Revue

Cameroun - Les enseignants de philosophie face aux nouvelles pratiques philosophiques

Un exposé instructif des réticences aux Nouvelles Pratiques Philosophiques

Un exposé instructif des réticences aux Nouvelles Pratiques Philosophiques

Résumé

Le domaine de la philosophie aujourd'hui vibre au rythme des Nouvelles Pratiques Philosophiques. Malheureusement, le constat est que les enseignants de philosophie au Cameroun manifestent des réticences vis-à-vis de ces nouvelles pratiques. Qu'est-ce qui peut expliquer une telle situation ? Autrement dit, pourquoi les enseignants de philosophie sont-ils les plus réfractaires aux NPP ? Voilà la question à laquelle cette réflexion tente d'apporter une réponse. L'analyse des résultats obtenus sur la base d'une réflexion didactique et pédagogique appuyée par une enquête de terrain ayant interrogé le questionnement des enseignants concernés, montre que si ces enseignants sont réfractaires aux NPP, c'est parce qu'ils sont hostiles au changement, en plus d'avoir une conception particulière de la philosophie et une acception péjorative des NPP.

Introduction

L'enseignement de manière générale et celui de la philosophie en particulier connaît de nombreuses réformes depuis quelques temps déjà, dues à des approches pédagogiques novatrices. Tous les domaines sont concernés par cette "révolution", et la philosophie n'est pas en reste. La quasi-totalité des autres disciplines (aussi bien littéraires que scientifiques) a connu un changement notoire sur le plan pédagogique. Dans l'enseignement-apprentissage de celles-ci, on est passé de la pédagogie par objectif à la pédagogie par les compétences, ce qui impacte nécessairement les paramètres de l'action didactique. Le problème est qu'au Cameroun ce paradigme, incarné par les nouvelles pratiques philosophiques, a du mal à prendre corps, et rencontre des résistances de la part des enseignants. D'où la question ayant suscitée cette réflexion : savoir pourquoi les enseignants de philosophie sont-ils les plus réfractaires aux NPP ? Les réformes sont implémentées dans quasiment tous les domaines, mais ce n'est qu'en philosophie qu'on enregistre des réticences notoires. Cette situation trouverait son explication dans les hypothèses suivantes : les enseignants de philosophie sont réfractaires aux NPP premièrement parce qu'ils voient dans ces nouvelles pratiques une occasion d'amoindrissement de la nature de la philosophie, une sorte d'aliénation de cette discipline dans son essence même. Deuxièmement, ils ont encore une conception élitiste et ésotérique de la philosophie, qui se veut une activité réservée à une catégorie particulière de personnes. Troisièmement, ces enseignants sont hostiles au changement à cause de tout ce que cela implique en termes de réadaptation et autres nouveautés du même genre. Ce travail veut donc examiner la situation dans le cadre spécifique du Cameroun, même si les résultats peuvent être étendus à l'Afrique entière et pourquoi pas partout dans le monde où il y a résistance vis-à-vis d'une réforme sur l'enseignement-apprentissage de la philosophie. Nous vérifierons la véracité de chacune des hypothèses susmentionnées, en vue de répondre à la question. Nous clarifierons chaque fois la notion de NPP, de façon à lever l'équivoque au sujet de chaque hypothèse, aux trois niveaux du primaire, secondaire et supérieur.

I) L'attitude des enseignants de philosophie face aux NPP au niveau du Primaire

Au Cameroun, au niveau du primaire, la philosophie n'est pas enseignée. Elle ne commence qu'au niveau du secondaire. Les raisons de l'absence de la philosophie au primaire sont de divers ordres. On peut évoquer le fait que les enseignants du primaire non seulement n'ont pas la formation requise pour y enseigner la philosophie, mais plusieurs parmi eux n'ont jamais fait de philosophie dans leur cursus scolaire. Cette dernière précision s'explique par le fait qu'on accède aux écoles normales d'instituteurs avec le BEPC, le Probatoire et le Baccalauréat de l'enseignement général. Or la philosophie jusque-là ne commençait qu'en terminale, du coup les instituteurs ayant acquis les deux premiers diplômes n'ont jamais fait de philosophie. C'est pour cela que parler de pratiques philosophiques à ce niveau relève d'une pure utopie. Or la réalité c'est que les NPP n'exigent aucune formation de haut niveau, en dehors de quelques séances de travail axées surtout sur les méthodologies possibles facilitant le processus enseignement-apprentissage du philosopher (Tozzi, 2018).

Il faut également noter que les élèves du primaire sont jugés par les différents responsables éducatifs comme immatures et incapables d'activité philosophique, puisque cette dernière nécessite une véritable maturité et un certain niveau intellectuel, pour ne citer que ces conditions. Les propos les plus usités par les collègues enseignants pour indiquer cette absence de maturité nécessaire à l'activité philosophique sont entre autres : "La philosophie ce n'est pas pour les enfants", "en parlant de philosophie au primaire on court vers la dilution, voire l'aliénation de l'essence même de la philosophie", "la philosophie n'est pas une discipline à laquelle n'importe qui peut prétendre", "même chez les adultes la philosophie demeure complexe et élitiste, à plus forte raison chez les enfants, ces derniers ne peuvent et ne pourront jamais philosopher tant qu'ils n'auront pas atteint un certain âge", "depuis toujours la philosophie a été réservée à une catégorie de personne, notamment les plus âgés donc capables de sagesse, pourquoi aujourd'hui veut-on l'étendre à tout le monde et surtout aux plus petits, il s'agit là d'un projet qui ne pourra jamais se réaliser". Tels sont entre autres les propos recueillis auprès de quelques enseignants aussi bien du secondaire que du supérieur, autant que chez quelques responsables d'animation pédagogique dans les inspections de pédagogie.

Or les NPP dans leurs pratiques consistent aussi à faire de "la philosophie avec n'importe qui" (Kalla, 2019), ce qui implique que la philosophie puisse désormais se pratiquer avec les enfants, les adultes, les jeunes scolarisés à tous les niveaux y compris la maternelle et le primaire, ceux en situations difficiles, irrégulières et même incarcérés (Claire de Chessé, 2009). Bref il s'agit de mettre à profit la réflexion philosophique dans le sens de la résolution des problèmes quotidiens des hommes, concernant toutes les tranches d'âges, au sens où Épicure affirmait dès l'Antiquité que : " Les jeunes devraient philosopher et les vieux ne devraient jamais cesser de philosopher ". Autrement dit personne ne devrait se départir de la philosophie, encore moins sous le prétexte de l'âge. Il est aussi utile de souligner que les spécialistes de la philosophie avec les enfants, compte tenu de la particularité de cette tranche de la population, sont quasi absents, et qu'il y a plus généralement peu de didacticiens de la philosophie (Kalla, 2018). Soulignons, pour le déplorer, compte tenu des enjeux d'une telle question, que l'absence de spécialistes de didactique de la philosophie au Cameroun et le nombre très réduit de leur présence en Afrique ne facilitent pas l'implémentation de la philosophie au niveau du primaire. Ce qui explique l'aspect utopique de l'enseignement de la philosophie au niveau maternel et primaire au Cameroun. Le paysage philosophique y offre un schéma classique voire antique, où la philosophie ne concerne que la dernière classe du secondaire, c'est-à-dire la classe terminale en plus du supérieur. Et la formation proposée est justement orientée sur ces seuls niveaux.

II) La posture des enseignants de philosophie face aux NPP au niveau du Secondaire

Au secondaire, les NPP sont déjà implémentées, mais ont encore du mal à s'installer véritablement, pour des raisons multiples. Commençons par rappeler que la philosophie dès la classe de seconde est annoncée dans les programmes scolaires au Cameroun depuis plus d'une décennie déjà, mais ce n'est que très récemment qu'elle a effectivement été intégrée dans les curricula avec son enseignement effectif à ce niveau de formation (Kalla, 2019). Ce qui montre déjà la présence d'obstacles aux innovations dans le domaine, car comment expliquer qu'une mesure prise et adoptée depuis fort longtemps ne prend corps qu'environ dix ans après, sinon par des réticences avouées ou non ? Il faut alors comprendre que malgré l'implémentation effective des NPP en philosophie dans le secondaire au Cameroun, à travers l'approche pédagogique par compétences (APC), qui a conduit à ramener cette discipline dès la classe de seconde, notamment à la rentrée scolaire 2018-2019, les enseignants de philosophie sont les premiers réfractaires à l'application effective de cette nouvelle donne, pour des raisons que nous mentionnerons plus bas. Surtout que ce paradigme nouveau suppose d'enseigner la philosophie désormais aux adolescents, puisque les élèves de classe de seconde sont pour la plupart des adolescents, situés entre l'enfance et l'âge adulte. Ce qui implique un public plus large et plus difficile, par rapport à l'exclusivité de la terminale. Qu'est-ce donc qui pose problème ? Sont-ce les nouveaux programmes qui ont des lacunes ? Sont-ce plutôt les enseignants qui sont limités ? Ou encore sont-ce les apprenants qui font problème à cause de leur niveau ou la faiblesse due à leur âge ? Pour résoudre ce questionnement, il a fallu mener une enquête en interrogeant les enseignants, et voici les raisons expliquant leur point de vue.

D'abord ils voient en ces nouvelles pratiques un moyen de dévalorisation, d'aliénation de l'essence même de la philosophie, au profit d'une activité peu intellectuelle et surtout amoindrie du point de vue conceptuel, méthodologique, avec des supports didactiques jugés inappropriés à cette discipline particulière. Les expressions mentionnées plus haut dans le cadre des réticences vis-à-vis de la philosophie au primaire ne sont pas très éloignées de celles relatives aux nouvelles pratiques philosophiques. Cela s'expliquerait par le fait que dans les NPP, le langage "trop" conceptuel de la philosophie est réadapté en langage "ordinaire" accessible à tout le monde. On peut également s'appuyer sur "n'importe quoi" en termes de diversification de méthode d'enseignement-apprentissage et des supports didactiques qui ne sont pas toujours purement philosophiques (à titre illustratif on peut évoquer les romans, photos ou images, l'art, la littérature etc.). Or la réalité est que les NPP, pour ce qui est de la nature de la philosophie, au lieu de l'amoindrir, la consolide plutôt. Il n'y a qu'à analyser ses paramètres pour comprendre qu'elles renouent avec l'épistémologie d'origine de la philosophie, qui la considère comme une activité conçue pour résoudre les problèmes concrets des hommes. C'est dans cette perspective que parlant de la philosophie, Njoh Mouelle dit qu'elle est étroitement liée à la résolution des problèmes quotidiens : "L'initiative philosophique est indétachable des préoccupations pratiques" (Njoh Mouelle, 1998). Il s'agit désormais, grâce à l'entrée par les situations problèmes (qu'ils peuvent transposer dans leur propre vie), de fournir aux apprenants les compétences requises pour résoudre les problèmes qui se posent à eux en mobilisant les ressources philosophiques adéquates.

Ensuite ils ont une conception élitiste et ésotérique de la philosophie, selon laquelle la philosophie est réservé à une élite, notamment les plus âgés. Ils pensent ainsi que les plus jeunes ne sont suffisamment matures ni du point de vue physique, encore moins du point de vue psychique et intellectuel, pour s'adonner à une telle discipline. Il est clair que la philosophie est une discipline différente des autres (Kalla, 2019) ; il est aussi vrai que la philosophie à l'origine, notamment dans l'Antiquité, était une activité réservée aux plus âgés et aux plus robustes (la tranche d'âge des premiers philosophes et la place de l'athlétisme dans la philosophie antique en disent long à ce sujet), mais la réalité c'est que ce paradigme est aujourd'hui révolutionné avec l'avènement des NPP. Celles-ci, comme mentionné plus haut, favorisent la pratique de la philosophie avec "n'importe qui", "n'importe où" et avec "n'importe quoi" (Kalla, 2019). Le langage philosophique et tous les autres paramètres didactiques liés à son enseignement-apprentissage doivent simplement être adaptés en fonction de la particularité du public cible. De ce point de vue, la philosophie correspondrait à tout le monde, c'est du moins l'un des principes fondamentaux des NPP.

Enfin les enseignants de philosophie, par opposition aux autres enseignants, sont quelque peu hostiles au changement. Cela peut se voir dans leurs attitudes quotidiennes, puisque généralement ils sont très prompts aux revendications liées à des changements de paradigme. Dans les cercles d'enseignants, et même sur les réseaux sociaux, on les voit critiquer et remettre en cause des questions liées à quelque changement que ce soit. Pour être plus explicite, il faut dire que les enseignants que nous avons approchés manifestaient, pour certains directement mais pour d'autre indirectement, une attitude opposée à tout changement. Précisons à l'occasion que ces enseignants, pour l'immense majorité, sont ceux qui ont déjà plusieurs années d'expérience dans l'enseignement, les plus jeunes sont moins réfractaires que leurs aînés. Cela s'explique par le fait que ces enseignants ont déjà développé des automatismes, à force de répétition. Ils sont devenus à travers l'accoutumance des "maîtres", à tel point que beaucoup versent dans la récitation des cours, s'en vantant même souvent. Cette situation est rendue favorable par l'inertie des programmes de philosophie, qui n'avaient pas changé depuis 1998. Ils prétendent être de meilleurs enseignants pour autant qu'ils aient de l'expérience, laquelle consiste à pouvoir dispenser les cours sans nécessairement avoir besoin de supports didactiques. Cela se vérifie d'ailleurs par l'absence de fiche pédagogique et souvent même de support de cours lors du déroulement des leçons, ce qui pourtant constituera une faute pédagogique lorsque viendra le moment de l'inspection. Nos observations de classe et les rapports d'inspection sont formels à ce sujet. On comprend donc pourquoi de nouvelles pratiques ne pourraient guère arranger de tels enseignants, puisque cela implique plusieurs nouveautés : nouveau programme, nouvelles méthodes d'enseignement-apprentissage, nouveaux supports didactiques, nouveau public, bref nouvelle école à laquelle il faut s'adapter, et pas dans une moindre mesure. Sans pour autant ignorer la fameuse formule selon laquelle "celui qui cesse d'apprendre doit cesser d'enseigner", ces enseignants altèrent le dynamisme vital de la pédagogie, ce qui conduira à long terme si rien n'est fait à ce que nous pouvons appeler des actes de type " pédagogicide " (entendu par-là tout acte qui tue ou détruit la pédagogie).

Les plus jeunes sont pourtant moins réfractaires aux réformes que les anciens, au point où parler de conflit de génération ne serait pas éloigné de la réalité. Les plus anciens dans le métier sont pour la plupart très conservateurs des "bonnes vieilles" méthodes dont il leur est difficile de se départir ou d'imaginer un scénario différent, alors que les plus jeunes affichent une capacité à s'adapter aux situations d'enseignement-apprentissage qui se posent à eux. Est-ce à cause de l'enthousiasme des débutants, de leur jeunesse qui rime avec dynamisme, ou alors subissent-ils simplement les mutations de leur temps ? Les réponses des uns et des autres varient. Le fait que les collègues sans véritable expérience, les novice ou "les bleus", comme nous les appelons affectueusement, sont plutôt favorables aux NPP au détriment des "anciens" est une situation plutôt louable, dans la mesure où étant les futurs responsables, on peut espérer que le changement prenne finalement corps avec le temps.

La réalité c'est qu'il n'y a pas de changement possible sans révolution à plusieurs niveaux. Et c'est justement ce qu'offrent les NPP, qui impliquent des changements notoires dans le cadre de l'amélioration de l'enseignement-apprentissage de la philosophie, et partant des conditions de vie des pratiquants voire de la nation. Le problème est que ces enseignants pensent aussi ne pas être dotés de la formation nécessaire à la mise en évidence de ces nouvelles pratiques, ce qui n'est pourtant pas un véritable problème pour les plus jeunes qui sont formés et évoluent dans ce contexte en pleine mutation. Ayant été formé "à la vielle école", ils aiment bien le dire avec nostalgie, ils pensent ne pas pouvoir s'adapter, ne pas pouvoir faire l'affaire ou être à la hauteur des attentes. Il est vrai que leur mentalité attachée au passé, se laisse voir dans leurs propos et même dans leurs attitudes quotidiennes, ce que Towa a toujours reproché aux africains en général, leur mentalité hostile au changement (alors qu'il invite à "l'iconoclasme révolutionnaire" (Towa, 2007). Cette mentalité explique leur attitude vis-à-vis des NPP. Cependant, les NPP s'implémentent progressivement et parcimonieusement, sur la base de stratégies élaborées, à telle enseigne qu'elles deviendront bientôt inéluctables. Cela s'explique par l'organisation de plus en plus récurrente des séminaires de renforcement des capacités des enseignants de philosophie déjà sur le terrain, par les inspecteurs pédagogiques régionaux et nationaux ; l'enseignement de certains paramètres relatifs aux NPP est déjà dans la formation initiale des futurs enseignants ou élèves professeurs. Même si la difficulté réside dans le fait que les responsables de cette implémentation de ces formations ne sont pas souvent eux-mêmes formés ou n'en sont pas spécialistes. Ceci expliquant cela, on comprend l'inquiétude de ces enseignants quant à leurs compétences à pratiquer correctement leurs enseignements dans le cadre des NPP. Ce qui implique, malgré le nombre réduit pour ne pas dire quasi nul des didacticiens de la philosophie, d'inviter les étudiants à se spécialiser dans ce domaine très peu exploré.

Mais il est aussi nécessaire d'exploiter véritablement le peu dont on dispose, et il faut également inviter les spécialistes d'ailleurs à venir former des formateurs capables de relayer à leur tour les formations relatives aux NPP (Kalla, 2018). Peut-être la difficulté réside dans le manque de partenariat entre nos universités et les universités étrangères en matière d'enseignement-apprentissage de la philosophie. Nous voulons dire que l'absence d'un laboratoire de didactique de la philosophie au seul profit du laboratoire de didactique des disciplines, bien que tenu de main de maître par les responsables de ces départements à l'université de Yaoundé I comme à Maroua où il en existe, impacte négativement les échanges possibles avec les institutions universitaires étrangères. Le seul évènement dont nous avons souvenir est la visite à l'Est du Cameroun, notamment à Bengbis fin 2018 de Jean Charles Pettier, invité par Monsieur Israël Jacob Baruch Mekoul, président de l'ONG Citoyen du Monde par la Philosophie (CMPhi). C'était à l'occasion d'une formation présentielle d'une vingtaine d'enseignants au mois de Novembre 2018, prolongée d'une conférence à l'université de Yaoundé I le mois suivant, concernant la pratique de la philosophie avec les enfants. Ce projet marque à notre sens le début d'une histoire avec les nouvelles pratiques philosophiques.

III) L'attitude des enseignants de philosophie face aux NPP au niveau du Supérieur

L'enseignement de la philosophie au niveau du supérieur ne connaît jusqu'ici aucune réforme notoire. Elle est assurée par des "maîtres" qui entraînent souvent derrière eux des disciples. Ainsi les voit-on se réclamer de telle ou telle doctrine, de tel ou tel penseur, ce qui traduit leur façon d'enseigner en même temps que leurs contenus didactiques. Mais cela n'est pas le plus important, le problème se trouve ailleurs, notamment dans le fait que la plupart de ces enseignants ont été formés dans le cadre du "magister dixit", et eux aussi à leur tour n'enseignent que dans ce cadre-là. Il s'agit ici d'un paradigme rendu obsolète par des pratiques nouvelles telles que la pédagogie active et l'approche par compétences. La définition même de l'enseignement a dû évoluer, passant d'une simple transmission du savoir (transposition didactique), dans laquelle le maître est le seul possesseur d'un savoir qu'il doit pouvoir graver sur la tabula rasa qu'est l'élève (triangle didactique). Désormais l'enseignant n'est qu'un facilitateur, un guide dont le rôle consiste à orienter l'apprenant. L'enseignement dans ce contexte et le rôle de l'enseignant en particulier prennent donc une tournure différente de ce qu'ils étaient hier, pour ces enseignants qui au quotidien transmettent des connaissances liées aux doctrines qu'ils maîtrisent et auxquelles ils adhèrent, et moins souvent des doctrines qu'ils critiquent.

On peut alors comprendre pourquoi la question des NPP au supérieur au Cameroun ne se pose pas encore. À titre illustratif, tous les enseignants de philosophie au Cameroun sont connus pour les doctrines qu'ils défendent, les courants de pensées qui déterminent leurs propres pensées et partant leur vision du monde ou leurs postures métaphysiques.

Personne n'ignore l'influence d'Henri Bergson sur la philosophie de Njoh Mouelle. En effet, Ebénézer Njoh Mouelle focalise son Diplôme d'études supérieures, son Doctorat troisième cycle et même son Doctorat d'État essentiellement sur la pensée d'Henri Bergson. Il sera alors chargé de cours à l'université de Yaoundé I dès 1967 puis, après être passé au grade magistral et au terme de huit années d'administration universitaire dans les fonctions de Secrétaire Général de l'université de Yaoundé, il sera nommé Directeur de l'École Normale Supérieur de Yaoundé.

Ou l'influence de Hegel et Kwame Nkrumah sur la pensée de Marcien Towa. Marcien Towa obtient son Diplôme d'étude supérieure à l'université de Caen en France avec un mémoire sur Hegel et Bergson en 1960. Il va enseigner dans plusieurs lycées parisiens entre 1961 et 1962 avant de retourner au Cameroun pour enseigner à l'École Normale Supérieure de Yaoundé, où il occupera plus tard les fonctions de Directeur des Études puis Directeur-adjoint de l'ENS de Yaoundé. Après sa thèse de Doctorat de troisième cycle en Philosophie à la Sorbonne, il sera nommé chef du département de philosophie de l'université de Yaoundé, jusqu'en 1981.De 1978 à 1979, il est Professeur invité à l'université de Sherbrooke, Québec au Canada. En 1993, après d'autres postes de responsabilité, il sera recteur de la toute nouvelle université de Yaoundé II Soa. Il retournera plus tard au département de philosophie de l'université de Yaoundé I jusqu'à son départ à la retraite. Toutefois, l'ENS de Yaoundé requiert encore ses services en tant qu'enseignant vacataire de 1999 à 2006).

Ou des pensées africaines à tendance matérialiste sur la philosophie de Nkolo Foe, ou de Charles Romain Mbele. Nkolo Foe obtient son Doctorat PhD de philosophie en 1991 à l'université Laval (Québec, Canada). Il débute sa carrière comme instituteur, avant de devenir tour à tour professeur des collèges, professeur des lycées, puis chercheur à l'Institut des sciences humaines du Cameroun où il occupe pendant plusieurs années les fonctions de Chef du service de la recherche. Il est actuellement enseignant-chercheur à l'université de Yaoundé I, Vice-président élu du CODESRIA (Conseil pour développement de la recherche en sciences sociales en Afrique), est professeur titulaire des universités. Ses recherches et enseignements concernent les domaines de la philosophie africaine et philosophie comparée, philosophie et économie politique etc. Ancien Chef du département de philosophie à l'ENS de Yaoundé, il est membre du Conseil des Professeurs de cette institution, membre du Comité Consultatif des Institutions Universitaires du Cameroun où il exerce les fonctions de Président de la sous-section "Philosophie". Professeur invité dans de nombreuses universités étrangères, il est un Expert international sollicité à tous les niveaux.

Charles Romain Mbele pour sa part soutient sa thèse de philosophie à l'université de Paris I en 2000. Il enseigne actuellement la philosophie africaine, la philosophie morale et politique à l'ENS de Yaoundé où il est également Chef de département de philosophie. Il intervient aussi à l'école doctorale de l'université de Yaoundé I et plusieurs autres institutions universitaires au Cameroun comme à l'étranger (Professeur invité).

Ou l'influence de Karl Popper sur les enseignements d'Emmanuel Malolo Dissakè. Docteur en philosophie de l'université de Paris I avec une thèse portant sur la pensée de Popper, il effectue des recherches sur divers aspects de la philosophie scientifique de Karl Popper, de Thomas Samuel Kuhn et de Feyerabend. Enseignant à l'université de Douala et spécialiste de logique et épistémologie, il a été Chef de département de philosophie puis responsable du niveau Master.

Inviter ces illustres enseignants à se reconnaître désormais non plus comme des maîtres, mais simplement comme des guides ou des facilitateurs, comme l'indiquent les NPP, au risque d'amoindrir leur prestige, devient difficile à réaliser. Délicat en effet de dire à celui-là qui est reconnu comme un maître incontesté de la pensée avec des disciples, que l'apprenant et non l'élève ou le disciple n'a besoin de lui que dans la mesure d'une facilitation, d'une orientation du savoir, des compétences qu'il possède déjà mais de manière non organisée. Difficile également pour de tels professeurs d'admettre sans réserve de laisser tomber leur style d'enseignement pour un autre, lequel oblige à un changement global partant de l'élaboration des contenus didactiques jusqu'à l'évaluation, sous le prétexte de nouvelles pratiques philosophiques. Surtout, compte tenu de leur âge avancé dans lequel ils se plaisent à dire être de la "vielle école". Et comme qui dirait "les vielles habitudes ont la peau dure". Ainsi les voit-on, dans des productions scientifiques, critique vis-à-vis de tout ce qui tourne autour des NPP, et principalement l'approche par compétences (APC) en philosophie.

La réalité est que les NPP ne sont pas encore un problème au niveau du supérieur au Cameroun, parce que la question ne s'y pose pas encore. D'ailleurs il faut des spécialistes pour comprendre les enjeux et perspectives d'un tel paradigme, lesquels spécialistes malheureusement ne courent pas les rues. Toujours est-il qu'à voir la vitesse avec laquelle le paradigme des NPP veut réaliser sa révolution, et surtout compte tenu du contexte actuel qui lui est favorable avec l'avènement de l'ultra-libéralisme et du post-modernisme, sans oublier cette cuvée de jeunes chercheurs se spécialisant dans la didactique de la philosophie avec pour ambition de marquer un tournant décisif dans l'histoire de ce domaine à tous les niveaux, il faut dire que les NPP deviennent de plus en plus inéluctables, et davantage pour tout système soucieux de son évolution, son amélioration et son adaptation à son contexte. Il faut donc croire que ce n'est qu'une question de temps pour que le supérieur au Cameroun se fasse influencer par les NPP.

Le changement en effet n'est jamais évident. Les réticences, les objections, les critiques farouches ou non, constructives ou pas, ne manquent jamais. Seulement, lorsque vient le moment du changement, aucune force ne résiste au paradigme nouveau, parce qu'efficace, il finit par s'imposer (Kuhn, 1972). Tel est le destin des NPP. Cela peut prendre plus ou moins de temps, mais leur effectivité est désormais inéluctable, n'en déplaise à tous ceux qui sont hostiles au changement. L'heure est donc à l'appropriation des techniques et paramètres qui leur sont liées en vue de leur meilleure maîtrise, condition d'une bonne réalisation et pourquoi pas de son perfectionnement. Toute âme sensible au changement doit donc s'abstenir ou simplement se convertir.

Conclusion

En somme, à la question de savoir pourquoi les enseignants de philosophie sont réfractaires aux NPP, il convient de dire à la fin de notre analyse qu'il s'agit principalement de l'attitude de ces enseignants, qui sont non seulement hostiles au changement, mais ont une conception péjorative des NPP, en plus d'avoir une acception élitiste et ésotérique de la philosophie. Quoi qu'il en soit, il faut avouer que ce n'est plus qu'une question de temps pour que les NPP pénètrent l'enseignement de la philosophie au Cameroun à tous les niveaux. Cela est déjà en partie pris en compte au niveau du secondaire, notamment avec la pratique effective de la philosophie dès la classe de seconde, et selon le modèle APC avec l'entrée par situation problème ou situation de vie. Les réticences devront alors reculer pour faire place à la mise en oeuvre effective des NPP au Cameroun, de la maternelle jusqu'au supérieur, en passant par le primaire et le secondaire...

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