Revue

Pourquoi et comment philosopher sur les sciences avec des enfants ?

Deux exemples d'ateliers menés au coeur de quartiers populaires

Deux exemples d'ateliers menés au coeur de quartiers populaires

Introduction

Depuis la fin des années 1990 et la mise en place des premiers ateliers de Matthew Lipman, les initiatives visant à faire de la "philosophie avec des enfants", aussi bien au sein qu'en dehors des murs de l'école, se sont multipliées. Si de nombreux outils didactiques ont été élaborés afin de susciter des réflexions philosophiques chez les enfants de différents niveaux et de différents milieux, la manière d'aborder les questions propres à la philosophie des sciences avec les plus jeunes a néanmoins fait l'objet de peu d'études. Pourtant, les enfants sont confrontés à ces questions dès le plus jeune âge puisque c'est, pour une part non négligeable, dans leur rapport au savoir que leur rapport au monde se constitue.

Dans le même temps, de nombreux ateliers scientifiques ont été mis en place, par des associations telles que Les Petits Débrouillards, au coeur des quartiers populaires. Les enfants y sont invités à pratiquer les sciences autrement, de manière ludique, en expérimentant, pour appréhender les explications et les concepts scientifiques par eux-mêmes.

Dans cet article, je propose de montrer l'intérêt qu'il y peut y avoir à prendre appui sur les méthodes et les outils pédagogiques et didactiques utilisés au sein de ces ateliers afin de susciter, chez les enfants - et en particulier chez les enfants issus de milieux défavorisés, en difficulté ou éloignés de l'école - une réflexion philosophique sur les sciences. Pour cela, je commence par rappeler le type de questions que pose la philosophie des sciences avant de dresser un rapide panorama des intérêts qu'il peut y avoir à susciter ce genre de questionnement chez les enfants. Je présente ensuite un ensemble de supports inducteurs qui apparaissent particulièrement adaptés à cette fin, en m'appuyant sur ma propre pratique en tant qu'animatrice scientifique, au sein de deux quartiers rennais.

I) Pourquoi philosopher sur les sciences avec des enfants ?

Qu'est-ce que la philosophie des sciences et pourquoi en faire avec des enfants ?

A) Qu'est-ce que la philosophie des sciences ?

La philosophie des sciences est la branche de la philosophie de la connaissance qui a pour objet les différents champs du savoir qui se disent "science". Elle concerne ainsi aussi bien les sciences de la nature (telles que la physique, la chimie ou les sciences de la vie), les sciences formelles (telles que les mathématiques) que les sciences humaines et sociales (telles que l'histoire, l'anthropologie ou encore l'économie). Elle se donne, plus précisément, pour tâche de comprendre et d'évaluer ces différentes disciplines. Ses interrogations - d'ordre métaphysique, épistémologique, éthique et politique - portent tout autant sur la nature des activités scientifiques - ce qui les définissent en propre, la manière dont elles se développent de fait ou devrait se développer en droit au cours de l'histoire, leur rapport au réel et ce qu'elles nous en apprennent - que sur leurs valeurs, leurs objectifs - légitimes ou non - et les limites qui leur sont propres.

B) L'intérêt de la philosophie des sciences avec des enfants

Quelle utilité y a-t-il à susciter ce type de réflexion chez des enfants, et en particulier, chez des enfants issus de milieux défavorisés, en difficulté ou éloignés de l'école ?

Si les bénéfices que l'on peut escompter en retirer ne sont pas fondamentalement différents de ceux qui sont généralement recherchés dans la pratique de la philosophie avec des enfants, une réflexion philosophique sur ces objets particuliers que constituent les différentes formes de savoir, semble contribuer de manière significative à les atteindre. Afin de le mettre en évidence, considérons les fins généralement visées par la pratique de la philosophie avec les enfants. D'après l'analyse d'Edwige Chirouter (2015), elles peuvent, notamment, être classées suivant trois perspectives, qui s'alimentent mutuellement :

  • Une perspective proprement philosophique, où la fin est la pratique de la philosophie elle-même via l'exercice d'une pensée autonome ;
  • Une perspective thérapeutique ou psychanalytique, visant l'accroissement de l'estime de soi ;
  • Une perspective d'éducation à la citoyenneté, dans lequel le développement de l'ouverture d'esprit tient une place primordiale.

En quoi la pratique de la philosophie des sciences constitue-t-elle une aide précieuse afin d'atteindre ces différents objectifs, au sein de ces perspectives ?

1) Donner de la "saveur aux savoirs" en pensant par soi-même dans une optique proprement philosophique

Dans la première optique, proprement philosophique, l'objectif est d'amener les enfants à penser par eux-mêmes. Ils sont ainsi invités, suivant le "Sapere Aude !" kantien - devise des Lumières (Kant, 1784) - à avoir le courage de se servir de leur propre entendement2. Pour cela, ils doivent s'approprier le savoir qui leur est présenté afin d'être capables de le comprendre et de l'évaluer. Or, c'est précisément le rôle que se donne la philosophie des sciences.

Dans cette perspective philosophique, les enfants sont appelés à utiliser leur faculté de connaitre de manière fondamentalement différente de la façon dont ils sont habitués à le faire lorsqu'ils ne font qu'apprendre passivement les leçons venant de leurs enseignants. S'inscrivant dans cette lignée, Edwige Chirouter défend, dans son Mémoire d'Habilitation à diriger les Recherches (2016), la thèse selon laquelle "une approche philosophique des savoirs permettrait de retrouver leurs "saveurs3" ou leur "sens". Elle appelle alors de ses voeux une "école philosophique" ou "école de la pensée" qui donnerait aux enfants l'opportunité de s'approprier les connaissances dans une démarche active et critique, où les fondements épistémologiques, tout comme les implications éthiques ou politiques, de ces derniers seraient systématiquement interrogés. Une école où donc les questions de la philosophie des sciences seraient systématiquement posées en même temps que le savoir serait présenté. Ainsi : "Plus que de simples moments de philosophie déconnectés des autres apprentissages (Une heure ''d'atelier philo'' par semaine), il s'agit plutôt de penser comment la philosophie peut insuffler du sens à ce que les élèves doivent apprendre au quotidien et dans toutes les disciplines" (Edwige Chirouter, 2016).

Les enfants sont, dans ce contexte, "invités à retrouver l'étonnement originel à la source des connaissances" et, en bons philosophes des sciences, à systématiquement questionner le savoir que l'on tente de leur inculquer afin de le comprendre et de l'évaluer. C'est ainsi qu'ils peuvent se l'approprier véritablement en lui donnant du sens. On retrouve ici l'idée kantienne d'une utilisation autonome de l'entendement où l'acquisition des savoirs se fait "par et pour soi-même" (Sasseville, 2016), sans la direction d'autrui.

2) Se reconnaître comme sujet pensant et s'estimer soi-même dans une optique thérapeutique ou psychanalytique

Pour s'engager sur le chemin de la pensée et rompre avec leur dépendance, il paraît, par ailleurs, important que les enfants se sentent capables d'une pensée autonome. Ils doivent donc se reconnaître comme sujets pensants. Cela est vrai au sein de l'atelier de philosophie mais également dans toutes les sphères de l'existence où ils sont placés - que ce soit par les autres ou par eux-mêmes - dans la position de ceux qui sont, indépassablement, dénués de savoir ou de pensée pertinente ; autrement dit, dans la situation de ceux qui n'ont pas leur mot à dire.

Le renoncement qui pousserait les enfants à ne pas penser par eux-mêmes va bien souvent de pair avec celui des adultes qui affirment que les enfants ne sont pas capables de le faire. Ils seraient ainsi, par exemple, dénués de la capacité de comprendre les problèmes, de fonder leurs idées, d'analyser les arguments, d'émettre des objections et des réponses à leurs objections, ou encore de conceptualisation4. C'est contre cette idée, encore répandue5, que les articles 12 à 14 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE) 6de 1989 se positionnent en reconnaissant juridiquement la capacité et la légitimité des enfants à penser et à se forger leurs propres idées. Au sein des ateliers de philosophie, où ils sont invités à pratiquer l'exercice de la pensée et à la développer, les enfants sont d'emblée reconnus et posés comme êtres pensants. Mais c'est par la pratique de la philosophie elle-même que ces ateliers permettent, que les enfants peuvent, à leur tour, se saisir comme des agents épistémiques capables d'interroger le monde et de le comprendre. Par cette pratique, ils se découvrent "porteur de cette dimension fondamentale de l'être qu'est la pensée dont on est soi-même la source" (Lévine, 2008). Ils font ainsi, telle que la qualifie Jacques Lévine "l'expérience du Cogito ".

La pratique de la philosophie des sciences, plus que tout autre type de philosophie, est intéressante dans ce cadre, car elle donne l'opportunité aux enfants d'interroger les préjugés qui poussent à les considérer comme incapables de pensée critique autonome. Elle offre notamment la possibilité de questionner l'idée communément admise au sein de notre société selon laquelle le savoir serait réservé à un petit groupe de personnes : les savants. Experts de leur domaine, ils seraient les mieux placés pour déterminer ce qui est et ce qui doit être et il faudrait, pour cette raison, les écouter et les suivre. Les choses du monde étant trop compliquées pour les autres hommes - et à plus forte raison pour les enfants qui sont encore au début de leur apprentissage - rien ne servirait donc de chercher à comprendre par soi-même, à interroger le bien-fondé de ce qui leur est présenté, à se faire ses propres idées ou à tenter de les défendre. Un tel sentiment est souvent renforcé au sein des milieux populaires où le savoir peut sembler quelque chose d'étranger, auquel on n'a pas accès et qui restera à jamais inaccessible. Les ateliers de philosophie des sciences, plus que tout autres, ont précisément pour but de montrer aux enfants leur capacité à interroger le savoir établi et l'intérêt d'une telle démarche.

Si la reconnaissance de l'enfant comme sujet pensant a son importance dans une perspective philosophique, car elle lui permet de s'engager sur le chemin de la pensée sans douter de ses capacités, elle s'avère cruciale dans une optique "thérapeutique" ou "psychanalytique" dont le but serait le développement de l'estime de soi. Dans cette perspective, la philosophie n'est plus la fin mais le moyen destiné à permettre le bien être de l'enfant qui se reconnaît et s'estime comme sujet pensant (Lévine, 2008).

3) Développer l'ouverture d'esprit dans une optique d'éducation à la citoyenneté

La pratique de la philosophie se fait également "moyen" dans une optique d'éducation à la citoyenneté. Au sein des ateliers, les enfants sont mis en dialogue avec les autres. S'ils sont amenés à se reconnaître comme des êtres pensants, ils sont ainsi également conduits à reconnaitre les autres comme tels. L'enfant apprend à regarder la pensée de l'autre comme légitime et à la considérer dans sa propre réflexion. Cette pratique favorise, de cette façon, le développement de son ouverture d'esprit.

La pratique de la philosophie des sciences est intéressante également dans cette perspective car elle permet d'interroger certains des préjugés qui mènent à la fermeture d'esprit, et en particulier à l'un de ses écueils : le dogmatisme. Ainsi, par exemple, s'interrogeant sur les sources du savoir, les enfants prennent conscience qu'il repose sur un ensemble de justifications et de principes qu'il est possible d'analyser, de comparer et de questionner ; que donc rien ne va de soi et que tout demande à être interrogé. L'enfant peut, dès lors, plus aisément saisir que si quelqu'un pense différemment de lui, c'est qu'il a peut-être des raisons de le faire. Il devrait l'écouter avant de se faire sa propre idée.

4) L'intérêt de la philosophie des sciences avec des enfants au coeur de la cité. Donner du sens au savoir dans toutes les sphères de l'existence.

Pourquoi, cependant, ne pas cantonner la pratique de la philosophie des sciences au sein des murs de l'école ? Si elle est le lieu privilégié du savoir, elle n'est pas le seul où les enfants le rencontrent. Au quotidien, dans toutes les sphères de leur existence, ils y sont régulièrement confrontés, que ce soit par le biais de leurs aînés, de leurs éducateurs, de la télévision, des livres ou d'internet - qui constituent autant d'autorités épistémiques qui se présentent à eux. Ils le rencontrent également dans tous les espaces dédiés à la culture en dehors du milieu scolaire, que ceux-ci soient institués - comme au musée, ou éphémères - comme dans le cadre de festivals ou d'animations de rue. Si l'on peut penser que la pratique de la philosophie au sein des murs de l'école permettra à l'enfant de garder une pensée critique et autonome dans toutes les sphères de son existence, cela peut sembler insuffisant. C'est d'autant plus vrai que "l'école de la pensée" imaginée par Edwige Chirouter est encore loin de la réalité des pratiques en milieu scolaire. Par ailleurs, quid des enfants en difficultés ou éloignés de l'école ? Il semble dès lors utile d'étendre l'approche philosophique du savoir à tous les lieux où celui-ci peut se présenter et d'imaginer des méthodes hors cadre scolaire permettant à tous les enfants, quel que soit leur niveau et leur rapport à l'école, d'approcher le savoir de manière philosophique.

Ainsi, pourrions-nous reprendre les termes d'Edwige Chirouter à propos de l'école, pour les étendre, au-delà de ses murs, à toutes les sphères de l'existence des enfants et affirmer que "plus que de simples moments de philosophie déconnectés des autres apprentissages (Une heure ''d'atelier philo'' par semaine), il s'agit plutôt de penser comment la philosophie peut insuffler du sens à ce que [les enfants sont amenés à] apprendre au quotidien et dans [toutes les sphères de leur existence]" - et pas seulement à l'école.

II) Comment philosopher sur les sciences avec des enfants au coeur de la cité ?

A) Quelques difficultés spécifiques

Philosopher avec des enfants sur les sciences et en dehors du cadre scolaire pose quelques difficultés spécifiques à prendre en compte.

Le premier ensemble de difficultés est lié à l'objet d'étude : les sciences. D'abord, parce les enfants en possèdent des connaissances limitées. Ensuite, parce qu'il peut être difficile de mobiliser ces connaissances, rétrospectivement, pour mener une réflexion sur elles. Il apparaitra donc nécessaire de recourir à des supports pertinents, permettant à la fois aux enfants d'acquérir et de se remémorer les connaissances qui pourraient leur être utiles pour appuyer leur réflexion. En outre, les enfants peuvent ne pas avoir d'attrait pour les disciplines scientifiques parce qu'elles leur paraissent ennuyeuses, déplaisantes, voire inaccessibles. Ils n'éprouveront alors pas l'envie de se questionner à leur propos. Les supports devront, en conséquence, permettre d'éveiller l'intérêt des enfants pour la connaissance, ainsi que leur confiance quant à leur capacité à la maitriser et à la questionner.

Le second ensemble de difficultés est lié à la disparité du public qui est susceptible de se présenter. Contrairement à l'espace clos de la classe où les élèves sont généralement regroupés par niveau, les enfants qui sont susceptibles de participer hors de ses murs à des ateliers de philosophie des sciences peuvent présenter des niveaux très différents et être parfois en difficulté scolaire. Les supports ne devront donc pas être réservés à des enfants d'une classe d'âge précise et dont on attendrait certains prérequis, telle que des connaissances scientifiques spécifiques ou encore une certaine maîtrise, aussi bien orale qu'écrite, de la langue française.

Un troisième ensemble de difficultés est lié au matériel qu'il est possible d'utiliser. Celui-ci ne devra pas être difficile à utiliser et devra être facilement transportable.

Un dernier ensemble de difficultés est lié à l'absence de continuité éventuelle des ateliers. En dehors des murs de l'école, où une continuité ne peut être instaurée sur de longues périodes au sein de la classe, ces moments de réflexion sur les sciences peuvent parfois n'être que ponctuels. Les supports élaborés devront donc permettre de susciter une réflexion philosophique chez des enfants qui pratiqueraient la philosophie des sciences pour la première et, peut-être, la dernière fois.

B) Des supports inducteurs issus de l'animation scientifique : la science avec les enfants comme support de la philosophie des sciences avec les enfants

Dans cette section, je propose de montrer comment il est possible de prendre appui sur des méthodes et des outils utilisés au sein d'ateliers destinés à faire de la science avec des enfants au coeur de quartiers populaires, pour susciter chez ces derniers - et en particulier chez des enfants issus de milieux défavorisés, en difficulté ou éloignés de l'école - une réflexion philosophique sur les sciences. Comme nous le verrons, prendre les outils et les méthodes de ces ateliers comme supports inducteurs de la réflexion philosophique, possède l'avantage de pallier les différentes difficultés évoquées ci-dessus.

Les outils que je présente sont issus d'animations élaborées par l'association des Petits Débrouillards, au sein de laquelle j'ai été animatrice scientifique, puis formatrice d'animateurs durant plusieurs années, en parallèle de mes études de philosophie. Les animations des Petits Débrouillards ont pour objectif de permettre aux enfants d'appréhender les explications et les concepts scientifiques par eux-mêmes. Je me concentre, en particulier sur des animations mises en place l'été au coeur de quartiers populaires rennais dans le cadre d'une manifestation annuelle intitulée "La Science en bas de chez toi". Les enfants de tous âges7 et de tous niveaux sont invités à y participer : "À l'occasion des vacances scolaires d'été, les équipes locales des petits débrouillards proposent des animations scientifiques de rue dans les quartiers, sous tentes ou en plein air. La ''Science en bas de chez toi'' transforme ainsi le terrain de jeu habituel des jeunes et des familles ayant peu accès aux activités de loisirs culturels et scientifiques en véritable laboratoire d'expérimentation à ciel ouvert. Elles sont accessibles à toutes et tous et elles sont gratuites."

1) Une méthode essentiellement socratique

La méthode des Petits Débrouillards est essentiellement socratique. L'animateur a pour rôle explicite de guider la réflexion des enfants sans ne jamais leur donner aucune réponse. L'accent est, qui plus est, mis sur la réflexion elle-même, et non sur les connaissances que les enfants peuvent acquérir au cours de ces ateliers. L'enfant doit, avant tout, apprendre à se poser des questions et à mettre en oeuvre différentes stratégies pour y répondre de manière argumentée.

Les enfants sont, plus précisément, placés au sein des animations des Petits débrouillards dans la situation du jeune esclave de Ménon auquel Socrate8 demande de résoudre un problème de géométrie par lui-même. Le problème à résoudre - celui de la duplication du carré - se présente sous forme d'un défi à relever.

Socrate trace un carré (en gras sur la fig. 1) dont il marque les transversales (en pointillées) et il demande à l'esclave comment obtenir un carré dont la surface sera égale au double de l'originale, sachant que le côté du carré d'origine est égal à 2 pieds. L'esclave fait différentes tentatives et se retrouve vite dans l'embarras. La réponse n'est pas évidente. Afin de l'aiguiller dans la bonne direction, Socrate trace la diagonale du carré et amène l'esclave à comprendre qu'il peut obtenir ce qu'il souhaite en la prenant pour point de départ. Les Petits Débrouillards adoptent une méthode similaire, consistant à amener les enfants à trouver par eux-mêmes les réponses aux questions qui leur sont posées. Ainsi, tel un maïeuticien socratique, l'animateur ne fait que guider la réflexion des enfants et la construction de leur savoir propre.

Il s'agit, par conséquent, pour les Petits Débrouillards, de faire de la science avec les enfants et non de faire la science pour enfants. En effet, ces derniers sont invités à développer leur esprit scientifique et non à acquérir un savoir simplifié qui leur serait plus adapté.

2) Exemples de deux types de supports inducteurs parmi les animations des Petits Débrouillards

Dans la suite, je montre comment il est possible de s'appuyer sur deux types d'animations mises en place par les Petits Débrouillards pour susciter une réflexion philosophique sur les sciences chez les enfants, tout en leur donnant des éléments sur lesquels s'appuyer pour mener cette réflexion.

Il s'agit ainsi dans ce cadre, de partir d'un savoir auquel les enfants sont confrontés en dehors de l'école afin de lui donner une saveur philosophique, dans la lignée de l'approche philosophique des savoirs d'Edwige Chirouter (2016).

a) Défis, énigmes et expérimentations

Le premier type d'animation est celui dans lequel les enfants sont mis face à un défi. En cherchant à le relever, ils rencontrent un phénomène qu'on va leur demander d'expliquer. On leur présente, par exemple, une assiette remplie d'eau, au fond de laquelle une pièce a été déposée et on leur demande de l'attraper sans se mouiller les doigts en utilisant le matériel mis à disposition pour cela, en partie ou en totalité. Il peut s'agir, par exemple, d'un verre, d'une bougie, d'allumettes, de trombones, de bâtonnets en bois, de ballons et de bouchons en liège. Les enfants, en petits groupes, tentent de relever le défi. Pour cela, différentes stratégies se mettent généralement en place. Soit les enfants utilisent le matériel sans réfléchir, de manière décousue, avant de constater ce qu'il se passe et si cela leur permet d'avancer sur la bonne voie ; soit ils émettent d'abord des hypothèses en s'interrogeant sur ce qui va se passer selon la stratégie adoptée et élaborent un protocole à suivre avant de le tester. A cette étape, l'animateur reste en retrait et se contente généralement d'aider les enfants à réaliser ce qu'ils ont décidé de faire lorsque cela s'avère dangereux ou difficile à leur niveau. Il est néanmoins possible que les enfants se retrouvent dans une impasse et n'avancent plus. Dans ce cas, l'animateur peut être amené à les questionner sur les possibilités qu'ils n'ont pas encore envisagées, afin de les aider à avancer. Il ne doit cependant jamais leur donner de solutions, celles-ci devant impérativement venir d'eux-mêmes. Il peut ainsi poser des questions du type : "Que pouvez-vous faire d'autres ?" ; "Avez-vous essayé d'utiliser tel matériel ?" ; "Ne peut-on pas l'utiliser d'une autre manière ?" ; "Ne l'utilise-t-on pas d'ailleurs d'une autre manière dans telle ou telle situation ?".

Une fois le défi relevé par la plupart des groupes, les enfants sont invités à réfléchir sur ce qu'ils viennent de faire afin de répondre à la question suivante : "Pourquoi ce que vous avez mis en place pour relever le défi a fonctionné ?" et à tester leurs hypothèses. Par exemple, avec le matériel qu'ils avaient à disposition, les enfants pouvaient réussir à attraper la pièce sans se mouiller les doigts en posant une bougie allumée dans l'assiette et en la recouvrant d'un verre vide. Le verre se remplit alors d'eau, vidant l'assiette (voir Fig. 2).

Afin de comprendre pourquoi, les enfants sont invités à refaire l'expérience et à observer minutieusement ce qu'il se passe entre le moment où l'on pose le verre et celui où l'eau se met à y monter jusqu'à vider l'assiette, puis à émettre des hypothèses à partir de ce qu'ils ont observé avant de les tester dans le but de les valider ou de les invalider et, si tel est le cas, d'en émettre d'autres qui seront, à leur tour, testées. A cette étape, l'animateur guide les enfants dans leur réflexion, lorsque cela s'avère nécessaire, en leur posant des questions. Il ne doit cependant, ici encore, jamais ne leur donner les réponses. L'ensemble des hypothèses doit venir d'eux-mêmes, tout comme l'ensemble de l'élaboration des procédures de vérification de ces hypothèses. Par exemple, les enfants comprennent que la flamme de la bougie joue un rôle mais ils n'arrivent pas à émettre d'hypothèses pour l'expliquer. L'animateur pourra alors leur venir en aide en leur demandant ce que fait cette flamme, ce qu'il se passe si on la touche, ce qu'elle provoque autour d'elle. Si les enfants répondent que la bougie brule ou chauffe, l'animateur pourra leur demander ce qu'elle brule ou chauffe dans l'expérience en question. Ils pourront d'abord répondre qu'elle ne brule ou ne chauffe rien car le verre est vide, l'animateur pourra alors interroger les enfants sur cette croyance : "Etes-vous sûrs que le verre est vide ? N'y a-t-il pas quelque chose dedans ? Quelque chose d'invisible à l'oeil nu, de même qu'il y a quelque chose tout autour de vous et que vous respirez ?" Les enfants comprendront alors qu'il s'agit de l'air et que le verre en est plein. C'est donc ce que la bougie chauffe ou brule. L'animateur interroge les enfants de cette façon jusqu'à ce qu'ils arrivent à émettre des hypothèses pour expliquer l'ensemble du processus de la montée de l'eau dans le verre et à imaginer comment tester ces hypothèses. Il peut également être utile d'aider les enfants dans leur réflexion en leur proposant des expériences supplémentaires qui leur permettront de répondre plus facilement aux questions. Le rôle de l'animateur est ainsi de faciliter la réflexion des enfants sans jamais la mener à leur place.

Deux hypothèses sont régulièrement émises par les enfants dans la situation présentée. Soit ils émettent l'idée que la bougie brule l'air présent dans le verre - et plus précisément l'oxygène qu'elle contient - que ce faisant le verre se vide d'une partie de ce qu'il renferme ce qui crée un vide ou une dépression qui va aspirer l'eau à l'intérieur9. Afin d'étayer cette idée, ils s'appuient souvent sur le fait que la bougie s'éteint ou cours du processus. Or, elle a besoin d'air - et plus précisément d'oxygène - pour bruler, ce qui semble appuyer l'idée selon laquelle cet air aurait disparu et que c'est ce qui provoque la montée de l'eau. Cette hypothèse a longtemps été celle admise et on peut la trouver dans certains livres ou sur internet. Pourtant, on pense aujourd'hui qu'elle n'est pas bonne. En effet, si l'on observe mieux ce qui se passe durant l'expérience et que l'on prend en compte tous les paramètres, l'explication est à chercher ailleurs.

Une autre hypothèse à laquelle les enfants arrivent régulièrement et qui correspond à l'explication à laquelle nous adhérons aujourd'hui consiste à dire que ce qui est déterminant n'est pas que l'air est "brulé" mais qu'il est chauffé par la flamme de la bougie. Or l'air chaud prend plus de place. Cela explique pourquoi on voit des bulles s'échapper du verre quelques instants après l'avoir posé. L'air se dilate et n'ayant plus assez de place dans le verre, s'en échappe en partie. La bougie finie néanmoins par s'éteindre ce qui provoque un refroidissement de l'air qui se contracte en entrainant l'eau avec lui. Afin de vérifier cette hypothèse, les enfants sont guidés à imaginer un processus qui permettrait de chauffer l'air sans bruler l'oxygène qu'elle contient. On peut, par exemple, chauffer l'air que renferme le verre avec un sèche-cheveux10. Le même phénomène se produit alors et l'ensemble des étapes observées dans l'expérience effectuée à l'aide de la bougie est à nouveau observée : des bulles s'échappent du verre et l'eau commence à monter à l'intérieur de ce dernier lorsque l'on éteint le sèche-cheveux11.

Une fois que les enfants ont trouvé une réponse qui leur semble valable pour expliquer le phénomène qu'ils devaient expliquer, la réflexion proprement philosophique peut commencer. On va pouvoir demander aux enfants de prendre appui sur l'expérience qu'ils viennent de mener pour réfléchir sur de grands problèmes de la philosophie des sciences12. Voici une liste de questions qui peuvent, par exemple, être posées en s'appuyant sur l'expérience présentée ici :

  • "Faut-il avoir des connaissances scientifiques pour réussir à faire ce que l'on veut ?".
  • "Quelle méthode faut-il suivre pour réussir à comprendre ou expliquer un phénomène ?".
  • "Est-ce qu'il y a une seule méthode possible ?".
  • "Est-ce que les scientifiques se trompent parfois ?".
  • "Est-ce que l'on peut appliquer la même méthode pour avoir des réponses à toutes les questions que l'on se pose ? .
  • "A partir de quel moment je peux dire que je sais pourquoi tel phénomène se produit et pas seulement que je crois le savoir ? Sur quels critères je peux me fonder pour cela ?
  • "Est-ce que mes connaissances, croyances, souhaits guident mes hypothèses ?".

La question choisie dépendra de la manière dont les enfants ont mené l'expérience. S'ils ont, par exemple, réussi à relever le défi, par essais et erreurs, sans jamais s'interroger sur les raisons qui font que telle tentative s'avère fructueuse et que telle autre ne l'est pas, on pourra s'interroger sur la nécessité d'avoir des connaissances scientifiques pour réaliser ce que l'on souhaite. Si ce n'est pas le cas, on préféra se tourner vers une autre question, en partant toujours de ce dont les enfants ont fait l'expérience.

La manière dont la réflexion philosophique sera menée à partir de ce moment dépendra du choix de l'animateur. Il peut choisir de continuer à jouer le rôle de guide socratique, facilitant les enfants à conduire leur réflexion. Le but sera alors de les amener à voir en quoi la question soulevée pose problème, à préciser leur propos en effectuant des distinctions conceptuelles, à justifier ce qu'ils avancent, à en déterminer les limites en imaginant des objections et des contre-objections... Bref, à problématiser, à conceptualiser et à argumenter - autrement dit, à "philosopher", selon la définition didactique de M. Tozzi (1998). Si cette manière de procéder ne semble pas obligatoire, elle possède néanmoins l'avantage de ne pas rompre la dynamique mise en place dès le début de l'atelier "philosciences".

b) Des explications absurdes

Un second type d'outils proposé au sein des animations des Petits débrouillards semble particulièrement intéressant pour soulever des réflexions philosophiques sur les sciences. Il s'agit du cas où l'on propose aux enfants d'imaginer une réponse délibérément "absurde" ou "idiote" à des questions très sérieuses du type "Pourquoi les jours sont-ils plus longs en juin qu'en décembre ?" ou encore "Pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas sur la Terre ?". Les enfants sont alors invités à présenter leurs explications aux autres en les illustrant à l'aide d'un dessin. On trouve des modèles de telles réponses absurdes illustrées au sein des livres de Monike Czarnecki et Paul Martin portant sur les grandes questions scientifiques que les enfants se posent souvent13. Bien que ces livres n'aient pas été écrits avec l'ambition de susciter des questionnements philosophiques mais uniquement scientifiques, l'animateur y trouvera un appui précieux pour le faire, comme nous allons le voir. Dans la suite, je présenterai deux types de réflexion qu'il est possible de susciter à partir d'un tel exercice.

A la question : "Pourquoi les jours sont-ils plus long en juin ?", Monike Czarnecki et Paul Martin proposent la réponse absurde selon laquelle la durée du jour a été fixée par la loi - celle de 1891 - qui pose que les jours seront désormais plus longs en été et plus courts en hiver. Cette décision est motivée par le fait qu'"en hiver, il fait froid, on a envie de fermer les volets et de se mettre au lit. Cela ne sert à rien d'avoir de la lumière dehors." Tandis qu' "en été, il fait chaud. On a envie de rester dehors. Et grâce à la loi, on a du soleil assez tard !". Ce type de réponse permet, par exemple, de soulever le problème de la différence entre lois "naturelles" et lois "conventionnelles". Les enfants seront, dans ce contexte, amenés à s'interroger sur la capacité de l'être humain à influencer le monde dans lequel il vit et à se demander, par exemple, s'il est responsable du cours des phénomènes, s'il lui est possible le modifier et jusqu'à quel point. Une réflexion de ce type pourra être alimentée par le recours à d'autres supports, plus classiques des ateliers de philosophie, tels que des études de cas ou encore de la littérature jeunesse. On pourra ainsi, dans la situation présentée, demander aux enfants d'imaginer d'autres cas sur lesquels ils n'ont pas d'emprise. On ne peut pas, par exemple, décider que notre voisin tombe amoureux de nous, que les épinards aient un autre goût ou de se rendre invisible.

Si l'on souhaite plutôt s'appuyer sur des situations rencontrées au sein de la littérature pour alimenter une réflexion sur notre pouvoir d'action au sein du monde naturel, le personnage du roi dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry sera particulièrement intéressant. En effet, le roi, qui prétend gouverner l'ensemble des phénomènes et décider ainsi de leur cours, s'applique à ne donner que des "ordres raisonnables" : "Si j'ordonnais à un général, disait-il couramment, de se changer en oiseau de mer, et si le général n'obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute." De même, ordonne-t-il au Petit Prince de ne bailler que lorsqu'il en ressent le besoin et qu'il ne peut faire autrement et au Soleil de se lever mais seulement lorsque celui-ci doit le faire. On comprend ainsi très vite que le roi n'a aucun effet sur le monde et qu'il ne fait qu'ordonner ce qui se produirait de toute façon d'après les lois de la nature. Afin de préciser la réflexion et déterminer, par exemple, les limites de notre pouvoir d'action, on pourra poser d'autres questions aux enfants en leur demander d'imaginer d'autres réponses "impossibles".

Ainsi, à la question "Pourquoi la Terre tourne-t-elle ?", Monike Czarnecki et Paul Martin proposent la réponse absurde suivante : il y aurait, au centre, de la Terre une cabine dans laquelle se trouve un pédalier. Dans cette cabine, un petit homme nommé Roger pédale jour et nuit. "En pédalant, Roger fournit l'énergie nécessaire pour faire tourner la Terre. Heureusement qu'il est là, sinon la Terre s'arrêterait de tourner !". Il ne doit donc jamais s'arrêter de pédaler. Ici encore, le recours à la littérature - et en particulier à un autre personnage du Petit Prince : l'allumeur de réverbères - pourra s'avérer utile pour alimenter le questionnement des enfants. L'allumeur de réverbères a pour consigne d'allumer son réverbère dès qu'il fait nuit ce qui a pour conséquence de faire briller la petite planète sur laquelle il se trouve dans le ciel. "Quand il allume son réverbère, c'est comme s'il faisait naître une étoile de plus".

La mise en commun des différentes réponses délibérément absurdes des enfants se prête, par ailleurs, tout particulièrement à un autre type de réflexion portant sur les critères de rationalité. Il s'agit, dans ce cadre, d'amener les enfants à s'interroger sur les critères sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour décider si une hypothèse est valable ou meilleure qu'une autre. A cette fin, on leur demandera de se questionner sur les raisons qui les poussent à trouver certaines réponses "absurdes" et ce qu'il faudrait pour qu'elles ne le soient pas. Pour alimenter la réflexion, on pourra demander aux enfants d'imaginer des réponses qui leur semblent non plus absurdes mais cette fois-ci valables, afin qu'ils puissent analyser la différence. Pour les aider, on pourra leur présenter certaines des réponses données, dans un second temps, par Monike Czarnecki et Paul Martin dans leurs ouvrages et qui sont censées constituer l'explication véritable du phénomène en question.

Il est intéressant de noter que certaines réponses censées être absurdes - qu'elles aient été imaginées par Monike Czarnecki et Paul Martin ou par les enfants eux-mêmes - apparaitront à certains enfants valables et que c'est la réponse considérée exacte qui semblera ne pas avoir de sens. Différents critères seront généralement dégagés. Une réponse semble souvent absurde, parce qu'elle entre en contradiction avec des croyances que nous avons par ailleurs. Ainsi, nous pensons que la Terre est bien trop lourde pour pouvoir être mise en rotation par un seul homme. En outre, comment pourrait-il ne jamais s'arrêter, ne lui faut-il pas dormir ? Et comment se nourrirait-il ? Par ailleurs, n'avons nous pas vu à l'école que le centre de la Terre était constitué d'un noyau tellement chaud qu'il serait impossible d'y vivre ?

Conclusion

En permettant de "donner de la saveur" aux savoirs auxquels les enfants sont régulièrement confrontés dans toutes les sphères de leur existence, la pratique de la philosophie des sciences avec les plus jeunes est susceptible de contribuer de manière significative à atteindre les fins qui sont généralement visées par la pratique de la philosophie avec les enfants, à savoir : penser par soi-même, développer l'estime de soi, le goût du savoir et l'ouverture d'esprit.

Comme la pratique de la philosophie politique, morale ou encore esthétique, la pratique de la philosophie des sciences avec les enfants demande l'élaboration de supports inducteurs pertinents, qui permettent de susciter le questionnement philosophique, tout en donnant aux enfants de quoi appuyer leur réflexion. Les animations élaborées par l'association des Petits Débrouillards semblent particulièrement pertinentes pour jouer ce rôle de supports et ce à plusieurs titres.

D'abord, en mettant l'enfant dans la position de celui qui doit trouver la réponse par lui-même, elles ont l'avantage de le placer immédiatement dans la situation d'autonomie intellectuelle qui constitue la condition de possibilité de toute réflexion philosophique proprement dite. Ensuite, en les faisant travailler en groupe, les enfants sont dès le départ mis en dialogue. La discussion philosophique pourra ainsi se construire dans le prolongement de la discussion à propos des concepts scientifiques, sans en rompre la dynamique. Ces animations ont, par ailleurs, l'avantage de fournir aux enfants un ensemble de connaissances pratiques et théoriques à partir desquels ils pourront mener leur réflexion. De plus, il faut noter que le jeu occupe une place forte au sein des animations des Petits Débrouillards. Elles procurent ainsi à l'enfant la motivation nécessaire pour s'engager sur le chemin de la pensée. En les prenant pour point de départ, on garde ce bénéfice motivationnel qui permet à l'enfant d'entrer dans la démarche de la pensée. Enfin, imaginer ces animations pour des enfants éloignés de l'école, parfois en difficulté et de différents âges, a l'avantage d'être accessible aux enfants, quel que soit leur niveau scolaire, et de pouvoir être mis en place, au sein de la cité, au coeur même des quartiers. Pour suivre ces ateliers, il n'est demandé aux enfants ni de savoir lire ou écrire, ni de posséder des connaissances scientifiques ou philosophiques de quelque sorte.

Dans cette approche socratique du savoir, il semble néanmoins essentiel que les animateurs et les animatrices possèdent, quant à eux, une formation solide, et cela à la fois en science et en philosophie. Ce n'est qu'à cette condition qu'ils pourront guider les enfants aux mieux au sein de leur réflexion, et les suivre là où ils veulent aller.


(1) Youna Tonnerre est Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche au sein du département d'Histoire et de Philosophie des Sciences de l'Université Paris 7 et doctorante spécialisée en philosophie des sciences à l'Université de Rennes 1. Avant de commencer son doctorat et d'enseigner à l'Université, elle a enseigné la philosophie en classe de terminale et a été animatrice scientifique auprès d'enfants et d'adolescents, puis formatrice d'animateurs, au sein de l'association des Petits Débrouillards Bretagne.

(2) Il s'agit ici de se réapproprier le propos kantien pour l'appliquer à la pratique de la philosophie dès le plus jeune âge. Si une telle application peut sembler de prime abord exclue par Kant, pour lequel "la philosophie n'est véritablement qu'une occupation pour l'adulte" (1765-1766), elle ne semble pas être exclue en droit mais simplement de fait. En effet, si pour Kant "la jeunesse" n'est pas apte à philosopher, c'est parce que dans l'enseignement scolaire elle est, de fait, "habituée à apprendre". Or la philosophie ne peut "s'apprendre". Le but de la philosophie avec les enfants est, dès lors, de délivrer ces derniers de cette habitude pour les mettre dans la position non plus de l'apprenant récitant mais bien de celui du philosophe pensant. Il s'agit ainsi de l'exercer à utiliser son entendement autrement.

(3) L'expression est de J-P. Astolfi (2008).

(4) Problématiser, conceptualiser et argumenter sont les trois opérations que les enfants doivent mettre en oeuvre pour philosopher, selon la définition didactique de Michel Tozzi (1998).

(5) Voir par exemple A. Finkielkraut, "La mystification des droits de l'enfant", Les droits de l'enfant, Actes du colloque européen d'Amiens, 8, 9 et 10 novembre 1990.

(6) La Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE) est un traité international adopté par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989.

(7) Les enfants de 8 à 12 ans sont néanmoins les plus nombreux à participer à ces animations.

(8) Voir Platon, Ménon, 82e - 86b.

(9) En arriver là demande une longue discussion entre les enfants et l'animateur. Celle-ci pourra être alimentée par différentes études de cas (ou "expériences de pensée") et par plusieurs expérimentations supplémentaires simples, permettant aux enfants d'appréhender, par eux-mêmes, l'ensemble des phénomènes et des concepts qui peuvent entrer en jeu dans l'explication de la montée de l'eau dans le verre - tel que le concept d'oxygène ou le phénomène de dépression.

(10) Le sèche-cheveux est tenu par l'animateur pour éviter tout danger.

(11) Cette expérience, comme beaucoup d'autres parmi celles proposées par les Petits Débrouillards, est présentée sur le site"Wikidébrouillard" :
http://wikidebrouillard.org/index.php?title=Bougie_dans_le_bocal

(12) Si les questions peuvent parfois émerger des enfants eux-mêmes - surtout lorsque les enfants ont déjà assisté à plusieurs ateliers de ce type et sont donc habitués à se poser ce genre de questions - il revient néanmoins souvent à l'animateur de les soulever.

(13) Les exemples présentés dans cet article sont issus de celui de 2015, sur l'astronomie (M. Czarnecki et P. Martin, 2015).

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