Cet article est le compte-rendu d'une discussion collective lors d'un séminaire annuel à Peyriac-sur-Mer en juin 2016. Il s'agissait d'une expérimentation avec une variante du "conte arabe" comme dispositif. Ce dispositif a-t-il permis, tout en favorisant l'écoute, de construire collectivement une argumentation philosophique ?
I) Le dispositif
En ce qui concerne le dispositif, classiquement, c'est par la contribution du premier intervenant que le "conte arabe" commence. Après l'ouverture de l'histoire ("Il était une fois..."), la suite est tissée par les participant(e)s au fur et à mesure de leur désignation par le président de la séance. Dans la version reprise pour cette séance il était prévu que les participant(e)s ferment les yeux durant toute la session et que la présidente les incite à la parole en leur tapant sur l'épaule. La présidente ne participait elle-même pas à la discussion et elle était complètement libre dans son action de désigner les personnes. Il s'agissait d'une expérimentation dans laquelle, outre ces deux modalités formelles, la seule consigne consistait à argumenter au sujet du thème présenté et dont le problème philosophique de fond a été résumé par une question.
Afin de faciliter la compréhension du "conte" qui s'est construit voici d'abord un résumé de la présentation du sujet.
Le thème de la parité femmes-hommes a été inauguré par trois postulats énonçant que :
- le social n'est pas réductible au biologique ;
- la pensée de l'individu achoppe toujours sur la relation, laquelle implique donc immédiatement aussi le social ;
- toutes les institutions sont un effet de l'art de l'invention des groupes.
De ces postulats suit que l'organisation de la vie humaine est une construction sociale. Cela vaut aussi pour les rapports entre les sexes, en effet, même si deux sexes doivent s'apparier d'une manière ou d'une autre pour se reproduire, toutes les règles de la filiation, du système de parenté, les modes de famille, les rapports socio-économiques et politiques sont autant de créations artificielles. Si ce n'était pas le cas, on verrait partout les mêmes systèmes ; or on sait désormais que ce n'est pas le cas et que leur organisation est une construction sociale.
Nous avons présenté l'exemple de la politique française. Afin de parvenir, sous des contraintes internationales et communautaires, à l'égalité des sexes, la France a été le premier pays à inscrire l'égalité femmes-hommes dans la Constitution et à avoir voté des lois dites "sur la parité"1. Ces lois ont notamment pour vocation de parvenir à la réalisation de trois objectifs, résumés en "objectif des trois R" : la Redistribution des pouvoirs et responsabilités ; la Reconnaissance des hommes et des femmes en tant que paires égaux ; et la Représentation de l'être humain, c'est-à-dire le renversement d'un faux universalisme, où ce n'est que l'homme qui représente l'humanité tandis que la femme ne représente que son sexe, par un vrai universalisme, où tout individu peut représenter l'humanité dans toute sa diversité.
Les difficultés de l'application de ces lois ont montré que, tout en étant nécessaires, les lois seules ne suffissent pas2. Pour pouvoir inscrire les différences femmes-hommes dans l'égalité démocratique de la diversité humaine, il semble alors nécessaire de déconstruire, de repenser la valence différentielle des sexes telle qu'elle existe maintenant, c'est-à-dire cantonnée dans un binarisme attribuant une différence de valeur au masculin et au féminin, une hiérarchie qui attribue aux femmes et au féminin une moindre valeur. En effet, notre pensée se forme, s'effectue souvent à l'aide de couples duels, binaires. C'est normal, ancien et nous en avons besoin.
Or, ce qui est contesté ici, c'est la manière dont la hiérarchisation de ces couples est liée aux sexes. Ces couples d'oppositions, par exemple actif-passif, chaud-froid, jour-nuit, etc., sont hiérarchisés de telle sorte que le pôle valorisé positivement est lié au masculin, et l'autre, considéré comme son autre, son négatif, est lié au féminin. Or, une telle hiérarchisation s'est avérée un obstacle, non seulement pour réaliser l'égalité, ou du moins atténuer les inégalités, mais même pour la penser. C'est ce qui se manifeste par exemple quand on parle des "actions positives" pour atténuer les inégalités. Un tel mouvement de rattrapage est senti comme une discrimination positive en "oubliant" qu'il y a en fait une discrimination positive des hommes. Que c'est le "normal" qui est discriminatoire et que c'est la parité qui est la fin d'une discrimination.
La question philosophique posée est alors : "Comment peut-on s'affranchir de cette valence différentielle des sexes ?".
II) Un "conte" à visée philosophique sur la parité
Ci-dessous se trouve une transcription la plus fidèle que possible du déroulement de la discussion, dont il existe un enregistrement audio. N'ont été supprimés de la transcription que certaines hésitations liés à l'oral, ainsi que les renvois explicites aux intervenants afin de préserver l'aspect "conte" de la discussion et non pas accentuer l'aspect "débat".
On remarquera qu'il y a eu une vraie difficulté pour la première prise de parole, ainsi que des difficultés quant à sa distribution vers la fin de la séance, où la présidente a du insister en tapotant de façon répétée sur l'épaule des participants sollicités. En effet, la discussion semble avoir pris un trait naturel en ne respectant pas (toujours) l'injonction à parler. Mais aussi, plusieurs fois des personnes ayant été sollicitées en tapant sur leur épaule ne sont pas intervenues. Ces difficultés, quand elles se sont manifestées pendant la discussion, se trouvent entre crochets.
"Bon, j'ai reçu la parole il y a un petit temps.
[20 secondes... Je ne sais pas dans combien de temps je dois considérer qu'une personne n'a rien à dire et ne veut pas prendre la parole ? Je l'ai prise... OK ça marche]
Il y a une question que je veux poser, il s'agit de la question de faire intervenir les différences. La question de la différence de salaires en moyenne entre les hommes et les femmes, les positions professionnelles, où les femmes sont les plus nombreuses à avoir des temps partiels et non choisis. Bref, toutes ces conditions-là, les conditions économiques, qui sous-tendent, qui augmentent l'inégalité. Comment peut-on agir individuellement, quelle lutte envisager ?
J'ai l'impression qu'il y a une contradiction entre la présentation et la question posée. La présentation introduisait toute une réflexion autour de la redistribution, de la reconnaissance, de la représentation, les "trois R". Mais ça ne s'est absolument pas fait et pour moi, quand on pose la question de comment peut-on s'affranchir, dépasser la valence différentielle entre les sexes, il me semble qu'on fait l'impasse sur le moment de la reconnaissance, de la redistribution et de la représentation du moins. Et je trouve qu'il y a un surplace. On n'a pas encore la redistribution, on n'a pas encore la reconnaissance et surtout, surtout, on n'a pas encore la représentation. Il y a une reconduction de représentation de la différence entre hommes et femmes qui se fait dès la petite enfance. J'ai lu beaucoup de textes sur l'enseignement parce que c'est ce qui m'intéresse, et j'ai vu par exemple que dès la crèche et c'est une statistique qui a été faite sur des centaines de crèches , à la fin de la première semaine on sait les noms des petits garçons et c'est seulement à la fin du mois qu'on arrête de dire "alors les filles venez", "les filles déplacez-vous", "les filles faites ce jeu" et qu'on leur donne un nom. De la même façon, à l'école il y a une tendance chez toutes les filles à répondre à un besoin des profs qui est d'être celles qui savent et une tendance de tous les garçons à être ceux qui ont des intuitions et qui parlent sans être prêts. Quand on veut poser une question de connaissance, on interroge une fille. Ces deux exemples pour dire que beaucoup de ce que nous avons fait n'a absolument pas changé les représentations. Les statistiques sur la sexualité des filles de 16 à 20 ans prouvent que oui, on a réussi la libération sexuelle, mais non, on a raté parce que dans la majorité des cas la posture de la femme dans la sexualité à 15-16 ans n'est pas du tout la recherche de plaisir, mais de donner du plaisir et de se soumettre à l'homme par exemple.
Effectivement aucun des "trois R" n'a été atteint et toutes les mesures qui ont été prises, n'ont pas eu l'effet souhaité. Il y a une réactualisation de la complémentarité aux hommes, l'universalité passe toujours par l'homme et cela effectivement dès le petit âge. C'est pour cela qu'on pense maintenant que les lois seules ne suffissent pas. C'est nécessaire parce qu'il faut créer des modèles aussi pour des femmes, aussi pour des filles, donc il faut qu'il y ait numériquement aussi plus de femmes représentantes, mais à part ça, il y a désormais des études qui disent que tant qu'on n'a pas franchi, tant qu'on ne surmonte pas le binarisme de base, la valence différentielle des sexes, on n'y arrivera pas. Et pour arriver à cela, ça demande un effort non seulement des femmes mais des femmes et des hommes ensemble pour créer un autre rapport à leurs enfants, à leur travail, à leurs responsabilités et comment les distribuer. C'est donc une autre étape qui est nécessaire.
Je pensais aussi à ce qui a été dit dans la présentation sur l'éducation, à mon avis on a institutionnalisé, dans plein de pays, un cours pour les futurs enseignants au niveau maternel etc., une espèce de prise de conscience des stéréotypes, des inégalités etc. Je ne sais pas du tout quelle efficacité ça peut avoir maintenant, mais ça fait un peu partie des moyens de lutte institutionnel.
Je me demandais aussi ce que les hommes ont vraiment à gagner à ce qu'il y ait parité? Et que c'est peut-être intéressant de creuser ça pour, je ne sais pas, aussi changer cette valence, de voir les intérêts qu'ils auraient aussi, ou quelque chose comme ça.
Oui, on se plante complètement et j'ai la sensation que la vraie fracture actuelle n'est pas l'homme ou l'institution mais qu'elle est générationnelle et qu'en fait le problème, ce sont encore les personnes plutôt réac qui sont au pouvoir, qui ont intérêt à maintenir une inertie institutionnelle et que donc pour le moment la reconnaissance, la redistribution, ça ne fonctionne pas parce qu'ils n'ont pas intérêt à ce que ça fonctionne, mais qu'une fois que cette génération-là sera partie, le fait qu'il y a plus de filles qui font des études, qu'assez naturellement, si on croit en une temporalité un peu plus longue, il y aura une redistribution et il y aura une reconnaissance. Donc je verrais plutôt ça comme un conflit générationnel. On en a bien parlé, parlant de paternalisme, des politiciens âgés qui ont cherché des midinettes comme ministres. Je verrais la séparation et la hiérarchie homme-femme comme un symptôme d'autre chose.
J'étais d'accord avec l'idée que la question est une question de représentation et je voudrais souligner l'inintérêt me semble-t-il, ou le côté superficiel de parité, de quota, enfin d'une gestion un peu numérique de la parité homme-femme. Je ne crois pas que c'est juste une question de génération, je trouve que c'est socio-économique aussi, et en fait il y a peut-être plus de filles qui font des études, mais je suis frappé aussi par le fait que devant les écoles avec une population plus mixte et dans les universités, il y a des représentations très puissantes, très genrées et très caricaturales et donc je pense que cela produit des effets. J'allais plutôt dans l'exploration de cela aussi, quels sont les stéréotypes qui touchent les hommes-femmes ?
Ce qui me gêne un peu, c'est que la façon dont la question a été posé commence par un "comment", c'est-à-dire qui pose la question au niveau des moyens. Ce qui fait qu'à ce moment-là, de ce point de vue-là, on peut se dire "est-ce que la loi est un moyen d'atténuer l'inégalité entre homme et femme, est-ce que c'est l'éducation qui doit permettre de l'atténuer ? Est-ce que c'est le temps qui finalement ressoudera la question, qui mènera à un changement des mentalités ? Il me paraît qu'on travaille un petit peu sur comment s'affranchir donc en posant le problème d'émancipation, d'émancipation des femmes et peut-être aussi d'émancipation des hommes, parce que les hommes ont tout à y perdre, du moins c'est la façon dont ils vivent la chose. Et ce sera intéressant de montrer tout ce qu'ils ont peut être à y gagner, mais ça supposera à ce moment-là de réfléchir à ce que c'est qu'un homme et ce que c'est qu'une femme, avec tout ce qui est bi-genre, transgenre, etc. La différence des sexes est fortement perturbée à l'heure actuelle et surtout au niveau de la relation. Qu'est-ce qu'une relation entre un homme et une femme ? Ce qui suppose de savoir ce que sont un homme et une femme et qu'on arrive à montrer en quoi cette relation est inégalitaire. La question est, s'il y a une différence et laquelle ? On distingue alors les différents gens selon la différence des sexes, encore on pouvait appeler à une redistribution homme-femme, mais comment cette différence devient-elle inégalitaire et en quoi précisément focaliser ce type d'inégalité ? Selon des champs d'application, politique, dans l'économie, dans le ménage, etc. ? Mais reste intact la question. Je ne suis pas très au clair sur cette expression "valence différentielle des sexes", c'est la relation qui pose essentiellement problème. Enfin, je suis un peu perplexe.
En fait, en ce qui concerne l'expression "la valence différentielle des sexes", c'est une expression qui vient de Françoise Héritier, une anthropologue et ethnologue, qui a fait beaucoup de recherches surtout sur les liens de parenté, en Afrique notamment et qui a instauré cette expression, cette notion philosophique. Elle a montré que c'est un phénomène universel et elle a donné une raison pour cette valence différentielle. Elle a dit que le scandale qui a été répercuté par les humains, déjà à l'époque paléolithique, c'est que les femmes ne font pas seulement des filles mais qu'elles font aussi des garçons et que les êtres humains ont très vite compris qu'il faut les deux sexes pour procréer mais que finalement les enfants naissent des femmes et donc pour les hommes les femmes sont une ressource, d'autant plus importante parce que c'est le seul moyen pour procréer. Et Françoise Héritier, dans ses études, constate que partout dans les différents systèmes, si différents qu'ils soient, on voit que ce sont les femmes qui sont échangées. C'est là-dessus aussi que Lévi-Strauss a fait des recherches et on lui a beaucoup reproché de le présenter ainsi mais il argumente que c'est ainsi que la femme a été perçue. Et si on lit les philosophes, on constate, par exemple dans l'histoire des animaux d'Aristote, qu'il y a toute une explication, bien argumentée, comment ça se passe, que c'est l'homme qui insuffle la femme et que si c'est bien fait, et si elle est assez chaude et que la coction de sang se fait bien, ce sera un garçon qui naît, et si son sang est un peu trop froid et que ça ne marche pas très bien, ce sera une fille. Donc une fille c'est déjà la première monstruosité qui existe et si c'est vraiment un handicapé c'est encore pire et cela peut être généralisé, les "défauts" sont liés aux matériaux que sont les femmes. Il y a toute une argumentation là-dessus et même encore aujourd'hui, il y a ce genre de pensées qui refont surface. Pour faire bref, maintenant on n'a plus besoin de ce genre de représentations, parce qu'on sait ce que sont des gamètes, et donc la valence différentielle qui s'est instauré là-dessus depuis des millénaires, maintenant il est peut-être temps de changer ça.
Oui mais j'aimerais bien promouvoir juste l'idée de fabriquer un garçon ou une fille mais je n'ai pas tout à fait suivi et je suis obligé de revenir sur quelque chose d'avant. Il a été dit que dans la vie sexuelle des femmes de maintenant, elles ont quand même toujours le besoin de donner du plaisir à leurs partenaires. Moi je pense que ça ne va certainement pas changer évidemment, c'est indispensable, il faut pas qu'elles arrêtent quoi, il faut surtout pas que ça s'arrête, mais il faut peut-être que l'homme aussi songe à faire plaisir à sa partenaire, c'est que là il y a encore du chemin à faire.
Par ailleurs, par rapport au travail, est-ce que les femmes veulent vraiment travailler autant que les hommes, je ne le crois pas, car j'ai engagé souvent des femmes, j'ai eu pendant des années des femmes dans mon équipe et elles voulaient avoir un salaire équivalent et après souvent les trois quart de temps ou quatre-cinquième, les mi-temps, elles n'étaient pas forcées, elles les ont demandés, elles voulaient avoir plus de temps pour elles. Il me semble fondamental d'inscrire dans la loi du travail que l'homme et la femme doivent gagner le même salaire, s'ils ont le même âge etc., s'ils ont le même travail, ça m'intéresse plus parce qu'il y a des disparités, c'est scandaleux. Et j'ajouterai qu'on voit à l'école que les femmes, les institutrices ou les profs, ont tendance quand même à favoriser les garçons aussi donc ce sont les femmes elles-mêmes, il y en a beaucoup que ça arrange aussi très bien que l'homme ait toujours sa place prépondérante, donc il n'y a pas que des machistes idiots, il y a aussi naturellement, qu'il y a des femmes qui en ont besoin.
La question qui m'intéresse c'est qu'est-ce que les hommes ont à gagner à la parité. Et au niveau relationnel, je me fait assez chier avec cette [inaudible], enfin gagner plus, la responsabilité, enfin je ne sais pas, Dites-nous !
Je n'ai pas de réponse à la question puisqu'elle me semble une fausse piste. Par rapport à la question, je suis dans ma semaine de végétarisme et je pense par exemple que c'est la bonne manière d'envisager la question, parce que si on examine par exemple les arguments en faveur du végétarisme, si je ne suis pas végétarien, mais il y a des arguments qui consistent à y faire part, vous voyez des images d'abattoirs, des images d'élevages en batterie et effectivement, c'est un peu dégoûtant, c'est un peu repoussant, pendant le moment, alors je me dis que je ne mangerai pas de viande, et puis, ça passe, et au bout d'une ou deux heures plus tard, vous êtes chez le boucher, trois heures plus tard vous êtes devant un barbecue. En fait ça ne pose pas trop de problèmes. En revanche il y a des arguments qui sont beaucoup plus forts parce qu'ils ne jouent pas sur l'émotion mais qu'ils produisent autre chose, des arguments par exemple de type écologique, et voilà le problème, est qu'on ne peut pas produire de la viande pour tout le monde ? Le problème est que si on produit de la viande pour tout le monde alors ça va avoir des influences sur le climat à long terme et donc tout le monde va en souffrir. Donc le fait de manger beaucoup de viande va créer des problèmes de types alimentaire et écologique. Alors, ces arguments-là sont, me semble-t-il, plus forts parce qu'ils impliquent tout le monde et ne jouent pas que sur le relationnel et l'émotionnel. Alors, ce qui a été dit sur ce qu'ont à gagner les hommes... envisager la question comme ça, ça paraît plus intéressant mais en raisonnant dans le sens d'un argument rationnel comparable à ce qui vient d'être dit sur le végétarien, ce serait... [Blague sur le conte arabe] une meilleure répartition du temps de travail, par exemple. Il y a trop de travail pour les gens au travail, on se rend compte que les gens qui ont un travail travaillent trop par rapport au temps pour lequel ils sont payés et en revanche il y a énormément de gens qui sont au chômage, en particulier les femmes. Donc ce que les hommes ont à y gagner, ça concerne un confort de vie dans la mesure ou ils pourront arrêter le travail au-delà des 38 heures, 35 heures, 40 heures selon les pays dont il s'agit, parce qu'il aura une meilleure répartition du travail.
Encore faut-il que tout le monde accepte de faire le travail non seulement en 38 heures, afin de répartir la masse des choses à faire entre différentes personnes. Ou que le système permette, on ne sait trop comment, que cela se fasse qu'en 38 heures et que les deux heures supplémentaires pour faire le travail soient attribuées à quelqu'un d'autre. Mais donc on revient au problème des salaires à ce moment-là.
Oui, ça va dans le sens d'une piste ouverte tout à l'heure, à savoir que tant qu'on n'aura pas montré aux hommes finalement qu'il y a des avantages dans la parité, il y aura beaucoup de travail à faire. Souvent je me dis, finalement, le problème des relations entre les hommes et les femmes, dans le cadre de ce qu'on a à y gagner, qu'est-ce qu'on a à y perdre ? Souvent je me pose la question à partir de quel moment une entreprise de séduction, disons, d'un homme, est ressentie comme dominatrice, disons, par une femme. On ne se posera pas la question s'il s'agit d'une femme par exemple. Une tentative de séduction d'un homme par une femme, ce n'est pas dominateur. Par contre quand il s'agit d'un homme, on ne raisonnera pas de la même façon. Tout le problème de comment avoir des relations entre homme et femme, à parité, on a affaire à deux adultes par exemple, alors qu'est-ce qui fait que va s'instaurer quelque part une relation de pouvoir ? En fait, la question qui est posée c'est la question du pouvoir. La parité ce serait de faire en sorte qu'il n'y ait pas la domination masculine. Comme dit Bourdieu par exemple. Par quelle condition de possibilité n'y-a-t il plus de rapports de pouvoir entre homme et femme ? À la fois au niveau collectif, voilà parce les hommes, politiquement quand même, sont ceux qui font les lois, et en même temps au niveau individuel.
Je pense que c'est nécessaire effectivement de repenser....
[Parenthèse : Alors, j'étais coupé là. Merde ! Ça ne marche pas parce que vous attendez toujours que l'autre termine avec les yeux fermés, mais alors vous ne vous lancez pas, donc il faut vous lancer...vas-y ! Oui, donc j'ai été lancé plusieurs fois car je voulais effectivement attendre, et donc finalement j'ai compris qu'il fallait y aller]
J'ai un peu perdu ce que je voulais dire mais pour rebondir sur ce que a été dit sur la relation homme-femme et quand il y a égalité, je pense que s'il y a vraiment un dialogue à égalité entre un homme et une femme dans une relation et aussi quand il y a un effort pour redistribuer le travail d'une façon que ce soit vraiment partagé, ça change déjà beaucoup. Ce sont de toutes petites choses mais dès qu'on a un entretien avec son partenaire qui est vraiment à base d'égalité ça donne quand même un bon sentiment aux deux. Et par rapport aussi au travail à la maison, je l'ai vécu moi-même, je savais déjà très tôt que c'était un problème structurel et non pas individuel et que c'est souvent, trop souvent, réduit à un problème individuel, et donc quand j'étais enceinte, j'ai commencé des études et je me suis dit, il faut que je donne aussi l'occasion à mon copain de s'occuper de l'enfant et le seul moyen pour qu'il le fasse vraiment comme il le sent, c'est quand je ne suis pas là. Donc je suis partie un ou deux jours par semaine pour qu'il le fasse à sa façon et qu'on en discute et qu'on partage vraiment l'éducation de nos enfants ensemble. Et c'est à ce genre de choses que je pense, et on peut en parler et on peut en parler aussi même dans la séduction si un homme ou une femme est dominant. Si on n'a pas peur de l'autre c'est possible, et ce n'est pas un frein à la séduction. Je pense que c'est possible de construire des liens d'égalité mais effectivement il faut y voir l'avantage et il y a des avantages mais il faut surtout aussi que les hommes les voient. Les femmes sont en général pas si mauvaises pour penser aussi les avantages pour les hommes mais il faut que les hommes eux-mêmes les voient aussi.
[Oh, alors il y a quelqu'un qui a été lancé ?... Je n'arrête pas à de toucher l'autre mais il ne démarre pas quoi. ... Je respecte et j'écoute ce qui est dit.... mais alors ça ne sert à rien de toucher les gens alors...]
J'aimerais répondre à tout un ensemble de questions qui portent sur la sexualité, il y a un ensemble de questions qui portent sur la division du travail. Ce que moi je remarque par rapport à la division du travail, c'est que la Suisse, qui est le pays le plus rétrograde d'Europe, a tellement d'heures de travail qu'il s'est développé tant de la part des hommes que des femmes et pas seulement des femmes, une exigence, une demande, une supplication, d'avoir des horaires réduits, avec des salaires réduits évidemment, mais beaucoup de gens travaillent, et l'homme et la femme, dans le même couple à 70% et je trouve que gagner ce droit là c'est gagner aussi une possibilité de gérer sa vie indépendamment des lois et ce sont d'ailleurs les entreprises qui y gagnent parce que les gens qui ne sont pas épuisés et stressés sont aussi parfois des gens plus disponibles. Donc pour finir cet aspect là où je pense que la Suisse a une différence.
Je vais parler de la sexualité. Ce que moi je trouve qui n'a pas été dit, c'est que ce soit au Moyen Âge, dans l'Antiquité ou dans la préhistoire, une femme quand elle a le risque d'avoir un enfant, ça change son rapport à l'homme, à la sexualité, à la temporalité, à ses désirs, à ses projets, etc. Et je vois qu'aujourd'hui elles ont une libération mais quand tu éduques une fille ou quand tu éduques un garçon tu as une attitude différente parce qu'une fille tu peux lui dire qu'elle possède son corps, tu peux lui dire qu'elle peut faire ce qu'elle veut, tu peux lui dire qu'elle peut aller chez le gynéco quand elle en a envie, mais quelque part tu lui dis qu'un gynéco c'est pas quelque chose à éviter, c'est nécessaire et qu'il faut qu'elle se protège parce que sinon sa vie est foutue surtout si elle est enceinte à 16 ans, ou à 17 ans et ça c'est un point qui donne une éducation toujours, toujours, différente. Toujours, et, le deuxième point que je trouve très important, c'est que ça donne une vie différente, c'est que neuf mois ce n'est pas anodin et que les mois qui suivent l'accouchement, ce n'est pas anodin et ça, c'est une différence par nature.
Je ne saurais pas faire un lien tout de suite avec ce qui vient d'être dit mais la question qui, pour moi, n'est pas difficile à changer, c'est d'amener plus d'égalité entre l'homme et la femme, ça me paraît pas difficile. Ce qui me paraît un frein, ce que j'aimerais mettre en avant comme frein, je pense que ça se joue surtout au niveau du procréer en fait. Comme l'égalité homme-femme interroge les autres inégalités présentes et qu'il y a un intérêt de certains à garder ce vernis, surtout, je veux dire, c'est une inégalité tellement, tellement importante que de faire un progrès important sur ce point là, je pense que ça la rendra encore plus visible en créant les autres inégalités qu'il faudra combattre. Voilà.
C'est très bien, ça me permet de revenir à ce que j'avais dit et de vérifier et, parce qu'il y a justement un lien avec l'exemple que je prenais de la réduction du temps de travail, je pense que le meilleur moyen, les meilleurs arguments qu'on trouve, le meilleur moyen de lutter, que c'est une question de mouvement, c'est de ne pas considérer le problème de l'inégalité homme-femme comme un problème en lui-même parce que maintenant ce problème de la parité, problèmes des inégalités, eh bien, on fait exister cette différence, on la stigmatise plutôt que de la faire disparaître. On l'institutionnalise d'une certaine façon et de facto elle ne peut pas disparaître. En revanche l'inclure dans une autre, dans une perspective plus large de lutte contre l'inégalité socio-économique, contre les inégalités que subissent les autres minorités de la population, ça me paraît beaucoup plus intéressant.
Pour moi les tensions, les jeux de pouvoir dans la sphère intime n'ont rien à faire avec homme-femme, je veux dire entre deux hommes, deux femmes, un homme et une chèvre. Alors je suis absolument convaincu qu'il faut inclure la lutte contre les inégalités institutionnalisées homme-femme dans une lutte plus large. Et que ça se joue au niveau structurel et au niveau idéologique. Et je maintiens que dans la perspective d'un temps un petit peu plus long, la prochaine génération verra déjà une différence.
Entre-temps ma femme m'a abandonné avec un enfant en bas âge qui va bientôt devoir être nourri et cette préoccupation-là m'empêche de travailler correctement et du coup je fais semblant de suivre. D'avoir le souci d'un enfant de bas âge qui peut-être braille ici et auquel il faut faire attention fait qu'on n'est pas en état de travailler, c'est une raison pour travailler en temps partiel.
[Bon il semble que c'est l'heure de s'arrêter.]
Je veux juste dire un dernier mot: effectivement il y a des différences mais changer, s'affranchir de la valence différentielle, ce n'est pas s'affranchir des différences. C'est juste ...
Mais tu reproduiras toujours la même éducation des femmes vis-à-vis des filles et je crois qu'il y a là quelque chose de définitif."
III) Débriefing
A) Par rapport au dispositif il y a eu plusieurs questions et quelques remarques :
- Que se passe-t-il dans une discussion quand il n'y a pas d'animateur ?
- Quel est l'intérêt de garder les yeux fermés ?
- Quels sont les critères pour distribuer la parole ?
- Qu'est-ce qui se passe quand on ne demande pas la parole explicitement mais qu'on parle quand on nous tape sur l'épaule ?
- Est-il nécessaire de se limiter à tisser des liens et pas autre chose ? Faut-il faire l'exercice en essayant vraiment scrupuleusement de prolonger ce qui vient d'être dit ?
- Est-ce qu'il est nécessaire de limiter le temps de parole ?
- Faut-il se limiter à n'aborder qu'une idée quand on a la parole ?
B) Quelques expériences de participants
"On m'a tapé trois fois sur l'épaule, j'ai rien compris, je ne voulais pas interrompre et puis, quand j'ai voulu prendre la parole, il y a une autre personne qui a pris la parole car entre-temps la présidente a tapé sur d'autres épaules. Et là j'ai ressenti vraiment qu'on volait ma parole".
"Je trouve que ce dispositif a l'avantage de redistribuer complètement différemment la parole et pour les gens comme moi qui ne la prennent pas facilement ou qui attendent toujours infiniment pour finalement ne rien dire, alors c'est très utile, ça me force à intervenir et donc c'est très bien".
"À chaque fois on m'a donné la parole, mais à chaque fois je l'ai refusé. C'est peut être effectivement quelque chose à mettre en règle, quand on donne la parole il faut la prendre coûte que coûte et on doit y aller. Il y a une responsabilité à parler parce que c'est le moment. Pour certaines personnes, il faut aller jusque-là pour qu'elle le fassent".
(1) Bereni Laure, De la cause à la loi : les mobilisations pour la parité politique en France (1992-2000), thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, réalisée sous la direction de Jean-Michel Berthelot et Johanna Siméant, 2008.
(2) Navarre Maud, Gateau Matthieu. La Parité, Dijon, Editions universitaires de Dijon, 2016, pour une présentation succincte des difficultés.