Revue

Colloque PhiloJeunes, Montréal, 6 juin 2018 : Intervention de Serge Robert sur l'évaluation de la philosophie pour enfants

Introduction

En plus de développer et d'implanter des programmes de philosophie pour enfants, l'organisme PhiloJeunes a aussi pour objectif de favoriser la recherche sur le rôle de la philosophie pour enfants dans la formation des jeunes. Cet objectif fait suite à un travail que l'équipe du professeur Serge Robert avait réalisé en 2008-2009. Au début des années 2000, l'organisme La Traversée, alors dirigé par madame Catherine Audrain, avait implanté, sur une base expérimentale, à la Commission scolaire Marie-Victorin (Rive-sud de Montréal), un programme de philosophie pour enfants en vue de prévenir la violence. L'équipe du professeur Robert a été invitée en 2008 à faire une évaluation comparative du raisonnement des enfants qui avaient fait de la philosophie pour enfants durant leurs études primaires relativement à des groupes témoins et à faire des recommandations à la Commission scolaire pour la suite de ce programme.

I) L'étude de 2008-2009

Cette étude a démontré que le programme de philosophie pour enfants affecte de manière significative le raisonnement des enfants en accroissant leur aptitude à juger de la dimension morale d'une situation, en agrandissant leur cercle moral, en leur faisant saisir davantage la pertinence de l'autorité des adultes et en les rendant plus aptes à détecter la violence psychologique ou symbolique dont ils pourraient être victimes ou qu'ils pourraient exercer. De plus, l'étude a montré que les aptitudes au raisonnement logique et à la prudence épistémique (esprit critique et aptitude à éviter le dogmatisme) étaient également plus grandes chez eux que chez les sujets témoins. L'étude s'est ainsi terminée par une recommandation d'implanter le programme de philosophie pour enfants dans toutes les écoles de cette Commission scolaire, ce qui fut accepté et progressivement réalisé. Les résultats de l'étude ont aussi été présentés à la Journée mondiale de la philosophie à l'UNESCO (Paris, 15 novembre 2012) et dans plusieurs autres activités scientifiques ou éducatives au Québec, en France et en Belgique.

II) Les recherches à poursuivre

L'équipe de recherche du professeur Robert au Laboratoire d'Analyse Cognitive de l'Information (LANCI) de l'Université du Québec à Montréal s'associe à PhiloJeunes et souhaite poursuivre la recherche sur les effets de la philosophie pour enfants sur le raisonnement. En plus du professeur Robert, son équipe comprend des doctorants et doctorantes qui feront une thèse sur ces questions.

A) Cette recherche prendra plusieurs formes. D'abord, l'étude de 2008-2009 ne permettait pas d'identifier de différence significative entre les élèves ayant fait de la philosophie et les élèves témoins en ce qui concerne l'aptitude à l'accommodement raisonnable, la saisie de l'importance de règles sociales et l'empathie; il serait pertinent d'approfondir cette question, de déterminer si c'est bien le cas, si cela peut s'expliquer par des spécificités du programme de philosophie pour enfants et si des bonifications du programme pourraient améliorer cette situation.

B) Deuxièmement, il conviendrait aussi de faire le même genre de recherche empirique sur d'autres programmes de philosophie pour enfants (notamment les programmes français) et de pouvoir ainsi comparer leurs effets respectifs sur le raisonnement des enfants et de pouvoir, à la lumière de ces résultats, enrichir les différents programmes de philosophie pour enfants en les bonifiant par les succès de chacun d'entre eux.

C) Troisièmement, l'étude de 2008-2009 portait sur le raisonnement des enfants de fin des études primaires (soit des enfants de 11 et 12 ans, dans le système d'éducation québécois). Or il faudrait également évaluer les effets de tels programmes sur le raisonnement d'adolescents, c'est-à-dire d'élèves de niveau secondaire ou lycéens, de façon à déterminer quelles sont ou seraient les meilleures pratiques souhaitables pour ce niveau scolaire.

D) Quatrièmement, l'étude de 2008-2009 mettait en évidence une différence importante entre les enfants de milieux favorisés et ceux issus de milieux défavorisés : alors que la philosophie pour enfants se présentait comme un moyen d'aider l'enfant à sortir du cercle de la violence souvent présente dans de tels milieux, elle paraît jouer un rôle différent en milieux favorisés : soit d'aider l'enfant à acquérir une plus grande socialisation et une plus grande conscience des problèmes moraux, compétences parfois difficiles à acquérir dans tels milieux où les adultes ont souvent tendance à être surprotecteurs. Ces différences entre milieux favorisés et milieux défavorisés devraient être étudiées de façon plus approfondies et, ainsi, éventuellement, contribuer à une éducation plus égalitaire et à l'instauration d'une plus grande justice sociale.

Conclusion

En somme, la recherche sur le raisonnement des enfants en relation avec la formation en philosophie pour enfants en est à ses premiers pas. La recherche de l'équipe du professeur Robert est la première qui fut réalisée sur ces questions. Comme l'objectif sous-jacent à cette évaluation du raisonnement est de fournir à nos enfants, les citoyens de demain, la meilleure formation possible en matière d'aptitude à raisonner rigoureusement, à développer leur esprit critique contre les dogmatismes, à éveiller leur réflexion morale et à penser dans une perspective de tolérance démocratique, nous considérons la poursuite de cette recherche comme étant d'une grande importance sociale et l'équipe du laboratoire LANCI est disposée à la poursuivre, notamment dans les quatre axes annoncés ci-dessus.

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