Revue

Le débat à visée philosophique : quels écrits pour quels apprentissages en cycle 3 ?

Depuis de nombreuses années, les instructions officielles préconisent la mise en place de débats à l'école élémentaire. Pourquoi produire des écrits, alors que le débat à visée philosophique (DVP) est un exercice développant principalement les compétences de l'oral ?

L'écrit est à la fois une trace, un outil de construction de la pensée, un outil de communication de celle-ci :

  • il permet de prendre le temps de penser et d'organiser sa pensée.
  • Il permet de laisser des traces : pour soi-même, car la pensée évolue au cours du temps : pour le groupe, afin de pouvoir visualiser la pensée des autres, revenir sur un échange et aller plus loin ; pour un public visé à qui on décide de communiquer les fruits du débat

Ces écrits sont composés d'écrits de travail et d'écrits institutionnels, témoins de ce qui a été partagé, voire ayant une portée conclusive, culturelle ou moralisatrice selon le sujet abordé (unanimité du groupe, proverbe, slogan inventé, rappel à la loi : interdiction des injures racistes, du meurtre, du vol...).

I) En amont du débat

A) Le support de départ

Il peut revêtir de nombreuses formes écrites : un proverbe, une maxime, une oeuvre littéraire, une fable, un article d'actualité, un slogan...

La question débattue :

  • Elle peut surgir d'une cueillette de questions (façon Lipman). Elle suppose alors un travail en décroché sur la forme interrogative, la recherche d'une formulation adéquate par comparaison de questions proches et donc une analyse fine de la langue. Cela développe une compétence de problématisation.
  • Elle peut être formulée par l'enseignant. Elle développe des compétences de lecture. Celles-ci peuvent paraître anodines. Pourtant l'élève peut facilement répondre à côté de la question. Ex : Après l'étude du joueur de flûte de Hamelin, l'enseignante demande : "Penses-tu que le joueur de flûte avait raison de se venger ?" Plusieurs élèves répondent : "Il n'aurait pas dû se servir des enfants". Il faut alors les amener à relire la question, leur faire comprendre que c'est une question fermée (qui suppose une réponse par oui ou non), et que même si leur idée a toute sa place dans le débat, ils n'ont pas répondu à la question.

B) La réflexion personnelle

Pour pouvoir apporter quelque chose au groupe, il faut prendre le temps de comprendre ce qu'on nous demande et d'apporter une réponse à discuter et/ ou valider en groupe. Ceci est valable quel que soit le travail de groupe.

Cette réflexion peut être écrite dans un cahier personnel ou ne figurent que les réflexions personnelles ; ou dans un cahier qui, comme le cahier d'expériences en sciences, comporte une partie avec les "écrits de recherche" et une autre avec les écrits institutionnels.

Elle peut être inscrite sur un brouillon remis à l'enseignant qui retapera l'ensemble des réponses. Ce document servira de support à l'échange en groupe.

Ce travail d'écriture ne donne pas lieu à correction, mais il pousse l'enfant à produire un écrit (tout comme le jogging d'écriture), en mettant en phrases sa pensée et non un imaginaire. Les enfants qui ne participent pas à l'oral peuvent y trouver le moyen de développer cette compétence, avant de se lancer dans l'oral et ainsi de prendre confiance.

C) L'affiche/réflexion en petits groupes

Selon le profil de la classe et le moment de l'année, il peut être nécessaire, avant d'échanger en grand groupe, de permettre l'échange en petits groupes de 4 ou 5 élèves. Il en ressortira une affiche produite en vue de servir de support à un débat avec l'ensemble de la classe.

Les élèves doivent alors se mettre d'accord sur la formulation d'une ou plusieurs réponses ; un ou plusieurs arguments. Ils doivent tenir compte du rôle futur de cette affiche qui doit pouvoir être lue par tous les élèves une fois au tableau et adapter leur écriture, la taille des lettres, l'outil scripteur choisi, la présentation.

II) Pendant le débat en groupe-classe

A) La prise de notes

Il est nécessaire que l'ensemble des idées et arguments, voire exemples cités, soient notés pour une exploitation ultérieure. Pour cela il faut des secrétaires.

Ce peut être l'enseignant au tableau (surtout en début d'année, cela permet aux élèves de voir ce qu'il est important de noter et leur apprend le travail de secrétaire) ou en retrait sur papier.

Ce peut-être plusieurs élèves (deux ou trois, les plus habiles en début d'année, puis les autres progressivement).

Ce travail de secrétaire développe la compétence de la prise de notes ; cette compétence doit être travaillée en activité décrochée pour devenir efficace. Que faut-il noter ? Comment faut-il le noter ? Pour avoir le temps d'en noter un maximum ? Pour pouvoir être exploité par la suite ? Ainsi la prise de note doit supposer retour à la ligne, sous-titres, soulignements, organisation en paragraphes, phrases nominales ou infinitives.

B) La grille d'observation

Afin de faire évoluer l'implication et la justesse des interventions de chaque élève, certaines classes choisissent de ne faire débattre que la moitié des élèves, l'autre moitié jouant le rôle d'observateurs. L'élaboration de cette grille doit être menée avec la classe ; elle doit être évolutive au cours de l'année. Pour cela, il va falloir dégager avec les élèves les critères de l'observation, c'est-à-dire les compétences attendues au cours du débat. Puis les formuler, les présenter (traitement de texte). Et il faudra aussi se mettre d'accord sur la façon de noter ce que l'on a observé. La grille ne pouvant pas être communiquée sans explications verbales, il faut alors apprendre à formuler avec délicatesse et sans blesser l'observé ce que l'on a noté sur ses interventions.

III) Après le débat, vers la synthèse

A) La réflexion personnelle

Enrichie des avis entendus au cours du débat, la pensée personnelle évolue. Il est alors temps de reprendre son cahier personnel et de noter quelque chose que l'on a entendu et auquel on n'avait pas pensé. Les objectifs d'écriture sont les mêmes que plus haut, mais cette phase permet à l'élève de prendre conscience qu'une pensée évolue, s'enrichit par l'échange.

B) La synthèse destinée à donner une dimension institutionnelle

Elle peut être faite par l'enseignant à partir des notes des secrétaires. Elle donnera aux élèves un modèle de texte organisé, structuré à partir de leur pensée.

Elle peut être faite collectivement au tableau : deux colonnes, arguments pour/arguments contre et "autres idées apparues au cours du débat". Dans ce dernier paragraphe peuvent prendre place les rappels à la loi, proverbes cités, évocation de faits connus, citation d'oeuvres. Là aussi, la pratique collective d'une activité de synthèse est un entraînement à cet exercice qu'ils seront progressivement amenés à faire seuls : rappel des idées, classification, organisation spatiale de la présentation.

Progressivement au cours de l'année, les notes des secrétaires pourront être confiées à un ou des petits groupes (pas plus de trois élèves), qui feront le travail cité ci-dessus. C'est un premier pas vers la dissertation...

C) L'après-synthèse

Selon les sujets, la communication que l'on veut faire (exposition, mise en ligne sur le site de l'école, correspondance...), un travail ciblé de l'écrit pourra être mené : rédaction d'un article, courrier, liste de slogans inventés, de "devises" à la manière du Moyen âge...

L'écrit, dans le DVP, est un support permettant à la pensée d'évoluer, d'être partagée puis rassemblée. Il touche à différents supports que les élèves doivent apprendre à différencier et à utiliser dans leur spécificité : brouillon, affiche, cahier d'éducation civique, site de l'école, correspondance.

Il permet d'explorer et de progresser dans des compétences diverses de l'écrit : lecture, prise de note, communication, formulation de questions, organisation d'un écrit complexe, présentation de celui-ci en fonction du public auquel il est destiné.

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