) – Ciné Philo

Choisir le film

« Ciné-Philo » n’est pas un simple mot, pas un même une association de deux mots séparé par un tiret, comme le serait un après-midi ou l’un des mots précise l’autre. C’est un mariage, un subtil équilibre que nous tentons de créer entre ce qui est donné à voir à tous, ce qui ressenti et pensé par chacun et enfin ce qui livré à tous par chacun pour être débattu par tous.

Il conviendrait donc en premier lieu de trouver l’objet du désir, l’objet qui fera regarder au lieu de voir, écouter au lieu d’entendre pour mieux ressentir et vivre une situation. Mais voilà derrière le film, notre jolie mariée vient son partenaire, la philosophie. Et autant on demande au film de nous séduire autant la philosophie se doit d’être dure, rigoureuse, objet d’exactitude et surtout déterminée à ne pas s’en faire compter.

C’est donc finalement la philosophie qui reprend la main. Que nous demande-t-elle ici ? Un film sur la Liberté, le Dilemme et l’Actualité. Et un film court, car il n’est pas possible dans notre séminaire très chargé de consacrer plus d’une heure trente au spectacle.

Trouver le film sera une affaire dont je ne peux faire la totale économie ici. Et finalement nous ne trouverons pas. Non, rien n’est satisfaisant. Ce film est trop commercial (Eyes in the Sky - Gavin Hood - 2015), un autre n’est pas un film mais un reportage (Le jeu de la mort – Thomas - 2009), celui-ci est excellent (Gone baby gone - Ben Affleck -2007) mais ne présente pas de situation de dilemme, juste nous placerait-il sans doute dans un dilemme, et Gone baby gone n’a pas de lien avec l’actualité.

Finalement, en trouvant que le sujet du dilemme n’est pas franchement abordé, juste évoqué, nous choisirons un film récent. Il se situe dans une certaine mesure dans l’actualité au moins cinématographique puisqu’il vient de sortir. Ce sera donc lui, Un autre monde, réalisé par Stéphane Brizé, qui est sorti en 2021.

C’est la qualité du film, la véracité des dialogues, des situations, le jeu parfait des acteurs dans un cinéma réaliste qui nous décident. Au moins le film est bon. La projection est agréable (merci à Georges notre projectionniste) et le public applaudira à la fin après avoir interdit d’interrompre le long générique final, qu’en cinéphile chacun se doit de visionner jusqu’à la lie.

La forme du dispositif

Le dispositif est constitué de trois périodes de 45 minutes.

Première période en plénière (15 personnes) nous nous posons la question : pourquoi avons-nous choisi ce film pour parler de dilemme, liberté et actualité ?

Deuxième période en binôme : Placez-vous dans une situation de dilemme de votre actualité ou de l’actualité du monde et essayer de vous en libérer, de noter vos émotions.

Troisième période en plénière : Les participants doivent répondre à la question : dîtes-nous votre dilemme, comment vous l’avez vécu et comment vous vous en êtes libéré.

Critique du dispositif

Dans la première période, la qualité du film associé au fort prisme donné tant par sa présentation (dilemme) que par le thème général séminaire (liberté) font que les participants révèlent des dilemmes nombreux bien au-delà de celui que nous avions détecté et la première partie du débat est donc remplie de « bonnes raisons » que nous n’avions pas vues précédemment pour avoir choisi ce film.

La seconde période est vécue comme difficile, voire impossible à réaliser pour une participante. (Re)vivre un dilemme même par la pensé est désagréable. Mais là encore, la véracité du scénario des dialogues et le jeu des acteurs facilitent par un mécanisme d’empathie la mise en situation.

La dernière période permet effectivement de proposer des solutions d’échapper au dilemme. Mosaïque de comportements en fonction des contextes ou au contraire recentrage sur notre identité profonde qui peut aller jusqu’au cynisme philosophique apparaissent comme des propositions de résolution. Le dilemme n’en reste pas moins un piège mental terrible.

Conclusion

Plagiant Jean Gabin disant qu’un bon film c’est trois choses : une bonne histoire, une bonne histoire et enfin une bonne histoire, nous dirons qu’un bon Ciné-Philo c’est trois choses : un bon film, un bon film et enfin …

Séance V – La liberté et la créativité (Luce Bonnet et Stéphanie Calatayud)

Animation d’une séance « rêvolution en liberté ». 3 rêves.

Objectifs de l’animation :

  • Stimuler nos capacités de rêveur créactif en liberté.

  • lever des freins à la créativaction.

  • Reconnaître le scénario et processus d’un rêve.

  • L’ancrer avec un titre.

Animation de l’atelier

Le dispositif prévu a dû être modifié du fait du planning modifié.

Réalisation : entretiens deux par deux pour 2 rêves

1er rêve. J’ai fait un rêve et je l’ai réalisé. Sélectionnez parmi vos rêves créactifs déjà réalisés, celui qui est le plus représentatif de votre liberté de rêver et de réaliser. Revisionnez le déroulé du scénario, des séquences....

« Ancrez et mémorisez ce rêve avec un titre, comme pour un titre de film ou de livre ».

2ème rêve. Rêvons notre utopie ... à réaliser peut-être ?

« A ce rêve, donnez un titre... »

Evaluation au niveau de chaque binôme :

reboucler ce temps des rêves, en fonction des mots clés, liberté, courage, désobéissance-obéissance, dilemme…

En grand groupe, chacun dit haut et fort le titre, les titres de ses rêves.

3ème rêve. Le troisième rêve prévu initialement a été déprogrammé pour faire de la place au rêve d’un lieu pour l’année prochaine…

Ancrage. Se donner des bracelets. 3 rêves en un bracelet de 3 perles.

Evaluation personnelle

Pour ma part, mon objectif principal était que ces 3 rêves rebouclent en bracelet avec les mots clés pour une fin de rencontre.

La lecture du texte (trop long) sur la créactivité lu au démarrage de l’atelier aurait pu être évité pour alléger le dispositif. Ce texte a été écrit en espérant lever quelques inhibitions à la créativité.

Les deux animatrices n’ont pas toujours trouvé tous les duos égaillés dans la nature pour leur demander de faire l’évaluation entre eux deux.

Il n’y a pas eu d’évaluation globale sur l’atelier et l’animation en grand groupe.

C’était la première fois que j’animais un atelier aux rencontres. Je remercie le groupe de s’être prêté à cette proposition.

Les deux animatrices ont fait leur évaluation.

J’ai beaucoup aimé la rencontre philo de cet été brûlant, du fait de l’enchainement fluide entre les thèmes autour du thème central. Liberté... chérie.

ANNEXE I La liberté : diversité des conceptions et problèmes soulevés

La liberté en questions

La notion de liberté est à la fois centrale et problématique en philosophie. Centrale parce qu’elle a des enjeux nombreux : existentiel, métaphysique, psychologique, éthique, juridico-politique, esthétique etc. Elle donne lieu chez chacun, car ce n’est pas un mot technique et elle renvoie à l’expérience commune, à des représentations spontanées (« La liberté, c’est de pouvoir faire ce que l’on veut ». On identifie ici liberté et désir, voire pulsion). La liberté (de l’humain) existe-t-elle ? Difficile de répondre à cette question à ce niveau de généralité, si l’on n’a pas défini au préalable ce qu’est la liberté, si l’on ne sait pas de quoi l’on parle. Et les réponses à la question seront différentes selon la définition donnée : par exemple si l’on définit la liberté comme faire ce que je veux, les contraintes tant naturelles que sociales me feront répondre non à cette liberté absolue !

Il y a une réelle difficulté à conceptualiser la notion de liberté, à la définir.

Définitions

La liberté, est-ce une capacité de faire et de penser ; mais de faire tout ce que l’on veut (opinion sans réflexion très répandue) ? Un libre arbitre sans cause extrinsèque, au-delà de tout déterminisme, résultant seulement de notre volonté (Descartes) ? Une illusion, par ignorance de nos déterminismes (Spinoza). Une expérience forte, éprouvée dans un choix à faire, qui appelle délibération interne ou partagée (exemple le dilemme moral) : du sentiment de puissance de la volonté dans le choix au sentiment d’être coïncé, incertain, partagé par les alternatives. Un droit politico-juridique garanti par la constitution ? L’absence de contraintes ? Une indépendance par rapport à autrui et la société ? Un compromis raisonnable par rapport à notre interdépendance ? Est-ce l’autonomie, quand un sujet ou un peuple se donne sa propre loi (Rousseau au niveau politique, Kant au niveau moral) ? Est-ce l’acceptation joyeuse du monde et de ce qui nous arrive, vouloir le monde tel qu’il est (Les stoïciens, C. Rosset, Spinoza) ? Le fondement même de l’éthique qui rend possible la responsabilité (Kant, Ricoeur). L’obligation morale du visage de l’autre (Lévinas). Ce qui permet d’accéder au bonheur par la raison, la maîtrise de nos passions, la condition de la sagesse (Cf. le sage de l’Antiquité) ? Parle-t-on de liberté individuelle ou collective, de liberté physique ou mentale, de liberté intérieure ou extérieure ? Parle-t-on de liberté au singulier ou de libertés au pluriel : liberté de conscience, de culte, d’aller et de venir, de se réunir, de manifester etc. ? Parle-t-on d’une liberté absolue ou relative ? D’un état propre constitutif de la condition humaine (Sartre), ou d’un processus historique de libération, au niveau individuel par la connaissance de soi et un travail sur soi (Freud) ou au niveau collectif par la révolte ou la révolution (Marx) ?

On le voit : les conceptions de la liberté sont très différentes, voire opposées, selon les individus et les philosophes ! Elle renvoie à des conceptions philosophiques différentes, voire opposées, selon la vision du monde : « Accepter l’ordre du monde » (Stoïcien, Descartes), versus « Les hommes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit de le transformer » (Marx : les prolétaires sont dominés par les bourgeois, mais ils peuvent se libérer par la révolution). « Nous sommes condamnés à être libres » (Sartre), versus « La liberté est l’ignorance de nos déterminismes » (Spinoza : une pierre qui dévale une pente pourrait se croire libre). Nous sommes déterminés par notre inconscient, mais nous pouvons nous libérer par une analyse (Freud). Le maître croit dominer l’esclave, mais il est esclave de son esclave (Hegel).

THESES

Quelques thèses soutenables :

  • La liberté est une aspiration à l’épanouissement personnel et collectif, qui répond à l’appel de nos désirs et du bonheur, alimente projets et utopies.

    • Il n’y a pas de liberté absolue, compte tenu de toutes les contraintes extérieures (la nature ou les lois) et intérieures (notre inconscient) qui pèsent sur nous.

    • La liberté pourrait être une illusion si on méconnait l’étendue et la force des conditionnements qui pèsent sur nous.

    • La liberté peut être relative, si l’on accepte des limites posées à une liberté absolue : la liberté des autres, des lois justes, le respect de la nature, l’exercice de la raison pour maîtriser nos passions… Et si on se donne à soi-même, au niveau individuel des obligations (exemple en morale), et au niveau collectif et politique, des lois : c’est l’autonomie.

    • La liberté peut avoir des degrés : avoir plus ou moins de liberté(s), être de moins en moins ou de plus en plus libre.

    • En connaissant et en agissant sur les déterminismes qui pèsent sur nous, on peut relativement s’en libérer, par la cure analytique concernant notre inconscient, le travail sur soi-même en vue d’un développement personnel ; par l’organisation et la lutte collective s’agissant de domination de classe, de race, de genre etc.

Champs philosophiques

La notion de liberté est problématique, parce qu’elle convoque un réseau conceptuel riche et qui comprend des tensions, ce qui rend difficile sa conceptualisation, sa définition (De quoi parle-t-on ?) :

liberté/aliénation/emprisonnement/domination/oppression/soumission/discrimination/manipulation ; liberté/déterminisme/libération ; liberté/indépendance/autonomie ; liberté/interdépendance ; liberté/obligation/contrat ; liberté intérieure/extérieure ; liberté/désir/volonté ; liberté/plaisir/bonheur/sagesse ; liberté/égalité/fraternité ; liberté/sécurité ; liberté/démocratie/dictature ; liberté/responsabilité/licence/transgression/culpabilité/punition ; etc.

La question de la liberté traverse plusieurs champs philosophiques, soulevant autant de problèmes :

La métaphysique

La question du libre arbitre est centrale. Nos actes ne sont pas des réflexes. Le libre arbitre est ce qui est à l’origine de nos pensées et nos actes, le pouvoir d’affirmer et de nier, le jugement, le pouvoir de la volonté (Descartes). Existe-t-il ? « Les hommes se croient libres parce qu'ils sont conscients de leurs désirs mais ignorants des causes qui les déterminent » (Spinoza). L’homme est-il libre ? Ne vaut-il pas mieux parler de libération ?

L’épistémologie

La liberté est-elle un concept scientifiquement acceptable ? Dans la mesure où la science classique postule méthodologiquement le déterminisme, peut-il y avoir place en science pour la notion de liberté ? La notion d’émergence (Cf. F. Varela), qui décrit l’évolution biologique comme le saut qualitatif d’un niveau plus simple à un niveau plus complexe, permet-il de réintroduire le concept de liberté ?

La philosophie morale, l’éthique

La liberté est un concept fondamental de l’éthique, car elle semble le fondement de la responsabilité. Pourrait-il y avoir responsabilité sans liberté ?

La philosophie politique

La liberté est une valeur au centre de la politique. Elle s’y décline au pluriel : liberté de conscience, de culte, d’aller et de venir, de correspondance, de vote, de réunion etc. La sécurité est-elle la première des libertés ? Ou le souci de sécurité est-il liberticide ? La liberté est un point de clivage entre les régimes autoritaires et les régimes démocratiques. C’est un droit de l’homme : un droit individuel (ex. liberté d’expression) et un droit collectif (droit de manifester) : on parle de libertés publiques. Peut-on articuler, liberté et sécurité,  et so oui comment? La liberté et la loi ? Comment penser la tension entre liberté et égalité ? La liberté est-elle indépendance (absence de contraintes), prise en compte des interdépendances (avec les autres, la nature), ou autonomie (se donner à soi-même sa propre loi ?). Comment concilier la liberté individuelle et la vie collective ? Le contrat est-il un obstacle à ou une condition de la liberté ?

Le droit

La responsabilité juridique, qui permet l’imputabilité d’une faute, et donc la culpabilité, implique les notions de conscience et de liberté. En cas d’altération du jugement, il y a non-lieu, direction l’hôpital psychiatrique et non la prison…

L’esthétique

Peut-on créer sans liberté ? La liberté est-elle condition de possibilité de la création ? La censure brime -t-elle la liberté ?

ANNEXE II Le concept de liberté chez certains philosophes

Thèse : l’homme est absolument libre

Marcel Conche nous dit que « le libre arbitre c'est le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien ».

Descartes, Principes de la philosophie I (1644)

37. Que la principale perfection de l’homme est d’avoir un libre arbitre, et que c’est ce qui le rend digne de louange ou de blâme. La volonté étant, de sa nature, très étendue, ce nous est un avantage très grand de pouvoir agir par son moyen, c’est-à-dire librement ; en sorte que nous soyons tellement les maîtres de nos actions, que nous sommes dignes de louange lorsque nous les conduisons bien : car, tout ainsi qu’on ne donne point aux machines qu’on voit se mouvoir en plusieurs façons diverses, aussi justement qu’on saurait désirer, des louanges qui se rapportent véritablement à elles, parce que ces machines ne représentent aucune action qu’elles ne doivent faire par le moyen de leurs ressorts, et qu’on en donne à l’ouvrier qui les a faites, parce qu’il a eu le pouvoir et la volonté de les composer avec tant d’artifice ; de même on doit nous attribuer quelque chose de plus, de ce que nous choisissons ce qui est vrai, lorsque nous le distinguons d’avec le faux, par une détermination de notre volonté, que si nous y étions déterminés et contraints par un principe étranger.

39. Que la liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons. Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne le pas donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions.

J.P. Sartre.  L’Etre et le Néant

« L’argument décisif utilisé par le bon sens contre la liberté consiste à nous rappeler notre impuissance… Loin que nous puissions modifier notre situation, il semble que nous ne puissions pas nous changer nous-mêmes. Je ne suis libre ni d’échapper au sort de ma classe, de ma nation, de ma famille, ni même d’édifier ma puissance ou ma fortune, ni de vaincre mes appétits les plus insignifiants ou mes habitudes. Je nais ouvrier, Français, tuberculeux… etc. Bien plus qu’il ne paraît « se faire », l’homme semble « être fait » par le climat et la terre, la race et la classe, la langue, l’histoire de la collectivité dont il fait partie, l’hérédité, les circonstances individuelles de son enfance, les habitudes acquises, les     grands et les petits événements de sa vie…

Cet argument n’a jamais profondément troublé les partisans de la liberté humaine : Descartes, le premier, reconnaissait à la fois que la volonté est infinie et qu’il faut « tâcher de nous vaincre plutôt que la fortune ». C’est qu’il convient de faire des distinctions : beaucoup des faits énoncés par les déterministes ne sauraient être pris en considération. Le coefficient d’adversité des choses, en particulier, ne saurait être un argument contre notre liberté, car c’est par nous, c’est-à-dire par la position préalable d’une fin que surgit ce coefficient d’adversité. Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer, sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage… Ainsi, bien que les choses brutes paraissent limiter notre liberté d’action, c’est notre liberté elle-même qui constitue le cadre, la technique et les fins par rapport auxquelles elles se manifesteront comme des limites. C’est notre liberté elle-même qui constitue les limites qu’elle rencontrera par la suite. En sorte que les résistances que la liberté dévoile dans l’existant, loin d’être un danger pour la liberté, ne font que lui permettre de surgir comme liberté. Il ne peut y avoir de sujet libre que comme engagé dans un monde résistant. En dehors de cet engagement, les notions de liberté ou de nécessité perdent jusqu’à leur sens ».

Anti thèse : l’homme est totalement déterminé

Comment définir le déterminisme ?

1. Théorie philosophique selon laquelle les phénomènes naturels et les faits humains sont causés par leurs antécédents. 2. Enchaînement de cause à effet entre deux ou plusieurs phénomènes.

Spinoza, Ethique

Notre liberté n'est qu'une illusion. Nous nous croyons libres parce que nous ignorons les causes qui nous déterminent. C'est le discours de Spinoza.

« II n'est rien que les hommes puissent moins faire que de gouverner leurs désirs ; et c'est pourquoi la plupart croient que notre liberté d'action existe seulement à l'égard des choses où nous tendons légèrement, parce que le désir peut en être aisément contraint par le souvenir de quelque autre chose fréquemment rappelée ; tandis que nous ne sommes pas du tout libres quand il s'agit de choses auxquelles nous tendons avec une affection vive que le souvenir d'une autre chose ne peut apaiser. S'ils ne savaient d'expérience cependant que maintes fois nous regrettons nos actions et que souvent, quand nous sommes dominés par des affections contraires, nous voyons le meilleur et faisons le pire, rien ne les empêcherait de croire que toutes nos actions sont libres. C'est ainsi qu'un petit enfant croit librement désirer le lait, un jeune garçon en colère vouloir la vengeance, un peureux la fuite. Un homme en état d'ébriété aussi croit dire par un libre décret de l'âme ce que, sorti de cet état, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, la bavarde, l'enfant et un très grand nombre d'individus de même farine croient parler par un libre décret de l'âme, alors cependant qu'ils ne peuvent contenir l'impulsion qu'ils ont à parler ; l'expérience donc fait voir aussi clairement que la raison que les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés ».

Alain, Eléments de philosophie

On peut prédire ce qui arrivera dans un système clos, ou à peu près clos, par exemple dans un calorimètre, dans un circuit électrique, dans le système solaire (…) Il est donc inévitable qu'un esprit exercé aux sciences étende encore cette idée déterministe à tous les systèmes réels, grands ou petits. Un peu moins de poudre dans la charge, l'obus allait moins loin, j'étais mort. L'accident le plus ordinaire donne lieu à des remarques du même genre ; si ce passant avait trébuché, cette ardoise ne l'aurait point tué. Ainsi se forme l'idée déterministe populaire, moins rigoureuse que la scientifique, mais tout aussi raisonnable. Seulement l'idée fataliste s'y mêle, on voit bien pourquoi, à cause des actions et des passions qui sont toujours mêlées aux événements que l'on remarque. On conclut que cet homme devait mourir là, et que c'était sa destinée, ramenant ainsi en scène cette opinion de sauvage que les précautions ne servent pas contre le dieu, ni contre le mauvais sort. Cette confusion est cause que les hommes peu instruits acceptent volontiers l'idée déterministe ; elle répond au fatalisme, superstition bien forte et bien naturelle comme on l'a vu.

Ce sont pourtant des doctrines opposées ; l'une chasserait l'autre si l'on regardait bien. L'idée fataliste c'est que ce qui est écrit ou prédit se réalisera quelles que soient les causes ; les fables d'Eschyle tué par la chute d'une maison, et du fils du roi qui périt par l'image d'un lion nous montrent cette superstition à l'état naïf. Et le proverbe dit de même que l'homme qui est né pour être noyé ne sera jamais pendu. Au lieu que, selon le déterminisme, le plus petit changement écarte de grands malheurs, ce qui fait qu'un malheur bien clairement prédit n'arriverait point. Mais on sait que le fataliste ne se rend pas pour si peu. Si le malheur a été évité, c'est que fatalement il devait l'être. Il était écrit que tu guérirais, mais il l'était aussi que tu prendrais le remède, que tu demanderais le médecin, et ainsi de suite. Le fatalisme se transforme ainsi en un déterminisme théologique ; et l'oracle devient un dieu parfaitement instruit, qui voit d'avance les effets parce qu'il voit aussi les causes.

L’homme peut se libérer de certains déterminismes

La libération individuelle, Epictète, Entretiens

Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux aussi que tout arrive comme il me plaît. Eh, mon ami, la folie et la liberté ne se trouvent jamais ensemble. La liberté est une chose non seulement très belle mais très raisonnable et il n'y a rien de plus absurde ni de plus déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que les choses arrivent comme nous les avons pensées. Quand j'ai le nom de Dion à écrire, il faut que je l'écrive non pas comme je veux mais comme il est, sans y changer une seule lettre. Il en est de même dans tous les arts et dans toutes les sciences. Et tu veux que sur la plus grande et la plus importante de toutes les choses, je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et la fantaisie ? Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent non comme il te plaît, mais comme elles arrivent.

La libération collective,** Marx, Le Capital, 1867 (Livre III, chap. 48)

« En fait, le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur ; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. De même que l’homme primitif doit lutter contre la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire et de le faire quels que soient la structure de société et le mode de production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle, parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour les satisfaire. En ce domaine, la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés, règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. »

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