Revue

Discussions à visées démocratique et philosophique à Lyon : de l'école élémentaire à la fin de la Terminale

Introduction

Au lycée Ampère à Lyon, dans le cadre du projet Philojeunes1, la pratique des Discussions à Visées Philosophique et Démocratique (DVDP) a commencé dès la rentrée de Septembre 2016 grâce au soutien de la Proviseure du lycée, Madame Brugeas, qui a encouragé le projet et permis la réalisation des DVDP pendant les heures d'Enseignement Moral et Civique et d'Accompagnement Personnalisé. Il en a été de même pour la principale du collège Ampère, Madame Witkowski, qui a ouvert la voie au collège, afin que les collègues Sophie Roubin, enseignante en Mathématiques et Laurence Ruault, enseignante en Histoire et Géographie, expérimentent les DVDP dans les classes du collège.

Cet article permet de faire le point sur la pratique des DVDP (Discussions à Visées Démocratique et Philosophique) au sein du réseau que nous, professeur.e.s des disciplines enseignées de l'école élémentaire jusqu'aux Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, menons dans nos classes.

Au-delà "d'une innovation pédagogique et didactique qui bouscule les représentations de la philosophie et de l'enseignement, car la philosophie n'est pas une matière scolaire au programme de la scolarité de l'école primaire"2, et dans le secondaire, il faut attendre à quelques exceptions près, la classe de Terminale et la préparation de l'épreuve du baccalauréat pour pratiquer, de manière construite, des débats en classe qui offrent aux élèves un espace de réflexion et de construction de chacun.e dans sa singularité, tout en étant confronté aux autres. Pratiquer les discussions à visée philosophique dans la classe au sein des établissements situés dans le réseau du lycée Ampère, comme nous le faisons, s'appuie sur des expériences menées dans le monde depuis une cinquantaine d'années. Nous verrons dans un premier temps ce qui a déclenché ce désir "d'apprendre à philosopher en discutant"2à partir d'expériences validées ; dans un deuxième temps, nous examinerons les modalités utilisées dans le cadre de la DVDP. Dans un troisième temps, nous évoquerons quelques expériences en classe qui légitiment la pratique de la DVDP et ouvrent sur des perspectives prometteuses à ce stade de l'expérimentation.

I) De l'université du Québec à Montréal (UQUAM) au lycée Ampère à Lyon

A) Les débats en classe soutiennent la réussite des élèves

La proposition de pratiquer Philojeunes à Lyon et de former un réseau autour du lycée Ampère a été fortuite, puisqu'elle fait suite, à mon retour de Montréal où j'avais assisté, le 22 février 2016, à l'évaluation externe des travaux de l'Observatoire des réformes en éducation (ORÉ) sous la direction de Philippe Jonnaert, enseignant à l'Université du Québec à Montréal, responsable de la Chaire Unesco du Développement Curriculaire. Cette journée rassemblait des enseignants et des chercheurs québécois, d'autres venus de la province de l'Ontario et des enseignants-chercheurs belges. Le cadre de travail fixé par la Chaire Unesco de Développement Curriculaire réunissait aussi les expériences de la Philosophie pour enfants dont les chercheurs présents développaient les expériences avec les attendus et les retours d'expériences.

A ce titre, j'ai pu entendre Catherine Audrain, qui est à l'origine de La Traversée, un centre d'aide aux femmes et enfants victimes d'agressions sexuelles et Serge Robert, professeur au Département de philosophie et directeur du groupe de recherche Compétence logique, inférence et cognition du Laboratoire d'analyse cognitive de l'information (LANCI). Ils rapportaient les observations qu'ils avaient pu faire sur les cohortes d'élèves ayant pratiqué la Philosophie pour enfants5 au Québec. Catherine Audrain et Serge Robert sont à l'origine de l'expérimentation qui a eu lieu à partir de 2005 auprès de 14 écoles de la Commission scolaire Marie-Victorin sur la Rive-Sud de Montréal, et les travaux de l'Américain Matthew Lipman ont servi de cadre pour les débats philosophiques en classe5.

Les cohortes observées à Montréal dans le cadre de l'opération "Prévention de la violence et Philosophie pour enfants" ont permis de démontrer le bien fondé des débats dans les classes, en particulier lorsqu'ils sont réguliers. Ainsi les élèves aguerris aux pratiques des débats en classe acquièrent une maturité et un positionnement qui les accompagnent sur des voies de réussite sociale et scolaire supérieures à celles des cohortes qui ne pratiquent pas ces mêmes débats. Chiffres à l'appui, Serge Robert et Catherine Audrain présentèrent le 22 février 2016 les résultats assez stupéfiants des élèves passés par cet apprentissage.

B) Vers l'expérimentation des débats en classe de l'école élémentaire au lycée

A l'issue de la réunion, nos échanges avec Catherine Audrain d'abord à Montréal lors de mes voyages, puis avec Michel Tozzi et les équipes déjà en place en région parisienne, les conversations et lectures ont précisé les contenus des discussions à visée philosophique. La lecture des ouvrages d'Edwige Chirouter, philosophe, auteure de plusieurs livres explicitant les relations entre l'enfant de l'école élémentaire, la philosophie et la littérature et celle des ouvrages de Matthew Lipman et de Michel Tozzi ont permis de mieux comprendre l'intérêt des approches philosophiques avec les élèves. Grâce à la visioconférence, Mme Brugeas et Catherine Audrain ont pu échanger sur les grandes lignes du projet mené dans le cadre des deux Chaires UNESCO, en Philosophie pour enfants (Nantes) et sur la justice et la société démocratique (UQAM), et parrainé par les Commissions canadienne et française de l'Unesco, et à expérimenter au lycée Ampère. Une évaluation après 5 ans de pratique a été fixée dans le cadre de ce partenariat. Par la suite, la rencontre avec des enseignantes rejoignant le réseau du lycée Ampère nous a fait découvrir les pratiques de Sylvain Connac, d'Oscar Brénifier, les articles des Cahiers Pédagogiques ainsi que des philosophes contemporains comme Michel Onfray, André Comte-Sponville, Marcel Gauchet, favorables à des pratiques philosophiques "bien en amont de la classe terminale"2.

Le collège et le lycée Ampère, situés au centre de Lyon, accueillent une population socialement mixte du fait des options, notamment de langues rares, qui attirent des élèves relevant d'écoles et de collèges très éloignés de la presqu'île, motivés par ces enseignements. En outre, Lyon, loin d'être à l'écart des phénomènes de violence, de radicalisation et de manifestations des extrémismes politiques, rend les débats nécessaires dans le cadre de l'Enseignement Moral et Civique (EMC). Ne serait-ce que parce que "la formation à l'esprit d'examen, à l'esprit critique est un des missions essentielles de l'école" comme le souligne Brigitte Darchy-Koechlin3. Les élèves ne pouvaient que s'emparer d'un outil à leur portée avec les Discussions à Visées Philosophique et Démocratique, entrant dans l'axe majeur des orientations des programmes scolaires. Le débat fait pleinement partie des attendus de l'Enseignement Moral et Civique (EMC), de l'école élémentaire à la fin du lycée67. "Par ailleurs, l'importance qui est accordée à la maîtrise de la prise de parole dans le cadre de la réforme actuelle du baccalauréat rend cette pratique de la DVDP d'autant plus pertinente"4.

La nécessité des débats en classe avait été réclamée lors des mouvements des lycéens de l'hiver 1995, revendications suivies d'effet par la mise en place des séances d'Education Civique Juridique et Sociale en classes de lycée dès la rentrée 1997. Ces pratiques permettaient, avec une préparation de dossier en amont, sur plusieurs semaines, d'ouvrir un débat, selon une fréquence et des modalités décidées par l'enseignant sans règles précises de distribution de la parole, ni nécessité de trace en fin de séance. Toutefois, ce cadre offrait une liberté de parole au sein de la classe permettant si ce n'est de débattre, de philosopher à partir de thèmes au programme.

La DVDP offre un dispositif adapté aux enfants de l'école élémentaire où cette pratique a dépassé une décennie d'expérimentation dans certaines écoles dont les élèves suivent la scolarité au collège et au Lycée Ampère. Il restait à trouver les moyens d'adapter le dispositif aux élèves du collège et aux adolescents du lycée pour rejoindre à terme les résultats évoqués par Serge Robert le 22 février 2016.

Catherine Audrain et Michel Tozzi, professeur émérite en Sciences de l'Education à l'Université de Montpellier, formateur aux nouvelles pratiques philosophiques, ont mis au point les fiches d'expérimentation progressive des Discussions à Visées Démocratique et Philosophique (DVDP)10, et ont soutenu des initiatives dans les établissements en France et accompagné les équipes, dont la nôtre en centre-ville de Lyon. Cette dernière précision n'est pas anodine puisqu'en 2016, dans le contexte des actes terroristes commis en France en 2015 et devant la nécessité de lutter contre la radicalisation, d'organiser des plans de prévention contre la violence, les efforts étaient portés davantage sur les établissements scolaires de périphéries ou des établissements scolaires situés dans des grands ensembles des métropoles françaises. Or, Lyon dans son ensemble est concernée par ces violences qui s'appuient sur un public de jeunes adolescents.

Au mois de Novembre 2018, lors des rencontres Philojeunes UNESCO à Paris, les échanges avec les collègues du Collège et du lycée et des universités, inspecteurs de l'Education Nationale présents, après notre présentation du travail mené à Lyon, dans un contexte qui rassemble aussi son lot d'extrémismes de tous bords identifiés par le plus grand nombre, nous ont apporté un fort soutien et l'envie de continuer notre travail avec encore plus d'engagement. Ce constat fait suite à l'Université d'été de Philosophie qui a eu lieu en juillet 2017 à l'ESPE de Lyon.

II) Pratiquer la DVDP ou "Peut-on apprendre à philosopher en discutant ?" selon Michel Tozzi

A) Se former pour former à la DVDP en classe

La mise en pratique de Philojeunes est opérationnelle depuis 2016 sur un bassin scolaire assez large qui touche des élèves de l'école élémentaire, des élèves du Collège Ampère et des lycéens du lycée Ampère et d'écoles faisant partie du réseau, soit du fait de la proximité géographique, soit de l'implication des enseignants désireux de travailler en équipe. Ainsi tous les niveaux sont concernés et les âges des élèves vont de 7 ans pour les plus jeunes à 17 ans pour les élèves des classes terminales. Les enseignants, professeurs des écoles, professeurs de l'enseignement secondaire et professeurs de philosophie des Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, acceptant d'apporter leur expertise lors de débats en classe, ont reçu une formation élaborée par Jean-Charles Pettier, formateur aux ateliers Philojeunes dès le mois de Décembre 2016. Cette formation a permis de déterminer les modalités des débats, les formes et les objectifs principaux qui reposent sur "l'apprentissage de la réflexion, de l'examen et donc de la critique".

Dans la Discussion à Visées Démocratique et Philosophique, le dispositif démocratique permet de donner un cadre. Les rôles, les fonctions tenus par les élèves sont précisés. Le partage du pouvoir entre le maître ou la maîtresse et les différents rôles sont définis à l'avance. Le dispositif que nous avons adopté a été entièrement élaboré par Michel Tozzi9, et nous le suivons dans toutes nos classes de l'école élémentaire à la classe de Terminale du lycée.

Nous nous appuierons d'abord sur la pratique avec les lycéens du lycée Ampère, une pratique bi-mensuelle qui suit le rythme des séances d'Enseignement Moral et Civique se déroulant par demi-groupe classe, soit environ 17 ou 18 élèves par séance.

- Le thème est choisi par l'enseignante et inscrit au tableau. Il s'agit d'un des thèmes figurants dans les fiches Philojeunes proposées par le Centre International Philojeunes sous l'égide de la chaire UNESCO, 17 élaborées par Michel Tozzi, Edwige Chirouter, Jean-Charles Pettier10.

- Les rôles sont déterminés à chaque début de séance, sur la base du volontariat, avec le souci de faire tourner les rôles au sein du groupe : un.e président.e de séance, un.e synthétiseur.e de façon certaine. Le rôle du ou de la synthétiseur.e est délicat et indispensable. Délicat puisqu'il s'agit de prendre des notes sur ce qui sera rapporté à la fin de la séance pour reconstruire le fil de la discussion, des thèmes évoqués, des concepts approchés, avec les mots justes. Au fur et à mesure des séances, les élèves anticipent sur le temps consacré à la synthèse qui devient un moment incontournable, laissant une trace dans la vie du groupe. C'est le dernier mot de la discussion. L'élève qui construit la synthèse est aussi discutant.

- Un bâton de parole pour faire circuler la parole. Nous utilisons, comme bâton de parole, un marqueur pour tableau blanc que les élèves disposés en assemblée, en cercle font circuler. Les bureaux et les chaises étant repoussés sur les côtés de la salle de classe, l'élève qui prend la parole s'adresse donc au groupe en regardant chacun. L'enseignante est assise dans le cercle et lève la main pour demander la parole que le président, attentif à l'ordre des demandes d'interventions, accorde. L'enseignante, qui prend la parole sans l'avoir demandée et obtenue, prendrait des risques : "Madame, vous n'avez pas le bâton de parole". Est-ce beaucoup s'avancer que de souligner qu'une telle injonction, non dénuée de respect à l'égard de l'enseignante, montre que les élèves prennent le débat et la parole à leur compte. C'est leur débat.

- Le rôle de reformulateur n'est pas nécessaire au lycée. Les élèves discutent en restant dans la logique des échanges, en s'interrogeant mutuellement. Si le groupe s'éloigne du sujet de départ, le recentrage se fait toujours par un élève.

- Les discutant.e.s sont les élèves du groupe. Au lycée Ampère, l'expérience est menée depuis la rentrée 2016 et jusqu'à ce jour avec des élèves de classes de Seconde, de 1ères ES, des élèves de Terminales STMG, des élèves de Terminales Générales.

- Les observateurs, adultes de l'établissement, qui ont sollicité leur présence, sont installés en dehors du cercle, ou dans le cercle s'il s'agit de professeurs de Philosophie et toujours présentés lorsqu'ils assistent à la séance. Ainsi les enseignants de Philosophie en CPGE, Nicolas Jouvenceau, David Chabin, de Philosophie en classe de Terminales du lycée Ampère, Pierre Vignan, sont intervenus lors de séances de DVDP. Lors de ces visites, les élèves bénéficient d'un accès à la conceptualisation avec des éclairages qui enrichissent leur réflexion.

- Règles de base : les débats se déroulent dans un français soutenu et il est convenu de rester dans une posture de bienveillance et d'attention aux autres. Ce cadre étant fixé n'empêche pas la liberté de parole et même l'esprit critique qui sont les missions de la formation du citoyen émancipé.

B) Problématiser, conceptualiser, argumenter

Il s'agit de dépasser le simple échange pour entrer dans le processus précis tel qu'il a été défini par Michel Tozzi, Edwige Chirouter et Jean-Charles Pettier10 :

Ainsi, les élèves se confrontent à des concepts, parfois s'affrontent entre eux et les silences font partie de la discussion, permettant de réfléchir, de construire son raisonnement.

Les DVDP forment des moments où ni l'évaluation par des notes, ni la compétition, ni le rapport à un enseignement vertical, le cours magistral, n'ont de place. Si l'évaluation est possible, elle se fait dans la durée de la pratique. Cette remarque est importante, dans la mesure où l'on observe que les élèves absentéistes ou décrocheurs sont présents lors des séances de DVDP. D'ailleurs, tous les élèves sont présents, sauf exception de maladies graves. Tous les élèves prennent la parole, acceptent les règles partagées et fixées en début d'année. On peut souligner, avec Anne Herla, que "la DVDP, dans sa pratique même, interroge sous un angle nouveau la nature de l'acte philosophique et ébranle les partages établis entre maître et élève, philosophe et non-philosophe, savant et ignorant", ainsi qu'"un dispositif d'apprentissage de la philosophie"11

On peut même avancer, comme Julien Cueille qui évoque son expérimentation en tant qu'enseignant de Philosophie : "Accepter de parler, de tenir des propos "abstraits" sur des sujets de société, de donner un avis un peu général, et surtout devant les autres, avec tous les risques que cela comporte quant à l'image de soi, c'est déjà faire un pas vers la philosophie et vers l'intelligence collective. L'oral joue un rôle capital pour intéresser les élèves au cours de philosophie, et surtout leur redonner confiance dans leur propre capacité de pensée"12.

Ces propos nous paraissent correspondre à ce que nous vivons à Lyon de notre point de vue d'enseignant.e.s de l'école à la fin du lycée dans nos pratiques.

Nous proposons aux élèves d'argumenter, d'aller jusqu'au bout de leur idée, nous les encourageons à "penser par soi-même, examiner si ce qu'on dit est vrai. Ce n'est pas vrai parce que je le dis, il faut que je le prouve. Je dois valider ma position rationnellement par des arguments justificatifs. Trouver le meilleur argument. Argumenter aussi mon désaccord, et la réponse à des objections"9.

III) Retour sur les expériences au collège et lycée et perspectives

A) LA DVDP avec les Collégiens du Collège Ampère

(Enseignantes Sophie Roubin, Mathématiques et Laurence Ruault, Histoire-Géographie, Enseignement Moral et Civique)

L'illustration annexée et réalisée par les collégiens donne un aperçu du ressenti des élèves qui pratiquent la DVDP.

Les enseignantes analysent leur pratique de la DVDP :

  • "Des objectifs pour développer le jugement, le sens critique et changer le rapport au savoir. "Il n'y a pas de bonne réponse, la pensée se construit à plusieurs, et celle de chacun a de la valeur". Les DVDP rendent les élèves plus nuancés et moins vulnérables à la pression du groupe.
  • Des compétences en relation avec les domaines 1 et 3 du socle commun : "Les langages pour penser et communiquer" ; la "formation de la personne et du citoyen" et en particulier "maîtriser l'expression de sa sensibilité et de ses opinions, respecter celle des autres" ; "exercer son esprit critique, faire preuve de réflexion et de discernement".
  • Vers l'autonomie et la responsabilisation des élèves. Les élèves étant affectés à tour de rôle à des fonctions bien définies, comme président de séance, synthétiseur, reformulateur, gardien du temps, les DVDP les aident à devenir autonomes, à prendre des responsabilités et à les assumer devant le groupe. Avoir une mission particulière est valorisant pour les élèves. Mais nos collégiens ont du mal à se saisir de certaines missions comme synthétiseur, qui suppose de la concentration, le passage à l'abstraction et même à la conceptualisation, qui requiert la vitesse d'écriture. Autant de compétences qui sont encore fragiles en classe de 6ème.
  • Prendre la parole, argumenter : à ce stade de la 3ème année d'expérimentation, les DVDP s'inscrivent dans une volonté plus globale de développer la coopération entre les élèves lors des conseils coopératifs d'élèves qui constituent une démarche de projets interdisciplinaires, de plans de travail en autonomie. Nous constatons que ces temps de DVDP constituent un des rares espaces indispensables où la parole est donnée aux élèves. Les règles de vie en collectivité dans la classe, le collège, la société sont discutées, critiquées pour finalement être acceptées par le groupe. Les DVDP ouvrent le champ des échanges et permettent de répondre collectivement à des interrogations, de débloquer des postures vis-à-vis de règlements. Des professeur.e.s de diverses disciplines s'investissent dans le projet. Les DVDP permettent de développer des habiletés transférables dans toutes les matières enseignées et qui viennent en appui aux enseignants dans la pratique quotidienne de la classe.
  • Prendre la parole pour se poser des questions, en poser aux autres, développer des capacités à penser par soi-même. Prendre la parole plus facilement parce que l'on fait partie du groupe d'élèves de la classe, que l'on se remet en question. Les élèves prennent l'habitude d'interroger les savoirs, de développer l'autonomie et de développer la confiance en soi".13

B) LA DVDP avec les Lycéens du Lycée Ampère

(Muriel Depras, enseignante en Lettres Modernes, titulaire du Master 2 Professionnel de Littérature pour la Jeunesse de l'Université du Mans, encadré pour la pratique de philosophie avec les enfants par Edwige Chirouter, Véronique Stacchetti, Histoire-Géographie EMC).

La pratique des DVDP, chacune avec son groupe-classe, sur les heures d'Accompagnement Personnalisé, puis en co-animation avec la classe de 2nde 6 en 2017-2018 nous a permis de :

  • Constater l'évolution des relations au sein de la classe, de l'écoute et la prise en compte de la parole de l'autre. Nous avons vu la classe avancer vers l'apaisement au fil des semaines et observé l'affirmation de chacun.e durant les débats. Les élèves de 2nde 6 étant engagé sur une expérience parallèle, Gymnase Platon au lycée Ampère, devaient rencontrer d'autres classes à la Villa Gillet au mois de Mars 2018. Les deux classes, présentes avec la nôtre, terminales du Lycée Descartes de Saint-Genis-Laval échangeaient à égalité avec nos élèves. En aparté, les lycéens de Descartes identifiaient les Secondes d'Ampère comme "des élèves de 1ère Littéraire", appréciation portée sur la démonstration et l'exigence de nos élèves lors des prises de parole, alors que leur physique juvénile trahissait un âge moindre par rapport aux autres.
  • Filles et garçons à égalité dans la prise de parole et dans les silences. Certain.e.s élèves ne prenaient pas ou très peu la parole, des garçons et des filles. Chacun avance à son rythme et chacun respecte l'autre tel qu'elle ou il est. Dans la classe, quelques élèves filles et garçons prenaient la parole longuement, jusqu'à être rappelé.e.s à l'ordre par le président de séance. Les sujets que nous avons proposés n'ont pas permis de déceler une domination masculine ou féminine dans la prise de parole. Au contraire, les DVDP facilitent la vie en groupe et le respect d'une parole non genrée.
  • Un travail en co-animation lors des DVDP permet d'ouvrir la classe à la parole des élèves de manière à accepter que les élèves expriment des idées, précisent des détails, formulent des interrogations avec "toute l'intensité de la pensée adolescente"14.

Conclusion sur ce que l'on peut retenir des DVDP au sein du réseau du Lycée Ampère : Les élèves de l'école élémentaire, les collégiens, les lycéens adoptent une posture démocratique et éthique, filles et garçons prenant la parole à égalité en discutant durant une heure par semaine. La régularité des séances permet de construire le groupe où chaque élève développe ses compétences, à son rythme. A ce stade, après sept trimestres de pratique avec des groupes-classes différents, nous avons remarqué que les élèves déployaient des qualités figurant dans les champs des compétences. Ainsi l'écoute, la patience, la réflexion, l'ouverture d'esprit, l'acceptation de l'autre sont autant de savoir-être permettant d'avancer en construisant une réflexion collective sur l'année scolaire.

Les réformes de l'école élémentaire, du collège et du lycée inscrivent la nécessité des DVDP pour encourager la prise de parole pour soi avec les autres, accompagner l'élève dans sa réussite scolaire et en tant que citoyen.ne de la République.

En ce mois de Janvier 2019, nous pouvons affirmer que tout le monde apprend lors des DVDP. Les élèves, les plus jeunes comme les adolescents, réclament les débats et sont d'une efficacité impressionnante pour pousser les tables, organiser les chaises en cercle et prendre la totalité de l'heure pour discuter, philosopher, réfléchir. Ils remettent la salle telle que nous l'avons trouvée avec tout autant d'efficacité. Les enseignant.e.s impliqué.e.s apprennent aussi lors des DVDP. Nous apprenons des élèves comme de nous-mêmes.


(1) www.Philojeunes.org

(2) Tozzi, M. (2007). Apprendre à philosopher par la discussion. Pourquoi ? Comment ? Bruxelles. Editions De Boeck Université, pp. 8 et 180.

(3) Tozzi. M (2007). Idem, p. 177.

(4) Darchy-Koechlin, B. Département Recherche-Développement, Innovation et Expérimentation (DRDIE). Direction de l'Enseignement Scolaire. Ministère de l'Education Nationale. "Tradition des penseurs de l'éducation à l'appui. Cf. n° 79 Revue Internationale d'Education sur les grandes figures de l'éducation dans le monde ! Par exemple...AVERROES qui, à la question "Quoi enseigner ?" répond par la nécessité de sortir de l'enfermement que représentent certaines sciences religieuses pour apprendre à raisonner de façon rigoureuse. Cf. recension de ce numéro de la RIE in http://www.touteduc.fr/fr/periscolaire/theme-29-recherches-et-publications  : "Avec J.-J. Rousseau et Condorcet émergent l'institution école et la forme scolaire, avec J. Ferry pour leur mise en oeuvre, mais viennent ensuite J. Piaget qui met en évidence le rôle des interactions de l'individu avec son environnement, donc du constructivisme, L. Vygotski qui ajoute l'importance du rôle de l'adulte, et donc du socio-constructivisme, John Dewey qui insiste sur l'importance de l'expérience, mais aussi sur la nécessité de développer chez chaque enfant ses capacités distinctives pour qu'il les mette au service de la collectivité. D'autres, Nadia Montessori, Friedrich Fröbel ont ouvert la voie à l'éducation pré-scolaire et insisté sur la nécessité pour les élèves d'un "feed-back" rapide, le Danois Nikolai Grundtvig s'est intéressé à l'aval de l'école, à la formation tout au long de la vie et à l'éducation populaire, Paulo Freire a insisté sur la nécessité d'aider les opprimés à prendre conscience de leur oppression, Jose Abreu sur le rôle de la musique et l'importance de ce qui est "à côté de l'école"... Pour J-M de Ketele, l'Ecole sera toujours en tension entre l'excellence de quelques-uns et l'élévation du niveau de tous, mais, dans le prolongement de toutes ces figures du passé, il imagine les évolutions à venir, qui verront "le local", "en tension avec la pensée unique", prendre de plus en plus d'importance. Il évoque la création au Pérou d'une université spécialisée dans le recueil des connaissances traditionnelles des Indiens. "L'universel va provenir du local", prédit-il, rappelant que l'universel, "c'est le local moins les murs""

(5) https://www.connaistoi-toimeme.com/philo-pour-enfant-et-prevention-de-la-violence/

(6) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=90243

(7) http://cache.media.eduscol.education.fr/file/EMC/01/7/ress_emc_discussion_DVP_464017.pdf

(8) http://www.unesco.chairephilo.uqam.ca/IMG/pdf/documentphilojeunes-vlongue-avec-couverture-16-11-10.pdf

(9) Tozzi, M. 2016. Discussion à Visées Démocratique et Philosophique (DVDP). Vivre une communauté de recherche. Annexe II "synthèse des enjeux d'une Discussion à Visée Démocratique et Philosophique en classe".

(10) Tozzi, M., Chirouter, E., Pettier, J-C. (2016). Centre International Philojeunes. 17 Fiches pratiques pour les DVDP.

(11) Herla, A. Tracées. Revue de Sciences Humaines, 25/2013. Education : Emancipation. "la discussion philosophique en classe : une pratique de l'émancipation ?". 103-123.

(12) GFEN. Secteur Philosophie. (2005). Philosopher, tous capables. Lyon, Chronique Sociale. Pédagogie formation. "L'attitude du professeur est déterminante : s'il ne laisse pas les élèves parler, ou les coupe en permanence pour rectifier leurs propos, il faut s'attendre à ce que bon nombre se rencoquillent dans leur mutisme, bien caractéristique de la période adolescente qu'ils traversent. Si au contraire on accepte de les écouter, avec un intérêt réel, et qu'ils ressentent une confiance [...] on peut assister à une véritable et parfois surprenante éclosion de la pensée. La capacité philosophique de chacun se révèle sur des modes différents [...] Les élèves de séries technologiques, traditionnellement considérés comme peu doués pour la réflexion abstraite, réservent souvent des surprises et ne sont pas les derniers à manifester une étonnante capacité à découvrir des problèmes" (pp. 198-199).

(13) Roubin S. et Ruault L, professeures au Collège Ampère. Retour sur l'expérimentation des DVDP. Janvier 2019.

(14) Buhbinder C., Enseigner la philosophie et la citoyenneté à partir d'atelier créatifs. Chronique Sociale. 2017. "Il me semble que pour organiser des ateliers pour les jeunes, il faut connaître les jeunes et surtout les aimer ! Mais c'est très difficile car même avec toute la bonne volonté du monde, on ne retrouvera jamais, adulte, l'intensité de la pensée adolescente. L'adolescence nous fait peur, c'est pour cela qu'on empêche les jeunes de penser en les forçant à apprendre. Les jeunes veulent des réponses totales. Ils n'ont pas de patience, ni de capacité d'empathie. Ils nous dépassent en s'engouffrant dans les moindres brèches qu'on leur accorde" (p. 66).

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