Revue

Les parlottes des Théopopettes - Les enfants d'abord, les enfants d'accord !

Introduction

Et si... on mettait au service des enfants non-lecteurs une forme de catalyseur de réflexion ? Et si... cela se faisait au travers du théâtre ? Et si... on imaginait pour cela que deux marionnettes, Popette et Théo, en soient les personnages ? Et si... à travers des situations de leur quotidien1, ces deux-là offraient au jeune public une occasion de se positionner, d'entamer une réflexion, de construire leur pensée, de philosopher ? Et si... les parents qui les accompagnent en profitaient pour écouter autrement leurs enfants s'exprimer ?

C'est bien ce défi qui a été à l'origine des "parlottes des Théopopettes" en 2009.

Pour débuter leur 10e saison, les Théopopettes ont été invitées à participer aux manifestations organisées à Genève autour du 30e anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant2. Dès lors, toutes sortes de questions m'ont assaillie : comment parler des droits de l'enfant sans qu'il s'agisse d'un catalogue plus ou moins exhaustif, culpabilisant pour les uns et inutile pour les autres ? Comment rester au plus près des préoccupations des enfants d'ici tout en initiant une véritable ouverture sur celles des enfants d'ailleurs ? Comment ne pas induire des réponses à des questions qui ne se poseraient pas ?

Arrêter de réfléchir et se lancer dans l'écriture : comme souvent, ces deux petits personnages qui me sont devenus plus que familiers, me dictent leurs intentions. Je les entends, aidée en cela par l'excellente interprétation des deux comédiennes qui les animent : Myriam Sintado et Lorianne Cherpillod.

I) Questions sur les droits des enfants

Voici l'amorce de cet épisode : Théo joue avec un téléphone et Popette s'énerve en attendant son tour. Elle finit par manger tout le gâteau qu'ils devaient se partager. Ils appellent "Madame Florence"3 en espérant qu'elle arbitre leur différend. Les voici tous les trois engagés dans un échange que traverseront plusieurs questions.

Dans le monde des Théopopettes, on peut inventer, créer, imaginer : est-ce que tout est possible ? Qu'est-ce qui est réversible et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Prêter un jouet qu'on a d'abord voulu garder ? Manger un gâteau ? Casser un oeuf ? Et, plus loin, à propos des droits de l'enfant : si l'on dit que certains "désapprennent" à être enfants, cela signifie-t-il qu'être enfant s'apprend ? Comme on apprend à être menuisier en travaillant le bois ? Et d'ailleurs qu'est-ce qu'un enfant ? Peut-on dresser une liste de ce qui éloigne un enfant de son enfance ? La guerre, l'exil semblent en faire forcément partie. Mais alors, qu'y a-t-il de commun entre l'expérience des enfants qui ont vécu ces traumatismes et celle des enfants du pays d'accueil qui partagent leur nouveau quotidien ? Et les mots qu'on emploie de ce côté de la planète ont-ils le même sens ailleurs ? Quand le papa de Théo dit que son petit frère et lui "se font la guerre" de quoi parle-t-il ?

C'est ainsi que d'étonnements en questions, se déroule cette "parlotte" sur les droits de l'enfant : émaillée des remarques de Popette et de Théo qui ne se privent pas - avec un certain humour - d'interrompre, de digresser, de s'impatienter parce que Madame Florence, bien entendu, ne répond pas à leurs questions mais leur renvoie leurs interrogations.

L'exercice se prolonge par une discussion avec le public. Ce jour-là, nous étions entre adultes, dans le cadre des 18es Rencontres internationales sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques, un public averti. Nous avons néanmoins commencé l'échange comme il avait été fait quelques jours auparavant sur la place des Nations avec un très large public d'enfants : Madame Florence sort de son "coffre à surprises" des objets évoquant certains droits : une gourde (le droit à l'eau potable), une famille lapin (le droit à la famille), un tipi (le droit d'avoir une maison), un stéthoscope (celui d'avoir un nom), un tube à bulles de savon (le droit au jeu), un sac à goûter avec un prénom (celui d'avoir un nom), deux coeurs qui s'emboîtent (celui d'être protégé) etc. Ces objets ont été choisis à la suite d'une discussion avec des enfants sur ce qui pourrait symboliser tel ou tel droit. Dès le premier objet sorti, il est évident qu'il n'y a pas une signification du symbole mais plusieurs : loin d'être un obstacle, cette constatation nous amène à une nouvelle discussion sur les symboles et leur interprétation.

L'énoncé des droits amène de nouvelles questions du public et certaines prises de conscience : en voici quelques-unes, glanées au cours des discussions : pourquoi "avoir un nom" est-ce un droit ? Cela signifie-t-il que certains n'ont pas de nom ? Comment peut-on exister sans nom ? Avoir une nationalité : qu'est-ce qu'une nationalité ? À quoi cela sert-il ? En quoi avoir une nationalité est différent d'avoir plusieurs nationalités ? Une nationalité, est-ce différent d'un pays ? Pourquoi doit-on préciser qu'être nourri est un droit ? N'est-ce pas les parents qui s'occupent de nourrir leurs enfants ? À propos des parents : pourquoi un parent peut-il se tromper ? etc.

La partie jouée de la "parlotte" offre de nombreuses pistes : le public choisira par quelle porte il veut entrer dans la réflexion autour du thème proposé, ce jour-là donc, "les droits de enfants".

II) À propos des parlottes...

Près de 40 thèmes ont été développés au fil des saisons : enseignante pendant plus de 30 ans, j'ai eu l'occasion d'observer, d'écouter et de m'inspirer des enfants. Les thèmes abordés sont ceux de la vie quotidienne des enfants : la jalousie, l'envie, l'amitié, la politesse... mais aussi des sujets plus "graves" tels que : la maladie, la mort, le handicap, le secret.

Certaines parlottes posent des questions sur Dieu, mais elles ne sont pas de loin la majorité : sans jamais cacher que ce projet s'inscrit dans le cadre de l'Eglise Protestante de Genève, (notre producteur), le propos est de s'ouvrir le plus largement possible à un public qui ne désire pas souscrire à un aspect religieux. Le défi pour l'église est de savoir qu'elle peut tenir un propos "laïque" tout en restant intègre et inspirée. Elle m'a fait confiance pour relever ce défi.

Confronter ses idées à celles des autres, s'enrichir de la diversité, faire l'expérience de sa propre pensée, affiner sa perception du monde extérieur en apprenant à conceptualiser, argumenter et problématiser : autant de compétences nécessaires à l'enfant pour lui permettre d'appréhender tous les domaines de son environnement. C'est ainsi que je le comprends et c'est ce qui m'anime.

Deux questions se sont rapidement imposées : comment interagir avec un public éphémère et nombreux ? Comment concilier le personnage de Madame Florence qui interagit avec Popette et Théo durant la saynète avec l'animatrice de l'échange qui suit la saynète ? Y a-t-il collusion ?

Dans les premières saynètes, Madame Florence n'intervenait pas ou très peu et laissait la place aux marionnettes. Mais il m'est vite apparu que mon intervention après la saynète avait un côté artificiel : comment expliquer que je sois au courant de ce qui s'était dit ? De plus, j'ai toujours voulu que les parlottes se déroulent avec authenticité : par exemple, les marionnettistes sont visibles tout au long du spectacle. Elles sont appelées "les grandes", interagissent souvent avec leurs marionnettes. Il n'est jamais caché que Popette et Théo sont des marionnettes qui n'existeraient pas sans leurs "grandes". Les enfants et les adultes qui les accompagnent acceptent ce paradoxe. C'est une règle du jeu tacite.

Il faut donc que Madame Florence fasse partie de la saynète pour pouvoir prolonger la réflexion avec le public. Tout l'enjeu est de permettre aux enfants de pouvoir s'exprimer différemment de l'adulte que je représente durant la saynète. Je m'efforce continuellement de garder cet équilibre difficile. Une des "parades" est de montrer au fil des parlottes que Madame Florence peut se tromper, doute et se trompe. Ce qui remplit de joie - ou agace- Popette et Théo.

Pour contourner l'obstacle du nombre de participants (nous pouvons avoir jusque 70 enfants en spectacle), je propose parfois aux enfants de "voter" pour affiner une notion : sur le sujet des droits des enfants, nous avons été amenés à demander aux enfants de voter sur ce qui est indispensable- après avoir cherché ensemble ce que signifie ce mot- à un enfant ou ne l'est pas : un axe est matérialisé sur le castelet entre deux pôles, indispensable et non indispensable.

Je fais des propositions aux enfants en images et en objets tirés d'un de mes "coffres-surprises" et eux "votent" à l'aide de cartons sur lesquels sont inscrits ces deux propositions. Cela amène toujours un questionnement : précision du vocabulaire, contextes différents, interprétation de l'image ou de l'objet, confrontation des idées... cela permet aussi que certains prennent la parole de manière indirecte dans un grand groupe, que d'autres constatent qu'il peut y avoir des opinions différentes.

Les enfants sont assis sur des coussins devant le castelet, les parents le plus souvent derrière, sur des chaises. Ils réagissent au spectacle et à la discussion mais n'interviennent pas. Cependant, le fait d'avoir assisté à l'ensemble de la parlotte leur permet de prolonger l'échange à la maison s'ils le désirent. De nombreux parents viennent me dire à la fin de la parlotte leur intérêt et me remercient d'avoir abordé tel ou tel sujet avec les enfants : eux aussi entament une réflexion et profitent de la richesse des échanges : c'est une conséquence que je n'avais pas anticipée.

D'autres personnages sont présents dans la famille des Théopopettes, qui permettent d'aborder des sujets spécifiques : Mathys, un petit garçon en chaise roulante, Giovanni qui arrive d'Italie, Azhîma, une copine de Popette, qui est musulmane, Sipoint, la coccinelle de compagnie de Popette et enfin la FourmiX, une fourmi savante. Ces personnages n'interviennent que dans certaines parlottes où leur présence est requise et leur intervention implique la présence d'autres comédiens, tous familiers des parlottes.

Un clip a été tourné pour introduire la seconde chanson des Théopopettes. https://www.youtube.com/watch?v=6lCZh84PcsY

Aujourd'hui, les parlottes des Théopopettes se déclinent sous trois formes :

1. Les spectacles :

- En saison : depuis 2009, les parlottes des Théopopettes sont jouées à quinzaine entre octobre et avril.

- En tournée : les Théopopettes se déplacent à la demande en suisse romande et dans toute la francophonie dans les écoles, théâtre etc. Ces représentations font l'objet d'une démarche pédagogique mise en place entre les intervenants et le lieu hôte.

2. Trois DVD, compilations des trois premières saisons, sont disponibles.

3. Et depuis peu, une collection de livres a été créée : la collection des Théopopettes.

Chaque album se décline sous la forme :

- d'une petite histoire qui met en scène Popette, Théo et Sipoint ;

- de pages consacrées à des questions "pour discuter" et "pour parlotter" ;

- d'un encart "pour les grands" qui proposent quelques pistes de réflexion à l'adulte qui partagera la lecture avec l'enfant ;

- d'un texte biblique qui n'est pas commenté mais introduit par la FourmiX. Ce texte met en perspective le thème en proposant un récit tiré de la Bible qui se veut une ouverture sur la culture chrétienne. 7 titres sont déjà à disposition.

En conclusion....

Les parlottes des Théopopettes représentent une formidable aventure qui a complètement dépassé tout ce que je pouvais imaginer au départ. Ma motivation première était d'allier ma passion du théâtre, celle de l'enseignement et celle de la philosophie pour les enfants (une des découvertes pédagogiques les plus marquantes de ma carrière), avec le profond désir d'offrir aux enfants un espace original pour l'exercice de leur pensée. J'essaie d'être toujours au plus près de ce que j'ai découvert dans ma pratique au sein des communautés de recherche dans les classes, en particulier celles de l'Ecole Internationale de Genève où j'ai enseigné durant de nombreuses années. C'est un défi constamment renouvelé, et c'est bien comme cela que j'entends la pratique de la philo pour enfants : accepter d'être bousculée, dérangée, interpelée, sollicitée, questionnée, émerveillée : finalement, accepter de grandir avec et par les enfants.

Annexe

Titre de l'épisode Thèmes
Mais où est Théo ? L'absence, l'amitié
Bonbon et araignée L'apparence des choses
Les chaussures à l'envers L'image de soi, le rapport aux autres
Qu'est-ce qu'on attend ? L'attente
La maladie de "jalouserie" La jalousie
FourmiX est malade La maladie, la réalité
Rêve ou réalité ? Le rapport à la réalité et au rêve
C'est pas juste ! L'injustice
Théo part en voyage Devenir grand
Les Théopopettes(c) prennent soin de leur planète ! L'écologie
Dieu tu es comment ? ! L'image de Dieu, à quoi ressemble Dieu ?
Les experts L'apprentissage, l'indépendance, grandir
Un ami dans une pochette L'amitié
Les "différessemblances" La différence, le respect, la rencontre
Pourquoi faut-il obéir ? L'obéissance, la liberté, le choix
C'est pas moi ! Le mensonge, les petites bêtises
Pourquoi faut-il se séparer ? La séparation, les parents, l'attachement
Théo est à l'hôpital La maladie, la vérité,
Qui je suis, moi ? Grandir, le choix, l'égalité fille/garçon
Chic, on se retrouve ! Le courage,
T'es où, Dieu ? Où est Dieu ? Là où cela va bien ? Là où cela va mal ?
Est-ce que Popette a changé ? Le changement
L'infini et... l'au-delà ! Les limites = l'infiniment grand/petit
Le cadeau L'envie, la convoitise
Et si on se déguisait ? Se déguiser
Les gros mots La politesse, obéir
La mort, c'est pour longtemps ? La mort
C'est pas bien calculé ! La famille, les frères et soeurs, partager
Encore une minute... L'ennui, le temps, les jeux vidéo
C'est lui qui a commencé ! Diriger, les petits chefs
Dieu, tu fais quoi ? Que fait Dieu : il donne ou il reçoit ?

(1) Une quarantaine de thèmes existent : les trente premiers sont disponibles sous forme de vidéos sur les DVD (voir ci-dessous). Une dizaine de titres ont été créés depuis dont certains ont fait l'objet d'une commande spécifique- comme celle du 30ème anniversaire de la Convention des Droits de l'Enfant.

(2) https://www.edm.ch/fr/sensibilisation/fete-droits-enfant

(3) Madame Florence est le nom de scène de Florence Auvergne-Abric, auteure et animatrice des parlottes. Enseignante, elle suit une formation de théâtre ; elle découvre la philosophie pour les enfants au sein de l'Ecole Active où elle enseigne quelques années avant de rejoindre une dynamique équipe pédagogique à l'Ecole Internationale de Genève. Elle y sera titulaire d'une classe et d'un atelier-théâtre durant plus de trente ans. Depuis 2009, elle se consacre au développement des parlottes des Théopopettes.

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