Revue

La didactisation du philosopher comme enjeux principal pour un réel enseignement philosophique dans le secondaire au Gabon

De même que l’enseignement de la philosophie n’est pas à elle-même sa propre pédagogie du fait que les philosophes se sont trop tôt préoccupés de l’éducation en sa question fondatrice; de même, la didactique reste incontournable dans l’acte d’enseigner la philosophie, philosopher par essence. Le problème ici n’est pas de savoir si on apprend les philosophes, la philosophie ou si on apprend à philosopher. Entre didactique de l’apprentissage du philosopher et didactisation du philosopher, la didactique de la philosophie s’énonce davantage telle la nécessaire prise en compte de la présence de l’élève comme le principal dans l’acte du philosopher à l’école. Enseigner la philosophie, ce n’est pas déjà enseigner les philosophes. Il ne s’agit pas exactement de renseigner sur les philosophes. À l’opposé, enseigner la philosophie, c’est penser l’actualité, l’actualité des philosophes au besoin, pour une pensée actuelle et toujours actualisée.

Pour mieux cerner la notion de didactique de la philosophie, il convient d’abord, tout naturellement, de dissiper quelques malentendus au sujet du concept de didactique. Que l’on parle de la didactique, du didactique ou des didactiques, un exercice de clarification conceptuelle s’impose en amont. Il faut payer sa dette à Socrate. On dit d’un exposé qu’il est didactique, dès lors qu’il obéit à un certain nombre de règles élémentaires d’enseignement-apprentissage. Autrement dit, il n’est pas loin de ce qui est pédagogiquement recevable, en tous points. Le didactique renvoie surtout à un effort constant d’être soucieux de l’élève dans sa pratique enseignante. Il s’agit d’être toujours en alerte quant aux choix de ses méthodes, de ses outils, de ses styles d’enseignement.

La didactique de la philosophie : entre didactique d’apprentissage du philosopher et didactisation du philosopher

La didactique implique un savoir constitué. C’est la connaissance des outils indispensables à la pratique enseignante, pour un enseignement-apprentissage efficace et efficient en situation-classe. C’est en cela d’ailleurs que son enseignement en formation initiale des enseignants s’impose à tout prix. L’objectif primordiale est d’amener ces derniers à se familiariser avec le réel enseignement en vue de devenir des réels professionnels de l’enseignement. L’enseignement de la philosophie ne saurait guère se réduire à la connaissance et à la maîtrise des philosophes et des philosophies. Il ne suffit pas de connaitre les philosophes pour se targuer d’être un enseignant de philosophie. Probablement un enseigneur de philosophie voire un renseigneur des philosophes comme celui qui dit ce que sont les philosophes et leurs philosophies.

Or, tout réel enseignement de la philosophie déborde largement les philosophes et l’apprentissage de leurs philosophies. Tout véritable professionnalisme en enseignement de la philosophie exige systématiquement la maîtrise des arcanes de la didactique de la philosophie pour les transmettre et les faire découvrir. Connaître Socrate, lire Platon, étudier Rousseau, maîtriser Dewey ne justifient en rien toute capacité à enseigner la philosophie. Enseigner s’enseigne. Tout enseignant de philosophie qui se veut professionnel de l’enseignement de la philosophie doit apprendre à apprendre à enseigner la philosophie comme l’on apprend les philosophes et leurs philosophies. L’enseignement est une profession; enseigner la philosophie, un acte professionnel.

Il faut sortir des schémas démodés, des professionnalités baroques suivant lesquels l’enseignement est une affaire d’intuition personnelle, de vocation. Pour être un professionnel de l’enseignement de la philosophie, la didactique de la philosophe s’impose comme un préalable indépassable. Ce qui est ici valable pour la philosophie, l’est également pour toutes les autres disciplines d’enseignement. On parle alors des didactiques disciplinaires. Le point commun est davantage la notion non moins controversée en philosophie, du fait même de la discipline, de transposition didactique. Elle consiste précisément à passer des savoirs savants aux savoirs à enseigner.

La philosophie se posant surtout en quête inachevée, tel un questionnement perpétuel où tout point d’arrivée est déjà en lui-même un point de départ, la notion de savoirs savants devient problématique voire polémique en matière d’enseignement de la philosophie. Sinon, quoi enseigner en philosophie quand on sait que Platon dit une chose, Aristote en dit une autre; Kant pense autrement ce que Descartes affirme; Hegel soutient fermement des idées que Marx ne manque de réfuter dans ses théories philosophies, etc. La controverse autour de la transposition didactique en philosophie reste donc vivace et très actuelle. L’avenir même de la philosophie se joue autour de la polémique concernant la transposition didactique en enseignement de la philosophie. Enseigner la philosophie, c’est en certain sens ruiner le philosopher qui s’hypostasie en savoirs enseignables.

Enseigner la philosophie, c’est quelque part ne plus philosopher puisqu’il y a du contenu pédagogiquement à transmettre. Or la philosophie n’est pas. Elle n’existe qu’en tant qu’elle est interrogation permanente et non une réalité à enseigner comme tel. La seule issue pour s’en sortir, pour finalement enseigner la philosophie, c’est la logique du serpent qui se mord la queue. Là encore ça peut faire très mal. Car, pendant combien de temps, le serpent va-t-il encore tenir la queue dans la gueule? Il ne faut pas se leurrer. Le problème de la transposition didactique en enseignement de la philosophie est bien réel.

La philosophie n’est pas en soi un savoir assuré. C’est plus un cheminement qu’une réalité constitué en elle-même. Elle implique toujours un savoir en route et jamais achevé. Pourtant, il faut bien enseigner la philosophie. D’ailleurs, elle s’enseigne depuis fort longtemps. Que conseiller alors pour se sortir d’affaire, pour contourner la difficulté qu’impose la transposition didactique en matière d’enseignement de la philosophie? C’est précisément à ce niveau que la didactisation du philosopher, aux côtés de la didactique de l’apprentissage du philosopher, devient légitime. L’attitude requise est celle du serpent qui se mordre la queue un moment et par moments. Les savoirs se constituent philosophiquement en programmes scolaires sans définitivement s’abimer dans des savoirs savants qui deviennent des savoirs à enseigner, à force des choses.

Le pari est osé. Cependant, on ne peut pas enseigner la philosophie sans prendre en compte la dimension questionnante perpétuelle du philosopher. Un programme scolaire en philosophie, s’il ne dispense pas de philosopher, il interdit d’enseigner un programme. Tout programme scolaire n’est en réalité qu’une boussole, une indication pour mieux s’orienter dans la profession. Il ne remplace guère le penser par soi-même et pour soi-même qui fait le discours philosophique. Un enseignant de philosophie ne devrait pas paresseusement se cacher derrière un programme scolaire de philosophie pour cesser de philosopher. On n’enseigne pas un programme scolaire; on enseigne à partir d’un programme scolaire.

Un réel philosopher pédagogique dépend de ce que chaque enseignant de philosophie fait du prescrit : le programme scolaire et toutes les recommandations officielles qui l’accompagnent. Au Gabon, le programme scolaire de philosophie dans les lycées est notionnel. Y gravite autour des exercices méthodologiques et l’étude des œuvres.

L’enseignement de la philosophie dans le secondaire au Gabon

L’enseignement de la philosophie au secondaire gabonais repose sur un programme officiel des notions : L’expérience; La nature; Le bien; La dignité; L’ethnie; La tradition; L’histoire; La vérité; Le bonheur; etc. Cependant, l’enseignant est libre d’orienter ses leçons en fonction des problèmes philosophiques qu’il juge opportuns, pertinents à aborder avec ses apprenants. Une liberté pédagogique qui devrait logiquement coïncider avec la liberté philosophique afin de féconder une liberté professionnelle voulue par tous, éthiquement justifiable. Choisir d’orienter sa leçon de philosophie suivant tel problème précis au détriment d’un tel autre, doit obéir à une liberté professionnellement encadrée, philosophiquement possible. Toute problématique devrait normalement se justifier en aval.

Un enseignant de philosophie ne choisit pas un problème philosophique précis à traiter avec ses élèves au nom de la loterie. C’est une réflexion qui résulte surtout des échanges en situation-classe. La notion au programme ne dit rien du problème philosophique à résoudre. C’est l’enseignant qui le formule, en tenant compte des avis de ses apprenants au moment de la problématisation ou questionnement autour de la ou les notions à traiter. La conceptualisation ou passage de la notion au concept, de l’idée simple à une idée construite par l’interrogation devient nécessaire en tant que point de départ absolu.

Il n’existe pas un programme des problèmes philosophiques à aborder avec ses élèves en classe au Gabon. Les notions au programme officiel doivent faire l’objet d’une conceptualisation par l’enseignant, en interaction avec ses apprenants. Autrement dit, la problématisation des notions est un passage obligé en vue de formuler un problème philosophique et énoncer la ou les problématiques. Ces dernières ne peuvent et doivent être que l’émanation de la nature des différents problèmes formulés par l’enseignant et ses élèves en classe. L’idéal, c’est éviter toute directivité dans la réalisation d’une leçon de philosophie où liberté pédagogique et liberté philosophique se croisent dans une dialectique de la mesure et de l’entente; du respect du prescrit et de la présence effective.

Finalement, la prise en compte des avis des élèves dans l’organisation d’un cours de philosophie reste l’indispensable sans lequel tout enseignement de la philosophie cesse d’être philosophique. Le dialogue conditionne le philosopher en classe, de même que l’interaction devient la norme pour avancer. Les recommandations officielles ne dispensent pas de penser soi-même pour amener les élèves à penser par et pour eux-mêmes. Les exigences élémentaires de la leçon de philosophie ne sont pas moins claires. Il s’agit de formuler un problème philosophique avec ses élèves et de le résoudre ensemble.

Cependant, il peut arriver que dans certaines circonstances la leçon du maître soit tolérée. C’est le cas lorsque les urgences liées aux impératifs du temps ne permettent plus de tenir compte de l’exigence de la participation de tous au cours. Mais, même dans ce type de professionnalité, la méthode dialogique est la plus souhaitée pour réaliser une leçon de philosophie véritablement philosophique. Une leçon du maître, pensée en amont, doit effectivement se construire autour d’un contenu toujours à discuter. Elle devrait se constituer en organisme vivant, faire l’objet d’un débat animé, d’une lecture commentée afin que les apprenants se sentent utiles, concernés par la leçon professée ex cathedra.

D’ailleurs, une leçon de philosophie de type dissertée est souvent conseillée en vue d’anticiper sur la méthodologie de la dissertation philosophique et éviter tout cours désincarné de méthodologie philosophique. Par cours désincarné de méthodologie philosophique, nous entendons, tout cours où l’apprenant apprend la méthodologie comme si elle était distincte de la philosophie en son fond; comme si la philosophie n’est pas déjà en elle-même méthodologie en tant que discours de et sur la méthode. Le logos se déploie à partir d’un procédé, processus pensé en amont et qui le fait être tel : un discours logique, donc cohérent. Penser, c’est toujours penser dans un certain ordre.

Un cours désincarné de méthodologie de dissertation philosophique, c’est davantage un cours où l’enseignant passe du temps à théoriser voire à pérorer sans que l’élève ne sache objectivement et de manière pratique ce qu’est effectivement un problème philosophique. En quoi celui-ci se distingue-t-il par exemple d’un problème mathématique ou d’un problème sociologique? En outre, qu’est-ce qu’on entend exactement par résoudre un problème philosophique? Quoi penser du bilan philosophique en conclusion? etc.

Dans une leçon de philosophie de type dissertée, l’élève apprend doublement. Pour une leçon sur Les passions par exemple, la dialectique peut partir de la définition étymologique « pati », « supporter », « endurer » en vue de légitimer la thèse du rejet. La thèse suivante peut consister à justifier une certaine fécondité de la passion eu égard à la force qu’elle renferme en elle-même pour le progrès social. Aussi, à part l’étude des passions en elles-mêmes, l’élève apprend également les moments constitutifs d’une dissertation philosophique. Il se familiarise avec les possibles articulations entre ces moments. Celles-ci doivent d’ailleurs être clairement énoncées, de telle sorte que les élèves apprennent à philosopher par et pour eux-mêmes en même temps qu’ils apprennent la méthodologie de la dissertation philosophique c’est-à-dire les grands moments qui la jalonnent.

De par sa structure dissertée, la leçon de philosophie enseigne ce qu’est précisément un problème philosophique et la possible résolution qui peut légitimement en découler. Cela est tout aussi valable pour une leçon de philosophie en partant des textes comme prétexte. L’enjeu est le même. En effet, enseigner la philosophie en partant des textes, ce n’est pas exactement enseigner la philosophie à partir des textes. C’est certainement philosopher à partir des textes. Toutefois, c’est davantage apprendre à philosopher avec les textes. Il n’y a pas à proprement parler les textes philosophiques d’un côté et l’apprentissage du philosopher de l’autre. Il y a simplement simultanéité dans la pratique.

C’est dans la lecture des textes que l’apprentissage du philosopher se fait. L’étude des textes ne se fait pas de telle sorte que le lien avec la notion à étudier ne soit pas établi. Au contraire, cette étude doit permettre de formuler un problème philosophique à propos. L’idéal est de proposer aux apprenants au moins huit textes qui correspondent chacun à un moment précis d’une leçon de philosophie : Introduction-Développement-Conclusion. Deux pour l’Introduction; quatre pour le Développement et deux pour la Conclusion. Les deux textes de l’Introduction devraient logiquement refléter le débat avenir. C’est par la confrontation de ces deux textes dont chacun propose une thèse différente que l’enseignant, avec le concours de ses apprenants, formule le problème philosophique lié à la ou aux notions à étudier. Les deux thèses clairement identifiées et justifiées par chaque auteur dans chaque texte devraient constituer des points de départ pour élaborer un sujet de dissertation philosophique classique. Chaque thèse est déjà en soi un moment du développement.

L’avantage avec l’enseignement de la philosophie en partant des textes comme prétexte, c’est que les éléments de la discussion sont d’abord les textes. Dès lors, une fois les différentes thèses à justifier au développement connues, il resterait à l’enseignant, de manière pratique et en collaboration avec ses apprenants, de pouvoir ranger chaque texte des quatre textes au développement dans un casier bien précis : thèse; antithèse voire synthèse, au besoin. Deux en thèse et deux en antithèse. Le reste du travail consistera à retrouver les différentes thèses comme points de vues des auteurs et de les nourrir par des échanges philosophiques entre enseignant et élèves. C’est ici que l’enseignant devrait logiquement introduire la notion d’intérêt philosophique.

En effet, au niveau du développement, le travail didactique ne consiste pas seulement à retrouver des thèses dans des textes et à les expliquer pour une meilleure compréhension des élèves. L’enseignant doit surtout faire preuve de génie en convoquant régulièrement la culture philosophique de ses élèves et la sienne propre. L’objectif est de procéder à une explication commentée des différentes thèses contenues dans les textes à examiner. Il se n’agit pas d’expliquer puis discuter. Mais précisément expliquer et discuter.

En principe, dans le cadre d’une leçon de la philosophie en partant des textes comme prétexte, l’explication colle à la réalité même du commentaire de texte philosophique. Si l’explication en soi ou étude ordonnée consiste à expliciter, délier, passer de l’inconnu au connu; le commentaire proprement dit ou intérêt philosophique s’attache à discuter de la pertinence du texte, de l’actualité de la thèse d’un auteur, de ce que l’on gagne et de ce que l’on perd en le soutenant. Ici, c’est l’avis de l’apprenant qui compte. L’intérêt philosophique devient ainsi le lieu de la discussion par excellence.

Pour une leçon de philosophie en partant des textes comme prétexte, l’intérêt philosophique se fait en même temps que l’étude ordonnée. Il ne s’agit plus d’expliquer d’abord, discuter ensuite. On explique tout en discutant de ce qui s’affirme ici et là dans les différents textes retenus au développement. Les repères sont trop tôt fixés dès l’introduction avec les textes introductifs. Après une lecture attentive des deux textes, on procédera pour chaque texte par une série de questions primaires :

  1. De quoi parle précisément le texte?

  2. À quelle question l’auteur s’efforce-t-il de répondre par rapport à cet objet?

  3. Quelle est la posture théorique de l’auteur par rapport à cette question?

  4. Quelle peut être la thèse opposée à celle justifiée par l’auteur?

Cette série de question devrait logiquement constituer le fil d’Ariane pour conduire une leçon de philosophie en partant des textes comme prétexte.

À partir de la dernière question par exemple, l’enseignent devrait être objectivement outillé pour introduire un second texte. Soit pour asseoir une thèse au développement ou pour réfuter une thèse en introduction ou en conclusion dont les deux textes constitutifs de chaque moment devraient refléter des thèses opposées chacun. Le lien doit être nettement établi pour montrer que ce second texte justifie une thèse ou en réfute une.

Dans le cas de l’introduction, répondre à cette quatrième et dernière question devrait constituer une transition trouvée vers la formulation du problème philosophique et l’énonciation de ses différentes problématiques. Ici, la problématisation se fait dans et en partant des textes. La conceptualisation jalonne tout le travail de mise en tension des textes. L’argumentation se nourrit d’abord des textes, avant de s’ouvrir à toute la culture philosophique, dans la perspective d’un cours de méthodologie du commentaire de texte philosophique. Car, le libellé actuel du Sujet-texte nous invite davantage à une explication-commentée plutôt qu’à une explication détachée du commentaire. C’est tout le sens de l’expression « en partant de » qui se distingue de l’ancienne formule « à partir de ».

« En partant de » exclu toute possibilité de cassure et invite à la simultanéité où l’explication de texte se fait en même temps que le commentaire. Ce qui n’est pas le cas avec la formule « à partir de » dans laquelle la coupure entre explication et commentaire transparaît. Autrement dit, expliquer avant; commenter après. Dans tous les cas, une leçon de philosophie en partant des textes comme prétexte finit par se muer en dissertation philosophique : disserter en partant de textes comme prétexte, sans que l’enjeu majeur de l’enseignement de la méthodologie du commentaire philosophique ne soit occulté.

Mais, qu’il s’agisse d’une leçon de philosophie dissertée ou d’une leçon de philosophie en partant des textes comme prétexte, la leçon de philosophie ne saurait se soustraire de l’exigence d’une dissertation philosophique classique. Le professionnalisme en enseignement de la philosophie réside dans la maîtrise des outils didactiques pour une didactisation du philosopher en pratique, pour un réel enseignement philosophique.

Pertinence et enjeux de la didactisation du philosopher dans l’enseignement secondaire au Gabon

S’il n’y a, à proprement parler, pas de philosophie que l’on puisse apprendre et que l’on ne peut apprendre qu’à philosopher; cette posture kantienne, qui a du sens, mérite didactiquement un tout autre regard. Il ne faut surtout pas, dans une perspective hégélienne, ignorer l’effort constant du serpent à se mordre la queue, à se constituer en cercle. La pertinence de la pratique de la didactique d’apprentissage du philosopher intervient justement à ce niveau. Il s’agit d’accompagner l’élève dans un effort individuel à pénétrer la difficulté de se questionner et de prétendre résoudre des problèmes philosophiques.

Apprendre à philosopher consiste légitimement à apprendre le philosopher. Autrement dit, apprendre à apprendre à philosopher, dans le cas d’un réel enseignement philosophique. Apprendre à apprendre à philosopher suppose l’acte philosophique par lequel enseignants et élèves s’éduquent mutuellement les esprits en situation-classe, par un questionnement méthodique, organisé, pensé c’est-à-dire ordonné et non naïf. Il faut sortir de l’impersonnel philosophique dans lequel tout le monde pense penser, être devenu, comme par enchantement, soudainement philosophe parce qu’il s’interroge. L’interrogation philosophique est toujours une interrogation autre : une interrogation éduquée.

Si apprendre à philosopher est un acte humain, puisque l’éducation est elle-même humaine, si on s’en tient à la posture kantienne; apprendre le philosopher coïncide avec l’exigence didactique en amont. En clair, si tous les hommes sont disposés à philosopher, et donc susceptibles d’apprendre à philosopher et le philosopher, à l’origine; apprendre le philosopher se distingue d’apprendre à philosopher en ce qu’il exige des outils didactiques appropriés, auréolés du génie de l’enseignant en situation-classe. Au-delà de la connaissance et de la maitrise de ces différents outils, l’engagement propre de l’enseignant est continuellement interpellé en pratique pour un réel philosopher avec ses élèves.

Apprendre à philosopher comme quoi tous les hommes peuvent se le permettre; apprendre le philosopher comme quoi certains préalables s’imposent à la base, au-delà de la disposition de tout homme à apprendre à philosopher. Il ne suffit plus seulement d’être disposé à apprendre à philosopher. Il faut apprendre à apprendre à philosopher. Aux côtés de la didactique de la philosophie, de la didactique de l’apprentissage du philosopher, la didactisation du philosopher se précise : Enseigner la philosophie pour apprendre à apprendre à philosopher en vue d’un réel philosopher en situation-classe et dans la vie.

Pour tout enseignant de philosophie en formation initiale, la didactique de la philosophie ne consiste pas précisément à apprendre une quelconque recette miracle dans l’optique d’amener les élèves à penser par et pour eux-mêmes. À l’opposé, elle veut éveiller à la didactique de l’apprentissage du philosopher en vue d’une meilleure didactisation du philosopher en situation-classe. L’objectif à terme est d’amener les élèves-professeurs de philosophie en fin de cycle à amener les élèves à apprendre à apprendre à philosopher. Autrement dit, apprendre le philosopher, au-delà d’apprendre à philosopher.

Enseigner la philosophie est l’objet que s’assigne la didactique de la philosophie. Cependant, étant donné la nature fugitive de la discipline qu’est la philosophie, enseigner la philosophie implique l’apprentissage du philosopher. Toutefois, au-delà de se mettre à l’école des philosophes ou à celle de la simple pensée comme dans le cadre de la philosophie avec les enfants, c’est dans l’urgence de la situation que se constitue véritablement la didactique d’apprentissage du philosopher.

Si, dans le cadre de la planification pédagogique, le détail d’un acte éducatif est souvent difficile à déterminer avec précision; la didactique d’apprentissage du philosopher demeure une didactique de la situation. Par ailleurs, le réel philosophique étant toujours un réel non stabilisé à l’origine, il n’y aurait substantiellement rien de constituer que l’on nomme didactique de la philosophie et que l’on puisse apprendre aux élèves-professeurs en formation initiale pour enseigner. La didactisation du philosopher se situe justement à l’intersection entre la didactique de la philosophie comme un savoir constitué à enseigner aux élèves-professeurs de philosophie et la didactique d’apprentissage du philosopher comme activité pédagogique en situation-classe. Elle consiste à s’exercer soi-même au philosopher, par l’apprentissage des outils didactiques, avec le concours de ses élèves.

La didactisation du philosopher a pour but principal de mieux accompagner des élèves dans l’acte du philosopher. L’enseignant de philosophie n’enseigne pas, stricto sensu. Il apprend à apprendre à philosopher. L’interrogation éduquée devient prioritaire par rapport à des contenus à transmettre, aux savoirs à enseigner. Le rôle du didacticien de la philosophie en formation initiale des enseignants n’est plus exactement celui d’instruire les élèves-professeurs sur comment enseigner les philosophes et les philosophies, ou comment apprendre à philosopher. Le principal est de s’interroger sur comment chaque futur enseignant de philosophie peut se proposer d’apprendre à apprendre à philosopher.

La didactisation du philosopher ne préjuge rien d’autre que ce qui se fait dans l’acte d’apprentissage du philosopher. La philosophie ne s’enseigne pas comme si on enseignait un théorème mathématique quelconque. Il n’y a en réalité rien à enseigner aux élève, au sens propre du terme. La philosophie étant une discipline éclectique. La philosophie embrasse tellement d’éléments disciplinaires qu’elle se retrouve associée à plusieurs questionnements. Du coup, il n’est pas moins légitime de se demander si la didactique de la philosophie est possible. Dans la même veine, la didactique d’apprentissage du philosopher s’accommoderait moins à un réel philosopher en situation classe où la situation fait la classe. Il faut régulièrement gérer l’imprévu dans l’acte éducatif.

En effet, on n’enseigne pas un programme officiel de philosophie. On apprend à philosopher à partir d’un programme officiel de philosophie. Mieux, on philosophe avec un programme officiel de philosophie pour apprendre à apprendre à philosopher. Un programme scolaire de philosophie accompagne l’enseignant sans se substituer à lui. Il ne dit pas à l’enseignant ce qu’il faut faire en classe. Il oriente l’enseignant sur ce qu’il est possible de faire en situation-classe. La priorité, ce n’est pas tant le programme en soi. Ce qui compte, c’est que l’élève parvienne à penser par et pour lui-même.

Le caractère officiel d’un programme de philosophie ne condamne pas l’enseignant à la routine. Il est toujours possible de faire autrement. C’est tout le sens à accorder à la notion de didactisation du philosopher comme apprendre à apprendre à philosopher.

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