Revue

Belgique - Les rapports entre art et philosophie dans la pratique : traces d'une expérience

I) Introduction

On entend généralement l'atelier philo-artistique comme la succession d'une discussion philosophique et d'un atelier artistique. Dans cet ordre, l'atelier artistique (quelle qu'en soit la forme : écriture, dessin, peinture, photographie, etc.) se conçoit comme le moment de l'illustration de ce qui a été pensé dans la discussion. Dans l'ordre chronologique inversé, le moment créatif sert de point de départ ou de prétexte à la discussion qui suivra. Cette articulation sommaire une juxtaposition de l'atelier philosophique et de l'atelier artistique, repose sur un présupposé que nous voulons questionner : on pense dans l'atelier philosophique par le moyen de la parole et on crée dans l'atelier artistique par le geste. Mais l'atelier philo-artistique permet un travail plus fondamental : faire advenir et stimuler une pensée créative, originale et indépendante.

Nous cherchons également à investiguer les rapports entre philosophie et art, en veillant particulièrement à ne pas reconduire la distinction simpliste entre le lieu de l'expression rationnelle d'une pensée et celui de l'expression des émotions. À partir d'une expérimentation menée lors d'un séminaire à Peyriac en juin 20161, nous questionnerons l'articulation entre les différentes séquences proposées. Quel est l'intérêt de la succession d'ateliers artistiques et philosophiques ? La pensée s'enrichit-elle au contact de formes d'expressions non verbales ? Si oui, comment ? Et comment pense-t-on quand on parle, quand on écrit, quand on dessine ?

Le présent article reflète également l'objectif qui anime l'équipe de PhiloCité dans ses "recherches philo-artistiques" : ouvrir un espace de réflexivité. C'est la recherche, en philosophie comme en art, qui est visée, et non le résultat. Le geste créatif est pris dans un cadre réflexif ; la réflexion s'exprime par d'autres moyens que la discussion. Les questionnements ouverts par l'atelier philosophique et par l'atelier artistique se nourrissent l'un l'autre : pensée et regard, parole et geste se croisent et s'enrichissent mutuellement.

L'expérimentation qui va être relatée ici s'inscrit dans ce processus de recherche. C'est une tentative d'articulation de plusieurs formes d'animation (improvisation, écriture, Discussion à Visée Démocratique et Philosophique, travail graphique) suivie d'une évaluation réflexive menée par les participants. Le présent article ne vise donc pas à rendre compte d'un beau résultat exemplaire, mais d'engager un processus collectif de réflexion sur les attendus, les enjeux, les forces et les limites de l'articulation pratique de la philosophie et de l'art.

II) L'expérience de Peyriac-de-Mer

A) Les conditions propices à la pensée créative - Improvisations

L'inhibition provoquée par la crainte de l'erreur laquelle suppose un idéal à l'aune duquel le résultat sera mesuré ou par le désir de bien faire est le frein majeur à l'autonomie. Pour exprimer librement une pensée, pour produire librement un geste artistique, pour énoncer sa parole devant les autres, il est nécessaire de se détourner du regard de ce tyran qu'est le résultat attendu, de neutraliser l'idée que le bon résultat est la marque de la réussite.

Les ateliers d'improvisation sont conçus comme le moment initial de mise en condition, comme on s'échauffe avant d'entamer le match. Deux exercices furent proposés :

  • Passage d'un objet imaginaire de mains en mains, qui se transforme au fur et à mesure du tour.
  • Conte arabe : les participants ont les yeux fermés. L'animateur propose un début d'histoire (une phrase ou deux), passe la parole à un participant (en lui touchant l'épaule) qui la poursuit, puis à un second participant qui enchaîne, etc.

Se mettre en condition par deux jeux d'improvisation a de nombreuses vertus : faire groupe, amener de l'attention, de l'écoute, de l'exigence et un certain rapport à la réalité. L'improvisation est un art de la présence pleine, elle échappe au plan. "L'improvisateur est dans l'instant et dans la circonstance ; sa pensée ne s'enferme pas dans ses propres règles logiques, dans le fil serré de ses idées, mais s'anime de l'occasion qui lui est offerte par un autre ou par une situation. Il doit être présent au monde et non retranché dans la forteresse de sa pensée"2 Elle travaille un certain rapport au réel caractérisé par une ouverture à l'autre. "Il faut moins savoir s'affirmer qu'écouter ; moins savoir juger et critiquer [...] que savoir dire oui à la proposition faite par l'autre, même lorsqu'elle nous prend de court"3. Il s'agit donc de faire de l'accident un acte conscient, une "occasion", un "art de saisir au vol le moment propice, unique, pour agir adéquatement"4

B) L'atelier d'écriture créative

Une image fut proposée à l'observation des participants : celle de deux personnes enlacées, couchées sur le sol dans des éclaboussures rouges (voir à la fin de l'article). Il fallait ensuite décrire (oralement et collectivement encore à ce stade) de la manière la plus objective possible. Nous repoussions sciemment les interprétations de manière à accorder ensemble notre vision. Les éléments relevés par chacun de nous obligeaient à faire attention à tout : les couleurs, les formes, les plans, les rapports entre eux. Ce n'est que dans un deuxième temps que l'interprétation fut possible, mais elle devait impérativement reposer sur des observations tangibles. On comprenait alors l'oeuvre comme une scène, où une histoire se racontait. Aucune prétention ici à en trouver "la bonne" interprétation, ni à sous-entendre qu'elle n'aurait qu'un seul sens. Nous cherchions à en extraire une fiction narrative à partir des éléments signifiants que nous avions précisément observés.

Ensuite, toujours oralement, la consigne était de raconter ensemble l'histoire de la vie des personnages et la situation vécue sur l'image. Chacun donnait une caractéristique pour inventer une vie à ces personnages : âges, statuts (marié ?...), prénoms, enfants, professions, rapports à leur apparence physique, contextes de vie, situations financières, quelques événements de leur vie, leur éducation, leurs rêves, leurs regrets, des références importantes pour eux, etc. L'animateur prenait note des caractéristiques inventées par le groupe. Il laissait coexister les possibilités même si elles étaient contradictoires, sans trancher. Il ouvrait des horizons, proposant par ses questions, d'amener le groupe à réfléchir à d'autres pistes moins évidentes. Il synthétisait et rappelait aux participants le (les) profil(s) collectif(s) du (des) personnage(s), afin de les imprégner des différents récits possibles.

Après ces préparatifs, la consigne d'écriture fut la suivante :

" Imaginez que vous découvrez une page du journal intime d'un des deux personnages que vous avez créés. Sa lecture vous étonne parce qu'on y décèle qu'il se révèle un peu différemment de l'image qu'on a habituellement de lui. Il s'agit du récit que ce personnage raconte le 5 juin 2005. Que trouve-t-on sur cette page ?".

Afin de ne pas désamorcer l'esprit d'ouverture amorcé par les ateliers d'improvisation et que chacun se sente libre dans son écriture, l'animateur doit veiller à garder le ton de la légèreté. Écrire ensemble est moins un outil d'analyse individuelle qu'un outil de création et de réflexion collective. La finalité n'est pas le texte, mais le lien créé par le texte avec les autres. Pour cette raison, l'animateur ne s'exclut pas de ce mouvement, il partage ses écrits comme les autres avec une franchise décontractée. C'est même grâce à sa propre plongée que se construit une atmosphère propre à décider les réfractaires à l'écriture.

A la fin de la rédaction, l'animateur propose à chaque participant de lire la page de son journal. Ce moment de lecture est l'occasion d'un partage d'une expérience commune avant d'élaborer le questionnement philosophique et la discussion à visées philosophique et démocratique qui suivra.

C) Le questionnement et la Discussion à Visées Démocratique et Philosophique (DVDP)

Quelle question cette image pose-t-elle ? Après avoir mis en évidence les concepts et les thèmes qui ont émergé dans la phase interprétative de l'image, mais aussi lors de la lecture des pages du journal, l'animateur peut inviter les participants à les formuler sous forme de questions philosophiques. Celles-ci sont alors retravaillées collectivement avant d'en choisir une comme question de départ de la discussion. Dans le cas concret qui nous occupe, les animateurs ont eux-mêmes proposé les questions à partir des productions écrites des participants. Les thèmes étaient inévitablement liés. Ils formaient un réseau conceptuel ouvrant de multiples horizons possibles. :

  • Sur la brutalité, la cruauté nécessaire : Peut-on se passer de la cruauté ?
  • Sur la séduction, la tentation, la possession exercée par les femmes sur les hommes : peut-on être séduisant sans être bizarre ?
  • Sur l'examen de conscience nécessaire pour se détacher de ses obsessions, se libérer de ses démons : doit-on craindre ses obsessions ? Que fait-on avec ses cauchemars ?
  • Sur le meurtre, l'envie irrépressible de détruire ce que l'on aime : comment peut-on tuer ce que l'on aime ?
  • Sur l'héritage familial, la transmission des tares, ce que l'on pourrait faire "avec les outils de papa" : peut-on utiliser d'autres outils que ceux de papa ? Peut-on agir de manière déliée de notre héritage ?
  • Sur l'action des morts sur le présent, le regard des ancêtres sur la photo dans le cadre et la nécessité de retourner ce cadre : les morts ont-ils une emprise sur nous ? Que signifie "retourner le cadre" ou ne plus être sous le regard du cadre ?

La question choisie par le groupe fut : "Peut-on utiliser d'autres outils que ceux de papa ? (Peut-on se délier de son héritage?)".

La discussion fut foisonnante et riche, animée dans le dispositif DVDP (un animateur soutenu par un président de séance, un reformulateur et synthétiseur, et un observateur de la construction de la pensée collective faisant rapport à la fin).

Le groupe a élaboré une réflexion à partir d'une question et d'un contexte communs (notre expérience racontée préalablement à partir de l'image qui avait inspiré un texte). A partir de ce contexte, illustratif comme exemple de départ, le travail de l'animation consistait à mettre à jour les concepts et à tenter de les définir, de voir quels types de problème se posaient (tension entre des concepts, présupposés de certaines affirmations,...) et de fonder les arguments. Ainsi ont été envisagés les concepts suivants : la rupture et la continuité ; la transmission, le lien, la récupération, la transformation, l'appropriation ; la déliaison, la libération ; l'héritage, le patrimoine ; se délier comme processus ou comme résultat ; le conscient et l'inconscient ; le volontaire et l'involontaire ; l'actif et le passif. Nous avons parcouru les questions suivantes : Qu'est-ce que je vais faire de ce qui m'a fait? À quelles conditions peut-on être dans la rupture ou dans la continuité ? Peut-on se délier d'un héritage ? Le positionnement conscient suffit-il pour se délier ? L'héritage doit-il être totalement transmis ? À quoi voit-on qu'un héritage est totalement transmis ? Comment pourrais-je ne pas hériter ?...

D) L'atelier graphique : les gommettes

Il s'agissait ici de penser graphiquement un concept mis en avant dans la discussion. L'utilisation des gommettes permet de sortir du rapport spontané au figuratif. Les formes simples et géométriques obligent à abstraire la représentation de notre idée. Cela permet aussi de ne pas se heurter au rapport parfois difficile au dessin ("je suis nul en dessin"). Dans cet atelier philo-art, on prolonge, par la réalisation artistique, la réflexion autour d'un concept. Autant que les mots ou la parole, l'acte graphique créatif met en mouvement une réflexion, que ce soit par ce qu'il est en tant qu'"oeuvre", entendue ici comme un résultat sans aucune prétention esthétique, que par ce que dit le geste posé pour le réaliser.

III) Comment se joue un jeu ?

Chacun des ateliers sommairement présentés ici se caractérise par des consignes et des contraintes formelles claires (gestes et construction du récit collectif dans la section improvisation, observation formelle de l'image, contextualisation de la page du journal intime à rédiger, accord sur la question commune, cadrage de la DVDP, contraintes graphiques fortes par les gommettes dans l'atelier artistique). Nous partons en effet du principe qu'il est impossible de travailler une pensée créative dans une absence de cadre ou dans un cadre où le participant applique passivement des consignes sans se les approprier. Pour exprimer sa créativité, il faut des contraintes, des règles du jeu. On joue grâce aux règles, à partir d'elles, mais aussi on se joue d'elles, on en teste les limites, on pousse jusqu'à la limite de l'infraction. Ce jeu actif, dans, par, avec, contre les règles est un des moteurs de la création.

Toute consigne d'improvisation, d'écriture, de discussion ou graphique doit donc être claire, concise et inviter le participant à travailler en un temps donné. La consigne aide au démarrage. Son but n'est pas de correspondre au désir du maître ni de chercher une hypothétique réponse attendue. Elle doit faire exister une dynamique de recherche et faire éprouver une grande liberté à l'intérieur de grandes contraintes.

D'une manière similaire, en matière d'ateliers artistiques, lorsqu'on s'appuie sur un album jeunesse (on sait la richesse que recèle la littérature jeunesse pour les animations philosophiques), l'univers graphique propre au livre est une source d'inspiration très stimulante. On entre dans le monde de l'auteur, on partage ses codes, ses couleurs de la même façon que l'on s'inspire des oeuvres d'art, en travaillant "à la manière de...". Ces contraintes ou consignes plastiques vont faire le lien entre l'élément d'impulsion de l'atelier et l'acte créatif. C'est par la découverte du champ créatif dans sa diversité, en essayant d'en comprendre les méthodes puis, par l'imitation, l'observation, la déconstruction de cet univers graphique, que l'on peut découvrir son propre univers créatif.

IV) Les fonctions de l'acte créatif dans le processus philosophique

A) La trace comme mémoire de la discussion

La trace du collectif est souvent assurée par un synthétiseur, un journaliste ou un dessinateur chargé de collecter en temps réel le fil de la discussion. Mais qu'en est-il de la mémoire individuelle ? Comment puis-je me situer dans ce souvenir commun? La pratique artistique, permet ici de quitter le collectif pour une réappropriation plus personnelle et individuelle de ce qui s'est construit ensemble. La question n'est plus "Que s'est-il passé ?" mais bien, "Qu'est-ce que, moi, en tant qu'acteur de cette réflexion, j'en garde ?", "Quel est le moment, l'idée qui me semblent importants et dont je veux me souvenir ?".

B) L'acte créatif comme moment de pensée non verbale

L'atelier se veut laboratoire d'expérimentation et d'expression de la pensée. Dans l'atelier philo-art relaté ci-dessus, on pense un même sujet mais par deux moyens d'expressions différents : orale lors de la discussion et graphique lors de la réalisation artistique. Ces deux modes d'expression, différents également par leurs conditions (collective pour le premier, individuel pour le second), induisent des modes de réflexion distincts qui offrent ainsi une double approche du thème, deux façons d'éprouver le concept.

C) Le geste créatif comme nouvelle source d'étonnement

La gestuelle permet la mise en lumière d'un processus de pensée. Par exemple : qu'est-ce que le cadrage que je viens d'opérer sur cette image dit de ma façon d'envisager ce qui est important, ou pas, ou ce qui vaut la peine d'être vu, ou ce qui peut ou doit être caché ? Poser un geste, s'arrêter pour le regarder et questionner : "Mais qu'est-ce que ce geste, ou ces gestes-là disent ? Qu'est-ce qu'ils impliquent, modifient, prouvent, font sentir, disent et comment le font-ils ?" Ici, c'est du mouvement que l'on part ; il est l'amorce de la réflexion. Ce geste touche autant au sens qu'à l'expérience. On ne cherche alors pas à illustrer la discussion, mais à identifier ce qui se pense au coeur même de nos gestes.

V) Évaluation de l'expérience

Les objectifs poursuivis dans cette expérience étaient clairs : lever les inhibitions, se laisser prendre par le jeu collectif et enclencher la créativité et la réflexion par différents moyens (mise en condition, description, invention, écriture, discussion collective, conceptualisation graphique), faire en sorte que l'on soit à la fois inspiré par les phases collectives et rapportés à sa propre pensée, de façon un peu plus solitaire.

Il convient d'évaluer si les moyens mis en oeuvre ont permis d'atteindre ces objectifs. Quel a été l'effet des consignes (des exercices de mises en condition, d'élaboration de l'image, de l'exercice d'écriture, le dispositif de discussion, la consigne de l'atelier graphique) sur notre réflexion ? Avons-nous des stratégies pour nous mettre en condition d'imaginer, d'écrire, de créer ? Par exemple : chercher consciemment une tonalité affective, fonctionner par association d'idées, utiliser consciemment les cinq sens, écrire à la 3e personne avant de s'engager dans le "je" du personnage,...). Les phases collectives (décrire, inventer) ont-elles aidé à élaborer sa pensée dans l'écriture ? Le passage par l'atelier d'écriture, par l'atelier de discussion puis par l'atelier graphique a-t-il permis d'élaborer sa propre pensée ?

1. Les ateliers de mise en condition (improvisation) doivent être particulièrement soignés, parce que c'est ce qui donne le ton initial et induit le climat de travail qui devra être assuré jusqu'au bout. L'improvisation est importante également parce qu'elle pose les bases d'une véritable écoute de l'autre, d'une conscience de son corps et parce qu'elle dispose chacun à se laisser imprégner par les idées des autres et à se détacher de ses propres idées. Dans notre expérience, créer collectivement la vie des personnages a été facilité par les exercices d'improvisation (particulièrement le conte arabe) où l'on s'autorisait sans difficulté à proposer des pistes inattendues. Les phases d'échauffement permettent plus rapidement de se lâcher et de rentrer ensuite dans un système de construction commune où le plaisir d'écrire avec les autres et de les entendre est entretenu.

2. L'articulation des différents ateliers fut l'objet de discussion, car l'unité de l'ensemble fut perçue par les participants par l'intermédiaire du contenu thématique. Or le lien thématique était assuré par l'équipe d'animation, sur la base des éléments qui se dégageaient du groupe. La cohérence formelle entre les ateliers de types différents ne fut pas saisie par les participants, dont certains considéraient qu'ils pouvaient être réalisés indépendamment l'un de l'autre. Fut également posée la question de l'ordre des ateliers et de l'incidence qu'un autre agencement (atelier "gommettes" puis DVDP, par exemple) aurait eu sur la réflexion.

3. L'atelier graphique a permis à certains participants d'interroger leurs gestes. Ils ont perçu l'intérêt des contraintes matérielles d'un dessin qui oblige à schématiser, à penser l'agencement spatial à partir de formes et de couleurs limitées. Cette observation nous amène à prolonger le sens de cet atelier. Le geste, plus qu'un ajout à l'atelier de discussion est une nouvelle question sur les processus à l'oeuvre (synthèse, conceptualisation, rapport de la pensée au langage).

VI) Conclusion

Cet article se voulait analyse d'une expérience. Il ne peut s'empêcher d'être aussi un manifeste. La pratique philosophique ne se situe pas pour nous uniquement dans la discussion. Le rapport entre les différents ateliers proposés ici n'est pas celui d'une addition. Il ne s'agit pas de cumuler les acquis comme on peut le concevoir à l'école, où les exercices proposés se complexifieraient au fur et à mesure, en s'appuyant sur des compétences acquises à l'étape précédente, pour en arriver à l'exercice complet que serait la discussion philosophique, exercice star du penser par soi-même.

Plutôt qu'une progression linéaire, nous pensons le processus comme un élargissement réticulaire où la réflexion s'élargit au fur et à mesure des expériences communes, par l'aménagement d'un terreau commun, riche de potentialités et où le questionnement est déjà possible. Ce qui importe, c'est de travailler le processus qui va emmener ailleurs. Dire autrement, ce n'est pas dire la même chose, ni penser la même chose.

Comme il s'agit d'envisager l'atelier philo-artistique, tissage d'expressions et de méthodes pour travailler la pensée comme un tout, nos préparations sont remaniées sans cesse, nos recettes revues, nos mélanges questionnés. C'est un espace de recherche, un lieu de transformation où l'exploration et la construction tiennent une place prépondérante. Comme dans n'importe quel type d'atelier5, on expérimente, on cherche et l'on ne cesse de s'interroger : "Au fond, et si on voyait plutôt cela à l'envers ?"... "Et si on mélangeait cet atelier d'écriture, avec cette image ou ce mythe pour discuter telle thématique ?"... "Et si on ne parlait pas cette fois dès le début, mais qu'on commençait plutôt par travailler le collage pour dégager des concepts, qu'on éclaircirait par la suite à l'aide de telle méthode de discussion philosophique ?"... On cherche un assemblage cohérent des formes d'expression de la pensée et que cet assemblage soit porteur. Le fil conducteur de cette recherche, c'est l'idée que philosopher est une manière d'exploiter les opportunités qu'on rencontre, de saisir les kairoi que l'on rend possibles.

C'est un atelier : on laisse des traces et des déchets (des crasses) derrière soi. Cette métaphore de l'atelier semble rendre au mieux compte de l'esprit de ce que nous tentons de mettre en place : une recherche liée à la mise en problème de l'existence.


(1) Séminaire de recherche en pratiques philosophiques désormais annuel où les membres de PhiloCité rencontrent Michel Tozzi et d'autres praticiens.

(2) Gaëlle Jeanmart et Joël Michiels, "Petite philosophie de l'improvisation au quotidien", Publication Pédagogique d'éducation permanente, CDGAI asbl, 2012, p. 14. Consultable sur : http://www.cdgai.be/wp- ontent/uploads/2013/01/w-Improvisation.pdf.

(3) Ibid.

(4) Ibid., p. 20.

(5) Nous empruntons la métaphore de l'atelier à Richard Anthone, "Faire prendre la mayonnaise : ajouter un peu d'huile et puis bien battre. Philosopher, créativité et éducation artistique" dans Penser et créer, La pratique de la philosophie et de l'art pour développer l'esprit critique, Ed. Laïcité Brabant Wallon, 2015, p.29.

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