Revue

Expériences de soumission dans le cadre scolaire - mises en garde et précisions

Le sujet de la communication

La communication du 19/11/21 [1] a mis en évidence une façon d’impliquer les élèves de terminale dans une réflexion sur les mécanismes individuels et collectifs qui menaçent la culture au sens de civilisation et qui peuvent conduire à un retour de la barbarie à grande échelle. Nous partons de l’idée que même les États à idéal démocratique ne sont pas à l’abri des massacres de masse et que la victoire contre ce type de barbarie n’est toujours au mieux que provisoire et suppose donc une lutte incessante.

Le contexte éducatif est celui de la construction de la personnalité critique [2] dans le cadre scolaire. Pour cela nous avons choisi de créer dans la classe une situation d’obéissance collective à des injonctions illégitimes, qui place les élèves au cœur d’un conflit des devoirs, ceux d’obéissance et d’humanité. La communication montrait alors les bénéfices d’une telle séance pour la maturation des élèves et aussi eu égard à leur engagement dans une réflexion philosophique sur la responsabilité. Bien entendu, nous rappelions qu’étant donné l’ampleur de la tâche, le cours ne fait qu’effleurer le problème.

Si, avec les élèves, nous n’entrons pas dans le détail de l’étude de la multiplicité des mécanismes en jeu pour conduire à l’obéissance, nous distinguons toutefois l’idée d’escalade d’engagement, d’état agentique et de morcellement des responsabilités. Ces concepts, dont on trouve les prémices avec E. de La Boétie, sont mis en évidence par S. Milgram à travers ses expériences en psychologie sociale. Ils ont été et sont encore remis en question dans le cadre expérimental[3]. Rappelons d’une part que le mot expérience dans « expérience de classe » est à prendre au sens du vécu et de ce qui est éprouvé, comme dans l’allemand Erfahrung et Erlebnis, les élèves n’étant pas des cobayes et notre activité n’ayant qu’une valeur pédagogique. D’autre part, notre expérience n’isole pas les élèves au sein de la classe, ni ne les place en relation duelle comme dans les expériences de Milgram et leurs nombreuses reproductions. Pour ces raisons, ce qui vaut du côté de la psychologie sociale n’est pas nécessairement transposable tel quel pour comprendre les situations de classe ou même d’autres situations sociales.

Concernant le milieu scolaire, celui-ci est paradoxalement à la fois explicitement celui de la valorisation de l’esprit critique et plus ou moins implicitement celui de l’obéissance. Or, l’institution scolaire, comme l’institution universitaire, hospitalière ou militaire, peut être le lieu de l’obéissance à des injonctions illégitimes qui nous transforment en agents d’exécution d’actes condamnables. Il y a alors lieu d’interroger le comportement des élèves de fin de lycée, relativement à des injonctions qu’ils jugent illégitimes mais qu’ils acceptent pourtant de transmettre. Notre démarche les amène uniquement à cocher des cases dans un document qui sera prétendument transmis aux autorités administratives et qui conduira à des mesures discriminatoires à l’égard de minorités en fonction de leur orientation sexuelle, de leur religion ou de leur origine migratoire. Les élèves transmettent alors tous la liste des étudiants qu’ils ont triés selon les directives planifiées par d’autres, leur professeur se présentant lui-même comme un agent d’exécution transmettant des demandes. La démarche et les détails de la séquence sont précisés dans la revue Diotime n° 87 et dans Enseigner la philosophie – guide pratique, accessible sur le site de l’ACIREPh.

Dès les premiers instants de la communication, comme lors des animations pédagogiques sur ce sujet, il était précisé que même si cela faisait écho avec ce que certains pratiquaient, « l’intérêt d’une telle mise en situation et ses limites voire ses dangers méritaient d’être débattus », ce qui invitait d’emblée les participants au débat[4]. Contrairement à de nombreuses études et expérimentations sur la responsabilité individuelle ou sur l’obéissance individuelle qui ont été menées après la Seconde Guerre mondiale, nous souhaitons cibler dans notre expérience de classe le mécanisme d’engagement progressif collectif et le phénomène de dilution de responsabilité dans le collectif qui mettent à l’épreuve notre sens critique dans sa dimension pratique. Comme l’expérience de Ron Jones, les élèves sont pris dans une situation de groupe. Mais contrairement à la sienne qui s’étale sur plusieurs jours, notre situation se caractérise par sa brièveté (10 minutes) et par la maîtrise du groupe qu’elle permet. Autres points d’écart : elle est facilement reproductible ; elle donne lieu à deux retours sur expérience dans la foulée, l’un individuel (rédaction des raisons de l’obéissance), l’autre collectif (un débat et un retour sur le débat), ce qui ne laisse pas les élèves sur de fausses pistes ni abandonnés à un possible mal-être.

Les élèves sont donc amenés à accepter, à contre-cœur mais sans menace ni contrainte et en étant informés de la finalité de leurs actes, de dresser, pour le compte du Rectorat, une liste d'étudiants qui seront définitivement exclus des bibliothèques publiques. Au sein du groupe classe les élèves sont divisés en groupes de 4 élèves qui cochent un document commun. Par une escalade d’engagements, chaque groupe exclut des étudiants qu’ils ne connaissent pas, pour des raisons arbitraires et discriminatoires (ce que leur professeur reconnaît et qu’ils reconnaissent eux-mêmes explicitement, tout en le faisant). Ils se trouvent donc face à ce que nous pouvons appeler un conflit des devoirs. Certes, on ne peut exclure qu’une partie des élèves soit imprégnée d’une idéologie fasciste, qu’elle soit hostile vis-à-vis de certaines des minorités stigmatisées et approuve moralement les demandes. Si tel est le cas, il n’est pourtant pas étonnant que nul ne se sente autorisé à l’exprimer : ils savent qui ils ont face à eux (le professeur) et autour d’eux (l’institution et leurs camarades). Néanmoins, à en croire leurs écrits individuels, tous condamnent les actes. Ils se sont donc retrouvés face à un problème et au moins trois possibilités : différer l’action, désobéir ou bien obéir. Il s’agit en fait d’une alternative car ils sont pressés d’agir et sont donc « empêchés de faire seulement l’effort […] de se représenter » l’effet final [5]. Le dispositif est ainsi conçu de façon à ce qu’ils choisissent entre l’obéissance et l’humanité. Les élèves ne sont pas des ânes de Buridan et ils choisissent. Que vaut ce choix d’obéissance et tout d’abord est-ce un choix ? Si nous considérons que les élèves sont manipulés, il y a tout lieu de considérer qu’ils sont contraints d’obéir, ce qui les déresponsabilise. Sinon, pourquoi y a-t-il une obéissance inconditionnelle de tous [6] et donc soumission à l’autorité (à charge pour eux ensuite de déterminer de qui ou de quoi exactement) avant le respect des impératifs moraux ? Le problème n’est pas tant l’obéissance que leur hiérarchisation des devoirs.

Leurs analyses individuelles à chaud tentent parfois de justifier plutôt que d’expliquer leur obéissance mais sont souvent pertinentes quels que soient les profils d’élèves. Si elles mettent souvent en avant l’habitude d’obéir et la confiance dans le professeur, l’idée d’escalade d’engagement n’est pas plus évoquée que la pression du groupe qui sont de possibles causes inconscientes comme le montrait S. Ash dans ses expérimentations sur le comportement sous pression sociale. Mais ces explications ne sont que des pistes d’interprétations possibles : nous ne savons pas encore exactement pourquoi les élèves obéissent tous et il y a probablement des facteurs infraperceptibles qui seraient à étudier en lien avec l’hypnose (peut-être un phénomène de type rupture de pattern, avec au départ un accordage qui prépare, rassure et peut être très rapide).

La suite de la séquence donne lieu à une réflexion à partir de cas historiques comme celui d’Eichmann, à travers les analyses, différentes, d’Arendt et d’Anders. Précisons alors que malgré leur obéissance les élèves ne sont pas de petits Eichmann. Selon notre interprétation, bien qu’ils aient été placés dans une situation eichmanienne, ils restent au pire des « complices innocents »[7] pour la simple raison qu’ils n’ont pas eu le temps de se représenter clairement et pleinement « l’effet final » [8], mais surtout qu’ils n’ont rien planifié (contrairement à Eichmann, selon l’interprétation d’Anders). De sorte que si, à la limite, il fallait faire une comparaison, nous reprendrions les termes d’Anders pour dire qu’ils ressembleraient plus aux dactylos d’Eichmann [9]. Ceci met de côté leur attitude (cruciale) sur le plan émotionnel. Bien entendu le jugement sur la responsabilité morale doit prendre en compte les circonstances particulières de nos actes. Dans notre contexte, il faut considérer que les élèves, pour certains mineurs, sont dans une relation multi-asymétrique avec leur professeur et plus généralement face à une structure d’autorité au sein de l’institution et avec des habitudes d’obéissance cultivées à l’école depuis 15 ans. Tout ceci interroge le système scolaire mais nous ne saurions, en terminale, aller trop loin dans la réflexion sur une éventuelle idéologie de l’obéissance ou de la domination au sein de l'institution (pour utiliser un vocable bourdieusien). Il s'agit toutefois de jeter les bases d'une réflexion qui aiderait à comprendre une telle obéissance en permettant aux élèves de dépasser l'apparence d’irrationalité dans ce qui s'est joué durant ces 10 minutes, la finalité n'étant... ni d’excuser leur obéissance ni même de la condamner.

Au moins deux problèmes moraux peuvent alors leur être posés : qui serait responsable moralement si la situation avait été réelle (sujet du débat en classe qui fera le lien avec la notion de liberté) ? Et : pourquoi cette hiérarchie des devoirs, qui place le devoir d’obéissance au-dessus de celui d’humanité, s’impose-t-elle toujours ? Quelles que soient les positions envisagées, la perspective qui est la nôtre dans cette séquence nous amène à réfléchir à une philosophie morale qui soit habitable[10], les élèves ayant toujours en vue, dès les premiers instants de cette séquence, l’incarnation possible de leurs conceptions morales. En effet, le rôle de l’enseignant n’est pas seulement de permettre aux élèves d’habiter le monde mais de le rendre plus habitable. En ce sens, cette série de cours vise à forger la personnalité critique des élèves, celle-ci étant conçue dans sa dimension pratique et non seulement épistémique. Dans une même perspective, en amont de cette séquence nous gagnons à aborder avec eux le problème du devoir de véracité à travers le débat E. Kant / B. Constant, et à réfléchir à une analogie possible avec le frottement entre devoir de véracité et devoir d’humanité[11]. Dans le contexte de notre mise en situation, devons-nous alors envisager, un « principe intermédiaire » pour pouvoir appliquer le devoir d’obéissance ? [12] Et quelle serait précisément la position kantienne, qui ne saurait être réduite de façon caricaturale à l’obéissance inconditionnelle et qui ne nous plongerait donc pas nécessairement dans un monde invivable ?

Mises en garde et précisions

Si leur obéissance unanime, dès le départ, est surprenante, il est encore plus étonnant de constater qu’aucun d’eux, après le cours, n’a jamais trahi la mise en scène auprès de ses camarades (à partir d’une simple demande à la façon de celle qui conclut le film Les Diaboliques de H.-G. Clouzot). L’acceptation de cette demande (légitime cette fois) rend heureusement possible la reproduction de la séance dans les autres classes et montre au moins l’importance qu’ils lui accordent, sinon leur loyauté[13]. Par ailleurs, cette séquence, mise en place d’année en année, n’a jamais posé le moindre problème vis-à vis des élèves, ni de leurs parents, ni hiérarchique. Elle crée au contraire un plaisir intellectuel des élèves et une dynamique de classe très positive, particulièrement avec les groupes habituellement les plus tendus. Pour autant, les contours de cette mise en situation doivent être précisés. En effet, plusieurs mauvaises interprétations de collègues, parfois diamétralement opposées, ainsi que la révélation de multiples mises en situation de soumission dans le milieu scolaire, semble-t-il d’un autre ordre et discutables elles aussi (s’il est permis d’en juger sur la base de présentations très brèves), conduisent à devoir préciser la démarche aussi bien face à l’enthousiasme que face aux critiques négatives (rationnelles).

Il convient tout d’abord de réfléchir aux motivations de la mise en place de dispositifs de soumission à l’école. Dans le nôtre, le professeur transmet des directives et se présente comme « responsable ». Or, bien souvent, les élèves, comme ils l’expriment par écrit ou par oral, suivent les directives pour le professeur ou par loyauté. Ils protestent ouvertement contre l’aspect discriminatoire de la demande mais préfèrent ne pas mettre l’enseignant dans une position délicate et le protéger. N’oublions pas que le rapport enseignant / élèves instaure aussi des relations affectives fortes, positives ou négatives (et changeantes). Par ailleurs, les élèves saisissent spontanément que leur obéissance interroge un certain rapport à l’autorité. Mais où est l’autorité et quelle est-elle ? Rémy David attire notre attention sur l’étymologie du terme et surtout sur le lien causal entre obéissance et autorité [14] : selon le Littré, c’est le « pouvoir de se faire obéir », de commander, pouvoir qui peut être conféré par une institution (l’école ou la famille), par une fonction sociale (enseignant), une hiérarchie ou bien un droit positif. Mais elle ne se réduit pas au pouvoir puisque celui-ci peut s’exercer sans le droit. Si l’on se place du côté du professeur, le rapport à l’autorité doit nous amener à réfléchir sur les motivations, conscientes ou non, que peuvent révéler certains dispositifs. Placer les élèves dans la situation de soumission, c’est-à-dire d’obéissance inconditionnelle, n’est-ce pas aussi un moyen de tester notre autorité voire notre légitimité face à eux, voire face à l’Institution ? En effet, l’autorité en son sens classique c’est ce que l’on accorde à celui à qui nous reconnaissons une légitimité. Ainsi, dans l’Empire romain, le peuple a le pouvoir (potestas) et le Sénat donne autorité (auctoritas) à l’empereur en acceptant de lui obéir. Et, par ce geste, il lui donne aussi la responsabilité (auctoritas). De sorte que ce n’est pas l’autorité qui cause l’obéissance mais l’obéissance qui cause l’autorité. Il convient alors de réfléchir à l’idée de transfert de responsabilité ; et d’autre part de distinguer, comme le fait H. Arendt, l’autorité qui suppose l’obéissance en vertu de la reconnaissance, et l’autoritarisme qui passe par « la force et la violence » ou par la « persuasion » [15]. Pour l’institution ou pour le professeur, créer la situation d’obéissance peut alors être un moyen d’interroger sa légitimité. Où nous situons-nous exactement sous couvert de bonnes intentions lorsque nous mettons en scène l’obéissance dans nos cours ? [16]

D’autres mises en situations

Quelle position morale adopter en cours suite à la soumission du groupe classe, après la révélation de la mise en scène ? Un collègue affirmait : on n’a pas à faire la morale aux élèves ; condamner ce qu’ils viennent de faire c’est moraliser le cours, ce dont nous devons nous abstenir. Selon lui, il s’agirait seulement de leur demander : pourquoi faites-vous ce qu’en même temps vous condamnez ? Nous considérons au contraire que la neutralité commerciale, politique et religieuse n’implique pas la neutralité morale. Et l’enseignant, en tant que représentant de l’institution et de par sa position naturellement modélisante, doit, dans ce contexte, affirmer son attachement à des valeurs démocratiques.

Intéressons-nous maintenant au problème de la force émotionnelle de notre dispositif et notamment au rapport à des situations similaires que les élèves pourraient avoir vécues. Sont-elles vraiment similaires ? Il peut en effet y avoir des élèves ayant vécu des situations d’escalade d’engagements collectifs ou de placement dans l’état agentique. Si la situation est trop forte pour des élèves de terminale, alors à partir de quel âge deviendrait-elle acceptable ? Et qui se chargera de cette besogne ? Qui aidera les jeunes de 17-18 ans à sortir de l’emprise des « maîtres à penser » et... à agir ? Ainsi, pour reprendre le ton ironique de Kant [17], nous demandons : sont-ce leurs « tuteurs », ceux-là même qui veulent les protéger « par bonté » d’une situation gênante, voire du choc de la rencontre avec la réalité ? De plus, cette critique présuppose qu’ils ne vivent plus ou ne vivront pas de telles situations dont ils auraient à s’extirper, ce qui n’est pas vrai pour beaucoup. Nous n’avons pas la naïveté de croire qu’aucun d’entre eux ne se livrera jamais à des activités qu’il réprouvera pourtant. S’agit-il alors de se défausser et de les renvoyer simplement à leur responsabilité ? Pour ne prendre que deux exemples parlants, n’oublions pas qu’une partie de nos élèves se livrera bientôt à des rituels d’intégration (qui ne s’appellent plus bizutages mais qui peuvent encore dégénérer) dans le cadre de leurs études, ou qu’ils intègreront l’armée française, dont le Code de la défense autorise à ne « pas exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal » mais qui ne dit rien de l’attitude à adopter face à leur éventuelle illégitimité manifeste. L’urgence est là et l’enjeu éducatif est de taille avec à l’horizon, au-delà des situations particulières sur lesquelles se penche régulièrement notre Justice, un retour de la barbarie à grande échelle, qui reste toujours une possibilité, sans avoir besoin d’être collapsologue. Selon nous, il est donc utile d’apprendre aux élèves à identifier les dispositifs d’obéissance et à leur faire face, afin que certaines situations ne se reproduisent pas sous de nouveaux jours. Nous avons notre part de responsabilité en participant à la construction de leur « personnalité démocratique »[18], et en contribuant à leur émancipation. S’il faut qu’ils deviennent critiques alors nous ne pouvons pas nous limiter à développer la dimension épistémique de leur être critique et nous contenter d’une posture de neutralité morale à travers l’E.M.I. (Education aux Médias et à l’Information), le dévoilement des complotismes ou encore des pseudo-sciences. Rappelons que l’univers familial, associatif, voire sociétal dans le pire des cas, risque fort de leur faire vivre des expériences de soumission. L’univers du travail le fera probablement. C’est ce qu’illustrent de nombreux films, tels celui de Per Fly, Trahison d’État ou très récemment celui de S. Brizé Un autre monde, qui montre des situations devenues courantes dans l’univers des entreprises cotées en bourse et où la rhétorique permet de s’appuyer sur une inversion des valeurs : « le courage [proclame un dirigeant au service exclusif des actionnaires] c’est de faire des choses qu’on n’a pas envie de faire », en l’occurrence licencier 10 % du personnel d’une entreprise qui fait des bénéfices (alors que dans ce contexte le courage consisterait plutôt à oser s’opposer à des directives injustes). Ces films montrent à la fois la série des engagements individuels et la transformation des « collaborateurs » en agents d’exécution, souvent dans un cadre général de morcellement des tâches [19]. L’histoire de l’humanité, quant à elle, fourmille d’illustrations de ces mêmes processus, les génocides en représentant le cas extrême.

Heureusement, l’institution permet, en son sein, la mise en place de dispositifs pédagogiques qui offrent à ces jeunes ce type d’expérience en même temps que le retour affectif et réflexif que permet un cours de philosophie cadré. Seulement la possibilité de cette soumission, en utilisant les leviers institutionnels et pédagogiques,et de la transformation des élèves, sans menace ni contrainte, en « de simples exécutants » [20] ne peut pas être glissée sous le tapis. Ni aux yeux de l’Institution, ni à ceux des élèves. Voulons-nous alors continuer à les conforter dans leur naïveté enfantine sous prétexte de les protéger, en maintenant coûte que coûte une « bonne distance » entre eux et la réalité du mal ? Assumons-nous de les laisser découvrir par eux-mêmes leur incapacité à sortir de l’emprise de ceux qui en font ou en feront des agents d’exécution de leur volonté ? Comme le faisait remarquer une collègue ayant assisté à une de nos animations sur ce sujet : « l'expérience est possiblement désagréable, mais l'est-elle surtout pour nous qui en mesurons toute la portée ou pour les élèves ? Et, si elle l'est pour certains élèves, cela suffit-il à justifier de ne plus la faire ? Il est sans doute bien plus désagréable de découvrir directement en situation réelle que l'on n'a pas su dire non » [21]. Il est selon nous de la responsabilité non seulement des parents et des enseignants, mais aussi de l’Institution en général, de leur apprendre à « marcher tout seul » [22], maintenant qu’ils vont quitter le système scolaire et que nous ne serons plus là demain pour leur donner la main. En terminale l’heure a donc sonné de commencer à enlever certains filtres. Au contraire, E. Chirouter semblerait vouloir filtrer la réalité jusqu’au bout à travers la réaffirmation de son idée, par ailleurs pertinente pour le monde de l’enfance, des « paravents du personnage » de littérature qui mettent à « bonne distance » l’enfant face à la cruauté de la réalité [23]. Mais qu’on nous dise alors où est le bout et que l’on précise les limites de l’adjectif « bonne ».

D’ailleurs, pourquoi condamner d’un côté avec les plus grands ce qu’on encourage avec les petits ? En effet, que faisons-nous lorsque nous lisons à nos enfants Les trois petits cochons ? Dans de nombreuses versions, les deux premiers cochons se font bien dévorer et lorsque nous surjouons le loup avec nos propres petits enfants, les voyons-nous rire ou même sourire ? Ils tremblent par identification et vivent des situations de tensions très fortes. C’est pourquoi nous prenons soin d’accompagner l’enfant jusqu’à la fin de l’histoire et qu’après avoir éteint la lumière nous lui tenons encore la main quelques instants. N’est-ce pas alors ce que la séance propose : après la mise en situation, la tension redescend avec la révélation de la supercherie, les élèves sont écoutés, accompagnés, interrogés et guidés jusqu’à, et au-delà de, la sortie de crise. Si la lecture fait vivre des situations terribles (abandon, abus, humiliation, disparition d’un proche et autres périls), devons-nous alors arrêter de lire les contes pour enfants ? Ceux-ci mettent systématiquement en scène ce que Marcel Conche appelait « le mal absolu » c’est-à-dire, en référence à Thomas d’Aquin, « injustifiable de quelque point de vue qu’on se place » : le mal fait aux enfants.

Face à cette tentative de justification du dispositif (en off de la communication), E. Chirouter faisait délicatement remarquer, en réponse, que cet argument du conte se retournait contre lui-même : oui avec la lecture des contes les petits enfants vivent des choses terribles ; oui certains peut-être les revivent en mémoire ; oui ils s’identifient à celui qui est en danger, à celui qui souffre ou qui meurt. Mais précisément, ils s’identifient. Et qui dit identification affirme la non identité. Et donc la distanciation. Or le processus d’identification protège, tout en ayant son efficacité. Ce qui est effectivement convaincant.

Mais alors la critique chirouterienne ne tombe-t-elle pas aussi sur ce qui se fait depuis longtemps par ailleurs : d’un côté le cours d’histoire, de l’autre les exercices d’alertes intrusion ? On peut en effet s’interroger sur la bonne distance, lors de ces alertes intrusion qui placent le danger potentiel au cœur d’un lieu censé être maintenu symboliquement sécure pour les petits, et avec une efficacité douteuse[24] mais des chocs bien réels. Quant aux cours d’histoire, ce sont bien des voyages dans le passé illustrés d’images d’archive auxquels ils sont douloureusement confrontés quand on leur expose le pire, afin de les faire pénétrer au cœur des situations réelles. Le passé appartient bien à la réalité, celle-là même qu’on aimerait parfois pouvoir mettre définitivement à distance. La détermination de la bonne distance ne va donc pas de soi. Reconnaissons qu’il nous faut toujours peser et comparer les bénéfices et les risques de certains dispositifs.

Ce qui touche les élèves

Concernant les risques, gardons à l’esprit que nous sommes souvent en classe de philosophie face à des sujets en tension, dans les deux sens du mot sujet. C’est pourquoi l’appel explicite ou implicite à leur vécu personnel exige des précautions. Celles-ci doivent être au moins oratoires. Elles s’imposent d’une part pour ne pas exacerber ces tensions et d’autre part pour ne pas nous leurrer sur ce qui touche les élèves. On peut en effet s’interroger sur la façon dont nous nous adressons aux élèves pour qu’ils se sentent concernés par la philosophie. Ils peuvent l’être par le cours sans l’être par la philosophie. Entre autres exemples, un certain usage des pronoms vous, vos ou votre (dans des phrases comme « vous le constatez quand vous … », « c’est ce que dans votre famille... », « vous, les jeunes ... ») peut susciter des réactions qui nous donnent l’illusion que les élèves se sentent concernés par le discours philosophique que nous déployons alors qu’ils ne sont que touchés par de vagues allusions renvoyant à un vécu très problématique pour celui qui a « été élevé dans les complications familiales » [25]. C’est l’une des raisons qui expliquent que certains professeurs de philosophie font le choix de bannir l’utilisation des exemples en classe, au risque de rester dans l’abstraction désincarnée. En effet, quand nous les invitons à se projeter, avec une référence directe au vécu personnel, nous ne savons jamais ce que notre discours éveille, ni chez qui, et donc aucun retour n’est possible, les élèves étant livrés à leur trouble potentiel (ce que certains élèves expriment explicitement à la fin du cours ou bien lors de consultations psychologiques). Nos paroles touchent les élèves, particulièrement en philosophie, elles les saisissent d’une manière que nous ne maîtrisons pas toujours. Moins il y a de maîtrise et plus il y a de risque de les heurter avec un sujet pour nous mystérieux et à faire intrusion dans leur intimité de façon potentiellement négative.

Certes, le professeur de philosophie doit permettre à ses élèves de faire face à certaines réalités qu’ils seront tôt ou tard amenés à rencontrer, s’ils ont eu jusqu’ici la chance d’y échapper. Et ils y feront face assez tôt puisqu’ils arrivent au terme du système scolaire, à ce moment charnière vers la majorité légale, vers le monde des adultes et du travail. Mais il convient aussi d’offrir à ces jeunes ce que Freud appelle des « pare-excitations » [26] pour les protéger d’émotions incontrôlées. Ainsi, pour reprendre notre exemple initial, l’utilisation d’une forme linguistique plus neutre (comme « certaines personnes... », « Au sein des familles, il arrive que... », « nous constatons chez de jeunes adultes... », etc.) suffit parfois à mettre une bonne distance entre le discours et l’intimité psychique des élèves. Le langage du professeur doit jouer ce rôle de filtre car la diversité des sujets (science, pseudo-science, magie, superstition, etc. ; le bonheur et son lien au désir ; la religion et son lien à la mort et aux traditions familiales ; l’idée d’inconscient individuel ; etc.) conduit très facilement à les ébranler personnellement. Et que cela les touche personnellement ne veut pas dire que cela éveille un intérêt philosophique et encore moins qu’ils vont s’engager dans une réflexion et l’élaboration d’un discours philosophique.

Une séquence qui touche et élève

Pourquoi alors une mise en situation du type de celle que nous proposons, bien que très forte et « impliquante », ne tombe pas sous le coup de cette critique ? Ce n’est pas une histoire de durée, même si la limite de 10 minutes est importante dans la mesure où elle permet toujours un retour (à moins d’une brutale alerte incendie). Cela est plutôt dû au fait :

  • que tous partagent la même expérience qui renvoie à l’ici et maintenant

  • que l’élève est ramené au collectif dans une double dimension : celle de son groupe de quatre élèves qui cochent le même document et celle du groupe classe

  • qu’un retour affectif et déculpabilisant a lieu (il s’agit d’expliquer quelque chose de normal dans le sens d’habituel et même d’attendu et d’une obéissance à 100%)

  • et enfin, qu’une réflexion critique individuelle puis collective (souvent double, avec deux débats selon la méthode de l’aquarium) ainsi qu’une réflexion philosophique appuyée aussi sur l’histoire, la psychologie sociale et sur le cinéma (qui donne lieu à un travail d’analyse) ont lieu.

De sorte que notre mise en situation élève très rapidement les élèves à l’abstraction, tout en évitant qu’elle soit désincarnée. Si le professeur de philosophie n’est pas habilité à gérer des états psychiques complexes et qui plus est inconnus, il doit en revanche inscrire son cours dans un projet construit, réfléchir aux motivations et aux limites de ses mises en scène, cadrer précisément les modalités de travail (par exemple de débat), maîtriser les problématiques et les concepts abordés, etc. ; ceci en particulier avec l’utilisation délicate de certains dispositifs, comme celui que nous proposons.

Découverte de situations pédagogiques d’une autre nature

Au contraire, suite à la présentation de la séquence, les échanges formels et informels avec les collègues, souvent plein d’enthousiasme, révèlent que de nombreux dispositifs pédagogiques sont mis en place sans de telles précautions ou dans un cadre d’une nature apparemment très différente, sans qu’on en ait forcément conscience. Parmi eux, nous en relevons trois qui nous semblent caractéristiques :

  • Des petits d’âge maternelle sont amenés progressivement à obéir à des demandes au départ neutres voire amusantes mais menant à des situations embarrassantes. Très rapidement on leur demande de mettre les doigts dans leur nez puis dans celui du voisin. Il suffit de rappeler ici que tout ce qui concerne la pénétration d’orifices est par avance au minimum très douteux.

  • Le professeur fait intrusion dans l’intimité des élèves soit en leur faisant remplir un « questionnaire intrusif », soit (selon un autre collègue) en procédant à main levée. À chaque fois les enseignants affirment avoir renoncé à ce type de pratique pour les raisons que nous avons évoquées. En particulier : l’élève est renvoyé à lui-même sans retour possible ; tous les élèves ne partagent pas la même expérience du simple fait qu’ils ne se sont pas tous comportés de la même manière.

  • Un élève ou un groupe d’élèves complices sont humiliés face au groupe classe. Précision que la place de témoin dans la relation triangulaire acteur - victime – témoin est aussi celle d’une deuxième victime. De plus, ici les élèves-témoins ne se contentent pas d’imaginer les conséquences d’un acte illégitime (comme l’exclusion dans notre séance), ils vivent en direct l’humiliation, sans aucun filtre et dans des positions différentes selon les élèves.

  • Le professeur agit de façon manifestement excessive et injuste avec la complicité d’un élève (exclu, collé ou puni par une note). Ce cas rappelle le précédant : une minorité subit une violence face à une autorité et face au groupe. Tous ne vivent donc pas la même chose au même moment.

Concernant encore la brutalité pédagogique que peuvent subir les élèves, on comprendra cette autre inquiétude exprimée par un parent-auditeur, en tant que parent, lors d’un autre échange informel. Ce qui semble l’avoir perturbé, à l’idée que son enfant aurait pu participer à notre mise en scène pédagogique, ce n’est pas qu’il aurait subi un traumatisme en étant amené à faire des choses qu’il condamnait pourtant ; c’est plutôt que son fils, dans cette situation, aurait été renvoyé à la faiblesse de sa nature obéissante, comme humilié de n’avoir été qu’un homme ordinaire. Reconnaissons qu’il y a quelque chose de troublant à ne voir qu’un homme à travers les yeux d’un parent pour qui son enfant est toujours plus qu’un homme. Mais dans ce cas, quel que soit le moment, à 18 ou à 40 ans, n’est-il pas toujours trop tôt pour une prise de conscience ? Car, même devenu adulte, chacun d’entre nous reste toujours un enfant pour ses parents et, à ce titre, comme l’ombre de dieu. N’est-ce pas alors précisément le rôle de l’enseignant, grâce à la bonne distance affective que sa fonction autorise, de révéler à ses élèves des choses que leurs parents n’accepteraient pas de reconnaitre et de mettre en lumière, au risque de voir s’effacer cette ombre ?

L’important est de choisir le bon dispositif, celui qui ne présentera ni les exagérations ni les défauts mis en évidence. Tout dispositif pédagogique, en tant que dispositif, va capturer, orienter, modeler, contrôler, les conduites et les discours des élèves [27]. Le bon dispositif devra donc s’efforcer de fuir « l’excès et le défaut » et d’être dans « la juste moyenne » [28]. « L’excès » renvoie aussi bien à trop de maîtrise, de contrôle (et donc à la contrainte) qu’à trop de passionnel, trop d’émotions personnelles qui échappent à la maîtrise de l’élève aussi bien que du professeur ; et le « défaut » renvoie d’une part au manque d’implication personnelle de l’élève qui se tiendra trop à distance pour ressentir le besoin de s’investir dans la réflexion philosophique ; et d’autre part à l’absence de retour sur les affects créés par la situation, voire pire : à l’absence de maîtrise du groupe, comme le montre le récit de Todd Strasser dans La vague.

Nous ne prétendons pas qu’un cours de philosophie doit systématiquement renvoyer à une expérience. Et nous considérons même que le cours magistral, très formateur, doit perdurer. Simplement, quand nous nous appuyons sur le vécu des élèves, le discours ne doit comporter « ni exagération ni défaut » et le dispositif doit être conforme à la « sage moyenne ». C’est « l’exactitude et l’efficacité » qui doivent être visées : exactitude quand nous savons précisément ce sur quoi nous travaillons tous ensemble (à partir de la même situation) et efficacité quand tous s’investissent dans la réflexion. En ce sens nous pouvons parler de la vertu du cours de philosophie, qui se tiendra dans « la juste moyenne entre deux extrémités fâcheuses, l’une par excès, l’autre par défaut. » [29]

Que faire avant la terminale ?

Nous admettons que beaucoup de choses différentes se font, dès la maternelle, et pas seulement dans les Ecoles d’application dignes de ce nom. Mais pas toujours. Et la facilité du placement des élèves dans l’état agentique, après 15 ans de familiarité scolaire, ne nous semble pas tant relever d’une faiblesse de la nature humaine que d’un défaut d’éducation de la personnalité critique dans sa dimension pratique. Notre mise en situation en terminale révèle depuis cinq ans que l’on peut exhorter à exécuter un acte jugé illégitime avec une grande efficacité et, qu’à l’inverse, l’exhortation à être critique, à désobéir ou au moins à mettre en suspens son action face à de telles situations, est bien peu efficace. Que faire alors avant la terminale pour, dans l’idéal, ne pas avoir à faire ce que nous faisons en terminale ?

Il est bien sûr consensuel de dire qu’il faut avant tout raconter des histoires aux enfants et qu’il faut savoir en rester à l’implicite sans nécessairement entrer dans un retour réflexif avec eux. L’une des vertus de la fiction littéraire est de leur révéler des vérités autrement et parfois mieux que par le langage cru de la philosophie. Mais sur le sujet de la soumission, où se trouvent les œuvres qui permettent « de façon implicite et jamais moralisatrice, la possibilité d’une rencontre initiatique avec soi-même et avec les autres » [30] ? Sa majesté des mouches, La guerre des boutons ? Il serait utile de dresser un florilège d’œuvres littéraires accessibles aux plus jeunes. Quant à la philosophie pour la jeunesse nous trouvons des choses intéressantes [31].

Par ailleurs, concernant les petits d’âge primaire, rappelons qu’il existe des conseils de classe (nous ne parlons pas là de débat philo) qui sont des occasions en or, au sein de chaque classe, pour traiter ces situations de soumission, d’escalade d’engagement, individuel ou collectif, ou encore de l’existence de boucs émissaires qui ne manquent pas dans les cours de récréation, durant le « temps du midi », voire au sein de la classe. Evidemment la mise en place de ces conseils suppose que l’enseignant soit capable de se remettre en question sur tous les aspects de son enseignement. Car les enfants à qui on donne réellement la parole la prennent toujours, les problèmes ne manquent pas et surgissent parfois brutalement. Mais ils sont souvent facilement résolus, parfois du simple fait d’avoir été formulés. De la maternelle à la terminale, le cours n’est jamais un groupe de parole ni une thérapie de groupe, mais le professeur peut appréhender, organiser et tempérer les interactions sociales dans sa classe et, en ce qui concerne le professeur des écoles, dans la cour de récréation et dans les lieux de transition.

Notes
  1. Communication à l’Université de Liège, dans le cadre des 20èmes journées consacrées aux Nouvelles Pratiques philosophiques. ↩︎

  2. Expression que nous élaborons à partir de « personnalité démocratique » d’Adorno. Selon sa conception, « la personnalité est fondamentalement un potentiel ; c’est une disposition au comportement plus qu’un comportement en soi ; bien qu’elle consiste en des dispositions à se conduire d’une certaine manière, le comportement qui se produit dans la réalité dépendra toujours de la situation objective. » T. W. Adorno, Études sur la personnalité autoritaire, éd. Allia, pp 16-17. ↩︎

  3. L’article de Laurent Bègue-Shankland est éclairant à cet égard : « Soumission à l’autorité : l’obéissance n’est pas ce que Stanley Milgram croyait », The Conversation, 29/07/2021. ↩︎

  4. Bien entendu, nous avons tous à l’esprit qu’une communication n’est qu’une exposition, à sens unique, et que même si elle donne ensuite lieu à un échange avec la salle, celui-ci ne saurait constituer un débat. Heureusement, les belles rencontres post-com. permettent d’engager le débat. ↩︎

  5. G. Anders, Nous fils d’Eichmann, Rivages poche, p 63. ↩︎

  6. Comme je le précisais, un ou deux cas sur plus de 500 élèves pourraient donner lieu à discussion bien qu’ils aient obéi. ↩︎

  7. Op. cit., p 72 ↩︎

  8. Mais ils ont été informés qu’il s’agissait d’ « exclure des étudiants de bibliothèques publiques ». ↩︎

  9. O p. cit. p. 63. ↩︎

  10. Idée développée notamment par Iris Murdoch à propos de la valeur de l’existentialisme face aux « magnifiques palais » invivables que constituent, selon elle, les systèmes hégélien et kantien (La souveraineté du bien, L’éclat, p 63). ↩︎

  11. Cf. E. Kant, D’un prétendu droit de mentir par humanité et B. Constant, Des réactions politiques. ↩︎

  12. B. Constant, Des réactions politiques, chap. VIII, « Des principes ». ↩︎

  13. En gardant à l’esprit que, par ailleurs, certains élèves révèlent sans scrupules le sujet d’une évaluation qui sera donnée à leurs camarades des autres classes. ↩︎

  14. R. David, intervention dans le Séminaire « Le vocabulaire de l’éducation » du Collège international de Philosophie le 17 janvier 2012 sous le titre « Autorité, émancipation, norme ». Une version audio se trouve sur le site du CIPh : [http://www.ciph.org/fichiers_podcasts/Philo_Education/VOCABEDUC170112RemyDAVID.mp3] ↩︎

  15. « Puisque l’autorité requiert toujours l’obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition […]. S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par la force et à la persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune ni sur le pouvoir de celui qui commande ; ce qu’ils ont en commun c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée.) », H. Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? » dans La crise de la culture, Folio Essais, p. 123. ↩︎

  16. Le questionnement vaut également dans le contexte scientifique de la psychologie sociale. ↩︎

  17. Kant, Réponse à la question « qu’est-ce que les lumières ? ↩︎

  18. Adorno, Etudes sur la personnalité autoritaire, 1950. Les études qui s’inscrivent dans un projet de recherche sur la propagande nazie sont collectives ; la publication de 2017 (trad. H. Frappat) comporte uniquement des chapitres rédigés par Adorno. ↩︎

  19. G. Anders met en garde contre cette « division du travail » qui conduit à un dépassement de l’imagination du processus dans son ensemble : « Dès que nous sommes postés pour exécuter l’un des innombrables gestes particuliers dont se compose le processus de production, nous perdons non seulement tout intérêt pour le mécanisme dans son ensemble et pour ses effets ultimes, mais plus encore, nous nous trouvons privés également de la capacité de nous en faire une image. Quand nous avons passé un degré maximal de médiateté – et, dans le travail actuel, industriel, commercial et administratif, c’est la situation normale –, alors nous renonçons, non : nous ne savons même pas que nous renonçons, et qu’il serait de notre devoir de nous représenter ce que nous faisons. » Nous, fils d’Eichmann, 1964, 1ère lettre, éd. Rivages poche, p 52-53. ↩︎

  20. Expression utilisée par un cadre dans le dernier film de S. Brizé, pour dénoncer les licenciements de masse. ↩︎

  21. Merci à Adeline Barbin ↩︎

  22. Kant, Réponse à la question « qu’est-ce que les lumières ? ↩︎

  23. E. Chirouter, « Les lumières de la fiction : la littérature pour apprendre à philosopher », in Chirouter E. & Prince N. Philosophie (avec les enfants) et littérature (de jeunesse). Raison Publique, 2019, p. 33 - 42 ↩︎

  24. Nos écoles n'étant pas des blockhaus avec miradors, leur fermeture face à l'extérieur est une mesure inefficace et encore plus dangereuse : si la maison de paille ne résiste pas longtemps aux assauts du grand méchant loup, elle est en revanche une prison où le petit cochon serait dévoré tout cru s'il ne pouvait facilement s'en échapper. Quant aux éventuels plans de fuite, ils sont souvent rendus public dans les rapports de conseil d’école... ↩︎

  25. Pour reprendre la formule de Nietzsche dans Humain, trop humain, I, § 54. ↩︎

  26. Dans un contexte psychophysiologique, c’est l’organisme lui-même qui joue ce rôle, face à l’intensité des excitations extérieures (voir notamment Freud, Au-delà du principe de plaisir). Nous transposons ici cette idée aux interactions sociales. ↩︎

  27. « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l’articulation avec le pouvoir est en un sens évident, mais aussi le stylo, l’écriture, la littérature, la philosophie, l’agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables et, pourquoi pas, le langage lui-même [...] » G. Agemben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, éd. Payot et Rivages, 2014 (2006), p 31. ↩︎

  28. Aristote, Ethique à Nicomaque, Livre II, chap. VI. ↩︎

  29. Op. cit. II, VI, 15. ↩︎

  30. E. Chirouter, Op. cit. ↩︎

  31. V.. Gérard, Obéir ? Se révolter ?, coll. Chouette penser, éd. Gallimard, 2012 ; P.-F. Dupont-Beurier et B. Labbé, Obéissance / désobéissance, coll. Goûters philo, éd. Milan, 2021. ↩︎

Télécharger l'article