Résumé
Face aux difficultés de plus en plus perceptibles dans le processus enseignement apprentissage de la philosophie dans le secondaire, il devient nécessaire voire urgent, de souligner les enjeux et perspectives de la didactique de la philosophie, au-delà d'un état des lieux à dresser au préalable. Cet article poursuit deux objectifs : le premier est de préciser l'état des recherches sur l'enseignement de la philosophie dans le secondaire au Cameroun. Le second est de présenter l'importance et les enjeux d'une littérature et des discussions abondantes sur les différents paramètres de l'action didactique dans l'enseignement-apprentissage de cette discipline particulière, tout en anticipant l'impact que cela pourrait avoir aussi bien du point de vue des apprenants que de celui des enseignants.
Mots clés : Didactique, enseignement, apprentissage, philosophie.
Introduction
Il est difficile de croire au premier abord qu'il y aurait des problèmes dans le processus d'enseignement-apprentissage de la philosophie au niveau du secondaire. Car non seulement la question ne s'est pas encore posée, mais parc que l'enseignement de la philosophie continue à être dispensé exactement comme à son introduction dans les programmes scolaires il y a longtemps. En effet, dans la pratique enseignante de cette discipline qui n'intervient qu'au secondaire et uniquement en classe de terminale, on n'enregistre aucune évolution significative. Cet article vise à provoquer une discussion sur le bienfondé d'une didactique de la philosophie dans l'enseignement-apprentissage de cette discipline, et à formuler un plaidoyer pour l'essor des travaux de recherche dans cette didactique. En effet, la didactique de la philosophie ne semble pas intéresser les chercheurs camerounais en particulier et africains en général, et encore moins les enseignants de philosophie à tous les niveaux. D'où l'inexistence de productions scientifiques et même de débats à ce sujet, ce qui explique la stagnation qui caractérise l'enseignement de la philosophie au secondaire. Il ne s'agit pas d'une exclusion de la didactique de la philosophie qui serait liée à une "querelle de mot" et même de "défense des territoires institutionnels" (Bertrand et Houssaye, 1995) qui ont cours dans le domaine de la didactique en général. Il s'agit plutôt d'un non-lieu qui ne dit pas son nom et auquel il convient de s'intéresser.
I) Etat des lieux de la didactique de la philosophie
L'importance de la didactique des disciplines dans le processus enseignement-apprentissage de chaque discipline n'est plus à démontrer, quel que soit le niveau d'étude. Les praticiens de divers domaines de la connaissance l'ont compris, ce qui justifie le déploiement des différentes didactiques mises en oeuvre dans l'enseignement secondaire au Cameroun. Evoquons entre autres la didactique du français, des mathématiques, de la chimie, des SVT, des langues vivantes.
C'est qu'en fait, le processus enseignement-apprentissage se déroule dans un cadre appelé "Situation pédagogique" (Fonkoua, 2002). Cette dernière ayant un double sens théorique et pratique, et c'est ce sens pratique qui renvoie à la didactique. Belinga dira que "La didactique est la science de l'éducation ayant pour objet d'étude les processus de l'enseignement et de l'apprentissage" (Belinga Bessala, 2005). Dans cette perspective, le développement des didactiques et l'approfondissement de leurs recherches devraient réjouir ceux qui cherchent une meilleure efficacité dans l'enseignement. Il devient donc impensable d'admettre la réalité selon laquelle on ne trouve aucun sinon très peu de spécialistes ou de discussions à ce sujet.
La didactique est un domaine très dynamique à cause de la diversité des contextes et des périodes dans lesquels elle se déploie, en mobilisant " L'épistémologie de référence de la discipline considérée, la psychologie cognitive et les contraintes de la situation de formation " (Meirieu, 2012). C'est ce qui rend également dynamique tout le processus enseignement-apprentissage d'une discipline lorsque les réflexions didactiques y ont régulièrement lieu, permettant ainsi d'améliorer les conditions d'enseignement et d'apprentissage de la discipline en question. Rien donc de surprenant à ce que l'enseignement de la philosophie au Cameroun n'ait guère évolué depuis longtemps, à cause du déficit de discussions didactiques ou à un moindre degré de la stérilité de telles discussions.
En s'intéressant au programme de philosophie dans le secondaire, on se rend très vite compte que celui en vigueur au Cameroun est régi par l'arrêté ministériel N°114/D/28/MINEDUC/SG/IGP/ESG, du 07 OCT 1998, c'est-à-dire il y a 20 ans de cela.. Cela n'est pas sans poser problème, surtout quand on connaît toutes les mutations qui ont cours dans le domaine de la philosophie en particulier et de l'éducation en général. Ce qui rend inadaptés les paramètres de l'action didactique contenus dans ce document par rapport au contexte actuel, les enseignants étant demeurés pour la plupart des maîtres au sens du magister dixit. Ainsi peut-on constater que ces derniers n'innovent pas en termes de techniques d'enseignement. Ainsi les voit-on encore introduire leurs cours par quelques questions classiques au sujet de ce que savent les apprenants sur la notion à étudier.
Avec l'oeil du spécialiste, cette situation n'est pas surprenante, il s'agit simplement d'effets en aval ayant leur cause en amont : ces enseignants n'ont point reçu de formation en didactique de la philosophie durant leur passage à l'Ecole Normale Supérieure. Ils se sont contentés des didactiques générales qu'on leur a proposées, pour ceux des enseignants qui y sont allés, puisque beaucoup viennent directement de l'université et sont ainsi sans formation en didactique de la philosophie. Ces derniers, qui sont les plus nombreux, ne disposent nullement de ce que Develay appelle "L'art et les moyens d'enseigner" (Develay, 1992). Après une brève enquête menée auprès des enseignants de philosophie dans le secondaire, il ressort que nombreux sont ceux qui ne savent même pas en quoi consiste la didactique de la philosophie, et sont pourtant des enseignants sinon qualifiés au moins plein d'expérience prétendent-ils.
Par ailleurs, même les inspecteurs pédagogiques en charge de la philosophie n'ont pas reçu de formation en didactique de la philosophie, puisqu'ils sont nommés à ce poste de façon aléatoire, et souvent ceux même qui sont intéressés par les réflexions sur l'enseignement-apprentissage de la philosophie sont exclus de ces nominations. D'où la stérilité des débats lors des séminaires de formation organisé par ces inspecteurs, et le manque de production en termes de documents nécessaires à l'amélioration des programmes et des techniques d'enseignement-apprentissage de la philosophie. Il est vrai que les spécialistes en matière de didactique de la philosophie au Cameroun ne courent pas les rues, mais cela n'empêche pas de valoriser la minorité qui s'y consacre ou même d'échanger avec ceux d'ailleurs. Car la pratique de la didactique de la philosophie est une condition nécessaire à l'amélioration de et enseignement.
II) Les enjeux de la question
La question de la pratique de la didactique de la philosophie au Cameroun est d'un enjeu incommensurable qui mérite d'être souligné à plusieurs titres.
A) Premièrement, le déploiement de la didactique de la philosophie dans le cadre de l'enseignement de cette discipline dans le secondaire permettrait de prendre consciences des différents problèmes qui empêchent l'évolution de cette discipline. On peut évoquer le problème de pertinence de l'élaboration des contenus didactiques qui rend ces derniers inappropriés et inadaptés au contexte actuel (Kalla, 2017). Même la façon de poser le problème constitue une préoccupation majeure (Jean-Yves Rochex, 1989) : on peut évoquer le problème de l'utilisation des textes dans l'enseignement de la philosophie, ou celui de l'inadéquation entre les sous-systèmes francophone et anglophone.
Il s'agit là de problèmes qui sont liés aussi bien au fond qu'à la forme, sans dissociation aucune, étant substantiels à toute discipline. Il faudra soulever des questions de ce genre et trouver des solutions appropriées.
B) Deuxièmement, l'amélioration de la qualité de l'enseignement et de l'apprentissage de la philosophie passe nécessairement par des réflexions sur sa didactique.
Cela se traduirait par la révision des programmes, des méthodes d'enseignement et même l'organisation globale de l'enseignement de la philosophie dans le secondaire. Les programmes de philosophie en vigueur datent de 20 ans déjà et il faudrait les revisiter de façon savante. Cela permettrait de les adapter au contexte actuel, basé sur le paradigme de la professionnalisation des enseignements dont les "enjeux" ne sont plus à démontrer. (Bernard Bres, 2008).
Il serait aussi question de révolutionner les méthodes d'enseignement pour rendre davantage participatif du point de vue des apprenants les cours de philosophie, de façon à transformer véritablement les élèves qui s'adonnent à la philosophie. Ce qui rejoint la conception de Lise Toupet au sujet des "méthodes actives et innovatrices" (UNESCO, 1988). Pourquoi ne pas aller plus loin en étendant l'enseignement de cette discipline à tout le second cycle, c'est-à-dire à partir de la classe de seconde au moins pour l'instant, voire à l'école primaire dans l'avenir ? (UNESCO, 2009).
C) Troisièmement, la didactique de la philosophie au Cameroun permettrait d'outiller les enseignants en termes de formation et de matériel didactique pour améliorer leurs pratiques.
Pour cela il faut au préalable identifier le besoin de formation des enseignants, ce qui devient de plus en plus évident compte tenu de la grande mutation qui envahit de façon progressive tous les domaines de l'éducation, notamment l'approche par les compétences (APC), même si cela rend encore plus nécessaire l'intervention du spécialiste en la matière. Puisque "la formation de l'enseignant détermine le type d'enseignement qu'il dispense" (Kalla, 2017). Du coup, mieux l'enseignant est formé, mieux ses enseignements sont élaborés et dispensés, et, meilleurs sont les apprenants dont il a la charge.
Il faut également être capable d'identifier les besoins en matière de matériel didactique afin de le produire. La pratique de la didactique de la philosophie doit favoriser cette production et surtout permettre sa diversification. On pourra alors avoir plusieurs manuels, des dialogues, essais, lettres, bref "diversifier les formes d'écriture philosophique" (Tozzi, 2000), pour multiplier les perspectives de réflexion.
III) Didactique de la philosophie au secondaire : des raisons d'être optimistes
Il est désormais impératif que tous ceux qui interviennent dans la chaîne éducative relativement à l'enseignent de la philosophie dans le secondaire s'intéressent à ce qui est la condition de sa meilleure pratique, la didactique de la philosophie, ou mieux la didactique du "philosopher" (Kant, 1987).
Nous trouverons ainsi des solutions aux difficultés liées à cette discipline dans le secondaire et éviterons ainsi le déphasage avec la réalité contextuelle actuelle. Dans la mesure où les discussions permettront le dynamisme dans ce domaine, il pourra y avoir une amélioration de la qualité dans nos pratiques enseignantes, et une amélioration des qualités et compétences de nos apprenants au service de la citoyenneté.
Nous permettrons ainsi aux filles et garçons, et par ricochet aux hommes et femmes, de "problématiser", "conceptualiser" et "argumenter" (Tozzi, 1993). C'est-à-dire d'être capables de mobiliser des ressources à la fois internes et externes pour résoudre les situations-problèmes qui se posent à eux, quel que soit le cadre dans lequel ils se trouvent, à l'école aussi bien que dans la vie sociale ; de former des jeunes compétents (Guillermo Kozlowski, CFS asbl.), des gens aptes à la discussion ou au dialogue exempt de toute violence ; des personnes difficiles à manipuler idéologiquement, capables de "résister à des propagandes trompeuses" (UNESCO, 2007). Bref des citoyens respectueux des droits et devoirs, des lois, mais surtout respectueux des procédures appropriées et civilisées en matière de réclamation ou de revendication par exemple.
Conclusion
Aucune discipline soucieuse de son évolution et de son meilleur déploiement ne peut évoluer en marge de la didactique qui lui est rattachée. D'où l'urgence de procéder à la formation des enseignants en didactique de la philosophie par des formateurs de haut niveau. Ils pourraient aussi recycler les enseignants et inspecteurs déjà sur le terrain de façon à ce que soit réalisée une évolution de l'identité professionnelle de l'enseignant de philosophie, évolution qui suscite beaucoup de résistance par rapport à des habitus corporatifs (Tozzi, 2012). Ainsi, doivent-ils avoir une solide formation en sciences de l'éducation doublée d'une formation disciplinaire de haut niveau, et spécifiquement en didactique de la philosophie.