Cet article présente la rubrique philosophique « Dans la Poche de Lili Jim » et propose en exemple deux fiches qui la composent.
Présentation de la rubrique
Avec mon frère jumeau, nous avons été déscolarisés (en Belgique) entre nos 4 et 10 ans, et récemment j’ai décidé de quitter l’école secondaire, un peu avant ma rhéto (le bac). Je ne sais dans quelle mesure ces années de liberté (ne pas aller à l’école, c’est être libre ?) ont influencé le ton de la rubrique « Dans la poche de Lili Jim » que je tiens depuis juillet 2020 sur le site de PhiloCité, mais ce qui est certain, c’est que la dimension pétillante, drôle, ludique et curieuse de mon enfance, je cherche à la transmettre via ces « fiches philo », avec une manière d’appréhender le monde résolument non scolaire.
Ce que je vous propose dans cette rubrique, à vous que j’imagine enseignants ou animateurs, c’est donc une promenade hors des sentiers battus de la pédagogie et de l’imaginaire scolaire dont je n’ai pas été imprégnée dans l’enfance ; une sorte d’école buissonnière de la philosophie…
Mais qu’est-ce que j’entends alors par « philosophie » ?
Du nord qui passe au sud aux filles qui se voient garçons, du ciel se glissant devant les arbres au bazar de ma chambre qui se transforme en tableau expressionniste, ce qui m’importe d’abord est le rôle de l’imaginaire, de l’expérience de pensée: je propose au lecteur un décalage avec le réel, un moyen de rendre autre tout ce qui l’entoure, de faire sortir le monde de sa banalité et de son évidence. Les objets qui se trouvent dans ma chambre peuvent dialoguer ensemble parce qu’un personnage de la toile au-dessus de mon lit croise le regard d’un autre personnage sur la couverture d’un livre et que cela doit bien vouloir dire quelque chose.
Un deuxième élément philosophique se dessine : il s’agit d’apprendre à regarder vraiment et à décoder le monde qui nous entoure. Une chambre en période de confinement, par exemple, où chaque détail est signifiant et peut être lié à un autre, entrer en relation… parce que les idées naissent des ponts qu’on cherche à établir entre les choses, et pas uniquement des grands auteurs ou de soi-même. Tirer au hasard une phrase d’un livre et la télescoper avec une thématique qui m’importe (la patience, mettons : que peut bien signifier la phrase «Son regard m’arrive en premier, précède son corps» si on imagine qu’elle évoque la patience ?) peut faire naître une idée nouvelle et raffinée à laquelle je n’aurais sinon jamais pensé (dans la patience, quelque chose de l’âme précéderait-il le corps?).
Ces liens à faire entre chaque chose, cette recherche de décloisonnement, rompent avec la logique des matières scolaires qui découpe le réel en petites tranches bien séparées.
Ce n’est donc pas de la philo du programme de philo que je propose, mais plutôt un regard philosophique sur les autres et soi-même, un rapport au monde fait de curiosité et d’humour qui peut s’expérimenter tout le temps et partout.
Ce trajet singulier, en dehors de l’école, m’a rendu les façons classiques d’apprendre à l’école assez étranges : pourquoi rester toujours assis, pourquoi ne pas nous laisser plus de temps, pourquoi prendre tant les choses au sérieux ? C’est notamment parce qu’il faut arriver à un résultat et qu’il y a des points en jeu (« tu es en échec » … mais de quoi me parle-t-on ? Où est le damier ?). Mais on peut aussi apprendre sans s’en rendre compte ; on peut apprendre en s’amusant, en se défiant, en jouant, comme je l’ai fait durant mon enfance, avec des résultats qui n’étaient pas attendus et sans note au bulletin.
Ces fiches sont donc ludiques sans être futiles, chacune d’elles proposant des activités concrètes à pratiquer en classe, des expériences déroutantes à s’approprier, et faisant aussi l’objet d’une lecture qui rend le monde plus poétique.
Lecture en bouts de ficelle pour écriture tricotée
Très chers vous,
C’est en observant le ciel depuis ma terrasse, et à force de remonter le vent, que je me dis qu’il est grand temps (mais qu’il est grand, le temps) de se préparer à la suite.
Jusque-là tout peut presque, presque sembler doux …
Mais ensuite … APRÈS, à l’avenir,
quand votre visage aura pris dix ans d’âge, qu’il retrouvera son teint blafard quand vous serez bien attristé.e d’abandonner votre potager quand tout sera sombre, si sombre que dans la rue les lampadaires n’oseront plus quand vous ne saurez pas qui que quoi penser de ces mornes journées quand vous attendrez juste que renaisse sous vos paupières la lumière
(bref, quand il pleuvra)
Que fera-t-on donc ?
J’ai des idées, pas moins biscornues que la fois passée.
Au moment venu, installez-vous près de votre bibliothèque, muni.e d’un crayon et d’une feuille.
En premier lieu, choisissez 2 romans dont vous ne connaissez pas encore l’histoire. Ne lisez pas la quatrième de couverture parce que parfois, elle en dit trop (comme moi).
Ouvrez-les à la page 82 (souvent, elle est pas mal).
Lisez les 2 pages 82 d’affilée à voix haute, comme si elles se suivaient tout naturellement, en vous adressant à votre chien, chat, compagnon.ne, enfant, parent, votre reflet, bref. Prenez l’exercice au sérieux et persuadez-vous que vous lisez quelque chose de tout à fait cohérent (c’est plus drôle).
Demandez à votre public de faire des liens entre les 2 parties de ce que vous lui avez lu. Si votre public est reflet, remarquez-vous à quel point ce qu’il dit vous fait penser à quelqu’un ?
S’il est border collie, …On ne sait jamais ce qui peut arriver.
En vous inspirant de ce qui vous a été renvoyé (ou pas), écrivez un petit texte qui serait la page 83 des livres. Une seule page pour les 2, donc. Trahissez les livres le moins possible, mais bon oui, trahissez-les un peu, sinon c’est trop difficile.
Si vous voulez simplifier un peu l’exercice, choisissez seulement un passage par page 82, l’un pouvant faire facilement lien avec l’autre (de manière plus ou moins tirée par les cheveux), et envisagez la suite comme pour l’exercice initial - pour une première fois, celui-là me paraît quand même plus sympa à faire.
…Bon, ça c’était l’exercice préparatoire, bien entendu.^^
Après, vous prenez un 3e roman inconnu dans votre bibliothèque (ou dans celle de votre voisin) dont vous découvrez la page 67, et au passage aussi celle des 2 romans précédents. Vous lisez cette page plusieurs fois, uniquement pour vous, en imaginant que ce qui y est raconté se déroule en fait à l’heure actuelle, puis vous choisissez une phrase par page (ou deux d’affilée, si nécessaire pour la compréhension) et vous l’écrivez sur un papier.
Il doit s’agir d’une phrase qui vous parle, évidemment, et dont vous comprenez un minimum le sens. Cette fois-ci, les phrases provenant des différents livres n’ont pas de lien entre elles, elles portent même de préférence chacune sur un sujet complètement différent.
…
(durant ces trois petits points, vous faites ce que je viens d’énoncer si ça vous parle, et puis seulement vous lirez la suite ;-))
L’idée, après, c’est de voir un peu… STOP ! Tu as déjà choisi tes 3 phrases, hein !? attention, je t’ai à l’œil ! - Je vous vouvoie, je te tutoie, ne vous en faites pas trop pour ça -
Je reprends. Tu m’écoutes, là ? L’idée, donc, est d’imaginer le(s) sens que chaque phrase peut prendre quand on l’imagine dans ce contexte (dé)confiné, ou plus généralement dans la société actuelle, que ce soit au travers d’une métaphore qu’elle contient, époustouflement révélatrice, ou en jouant avec les différents sens d’un mot, … Vous pouvez aussi prendre la phrase telle qu’elle est et imaginer qu’elle est LA solution pour sauver le monde, imaginer à quelle question existentielle (toujours en lien avec le contexte actuel) elle répondrait, …
Enfin tout ça dépend des phrases sur lesquelles vous tombez, évidemment.
Si tout ce que je raconte reste très flou pour vous, et uniquement dans ce cas, voici deux EXEMPLES issus de… ben, moi (j’ai commencé le jeu tout à l’heure).
À la page 82 du livre pour granzenfants « Les mouettes de la vengeance », j’ai choisi la phrase :
« Télé-Otuo, l’homme qui monta un jour sur le volcan et ne voulut plus en redescendre. »
-
J’imagine, par exemple, qu’il s’agit de l’Homme, qui joue avec le feu et se consume petit à petit, mais ne daigne pourtant pas s’arrêter.
Concrètement, de quoi cela pourrait bien nous parler à l’heure actuelle ?
À la page 82 du livre « Les yeux dans les arbres », il est écrit :
« Mon nom à moi, tel que j’ai pris l’habitude de le penser, c’est […] »
- Cela peut traduire une espèce de tendance à se voir et à se penser soi-même toujours de la même manière et qui pourrait rapidement poser problème. Dans quelle mesure est-on capable de modifier nos manières de fonctionner en tant que société si, individuellement, nous n’osons pas changer ?
Ensuite, tu vas tenter de relier les interprétations de tes 3 phrases à travers un petit texte contenant :
-
Une petite description réaliste (ou pas) de la situation actuelle,
-
Ton vécu du confinement-déconfinement,
-
L’invention d’un concept / d’un outil / d’un art / d’une action /… qui pourrait changer nos conditions de vie actuelles (ou même révolutionner le monde, parce que quand même i-)), puis t’expliques en quoi cette invention te parait positive et salutaire & tu imagines sa mise en pratique,
-
Ce que tu veux, après ; c’est carte blanche, ça peut partir en écriture automatique (1) !
Un texte écrit de droite à gauche, en morse, en cyrillique ou en grec antique, sous forme de poème ou de slam, parsemé de fautes d’orthographe est tout aussi b i e n v e n u qu’un texte écrit de gauche à droite, en français, avec l’alphabet latin, une plume exemplaire et des paragraphes .
Et, bien sûr, moi je rassemble les textes pour ensuite les renvoyer à toustes celles et ceux qui ont participé à l’exercice (avec l’autorisation des auteur.e.s), et puis pourquoi pas se réunir pour en parler et refaire le monde, quoi ! ^^
-&- expérience prise de (ni queue ni) tête en l’air du temps qu’à faire -&-
(1) L’écriture automatique consisterait ici à écrire sans discontinuer, sans prendre le temps de réfléchir ni de se relire, sans se soucier de la grammaire ou de l’orthographe.
…et voici, si tu veux, une véritable proposition d’écriture automatique que je t’invite à faire, indépendamment ou non de l’exercice proposé ci-dessus – à titre indicatif, faire de l’écriture automatique juste après ou juste avant un texte plus construit fait souvent émerger des idées auxquelles nous n’avions/n’aurions pas pensé sinon) :
Utilisez l’ordi que vous avez comme par hasard devant ou sous vos yeux et :
-
Ouvrez un document Word ou un truc du genre
-
Écrivez sans discontinuer tout ce qui vous passe par la tête pendant environ 10 minutes, et même si vous pensez « euuuuh », vous écrivez « euuuuh ». Tout de même, c’est important – si en tout cas vous jugez utile de savoir à quel moment une idée nait, à quel moment la pensée se creuse, combien de temps il vous faut pour penser réellement (c’est-à-dire, ici, en mots).
S’il n’y avait pas d’espace entre les pensées, où se placerait-on pour les regarder ? La relecture est proscrite (houlà, dites). Enfin, ne lisez que les mots qui apparaissent sous vos yeux, découvrez-les comme si vous étiez une personne extérieure jetant un coup d’œil par-dessus votre épaule.
Ou ne les lisez pas du tout.
L’idée n’est pas d’écrire ce que vous avez l’intention d’écrire, tout doit être retranscrit dans l’instant (l’intention n’existe-t-elle plus à partir du moment où nous ne pensons qu’au présent ?). Sauf si votre esprit suit toujours une trame tout à fait claire, vous écrirez des choses qui vous paraîtront incohérentes et vous passerez du coq à l’âne sans cesse. Un peu comme moi, sauf que là ce sera vraiment l’objectif. Imaginez le texte comme quand vous passiez une nuit à la belle étoile avec un ami. Quand la fatigue vous droguait, à 4h30 vous voyiez déjà le ciel s’éclaircir et vous disiez tout ce qui vous passait par la tête (vous ? ou moi ?).
Mais ici, c’est encore mieux parce qu’il n’y a aucun filtre sinon vous (et vous verrez qu’au début, vous, c’est déjà pas mal).
-
Quand les 10 minutes se sont écoulées avec le texte, lisez, mais ne touchez à rien ! ça vous touchera dans le pire des cas - quand le meilleur devient pire, je m’y perds.
-
Refaites l’exercice tous les jours et vous irez de plus en plus vite, vers l’écriture automatique !
Et sur le papier, ça marche aussi (ah bon !?). Ça court pas, mais ça marche. J’ai proposé l’ordi naturellement parce qu’on y écrit plus vite, sauf ma maman . Oh, ‘y a d’autres mamans à qui ça arrive j’imagine et je voudrais pas les exclure (Jeanne ? pour la maman inclusive). Pourquoi les mamans ? Tout le monde, quoi. Je veux dire, ça peut arriver à tout le monde d’écrire plus vite à la main qu’à l’ordi. N’oublions pas.
-&- expérience défoulatoire de lâcher prise de tête pour
prise de risque d’y prendre goût -&-
Jeux de miroir ou autre (je en est-il un ?)
H e y !
D’un côté o u de l’autre,
si on nous fait écran, traversons !
Parmi les feuilles jaunes et dans cette période d’yeux, j’vous invite à vous perdre et à vous retrouver.
- Vous inverser
- Vous abymer
- Déshabiller votre regard
- Vous perdre de vue
- Ne plus vous reconnaître
- Devenir votre voisin
Vous inverser
Face à ton miroir, finalement tu es le reflet et ton reflet n’est rien d’autre que toi qui te regardes dans le miroir. Arrives-tu à passer de l’autre côté ? Pourrais-tu décrire à quelqu’un l’effet que ça fait ?
S’inverser, ça pourrait aussi être… Eh ! oui, vas-y, est-ce que tu arrives à te voir du sexe opposé? As-tu besoin pour cela d’être habillé.e, coiffé.e différemment, ou pas du tout ? Si tu y arrives, quelle sensation ça fait, quelles questions te poses-tu ? Comment expliquer une si grande différence alors que concrètement, tu ne changes pas d’un poil (enfin, sauf si tu t’es rasé la moustache ou épilé le sourcil!)?
Vous abymer
Place 2 miroirs face à face et observe le reflet de ton reflet de ton reflet de ton reflet de ton reflet.
Qu’est-ce que ça raconte ?
Pense à des situations de la vie courante qui te font penser à celle-ci.
Déshabiller votre regard
Tu te regardes dans les yeux. Combien de temps peux-tu rester comme ça face à ton miroir à soutenir ton regard ?
Après avoir fait l’expérience de te regarder le plus longtemps possible, note ce que ça a procuré chez toi comme émotion(s), ce qui t’a traversé l’esprit. Y a-t-il quelque chose qui à un moment est devenu gênant ?
T’es-tu ennuyé.e ? A quoi as-tu pensé ? - pensais-tu seulement ? Est-ce que tu te reconnaissais ? Que racontait ton regard ? Lui portais-tu un jugement ?
Ça, c’est la première étape (oui !).
Ensuite, tu vas trouver quelqu’un qui veut bien faire la suite de l’expérience avec toi. Cette personne n’aura pas fait la première étape de l’exercice.
Placez-vous face à face et ne vous quittez pas des yeux. A un moment donné, il y aura certainement l’un.e de vous deux qui va décrocher. Arrêtez-vous à ce moment-là et prenez note chacun.e de votre côté pendant quelques minutes, à partir de ces questions (à découvrir au moment-même) :
-
Qu’est-ce qui selon toi t’a fait décrocher / a fait décrocher ton/ta partenaire à un moment donné ? Quelle sensation ça t’a fait à ce moment-là ?
-
Pendant l’échange, qu’as-tu vu dans les yeux de l’autre ? Son regard était-il présent, absent à certains moments ? As-tu observé la couleur de ses yeux ou bien essayé de lire dans ses pensées ?
-
Qu’est-ce que ça aurait changé si vous aviez chacun.e porté des lunettes de soleil ? Ou un masque ?
-
Sur quoi te concentrais-tu principalement pendant l’expérience ? As-tu l’impression d’avoir à un moment oublié ce que tu étais en train de faire ?
-
Est-ce que ton regard s’est transformé pendant l’expérience ? Et a-t-il changé après l’expérience ?
Et puis toi, tu dois en plus comparer les 2 expériences. Qu’y avait-il en plus/en moins dans la 2e expérience ? Qu’est-ce qui selon toi fait que c’était plus ou moins difficile ?
Pour terminer, lisez-vous mutuellement vos notes et toi, raconte également les différences et les similitudes que tu as pu observer entre les 2 expériences.
…
CE N’EST PAS FINI !
La troisième étape de cette expérience est plus éprouvante encore.
Toi et tes yeux (c’est important qu’ils t’accompagnent ! Ronds comme ils peuvent l’être, attentifs), vous allez prendre le bus ou le train (ou du moins un transport en commun) un jour où tu as le temps (tu….vous ? les yeux manquent de temps ?) de suivre des gens. Pour t’échauffer, tu vas commencer par attraper le plus de regards possibles sur le trajet vers la gare, sur le quai ou à l’arrêt de bus. Les yeux des passantes et des passants seront comme des poissons à pêcher, faut les faire mordre à l’hameçon de ton regard et tenter de ne pas les lâcher.
Hop, voilà, déjà tu peux comparer les différentes histoires que ça a créé (étonnement, sourire, fuite, mépris, bonjour ?), tu entres dans le busmétrain et tu t’installes de telle sorte à avoir une personne face à toi, mais pas trop proche, sauf si tu veux vraiment créer un malaise, hein, mais ça c’est à toi de voir. Parce que cette personne, tu vas quand même bien, bien la fixer des yeux.
Pendant le trajet, tu vas la regarder le plus souvent possible, sans être trop insistant.e non plus (j’veux dire, si tu vois que tu commences à lui faire trop peur ou qu’elle semble vouloir t’assassiner, stoppe net), et comme si c’était à chaque fois par hasard que tu posais les yeux sur elle. S’il vous arrive d’échanger vos regards, porte ton attention sur l’évolution de ces échanges. Est-ce que la personne a l’air de plus en plus étonnée, agacée, inquiète, flattée, curieuse, … ?
Bon, la personne finit par descendre, tu la suis. Et tu lui expliques l’exercice que tu devais faire. C’est chouette si vous pouvez échanger, comme ça elle te fait part de son vécu de la situation aussi, vous allez boire un verre (…boire un verre ?), et puis vous devenez potes, quoi i-)
(dis, ça a l’air si simple, hein, vu comme ça)
Vous perdre de vue
Pendant quelques jours, fuis ton reflet et ne regarde aucune photo de toi. Est-ce que ça te dérange ? Est-ce que ça te fait du bien ? Est-ce que ton comportement change, ou bien pas du tout ? Penses-tu plus/moins à ton apparence ? Penses-tu moins à toi et plus aux autres ou aux choses extérieures ? Est-ce une bonne expérience ou au contraire cela te dérange/déroute-t-il ?
Et quand tu retrouves ton visage, quelle est ta première réaction ? Es-tu heureux.se ou non de te voir ? Portes-tu un jugement positif/négatif sur ton apparence ? Qu’en fais-tu ?
Après avoir retrouvé ta tête (oui, d’une certaine manière t’avais perdu la tête !), observe ton visage pendant une minute attentivement, puis ferme les yeux et essaie de te le remémorer avec le plus de détails possibles. Y arrives-tu ? Quelle partie du visage est la plus difficilement visualisable ? Comprends-tu pourquoi ? Que regardes-tu de toi-même quand tu te regardes machinalement ? Que ne vois-tu pas ? Pourquoi ?
Ne plus vous reconnaître
Face à ton miroir (si t’en as pas marre…), tu vas grimacer comme un enfant, en tordant ton visage de sorte à ne plus te reconnaître.
Ça fait quoi de se métamorphoser comme ça ? Si ça te fait peur, comprends-tu pourquoi ? Te sens-tu toujours toi lorsque ton visage change ? A quoi ça tient, ton identité, selon toi ?
Rappelle-toi la première fois que tu t’es vu.e masqué.e. Te souviens-tu de ta réaction ? As-tu eu l’impression de ne plus être vraiment toi ? En quoi c’est important ou non de voir le visage dans son entièreté ?
Devenir votre voisin
Voilà une parfaite expérience à faire en période d’intouchabilité i-)
Le jour où sur le pas de ta porte tu croiseras ton voisin ou ta voisine, tu lui diras « hey attends ! J’ai quelque chose à te proposer d’incroyable à faire à 2 sur le trottoir (hum), ça dure juste 10 minutes » [qui a actuellement plus de 10 minutes à consacrer à l’imprévu ?].
Bien sûr, au vu de ton remarquable enthousiasme, il/elle ne saura refuser cette invitation inattendue.
Vous vous posterez debout face à face et imaginerez que vous êtes le reflet l’un.e de l’autre. Au début, ce sera toi qui guideras et ton/ta voisin.e devra reproduire tous tes gestes en miroir, puis ce sera à son tour de te guider, et au final, vous tenterez de vous refléter parfaitement sans que ni l’un.e ni l’autre ne guide vraiment. L’idée, aussi, est de se regarder dans les yeux plutôt que de suivre vos gestes. L’écoute passe par les yeux (oui, les yeux ont des oreilles, et d’ailleurs les oreilles ont des yeux aussi et on parle même d’odeurs palpables et de toucher goûtu).
Commencez très lentement, prenez le temps de vous adapter l’un.e à l’autre.
Quand ça commence à bien fonctionner, vous pouvez même essayer de danser (histoire d’offrir un joli spectacle aux piétons qui se promènent ^^).
À la fin, échangez sur vos vécus, analyses de l’expérience, bien sûr.
Qu’est-ce qui vous a paru simple, compliqué dans l’exercice? est-ce pareil pour vous 2 ?
Vous êtes-vous senti.e.s en symbiose à un moment donné, ou n’avez-vous pas du tout réussi à vous accorder ? A votre avis, à quoi est-ce dû ?
Avez-vous réussi à vous regarder dans les yeux ? Y a-t-il eu une évolution de votre écoute mutuelle au cours de l’expérience ?
Avez-vous oublié que vous étiez dans la rue tellement vous étiez concentré.e.s, ou au contraire le fait d’être exposé.e.s vous a-t-il empêché.e.s de vous concentrer ?(1) Est-ce que ça reviendrait au même pour vous de faire l’exercice au beau milieu d’un marché de Noël, dans votre cuisine ou devant le parlement européen, au Sénégal ou en Finlande, le jour ou la nuit, la semaine ou le week-end ?
Si vous deviez refaire l’exercice, que changeriez-vous ?
Et si vous aviez fait l’exercice avec quelqu’un d’autre ?
Concluons, si nous y arrivons.
Et, et, et maintenant, si tu devais comparer toutes ces expériences entre elles, que dirais-tu ? Lesquelles associerais-tu particulièrement et pourquoi ?
Oh ! On dirait que la fiche se termine sans conclusion
- c’était la conclusion.
Petit plus …
(1) En théâtre, certain.e.s parlent de coupe et de flèche. La coupe, c’est lorsque tu te promènes dans la rue, que tu vois et écoutes tout ce qu’il se passe autour de toi et que tu finis par oublier complètement l’endroit où tu devais aller à la base tellement ce que racontent les passants est passionnant. La flèche, c’est lorsque tu avances avec un but précis en tête, sans prêter attention ni à l’ado qui t’a souri à l’arrêt de bus, ni aux deux pigeons qui roucoulaient à côté de l’égout quand tu es sorti.e de la bouche de métro (on doit en rater, des choses, nous, quand même !).
EVIDEMMENT, l’idée est de trouver un juste milieu entre les deux, parce que pour chasser en forêt, on n’a pas intérêt à oublier de courir après le lapin qu’on veut tuer, mais il est nécessaire également d’être attentif au moindre craquement – il y a toujours un ours prêt à bondir hors du buisson, bien sûr i-).
Mais comment trouver l’équilibre entre la volonté d’atteindre ses objectifs et celle de s’adapter au monde qui nous entoure ?
Conclusion
Pour toute question, réflexion, remarque, idée, etc, contactez-moi sans hésitation via pommettepouetpouet@gmail.com !
Et vous pouvez retrouver ici https://www.philocite.eu/la-rubrique-de-lili/ les autres fiches vous proposant une promenade qui retourne l’estomac, une invitation à faire de votre chambre une œuvre d’art sans même y toucher, une tentative de révolution du regard sur la mocheté du monde et peut-être d’autres choses encore :).
Lili Jim,
Avec la relecture, les conseils et les suggestions de Gaëlle Jeanmart.
- Kingsolver B. (1998). Les Yeux dans les Arbres. Editions Rivages.
- Piumini R. (1993). Les Mouettes de la Vengeance. Editions Hachette Jeunesse.