Revue

23e Rencontres autogérées sur les Nouvelles pratiques Philosophiques

23 juillet au 25 juillet 2021 - (Moulin du Chapitre - Tarn)

Compte rendu du séminaire d’été sur les NPP. Thème : métamorphose. Dispositifs et retour critiques sur : DVDP, café philo, consultation philosophique, rando philo, ciné philo

Compte rendu par les animateurs/trices de séance

Chaque année se tient un séminaire d’été sur les NPP, avec deux objectifs : approfondir une question philosophique et expérimenter de nouvelles pratiques philosophiques, en les faisant suivre d’une analyse critique sur le dispositif mobilisé. Le thème choisi cette année était « Métamorphose(s) ». Il a été mis au fur et à mesure des demi-journées en lien avec d’autres notions : l’identité, résister, dire et faire, le bougisme, normalité et pédagogie… Le principe est celui de la construction progressive d’une réflexion collective, en couplant le fil conducteur avec les notions ci-dessus.

Les dispositifs de nouvelles pratiques philosophiques étaient : un café philo sous forme de DVDP (Discussion à visées Démocratique et Philosophique), la consultation philosophique, une rando philo, un ciné philo et un dispositif-surprise…

Atelier identité et métamorphose (Michel Tozzi, René Guichardan)

But général de l’atelier :  poser les bases d’une réflexion sur la notion de métamorphose et la mettre en lien avec l’identité.

Projet « philosophique » : établir des rapports entre une approche phénoménologique et une approche conceptuelle. Autrement dit : comment ce qui apparait à soi est reconnu, transformé ou altéré par le concept ou, à l’inverse, comment l’appropriation d’un concept peut permettre une appropriation de soi ?

Un atelier en 3 étapes

Etape 1. 14h30 -15h15 (45mn) : échange en petit groupe sur le thème : penser l’identité, vivre la métamorphose.

Etape 2. 15h15 – 16h00 : apport de connaissance + lien avec des productions des échange sur des post-it des petits groupes.

Etape 3. 16h15 - 17h15 : DVDP sur « Quand je change, je reste ou non moi-même ? »

Tâches demandées pour la phase 1. En petit groupe de 3 personnes, répondre aux questions ci-dessous

Question 1 : en quoi pensez-vous que la question de la métamorphose est perturbatrice du sentiment d’identité ?

Question 2 : quelle place prend autrui dans votre rapport à l’identité (ce que vous estimez être « vous-même ») ? Quelle place prend-il dans la question de la métamorphose ?

Question 3 : cette métamorphose, supposons qu’elle ait lieu, vers quoi doit-elle /peut-elle vous conduire ?
Ps : une définition de base de l’identité et de la métamorphose est proposée aux participants (voir en annexe).

Consignes : Chacun rédige pour lui-même en une ou deux phrases une réponse pour chacune des questions.

Interaction : Échangez entre vous les pensées / questions que vous suggèrent les réponses de vos partenaires.

En fin d’atelier, répondez pour vous-même à la question : Avez-vous le sentiment que votre interlocuteur vous a compris ? Avez-vous le sentiment que vous avez été suffisamment clair pour vous faire comprendre de vos interlocuteurs ?

Partage : Affichez vos réponses sur le tableau vers 15h10 de sorte à permettre aux autres participants de les lire.

Rôles et sujet pour la DVDP


Sujet proposé par le responsable :
Quand je change, est-ce que je reste ou non moi-même ?

Trois fonctions demandées par le responsable d’atelier pour encadrer les échanges :
1° Fonction de « président » : il distribue la parole dans l’ordre des demandes avec une priorité pour les moins disant.

2° Fonction de « reformulateur/trice » : sur demande du responsable d’atelier, il/elle tente de reformuler une intervention, voire une problématique (articuler deux interventions en désaccord),
3° Chargé de prise de notes. Il note quelques idées essentielles, des enjeux qui se font jour dans le cours du débat.

Retour critique

Le partage en petit groupe permet d’aborder l’échange sur un plan personnel, ce qui est apprécié. Mais le temps a été jugé trop court pour l’ensemble des questions à traiter. Remarquons qu’il s’agit là d’une impression récurrente des participants : le temps des échanges en petits groupes paraît toujours trop court.

La phase intermédiaire, celle des retours après les échanges en petit groupe, a peut-être manqué de pertinence. Il y a eu une difficulté à établir des liens à chaud entre la production écrite des participants sur des post-it (voir pièce jointe) et les connaissances apportées sur la métamorphose et l’identité.

Remédiation : inviter les petits groupes, via un porteur de parole à rapporter quelques idées essentielles par rapport aux questions traitées, puis rechercher les liens qui peuvent être établis avec les connaissances, les apports théoriques.

La gestion des fonctions et l’arbitrage du responsable de la DVDP. A quel moment solliciter le reformulateur/trice ? Deux situations : quand une intervention est difficile à comprendre en raison de la maladresse de sa formulation et quand la complexité de l’argument demande à être clarifié. La question se pose en fonction du focus du responsable. Ce dernier peut porter sur l’apprentissage du reformulateur ou celui de l’énonciateur de l’argument (pour lui permettre d’entendre sa propre pensée différemment formulée). Le focus peut viser également la clarté du débat, il s’agit de mettre en évidence le fil argumentatif qui se tisse. On voit ici la fonction de facilitateur du responsable d’animation et, ponctuellement, celle d’accoucheur de la pensée du participant ou de celle d’une pensée collective en train de se faire.

Annexe Définitions proposées

L’identité : « En un sens restreint, l’identité personnelle concerne le « sentiment d’identité » (idem, mêmeté), c’est-à-dire le fait que l’individu se perçoit le même, reste le même dans le temps. En un sens plus large, on peut l’assimiler au « système de sentiments et de représentations » par lequel le sujet se singularise (ipséité selon P. Ricoeur). Mon identité, c’est donc ce qui me rend semblable à moi-même et différent des autres ; c’est ce par quoi je me sens exister aussi bien en mes personnages (propriétés, fonctions et rôles sociaux) qu’en mes actes de personne (significations, valeurs, orientations). Mon identité, c’est ce par quoi je me définis et me connais, ce par quoi je me sens accepté et reconnu comme tel par autrui. » (Universalis).

Texte d’introduction sur la métamorphose (Michel Tozzi)

Étymologie : (1493) du grec ancien metamórphōsis (« transformation »), de μετά, metá (« après ») et de μορφή, morphḗ (« forme ») : je traduirai pour ma part « La forme d’après ». Le terme de métamorphose a été sans doute créé par Ovide lui-même (le mot apparaît pour la première fois dans son ouvrage). Avant lui, on utilisait le terme de transformation mais non de métamorphose.

Synonymes: avatar, évolution, changement, conversion, incarnation, modification, mue, mutation, rénovation, revirement, transfiguration, transformation, transmigration

Définition : changement de forme, de nature ou de structure telle que l’objet, la chose n’est plus reconnaissable. Ex. : la métamorphose d’un homme en animal. Ce changement est donc significatif, il bouleverse, rebat les cartes, et lorsqu’il est humain doit être pensé et accompagné.

  • Ce peut être un changement brusque, de l’ordre de la rupture (Ex. : une mutation du corona virus donne un variant. A zéro puis cent degrés, la glace devient eau puis vapeur. La baguette magique de la fée peut tout transformer : le carrosse devient citrouille ; Alice rapetisse et grandit avec un champignon ; l’hostie devient corps du Christ dans la transsubstantiation). Ce changement peut survenir dans un organisme (Ex. : la chenille se transforme en papillon), ou dans la société (révolutions politiques).

  • Ce peut être aussi une transformation lente, progressive et profonde de la nature (la fonte des glaciers), d’une personne (ex. l’adolescence, avec changement de la voix, les poils, les muscles, les règles, les seins, les hormones) ou d’un collectif (un changement des mentalités vis-à-vis de la peine de mort, de l’avortement, de la pédophilie ou de l’homosexualité). Le brusque et le lent dépendent d’ailleurs de l’échelle considérée : de l’instant au temps géologique (la matière organique se métamorphose en pétrole au bout de millions d’années !)

Les exemples pullulent dans les mythologies et les religions. En tant que dieu des dieux, Zeus est le maître des métamorphoses: il devient par exemple taureau pour approcher Europe. Tirésias, femme, devient homme, Narcisse homme, devient fleur. Voir l’Odyssée d’Homère, Les métamorphoses d’Ovide, l’Enéide de Virgile, les Fables d’Hygin. La métempsychose est la migration des âmes après la mort chez Platon. Dans le christianisme Jésus transforme l’eau en vin, les corps ressuscitent. La métamorphose de Kafka transforme un homme en cafard : c’est l’allégorie d’une révolte individuelle contre une certaine société, le refus de mener une existence dépourvue de sens, et ce notamment à un niveau professionnel. …

L’imaginaire de la métamorphose recouvre tous les aspects de la connaissance symbolique : les mythologies, les récits sacrés, les cultes à mystères, les contes et légendes, les folklores, les rêves, les fantasmes, les inventions littéraires, etc. La métamorphose est la voie privilégiée des théophanies. Les dieux ou déesses se métamorphosent et métamorphosent les êtres mortels sous toutes les formes possibles. Mais ce n’est pas un privilège exclusif du monde divin. Certains humains manifestent le même pouvoir : sorciers et sorcières, magiciennes, enchanteurs, devins, saints… C’est également le pouvoir que possèdent les entités qui circulent entre le monde humain et divin : fées, génies, démons, anges, sylphes, elfes, farfadets, ondines, dragons, femmes-serpents… Dans ces trois cas, la métamorphose se révèle être le type privilégié de transformation qui joue dans l’intermonde reliant l’humain au divin.

Les métamorphoses relèvent de trois grands types : il y a celles qui expliquent l’avènement du monde et ce qui le compose : les astres (la Grande Ourse), les fleurs (jonquilles, cyprès et narcisse), et les insectes (Arachné devenue araignée) ; il y a celles qui relèvent du jeu et de la ruse, ce sont les déguisements d’Ulysse (en mouton) ou de Zeus (en taureau afin d’approcher la princesse Europe) ; enfin, il y a toutes les métamorphoses qui engagent un changement profond : changement d’espèces (homme/animal/végétal), d’apparence (Gygès et son anneau qui le rend invisible et mauvais), ou de genre (Tirésias, femme puis homme et Hermaphrodite)…

Il y a dans la métamorphose un changement à son insu (destin) ou de plein gré (ex. du choix de changer de sexe pour un transgenre), de la temporalité chronologique (il y a un avant et un après), une modification substantielle (le déguisement est à cet égard une métamorphose artificielle, superficielle et ponctuelle).

Nous aborderons parmi d’autres trois dimensions essentielles de la métamorphose.

La question de l’identité

La métamorphose vient introduire de l’autre dans le même, du changement voire de la rupture dans la continuité. Elle interroge donc sur l’identité de l’individu, sa stabilité et son historicité, son articulation entre mêmeté et altérité, changement et continuité, unité et diversité : si je change, suis-je toujours le même ? Différent, ressemblant ou identique ?

Le bateau de Thésée auquel depuis 1000 ans on a progressivement changé toutes les planches mais qui a gardé sa même forme (donc on le reconnait…) est-il le même ou un autre, à travers sa métamorphose ? Avec La bête et la belle, la bête est devenue telle par punition. Mais ce qui change, au final, c’est moins son corps que son âme. Redevenu homme, est-il devenu lui-même ou s’est-il transformé ?

En quoi l’identité est-elle en jeu dans une métamorphose ? Dans et par celle-ci, qui étais-je ? Qui/que suis-je devenu ? Que vais-je devenir ? Qu’est-ce qui de soi se transforme, du corps et/ou de l’âme ? La métamorphose fait-elle changer en un autre ou fait-elle advenir celui que nous avions à être, devions être ? Devenir soi-même ou un autre ? D’autres versions de soi-même ? Ou « Soi-même comme un autre » (Ricoeur) ? Au niveau éthique, meilleur ou pire ? Au niveau esthétique, plus beau ou plus laid ? La métamorphose, est-ce un potentiel « en puissance » (Aristote) qui ne fait que s’actualiser ? Ou de l’inédit qui survient, une « émergence » (Cf. Varela ou Morin), par passage qualitatif du moins complexe ou plus complexe qui fait changer de niveau ou/et d’état ? Que faire de ce que la métamorphose m’a fait ? L’assumer comme un choix ou la subir comme un destin ?  S’adapter au monde ou le plier à nos désirs ? Cela concerne l’identité individuelle, mais aussi bien l’identité collective, ou l’identité générique (celle de l’espèce humaine).

La métamorphose comme puissance humaine et individuelle de se créer

L’effort philosophique de Giordano Bruno consiste à définir une puissance de transformation propre à la nature humaine, qui souligne son appartenance à l’infini cosmique. Le philosophe-mage acquiert ainsi le statut de “maître” de la métamorphose, en raison de sa capacité à transformer en permanence sa puissance d’agir et de penser.

Il y a un thème récurrent et commun à Pic de la Mirandole, Montaigne et Nietzsche, celui de la puissance de la métamorphose comme marque distinctive et privilège de l’humain.

  • Jean Pic de la Mirandole, parmi les premiers, a interprété la capacité de métamorphose, « de devenir tout ce que nous voulons être ». Pour lui, l’homme est le seul être qui n’a reçu aucun propre et qui, contrairement aux autres créatures, doit conquérir par lui-même sa propre forme. Il est à la fois la matière à sculpter et le sculpteur de cette matière. L’homme, sous l’angle de la métamorphose, est supérieur non seulement aux anges, condamnés à rester anges pour l’Éternité, mais à Dieu lui-même, limité par sa perfection et incapable de tout devenir

  • Montaigne décrit de son côté la vie humaine comme vivacité et agilité. Il faut s’accoutumer non pas à telle forme particulière de vie, mais à faire varier les formes ; s’habituer non seulement à telle forme d’activité, mais aussi au changement d’activité, c’est-à-dire à la variation. Il préconise l’« accoutumance » à changer d’habitudes, afin d’éviter la fixité qui exténue la vie. Montaigne fonde cette puissance de métamorphose sur la possession d’une certaine forme de « santé » Cette santé consiste dans la capacité d’intégrer le mal, la souffrance, la maladie, par une attitude qui permet encore à la vie de se continuer dans l’aisance et la souplesse. Car ce qui exténue la vie, ce n’est pas tant la maladie que la fixité, l’incapacité de s’adapter aux circonstances, de changer de forme.

  • Quant à Nietzsche, « L’homme dionysien sait revêtir toutes les enveloppes, toutes les émotions : il se transforme sans cesse » (Le Crépuscule des idoles). La métamorphose est entendue comme recréation incessante de soi, car il est un animal indéterminé, dont le caractère propre ne s’est pas encore fixé. Cette labilité et plasticité foncière de l’humain renvoie à la métaphore du sculpteur ou de l’artiste. En l’homme, la créature et le créateur s’unissent. Seul l’homme peut remodeler, aménager sans cesse cette glaise qui lui a été impartie, tout en demeurant homme, tandis que Dieu, qualifié à maintes reprises d’« immuable » par Nietzsche, est condamné à rester le même. Nietzsche ne valorise aucune forme particulière de vie. La « grande santé » est la puissance d’explorer et d’acquérir de nouvelles formes de vie, d’être protéiforme. Il faut contracter de nouvelles habitudes, sans jamais se laisser enfermer par aucune d’elles, exclure toute fixation sur un contenu particulier de vie. Les épreuves sont l’occasion d’affirmer sa souplesse et sa puissance de métamorphose. Il prône l’autocréation exubérante et joyeuse dans la variété et dans la profusion des formes. La vie consiste, pour nous, à transformer sans cesse tout ce que nous sommes en clarté et en flamme.

D’où l’exaltation de l’imagination comme puissance de métamorphose : c’est la puissance de l’âme qui met en cause la promotion d’un idéal ou d’une norme unique de vie humaine, une transfiguration du donné et de soi-même. L’écriture est aussi une mise en forme et un enfantement de soi-même. Pour Nietzsche comme pour Montaigne, la difficulté est de parvenir à mettre en forme, à figurer les états du moi (pensées, sentiments), sans dénaturer ce qu’ils contiennent encore de mouvant, d’instable.

La métamorphose comme mode de transformation sociétal

La métamorphose implique une rupture, plus ou moins forte, plus ou moins rapide : la réforme versus la révolution. Cette rupture pose la question de la place de la continuité dans le changement et du projet (la tabula rasa de Mao, versus le retour aux sources de la Réforme protestante). Le transhumanisme, plus encore le post­humanisme posent la question : qui voulons-nous être ou devenir comme espèce : une autre espèce ?

On pourrait dire que l’histoire humaine est scandée par une suite de métamorphoses (ex. : formation des sociétés historiques, ou de la société-monde), de disparitions et d’apparitions de civilisations, de mutations technologiques, économiques, sociales, culturelles, de révolutions politiques, de guerres et d’épidémies aux conséquences décisives. Exemple : quand on coupe en France la tête au roi, quand règnent Staline ou Hitler etc., il y a un avant et un après. Hegel a théorisé ces soubresauts de l’histoire, ces accouchements et ces disparitions.

Mais ce n’est pas seulement pour le passé que l’on peut parler de métamorphose. On peut aussi la penser pour le futur : c’est le cas des utopies.

Prenons l’exemple contemporain d’Edgar Morin, qui fait L’éloge de la métamorphose (Voir son article dans Le Monde, 9-01-2010) : « L’idée de métamorphose, plus riche que l’idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, de l’héritage des cultures) ». Que nous dit Edgard Morin ?

« La métamorphose dont je parle est un projet de société, ou plus précisément un projet de changement global de la société occidentale et du modèle qu’elle constitue pour le reste du monde ; un changement visant 4 objectifs :

  • la viabilité écologique ;

  • l’équité et la solidarité ;

  • la démocratie réelle et la libre détermination des peuples ;

  • le bien-être et l’épanouissement des personnes (autour notamment des notions de liberté, de convivialité, d’autonomie, de non-violence…).

Ces 4 objectifs correspondent aux 4 grands maux du modèle socio-politico-économique actuellement dominant, auxquels la métamorphose entend remédier :

  • insoutenabilité écologique (destruction plus ou moins rapide et plus ou moins irréversible de l’environnement) ;

  • inégalités criantes et croissantes entre les peuples et entre les individus ;

  • disjonction entre les choix politiques et l’intérêt général, absence de contrôle réel de leur destin par les peuples ;

  • mal-être, manque de sens à la vie, individualisme, compétition, sexisme, discriminations, aliénation des individus…

Vu les dégâts actuels et prévisibles, et contre le fatalisme ambiant, la métamorphose constitue un appel au sursaut collectif, pour changer collectivement de direction et de paradigme.

Atteindre les quatre objectifs cités plus haut implique une remise en question profonde, radicale, de la société occidentale – dans ses structures et sa dynamique, et des idéologies qui sous-tendent ces structures et cette dynamique.

La métamorphose est plus qu’un changement de la société (qui viserait “simplement” à la rendre meilleure) ; elle constitue un “saut qualitatif”, un changement de civilisation, qui implique une triple transformation :

  • une transformation culturelle : il s’agit de transformer radicalement le cadre culturel occidental – i.e. celui de la majeure partie des occidentaux, qu’ils soient dirigeants ou dirigés, de dépasser ses présupposés idéologiques, dans ses dimensions philosophique et éthique, voire aussi sur le plan spirituel ;

  • une transformation technico-économique : il s’agit de transformer radicalement notre économie, i.e. la façon dont la société répond à ses besoins matériels. Cette transformation de l’économie concrète implique de revoir là aussi l’ensemble des structures théoriques qui la déterminent, et aussi de revoir les “outils” qu’elle mobilise.

  • une transformation politique : il s’agit de transformer radicalement l’organisation de la société, et la façon dont elle se dirige.

Comme la métamorphose naturelle (celle qui transforme les chenilles en papillons), la métamorphose sociale est bel et bien un processus, et non un état ; il s’agit d’un cheminement progressif vers les 4 objectifs énoncés plus haut ».

Atelier de Consultation Philosophique (Francis Tolmer, Philippe Barbereau)

Cet atelier était le deuxième des Rencontres. Thématiquement il portait sur « Métamorphose et résistance » ? Méthodologiquement, il visait à montrer l’intérêt de la notion de présupposés dans le démarrage de la consultation philosophique

Déroulement de l’atelie. Durée : deux heures. Deux co-animateurs, environ 20 participants

Travail préliminaire en début d’atelier : chaque participant formule une question mettant en relation « Métamorphose » et « Résister » (Cette demande a été anticipée après la conclusion du premier atelier portant sur la métamorphose). La question est notée par écrit.

Présentation du déroulement de l’atelier.

Introduction brève pour situer la consultation philosophique (elle a déjà fait l’objet d’ateliers par le passé), puis explication de la notion de présupposé. Un exemple est donné en grand groupe sur : « Quels sont les présupposés de la question Quel est le sens de la vie ? ».

Les participants se répartissent ensuite en petits groupes, en choisissant un des deux mécanismes suivants :

  • Groupe de 3 : un « praticien » mène une consultation à partir de la question posée par un « client », un observateur prend des notes. Avant de démarrer la consultation, les participants identifient les présupposés de la question. Une fois la consultation bien entamée, les participants la commentent, en particulier sur l’utilisation faite des présupposés de la question. Puis les participants tournent dans les 3 rôles successivement.

  • Groupe de 4/5 : un « praticien » mène une consultation à partir de la question posée par un « client ». Avant de démarrer la consultation, les participants identifient les présupposés de la question. Les autres participants jouent le rôle de « co-praticiens » : chacun propose une question à poser au « client », une question est choisie parmi ces propositions et est posée au « client » par le « praticien ». Le processus étant plus long, le groupe ne pratiquera qu’une seule consultation.

Les participants sont invités dans la mesure du possible à écrire sur une feuille pendant l’atelier :

  • Leur question.

  • Les présupposés de cette question.

  • Une éventuelle prise de conscience du fait de l’identification des présupposés et/ou de la consultation, ou encore une nouvelle formulation de la question initiale.

Les feuilles sont exposées à la fin de l’atelier.

Conclusion de l’atelier en grand groupe : retours sur l’intérêt philosophique de l’atelier.

OBSERVATIONS ET RETOURS SUR L’ATELIER

  • Les participants se sont partagés entre les deux options en sous-groupes. Comme dans tous les ateliers impliquant du travail en sous-groupe, il faut aider les participants à gérer le temps, soit en leur donnant directement des repères, soit en s’assurant qu’ils aient un « gardien du temps » efficace.

  • Le travail sur les présupposés de la question a été perçu comme très riche, et un des moyens intéressants de démarrer une consultation philosophique.

  • Même très courtes, certaines consultations ont provoqué des prises de conscience puissantes.

  • Un des groupes a pratiqué un mode de consultation plus « psy » que philosophique – tout en assumant ce choix, pour répondre à une question très personnelle. Il serait intéressant d’imaginer un atelier permettant de mettre en lumière la différence entre plusieurs types de consultations philosophique, psychothérapeutique, coaching – et leurs intérêts et limites dans l’élaboration de la réponse à la même question…

Atelier Rando Philo : Métamorphose, Dire et Faire (Maryline Puissant)

Dispositif

Dans cet atelier, il s’agissait de mettre en rapport la métamorphose avec le « dire et le faire ». L’objectif était d’examiner la façon dont le « faire » peut jaillir ou être une conséquence du « dire » en poésie et en philosophie. L’idée était donc de s’intéresser à la dimension performative du langage et de se demander de quelle manière la philosophie et la poésie constituent par elles-mêmes une action, un faire.

Le déroulé :

  • Avant de partir, quatre citations ont été soumises aux participant.e.s, à partir desquelles ils devaient nourrir leur réflexion.

Les citations proposées pour faciliter la réflexion des participants :

  • « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » (Arthur Rimbaud).

  • « Plus un discours est poétique moins il convient aux oreilles et des enfants et des hommes qui doivent être libres et redouter l’esclavage plus que la mort » (Platon, La République, Livre III).

  • « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer » (Marx, Thèses sur Feuerbach, thèse 11).

  • « Il ne faudrait pas non plus opposer mode de vie et discours, comme s’ils correspondaient respectivement à la pratique et la théorie. Le discours peut avoir un aspect pratique, dans la mesure où il tend à produire un effet sur l’auditeur ou le lecteur. Quant au mode de vie, il peut être, non pas théorique, évidemment, mais théorétique, c’est-à-dire contemplatif. » (Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?).

  • Au début de la balade, une ébauche de réflexion a été proposée sur la question de la métamorphose en poésie et en philosophie (texte joint en annexe).

  • La mise en commun a consisté à analyser collectivement un critère proposé par un.e des participant.e.s. L’idée étant de comprendre la raison d’être de ce critère et d’en élaborer la critique. Ce n’est qu’une fois cet examen collectif effectué qu’un.e autre participant.e pouvait alors proposer un autre critère.

La consigne: « Marchez en petit groupe de trois (si possible) et dégagez les critères du faire dans la parole poétique puis philosophique en vous appuyant sur les citations proposées ».

Retour critique

La marche a été globalement vécue par les participant.e.s comme un moyen de maintenir la pensée en éveil. Favorisant la concentration, l’automatisme corporel impliqué par la répétition du mouvement, loin d’être aliénant, aiderait la pensée à se mettre en œuvre. Aussi, le fait d’avancer physiquement est mentionné comme soutien à l’avancée métaphorique d’une pensée philosophique se cherchant à tâtons. La temporalité de la marche, permettant la découverte de soi, serait susceptible de favoriser la réception de l’autre par une sortie de son monde.

Cependant, ce dynamisme inhérent à la rando-philo a tout aussi bien été vécu par d’autres participant.e.s comme un obstacle à la pensée ordonnée, focalisée sur un problème déterminé. Une certaine dispersion a ainsi été causée à la fois par l’immersion dans la nature suscitant un désir d’échapper aux contraintes du dispositif, et par l’impossibilité de prendre des notes en marchant, renvoyant in fine le ou la participant.e. à l’expérience déroutante de l’évanescence de la pensée mouvante, qui ne se fixe pas dans une forme écrite.

Annexe - Introduction à la rando Philo :

« La métamorphose - Dire et faire en philosophie et en poésie »

La poésie se caractérise par sa capacité à transfigurer le réel en se saisissant d’images et de sonorités qui viennent frapper l’esprit du lecteur. Elle est à la fois l’objet de l’inspiration et celui du travail artisanal du poète sur la langue. Le poète est d’ailleurs celui qui transgresse les conventions, les règles de la langue, celui qui s’invente des contraintes pour créer un langage nouveau. Ainsi la poésie métamorphose le regard du lecteur sur le monde, l’invitant à adopter une perception inhabituelle souvent chargée émotionnellement pour accéder à l’invisible.

Si la poésie est l’expression d’une subjectivité, d’un regard singulier sur le monde, la philosophie tend, quant à elle, à l’universel. D’un point de vue pratique, elle prétend à la mise en œuvre de la conversion dont l’instrument qui en garantit l’objectivité est la raison. Il s’agit pour le philosophe d’amener autrui à questionner ses préjugés pour lui permettre progressivement de construire un raisonnement éclairé et universalisable.

En somme, la poésie serait l’expression de l’irrationnel et la philosophie celle de la rationalité. Toutefois, les écueils semblent nombreux. Le premier se situe dans la difficulté, presque l’impossibilité de produire une définition consensuelle de ces deux notions. Le second écueil réside dans l’antinomie des termes objectif/subjectif. La poésie en tant qu’expression subjective d’un monde peut avoir une portée universelle. Victor Hugo soutiendra d’ailleurs cette idée. Tandis que la philosophie peut n’être qu’un mot « déposé sur une opinion comme un vernis susceptible de rendre tel propos universel ou universalisable » (Maxence Caron).

Toutes deux cherchent à produire chez l’autre une métamorphose, à le faire passer par la parole d’un état à un autre en prétendant apporter un nouvel éclairage sur le monde.

L’atelier Ciné-philo (Gunter Gorhan et Maryse Kalinsky)

Le film Le fanfaron (Dino Risi, 1962) a été choisi pour introduire une réflexion sur la métamorphose et le bougisme. Il a été présenté la veille de l’atelier et à la fin de la projection un animateur a posé la question qui sera débattue : Pour quelles raisons a-t-on choisi ce film, est-ce un bon ou un mauvais choix, et pourquoi ?

Le dispositif comportait quatre séquences de 30 minutes.

  • Tous les participants sont conviés à répondre à la question en prenant la parole les yeux fermés.

  • La discussion s’engage en groupes de 4 personnes.

  • Chaque groupe se divise en deux selon les affinités perçues dans la séquence précédente pour approfondir la discussion.

  • Tous les participants sont réunis pour une restitution individuelle des discussions en petits groupes. Ils sont invités à faire part des éléments marquants qu’ils souhaitent partager avec l’ensemble des participants (Gunter souhaite que chaque intervenant expose une vérité qu’il veut partager car elle est universalisable).

En intercalant des échanges en petits groupes entre deux prises de paroles individuelles devant l’ensemble des participants, l’objectif de ce dispositif était de tester l’enrichissement progressif des réponses à la question posée.

Les interventions lors de la phase de restitution finale ont effectivement révélé une évolution des réponses. Celles-ci étaient souvent d’ordre émotionnel dans la première séquence (« ce film m’a mise en colère », « c’est un mauvais film » ou « je me suis emmerdée »). Elles ont été ensuite plus orientées vers une analyse des thèses sous-jacentes au scénario et aux dialogues du film.

Au-delà de l’interprétation sociologique basée sur les mutations profondes de l’Italie entrant dans une modernité consumériste, les intervenants ont surtout insisté sur l’impression d’échec, d’impuissance des personnages à donner un sens à ces changements. C’est l’absence de réflexion sur la possibilité d’une véritable métamorphose qui engendre l’agitation, un bougisme insensé qui conduit à la tragédie finale et qui suscite un profond malaise chez les spectateurs (« Le bougisme, c’est la métamorphose du pauvre », Gunter).

Du retour critique sur le dispositif de l’atelier, il ressort trois remarques.

  • Poser la question qui sera débattue le lendemain à la fin de la projection a été jugé positif.

  • Le film a été projeté en version italienne avec des sous-titres en français qui ont été illisibles pour certains spectateurs éloignés de l’écran. Certains auraient préféré une version en français.

  • Les sous-groupes de deux personnes, constitués par affinité, ont peu de sens dans la mesure où les groupes de quatre ont été formés aléatoirement.

Atelier « Surprise » : « La Métamorphose entre normal et pathologique (Christian Belbèze et Geneviève Letellier)

Descriptif

L’atelier est composé en deux parties, une première partie qui est une méditation guidée puis un débat sur le ressenti de l’expérience.

Première partie : voyage « Chamanique »

Les participants sont invités à boire une « potion » sans que leur soit livrée sa composition. Le goût de la potion est amer/épicée, le but étant de créer un sentiment d’étrangeté. La potion contient du bitter sans alcool légèrement gazéifié, du jus de pamplemousse sans sucre, du poivre, du piment et du thé noir très infusé en fond de sauce …

Un plan du voyage est présenté préalablement sur un poster et une fiche de type journal de voyage est distribuée aux participants. Ils s’allongent par terre avec un masque, pour suivre la méditation, un tambour accompagnera les participants.

Geneviève présente les trois mondes chamaniques : supérieur, intermédiaire et inférieur.

Le voyage a pour but de se déplacer depuis le lieu où nous sommes, jusqu’au « monde d’en bas » pour rencontrer son animal Totem.

Papier Papier

Deuxième partie : le débat

Après avoir rempli leur journal de voyage, les participants sont invités à librement s’exprimer sur la question de la normalité de ce qu’ils viennent de vivre. Le débat s’est orienté vers la place et l’importance de la magie dans l’histoire de l’humanité et sa représentation dans la société actuelle. La question de l’impossible relation entre science et magie a aussi été évoquée. Encore sous le « Charme » ou dans un temps de réveil, les participants n’ont à mon avis que put trouver d’intérêt à la question « Si ce que nous venons de vivre est normal, alors pourquoi ne le faisons-nous plus ? ». La réponse d’un remplacement de la pratique chamanique par la communion chrétienne a alors été évoquée.

Quelques notes supplémentaires du débat

  • Comment revenir à la normalité après le voyage ?

  • Arrachement de fin de voyage et à l’expérience chamanique

  • Ce voyage fait penser à des expériences de type chants en commun, communion, rencontre amoureuse et sexuelle.

  • Actuellement serions-nous dans une fin de cycle ? Où la nature et le côté animal sont perdus, mais nous n’en avons pas conscience.

  • Place d’une spiritualité délirante ?

  • Radicalité nécessaire dans l’expérience pour philosopher

Conclusion

Si l’expérience du voyage « chamanique » a été bien vécue par les participants, la question du débat les a semble-t-il peu inspirés. Il est possible qu’une question clairement exprimée avant l’expérience individuelle nous aurait permis de dynamiser le débat. Cependant afin de ne pas trop restreindre l’imaginaire, nous avions choisi de simplement poser autour du poster des nuages de mots concernant notre question sans inscrire clairement celle-ci et nous assumons notre choix.

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