Revue

Notre premier visiocafé philo à Annemasse en situation de confinement

Le café philo, apparu en 1992 avec Marc Sautet, était à l'époque une pratique nouvelle, instituante, de philosophie dans la cité. Depuis près de 30 ans, malgré de multiples variantes dues au style de l'animateur et aux modalités de l'animation, au lieu, au public, etc., il a stabilisé sa forme in praesentia. Or la situation de confinement de la population française en mars et avril 2020 a ouvert à nouveau de l'instituant dans l'institué, par l'instauration de cafés philos par internet. Quel est l'apport de ces nouvelles pratiques ? Que conclure de la comparaison pour le même café philo de deux façons différentes de fonctionner ?  En quoi par exemple le passage par des outils numériques, les possibilités nouvelles qu'ils offrent ainsi que leurs limites, le caractère virtuel et non présentiel du café, la parole prise de chez soi modifient le fonctionnement du café ? En quoi y a-t-il modification de son organisation en amont, notamment pour la maîtrise et l'utilisation de nouveaux outils informatiques ? Y a-t-il des conséquences sur le choix de rôles : président(e) de séance sur la forme, animateur/trice sur le fond ; secrétaire de séance etc. ? Qu'en est-il du choix du sujet (en rapport avec l'actualité ?) ; du déroulement de la réunion : répartition démocratique de la parole, synthèses partielles ; du contenu ? etc.

Michel Tozzi

Confinement oblige, le visiocafé philo, une alternative redoutée en raison de la crainte de ne pouvoir vraiment le modérer, s'est plutôt révélée être une expérience riche, conviviale. Notre expérience s'est bien déroulée, les participants souhaitent la reconduire. Nous n'avons que les avis de ceux qui se sont exprimés et qui n'ont pas été empêchés pour des raisons techniques. Dans tous les cas, nos comptes rendus sont postés sur le forum (https://www.cafesphilo.org), et les participants peuvent réagir, répondre et continuer à enrichir nos échanges.

Ci-dessous, le résumé du contenu de la séance, de sa préparation et de quelques modalités techniques.

I) Quelques indications sur les modalités de gestion de notre débat

Les participants ont été invités par email et sur notre forum1 à suivre nos indications (voir ci-dessous). On peut distinguer celles qui relèvent du bien-être et de la convivialité, des questions techniques, de la modération, de la philosophie, dont on rappelle qu'elle est l'art de s'interroger.

Je crois nécessaire d'envoyer des indications strictement techniques se rapportant à l'usage des outils informatiques. En effet, les "visio-cafés-philo" exigent de se familiariser avec des applications informatiques.

- Installez-vous confortablement avec une boisson.

- Vivez notre moment d'échange comme un moment de pause, mais aussi comme un moment qui va mobiliser votre attention.

- Ici, davantage qu'en situation de débat autour d'une table, ne vous précipitez par pour "prendre la parole". Au contraire, tempérez-vous.

- Si vous souhaitez seulement écouter en dilettante, si vous gribouillez sur une feuille, tapez fort sur votre clavier, soupez devant votre ordinateur, pensez à couper votre micro, de cette manière, les bruits de fond nous seront épargnés, notre écoute, facilitée.

Pour intervenir, quelques indications

- Dans la fenêtre du tchat (conversation écrite) : inscrivez votre nom pour indiquer votre souhait d'intervenir, de cette manière, les noms apparaitront dans l'ordre des demandes de parole.

- Brigitte modérera à l'occasion la distribution de la parole, mais inscrivez votre nom malgré tout.

- Donnons une priorité aux personnes qui interviennent le moins, ou qui n'ont pas encore parlé.

- Si vous en avez le loisir, précisez la nature de votre intervention : demander une précision, revenir vers le sujet, apporter une information, demander un éclaircissement, poser une question, etc.

- On évite de multiplier les exemples, de citer de longues expériences, on va au fait de son argumentation.

- On considère la concision comme un excellent exercice de la pensée.

- On relie son intervention au sujet, on met en lien ce que l'on dit avec ce qui a été dit.

- On creuse, on ouvre, on approfondit, on synthétise, on analyse, on clarifie... tout en évitant autant que possible la dispersion, donc en précisant les liens que l'on fait avec le débat en cours.

Avant de démarrer notre échange

- Connectez-vous dès 18h45, voire plus tôt si vous ne connaissez pas votre matériel, le fonctionnement de votre application visio-conférence. Familiarisez-vous avec votre matériel de sorte à être prêt dès 19h00.

- Proposez dans la fenêtre du tchat (conversation rédigée) une ou des propositions de sujet (si vous le souhaitez).

- Après quelques échanges sur les modalités techniques, on essaie de formuler la question que l'on retiendra pour notre échange.

II) Résumé du contenu de la séance

Quatre propositions de sujets ont été faites

  • Comment distinguer une opinion d'une certitude ?
  • Comment tirer d'un isolement réel (confinement) un vrai bénéfice ?
  • Le politique peut-il imposer des règles et en forcer l'application, alors qu'elles sont discutables et disputées au niveau scientifique ?
  • Comment comprendre les limites personnelles des individus (par exemple, supporter le confinement, respecter les mesures d'hygiène) et leurs difficultés à prendre en compte le bien commun de la communauté ? En somme, quel est le rapport entre l'éthique personnelle et celle de la société ?

D'autres questions ont émergé durant notre débat

  • Est ce qu'un capitaine de vaisseau demande un vote avant d'éviter un récif ?
  • S'informer davantage pour mieux prévoir, est-ce toujours vouloir le contrôle (on peut vouloir plus de savoir pour mieux respecter la vie) ?
  • A quelles conditions et dans quels buts pouvons-nous renoncer à nos valeurs ?
  • Les valeurs s'éduquent-elles ?
  • N'y-a-t-il pas une disproportion des mesures mises en place pour cette épidémie par rapport au nombre de morts causé par le tabac, le cancer, les accidents de la route, les dommages dus à l'industrie, la pollution, l'économie, son mode de vie et son impact sur l'environnement ? - Le comité scientifique réuni par le gouvernement doit-il distinguer les mesures liées à la santé (se protéger en portant masques et gants) et celles liées à des choix de société (confiner tout le monde, comme si les soignants étaient les seuls à comprendre les mesures de protection) ?

Enfin, des questions sont venues après coup, elles ressortaient de nos échanges et s'exprimaient dans l'échange informel qui a suivi le débat.

  • Comment l'État organise-t-il le débat scientifique de sorte que les choix de son comité scientifique soient également questionnés par l'ensemble de la communauté scientifique ?
  • Et finalement, dans nos sociétés nouvelles, une question émergeait en fin de débat : un État démocratique ne doit-il pas donner les moyens à des contre-pouvoirs (presse, comités éthiques, intellectuels, associations de citoyens, syndicats, juristes, universités, etc.) d'avoir accès aux critères des choix qu'il fait, notamment en rendant publiques les problématiques qui se posent et l'éventail des possibilités qui s'offrent ?

Résumé de quelques enchainements argumentatifs

Les questions et les interventions tournaient essentiellement autour de deux axes, l'épistémologie et l'éthique politique.

  • L'opinion n'est pas fondée, elle est rapportée selon différentes influences, affects (peur, rumeur, excitation). La certitude est supposée s'appuyer sur des faits, ces derniers sont interprétés avec une solide argumentation qui, à son tour, peut être soumise à une disputatio.
  • Or les scientifiques ne s'entendent pas entre eux. Comment trancher ? Faut-il alors s'en remettre à l'arbitraire de la raison d'État ?

Dans notre échange, un problème apparaît : certains sont très bien informés, d'autres moins, ce qui empêche de pousser l'argumentation à ses limites. En effet, discuter de l'argumentation scientifique des faits suppose une connaissance fine de ces derniers, mais également des compétences expertes, en biologie par exemple.

Karl Popper est mentionné dans le tchat : la vérification des faits suppose la possibilité de les falsifier, c'est-à-dire de pouvoir les examiner. Or il y a d'un côté les promesses faites par le comité scientifique du gouvernement, lorsqu'ils auront les tests et les traitements attendus, tandis qu'un scientifique dissident (Didier Raoult - éminent spécialiste par ailleurs) promeut une approche pragmatique avec effet immédiat, sur la base d'une étude non protocolaire et réalisée avec un nombre insuffisant de patients.

On ne peut tester (falsifier) des promesses, faut-il alors officialiser temporairement des résultats, bien qu'imparfaitement validés ?

Mais la discussion scientifique ayant ses limites, elle cède la place à une autre argumentation : le principe d'autorité de l'État. C'est le gouvernement et son comité scientifique qui statuent en droit sur les pratiques, les directives et les conduites à tenir.

Parenthèse épistémologique

Il se pose néanmoins la question de ce que la science peut "savoir". Autrement dit, se doit-elle de réunir un savoir absolu, sinon indiscutable, avant de se prononcer ? Le savoir, y compris scientifique, est-il nécessairement limité, voire partiel, et par conséquent, toujours relatif à la somme des connaissances réunies à un instant T ? Si oui, la question du scepticisme se pose : peut-on vraiment savoir quelque chose ? Ou, pour le dire autrement : quelles sont les conditions de possibilité d'un savoir (Cf. Kant : les limites de la raison) ?

Pourtant, un tel scepticisme subjectiverait toutes les réponses, toutes les argumentations se vaudraient (relativisme absolu). Conséquence : l'impossibilité de trancher, nos choix se réduisent à une subjectivité de fait. D'où l'idée de revenir aux faits, aux savoirs établis par opposition à ceux attendus (Husserl : revenir aux choses mêmes) et par le réexamen des interprétations. En effet, seuls les savoirs établis peuvent être testés (Karl Popper : par la falsification des hypothèses), mais non les promesses. A considérer notamment les ruptures épistémologiques pour ouvrir de nouvelles perspectives (Gaston Bachelard) ou permettre des "émergences".

Second problème

L'autorité du gouvernement est-elle discutable si l'urgence (la vie et la mort des personnes en dépendent) le commande ? N'est-il pas en droit d'exercer tout pouvoir ? Son élection ne le fonde-t-elle pas en droit ?

Certes, l'autorité, la force publique et le droit sont remis entre les mains du gouvernement, mais avons-nous des garantis quant à sa probité, sa volonté à considérer l'intérêt commun de la population ? Ses décisions sont-elles impartiales, ne peut-il pas être lui aussi victime de préjugés de classe, d'intérêts secondaires, de biais cognitifs, du sentiment de sa toute-puissance ? D'ailleurs opère-t-il en toute transparence ? Le gouvernement peut-il volontairement, par négligence, incompétence, tromper le peuple ?

Se pose finalement la question de la ligne de partage entre les intérêts du peuple (le bien commun) et celui de "l'élite" (le gouvernement) qui la pense et l'impose d'autorité au peuple. Rousseau préconise que le gouvernement ne soit pas législateur, précisément pour qu'il ne soit pas tenté de légiférer en sa faveur et contre les intérêts du peuple (la volonté générale). La question a été soulevée : le gouvernement n'abuse-t-il pas de son droit, de sa puissance, de son rapport d'influence pour contraindre le peuple au nom d'un bien dont il tire des règles par ordonnance, donc sans réelle délibération ?

Des participants font remarquer que nous ignorons (à propos de la crise actuelle) le pourcentage de ceux qui se prononcent "pour" ou "contre" les décisions du gouvernement. Toutefois, de la part de ceux qui lui donnent raison, on observe les argumentations suivantes :

  • le capitaine du navire doit décider sur le champ pour éviter le récif ;
  • le gouvernement fait avec ses moyens, et ils ne sont pas infinis ;
  • le confinement, c'est finalement rassurant.

Or toutes les décisions que le gouvernement prend, d'un point de vue scientifique comme d'un point de vue économique, éthique sont discutables... Pour preuve, d'autres pays, avec d'autres pratiques, s'en sortent mieux dans la gestion de la crise (moins de victimes). La même observation peut être faite pour le contrôle et l'indépendance des institutions et des pouvoirs en place.

On évoque enfin, mais trop brièvement, une nouvelle éthique ou de nouvelles formes de gestions pour penser notre monde d'aujourd'hui. On terminera notre débat en posant la question : lorsqu'on désobéit, à quoi obéit-on ?

Il s'agit de questionner la tendance à remettre en cause les directives des autorités. Se pose la question de savoir au nom de quels profits, au nom de quelle utopie, au nom de quelles valeurs nous défendons nos choix ?

III) Apports et limites de l'instituant

L'appréciation des participants

Nous avons recueilli des témoignages de participants quant à leur appréciation du visio-caféphilo. Tous préfèrent nos rencontres en présentiel, mais l'organisation d'un visio-café est perçue comme une initiative "heureuse", elle entretient des liens déjà tissés, permet l'accueil de nouvelles personnes et la connexion d'amis venus de différentes régions de France, de Belgique ou d'ailleurs. Ainsi notre activité se poursuit, centrée sur l'enrichissement, la prise de distance par rapport à notre propre pensée, grâce à la mise en commun de nos réflexions.

Quelques précisions en marge de cette appréciation

Le ressenti instantané des autres participants, le partage des sourires, des gestes d'accueil, des mimiques, le fait de voir l'ensemble des participants autour de la grande table lors de nos échanges est unanimement apprécié. On le comprend : notre cerveau est dans un corps et non dans un bocal relié à des électrodes, lesquelles se substitueraient à nos perceptions pour l'informer sur son environnement. Or, communiquer d'écran à écran s'apparente à une quasi-communication "virtuelle" (à un cerveau dans un bocal), en effet, notre corps n'est pas impliqué de la même manière dans cette relation : nous ne sommes plus "touchés", littéralement parlant. Nous apparaissons comme des images d'êtres humains percevant d'autres images et y réagissant. Cette forme de communication amenuise le sentiment du lien et nous détache du réel de l'autre. Notre attention se tourne alors vers notre propre intériorité, notre subjectivité se trouve alors comme sur-stimulée, ce qui peut donner le sentiment de se vivre avec plus d'intensité. Il semble aller de soi qu'en se centrant davantage sur soi, on en ressente moins la présence de l'autre. Les dangers de cette communication, dans le cas d'un usage intensif (et non seulement via les jeux vidéo), sont mieux connus actuellement : le repli-enfermement sur soi, l'atrophie de zones cérébrales (mis en évidence par les neurosciences) qui témoignent d'une altération de notre développement sur le plan physique, cognitif et psycho-affectif.

Pourtant, il y a des avantages à exercer notre pensée de la sorte, c'est-à-dire comme "hors du corps". En effet, le recul par rapport à sa propre pensée et celle des autres peut être facilité, puisque les sensations sont en partie tenues à distance. Nous y reviendrons. En attendant, les participants ont constaté que ce retour sur soi est particulièrement coûteux en énergie, chacun ressentant l'exigence requise pour mieux se contrôler face à l'écran. Par exemple, il est impossible d'interrompre son interlocuteur lors des échanges en visio-conférence car les messages sont instantanément inaudibles.

Le média technique impose de fait une autre forme de pondération quant au rythme des échanges. En effet, certains participants estiment que la longueur des interventions se fait davantage ressentir et, si le locuteur n'y prête attention, les autres participants "débranchent" vite. L'agacement peut se manifester par des soupirs, un commentaire dans le tchat ou le détournement de son attention vers d'autres activités (le participant qui "sort" de l'écran, répond à un appel téléphonique, se met en absence, etc.). Chacun étant comme dans son propre monde, ne partageant donc plus un même environnement, il peut facilement décrocher de l'interface écran.

Toutefois, la nécessité d'une sur-attention semble bien acceptée dans notre visio-café philo.

Outre des avantages (la prise de recul, l'économie du déplacement) : le fait de soutenir sa pensée, dans ce contexte peut être ressenti comme une victoire sur soi-même.

Un autre avantage a été souligné : l'apport des "tchats" (conversation écrite) qui défilent en parallèle aux échanges de vive-voix. Notre distributrice de la parole (Brigitte), les lisait à haute-voix, invitant parfois son auteur à préciser sa pensée. De fait, le débat pouvait gagner en cohérence, car des arguments insuffisamment clarifiés se trouvaient précisés dans la fenêtre du tchat. D'autres participants pratiquaient le fact-checking (vérification des faits) ou profitaient de leur connexion internet pour rechercher l'information qui manquait à leur démonstration. Le rôle du distributeur de la parole et celui du reformulateur sont donc encore plus importants pour aider à structurer les échanges. Dans un groupe peu nombreux, entre 15 et 20 participants, et si chacun pondère sa pratique, ces apports (tchat et fact-checking) enrichissent le débat non seulement en termes de quantités d'informations, mais aussi de qualité.

Rappelons cependant qu'il convient, par rapport à la profusion des informations et à leur éventuelle dispersion, de savoir organiser en soi une cohérence quant à sa propre pensée.

Ce préalable à une visée philosophique (rendre compte à soi-même de sa pensée et la mettre en partage pour la questionner) est souvent rappelé en début de séance, y compris dans les visio-cafés. Dans cette dynamique participative, à la fin du café philo "en réel", les participants qui le souhaitent sont invités à faire un exercice de conclusion, à résumer une idée qu'ils retiendraient, à faire une remarque sur la tenue générale du débat ou, mieux encore, à poster dans le forum des idées ou un compte-rendu. Dans la pratique virtuelle, les participants ayant leur clavier sous la main, il peut être intéressant de les inviter à rédiger dans le tchat la ou les questions, voire les problématiques, qu'ils ont formulées ou retenues. Il suffirait ensuite de rassembler ces questions et problématiques sur un forum et de les mettre en partage. Ces formes de comptes-rendus reprennent parfois les éléments essentiels d'une discussion philosophique. Ces comptes rendus apporteraient de la continuité à un échange qui parfois nous frustre de n'avoir pu exploiter davantage des enjeux que chacun percevait dans le débat en cours.

Dans le café philo traditionnel, le distributeur de la parole est attentif aux demandes de parole, notamment par les personnes qui s'expriment le moins. En particulier, il soutient les hésitations, tempère l'impatience de certains, suggère à ceux qui sont trop loquaces de revenir à l'essentiel de leur intervention.

Mais en visio-café, son attention est redoublée : tous ne maîtrisent pas l'inscription de son nom dans la fenêtre du tchat pour demander la parole, certains négligent l'éclairage de leur image (ils sont dans une pénombre totale) et continuent à demander la parole en levant la main, d'autres rédigent leurs interventions dans le tchat... La vigilance du passeur de parole est donc mobilisée à 100%, et sa frustration peut être grande de ne pouvoir vraiment participer à la discussion. Assumer cette fonction constitue une charge mentale certaine.

Par rapport au rôle du "reformulateur", on note quelques changements entre le virtuel et le réel. Personnellement, je prends souvent ce rôle mais de manière informelle, c'est-à-dire, sans me désigner comme tel. Ainsi, je reformule généralement les premières interventions en début de débat, ce qui semble suffire pour que chacun se rappelle la nécessité de faire le lien entre son intervention et le débat en train de se construire. Mais, à Annemasse, quel que soit le cadre de notre pratique, virtuelle ou réelle : tout participant est invité à reformuler une intervention pour se faire confirmer (ou infirmer) ce qu'il en a compris et, de la même manière, tout un chacun peut résumer une problématique qui émerge entre deux arguments ou peut tenter de faire une synthèse ponctuelle. En somme, la charge de philosopher repose sur chacun, tandis que les responsables d'animation ne mettent en place que le cadre, les règles par lesquelles la pratique de cet exercice philosophique se réinvente, tout en se précisant, en s'adaptant au fil des débats. Toutefois, en raison d'une diversité de participants qui peut être plus grande, en raison également de la difficulté à se synchroniser dans nos interactions lors du débat (formalisme de la demande de la parole qui coupe court à toute réaction spontanée), nous allons tenter une nouvelle forme de demande d'intervention dans le débat : la demande d'éclaircissement ou de reformulation. Ainsi, le participant qui se signalera en affichant un carton rouge, aura priorité de parole par rapport à la liste des demandes. Condition requise : son intervention doit consister en une demande d'éclaircissement (c'est donc une question) soit par rapport à une intervention, soit par rapport à une contradiction qui ressort entre deux interventions (qui peut donc s'apparenter à une problématique, aux premières étapes d'une dialectique).

En amont de la séance

Bien qu'il ressorte que le visio-caféphilo reflète celui tenu dans le réel, il n'empêche qu'il se révèle plus exigeant quant à l'attention mobilisée. Il requiert également une préparation particulière : il s'agit d'informer préalablement les participants des conditions de ce nouveau mode d'échange.

Par exemple, nous avons testé avec une poignée d'amis les applications informatiques que nous allions utiliser pour notre débat. Ainsi, nous avons jugé indispensable de donner quelques indications d'ordre technique (création d'un tutoriel pour l'usage de l'interface Zoom) ou d'ordre procédural (couper son micro, écrire son nom...). En effet, il importe de se familiariser avec les outils informatiques et leur étrangeté afin de se rendre disponible pour le débat.

Enfin, concernant le choix du sujet, et compte tenu de la charge émotionnelle quasi permanente qu'implique le confinement, pour ce premier visio-caféphilo, nous avons choisi de ne pas suggérer d'emblée un thème. C'est comme s'il fallait d'abord retisser le lien social, être à l'écoute du sentiment général et des questions que soulève cette situation totalement inédite. De fait, nous avons invité les participants à suggérer avant le début de la séance, sur le forum ou le tchat, les questions qu'ils souhaitaient partager pour lancer le débat. Puis, après un tour de parole, nous nous sommes entendus sur la question qui semblait recueillir l'intérêt le plus grand pour tous les participants présents.

En guise de conclusion

Il s'avère finalement que les règles de base évoquées ci-dessus ne sont guère différentes dans le fond selon que l'on débatte dans le monde réel ou virtuel, pour reprendre un langage de la science-fiction. Ce ne sont toutefois pas les mêmes mondes en ce sens que nos impressions/perceptions ne sont pas les mêmes. Le virtuel impose de faire davantage abstraction de son monde immédiat pour se connecter à un monde commun, mais lointain et qui se manifeste par des images.

En contrepartie, cet effort peut être mis à profit, il peut être une compensation possible à l'isolement imposé par le confinement. Il oblige à un meilleur contrôle de soi et peut être un stimulant au niveau de l'activité cognitive. Par exemple, il peut permettre d'élargir l'éventail de nos réflexions et de construire une cohérence plus grande dans le cheminement de la pensée, comparativement à un café philo traditionnel. Reste qu'il faut se rendre disponible et être prêt à mobiliser son énergie pour maintenir sa concentration dans des interactions face à un écran.


(1)  Sur le site des cafés philo : www.cafesphilo.org Chacun, comme participant, peut ouvrir un compte gratuitement (association 1901) et tous les responsables de café philo peuvent inscrire leur café philo sur la mappemonde interactive, faire l'annonce de leurs débats et obtenir un forum. Tutoriel pour inscrire son café philo : Les trois étapes indispensables pour bien enregistrer son café philo

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