"Mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine" (Michel de Montaigne)
I) Genèse
C'est dans le contexte du confinement que j'ai envisagé de produire des méditations philosophiques. En effet, l'impossibilité de rejoindre des cercles de parole empêchait, à première vue, de poursuivre les ateliers philosophiques tels qu'initiés dans les écoles. Certes, les outils modernes de communication permettent de proposer des rencontres virtuelles, mais je vois dans ce procédé un moyen de limiter la casse plutôt qu'une réelle bonne idée. Résoudre une difficulté existentielle par une innovation technique me semble un peu trop correspondre aux réponses que notre société de consommation nous sert à l'assiette. Les médias, les institutions... en ont régulièrement plein la bouche ; or j'ai tendance à préférer le bien-fait au bien-plein.
Puisque ce confinement réduisait nos interactions humaines au strict minimum, autant en profiter pour développer une relation qu'en temps normal nous avons la fâcheuse habitude d'oublier, celle avec nous-mêmes.
Alors que l'atelier philosophique, en confrontant aux réflexions des uns et des autres invite à faire évoluer la pensée, à l'ouvrir sur de nouveaux horizons, la méditation philosophique viserait à creuser en soi la possibilité d'une pensée plurielle. J'ai souvent remarqué qu'une des limites de l'atelier était de s'arrêter à une énumération d'opinions. La méditation me paraissait un moyen efficace pour permettre à l'élève de dépasser déjà en lui-même ce stade de l'opinion. Je décidais donc d'enregistrer des réflexions guidées que j'envoyais directement aux écoles sous forme de fichier audio.
II) Quelle forme ?
La méditation philosophique est un ancien procédé, en revanche sa forme peut être originale.
Ma proposition reprend les axes d'un atelier philosophique : une introduction par un temps de pratique de l'attention ; la présentation du sujet ; le débat nourri par des questions et des synthèses de passage ; une conclusion comme une ouverture sur de nouvelles interrogations.
a) Grâce au gong d'un bol sonore, entrer dans le silence.
b) Présentation du sujet en utilisant une expérience de pensée, ou une mise en situation par l'imagination. De cette manière, l'élève peut visualiser les éléments qui vont ensuite servir de base pour la réflexion.
c) Solliciter la pensée par une question qui met l'accent sur un possible déséquilibre auquel nous a conduit l'expérience. Inviter l'élève à mettre le fichier audio en pause afin qu'il puisse noter toutes les idées que suscite en lui cette mise en déséquilibre.
d) Donner des informations qui viennent résoudre en partie ce déséquilibre et de nouvelles questions afin de poursuivre le mouvement en avant.
e) Arriver peu à peu à quelque chose de satisfaisant, mais pas de statique.
f) Conclusion : en reprenant des citations de philosophes, inviter l'élève à poursuivre la réflexion de son côté et avec ses proches.
III) Pour quel objectif ?
Il ne s'agissait pas de remplacer l'atelier philosophique tel que proposé dans les classes, mais de profiter des conditions exceptionnelles du confinement pour creuser une voie à mon sens trop souvent écartée :
- Un temps privilégié pour aider à la concentration.
- Découvrir des expériences de pensée.
- Prendre le temps de découvrir la capacité du cerveau à produire des idées.
- Pratiquer le déséquilibre afin de mettre la réflexion en mouvement.
- Acquérir des fragments de connaissance grâce aux citations et informations nécessaires à la réflexion.
- Grandir en estime de soi par la découverte de capacités parfois un peu endormies.
- (Re)trouver du plaisir à réfléchir.
- Garder une trace de l'expérience et pouvoir y revenir.
- Composer son carnet philo.
Comme le fait apparaître la liste ci-dessus, ces méditations offrent de nombreux avantages. Sur un plan purement philosophique, je noterai que ce procédé est une belle invitation à accoucher de son petit philosophe intérieur. Non seulement pour l'élève, mais aussi pour l'animateur qui, empruntant un chemin plus introspectif, habite davantage sa propre pensée. J'ai toujours conçu les ateliers comme des portes vers un devenir philosophe au quotidien et il me semble que ces méditations en élargissent l'entrée.
L'expérience de pensée et le déséquilibre comme moyens privilégiés pour susciter la réflexion permettent aussi de mieux ancrer une posture philosophique fondamentale qu'un atelier ne permet pas toujours d'approfondir.
De plus, la possibilité de revenir facilement à ces méditations et leur inscription dans un cadre géographique plus intime, sa chambre plutôt que la salle de classe, permettent de sortir de ce clivage entre maison et école où le fait de penser se retrouve cloisonné en un lieu et un temps.
Enfin, en rapprochant et mariant des pratiques plutôt attribuées à un domaine spirituel, ces méditations pourraient aussi conduire les élèves à plus d'unité entre leur raison et leur foi, à éclairer certaines de leurs postures plus intuitives ou même dogmatiques, à apaiser aussi leurs angoisses existentielles.
J'ai eu la possibilité de partager sept méditations, trois pour des classes de CM1 et quatre pour des classes de lycée. D'après les quelques retours, il semblerait que les élèves aient apprécié ce rendez-vous avec eux-mêmes et la possibilité d'approfondir leur propre pensée.
Je pense qu'à l'avenir, je proposerai ces méditations comme un préalable aux ateliers. La forme d'une réflexion guidée permet à l'élève de voyager dans ses pensées et de s'en découvrir de nouvelles, alors que, confronté à une question philosophique, il a tendance à s'arrêter aux réponses qu'il croit posséder.
Lors d'une série de plusieurs séances, il serait possible d'envisager ces méditations comme un atelier autrement, où chaque élève prendrait le temps de noter sa pensée et son évolution afin de la partager dans un deuxième temps de débat plus classique.
IV) Quelques exemples
Dans le cadre de ces méditations, j'ai abordé entre autres thèmes celui de l'écologie, de l'amour, de la solidarité, du jugement...
Ci-joint les liens qui vous permettront d'y accéder.
La fraternité : un devoir moral ou l'expression de l'amour gratuit ?