Revue

International : Philosophes Sans Frontières : philosopher / former / coopérer

I) Fondements

"Philosophes Sans Frontières" se présente comme une organisation issue des réflexions élaborées dans le cadre de la chaire Unesco "La pratique de la philosophie avec les enfants : une base pour le dialogue interculturel et la transformation sociale" (responsable E. Chirouter). "Philosophes sans frontières" inscrit son action dans la référence aux valeurs fondamentales de l'organisation internationale Unesco. A ce titre, elle bénéficie du label de la chaire Unesco, elle collecte des fonds et s'organise dans ce cadre. A terme, l'organisation visera à devenir indépendante. Son futur statut se précisera dans l'action : elle entend se constituer soit comme une association, soit comme une fondation si possible internationale, avec constitution de fonds propres.

II) Objectifs, cadres et modalités d'action

"Philosophes Sans Frontières" veut permettre de développer les pratiques à visée philosophique dans le monde, en favorisant une formation à ces pratiques ainsi que leur suivi, mais aussi l'accès à des supports adéquats. Il s'agit de centrer les actions sur des formations de personnels d'éducation travaillant avec les populations les plus défavorisé es. Ces actions s'effectuent dans des pays en difficulté aux points de vue économique, social, politique et scolaire ; mais également à destination des catégories sociales précarisées dans les pays plus riches.

Les aides envisagées n'ont pas de vocation normative : elles s'inscrivent dans une politique de réponse à des demandes locales et circonscrites, formulant le souhait de développer les activités à visée philosophique. Il ne s'agit pas en effet pas de transmettre des systèmes de pensée, mais bien davantage de permettre à chacun de se construire le sien. Ces aides se construisent par une politique de coopération et de partenariat entre "Philosophes Sans Frontières" et les acteurs et/ou institutions locaux. Elles n'ont pas vocation à agir simplement par la transmission d'un programme préétabli : elles visent au contraire l'articulation et/ou l'adaptation d'éléments communs aux conditions sociales et culturelles de l'action. Il s'agit, à chaque fois, de co-construire et d'adapter les actions à partir de constats de terrain, de spécificités culturelles, d'identification de ressources et de compétences locales. "Philosophes Sans Frontières" y articulera des propositions de programmes et d'aides spécifiques adaptées au(x) cadre(s) de l'action : formations d'intervenants, de formateurs de formateurs, propositions de supports, ou toute action jugée adaptée au terrain. Toutes seront validées par les acteurs locaux de l'éducation avant d'être mises en oeuvre.

III) Argumentaire

Les pratiques philosophiques sont une manifestation de la vigueur d'une démocratie. Sans confondre démocratie et philosophie, il demeure que leurs destins et évolutions semblent, dans les faits, liés (R.P. Droit, 1995). L'Unesco comprend la philosophie comme "une école de la liberté" (2013). Vouloir l'émergence d'une démocratie républicaine, c'est par conséquent, et de manière nécessaire, placer les activités à visée philosophique "au coeur du projet scolaire" (Pettier, 2008). Dans ce cadre de référence, deux forces pourraient inciter à (vouloir) favoriser, voire à accélérer, le développement de ces pratiques :

  • Négativement, c'est-à-dire de manière réactive : la montée des intégrismes, notamment religieux, semble correspondre à l'émergence ou la réémergence d'une pensée binaire et moralisatrice, simple voire simpliste, radicalisant la pensée religieuse vers l'intégrisme, et prenant par là la voie du terrorisme. Autant d'attitudes radicalisées qui nient de fait, au besoin par le recours à la force et à la terreur, la liberté humaine et la possibilité ouverte au choix de chacun. A contrario, les démocraties pourraient favoriser d'autant ce rapport extrême aux croyances qu'en réaction, elles emploieraient les mêmes moyens : une pensée simple, binaire, caricaturale, excluant de l'humanité les extrémistes. Réagir à l'extrémisme en menant un combat "contre" ce dernier demeure bien évidemment nécessaire. C'est par exemple l'un des objets principaux du programme Philojeunes qui s'appuie sur les activités à visée philosophique pour ce faire. Mais tel n'est pas le propos principal de "Philosophes sans frontière", qui veut bien davantage concentrer son effort sur le développement des activités à visée philosophique dans les pays pauvres ou émergents, selon un second axe de force qu'il s'agit ci-dessous d'expliciter.
  • Positivement, il s'agit en effet d'aider les populations de ces pays ou régions à construire un espace de liberté. Au-delà de la réaction à l'intégrisme, "Philosophes Sans Frontières" veut se situer dans l'action en amont (actuellement nommée "proaction") : il s'agit de donner à chacun les moyens de construire par son éducation, avec les autres, sa propre liberté intellectuelle, au service d'une volonté éclairée s'inscrivant dans une démocratie toujours à penser et construire. S'agissant d'affirmer la nécessité d'une éducation à la philosophie de tous, qu'en est-il dans les faits ? Intellectuellement, on peut défendre l'idée d'un "Droit à la philosophie" (Derrida,1990 ; puis Pettier, 2000), ou d'un droit de philosopher : c'est ainsi prendre en compte la nature spécifique de l'humanité, sa capacité à s'ouvrir un espace de liberté, de choix, qu'il s'agira d'éduquer pour qu'elle réalise son essence et réponde à l'injonction : "Deviens ce que tu es !". On considérera, plus largement qu'il s'agit, pour l'éducation "du futur", d'éduquer chacun à une pensée complexe (Morin, 2000). Affirmant l'importance à donner aux activités à visée philosophique, l'Unesco, depuis la conférence de Milan (2011), encourage la généralisation des pratiques dans toutes les écoles de la zone nord (Europe et Amérique du nord), comme un premier pas vers une éducation universelle. Sous l'impulsion d'E. Chirouter, soutenue par le Cren (U-Nantes), la première chaire Unesco de philosophie pour enfants a vu le jour, et veut encourager le développement de pratiques dans l'ensemble du monde francophone. Répondant aux souhaits de l'Unesco, plusieurs pays de la zone nord, notamment en Europe (France, Belgique, Luxembourg), développent dans la scolarité obligatoire des activités à visée philosophique.

Il demeure que, dans les faits, cette forme d'éducation légitime et nécessaire n'est pas ouverte à chacun dans le monde. Soit qu'il fasse partie des catégories sociales les plus défavorisées d'un pays, soit que les conditions économiques et sociales de vie dans ce pays ne permettent pas à cette éducation de se réaliser. Il s'agit pour les membres de "Philosophes Sans Frontières" d'agir au nom de ce "droit de philosopher" et de chercher à le rendre opérant pour tous, sans que d'autres considérations, notamment économiques, puissent l'oblitérer.

Comment aider alors les pays pauvres ou les populations les plus défavorisées à y parvenir ?

"Philosophes Sans Frontières" veut aider à répondre à ce défi. Il s'agit de permettre la diffusion des pratiques à visée philosophique, en particulier chez les enfants (au sens de l'Unesco : moins de dix-huit ans), par la mise en relation d'un réseau de chercheurs, de concepteurs, de formateurs de formateurs, de formateurs, d'intervenants professionnels de ces pratiques avec les acteurs locaux, pour bâtir et mettre en oeuvre des projets, pour un coût le plus réduit possible, voire inexistant, à la charge des acteurs locaux (pouvant aller jusqu'à la gratuité totale).

IV) Objectifs opérationnels

"Philosophes Sans Frontières" peut avoir plusieurs objectifs opérationnels dans les zones concernées, parmi lesquels on retiendra, dans l'idéal et à long terme, essentiellement ceux-ci :

  • analyser les conditions de terrain et proposer, en accord avec les personnels locaux, un plan de formation prenant en compte les spécificités locales ;
  • sensibiliser les institutions et cadres locaux à ces pratiques pour favoriser un accueil et un accompagnement positifs ;
  • développer l'accès à une formation si possible diplômante :
  • transmettre des éléments de la culture philosophique et didactique nécessaire pour agir aux personnels concerné s : concepts et problématiques correspondant aux thématiques des séances envisagées ;
  • former en présentiel les formateurs de formateurs aux didactiques de l'oral, du débat à visée philosophique ou du débat à visée démocratique et philosophique ;
  • former en présentiel des personnels d'accompagnement pour l'aide à l'observation et à l'analyse des pratiques de terrain ;
  • former en présentiel les personnels de terrain ;
  • favoriser la formation à ces pratiques et l'accompagnement à distance par les moyens internet ;
  • proposer des interventions ou co-interventions de terrain par les membres de "Philosophes Sans Frontières" pour l'observation et l'analyse par les personnels locaux ;
  • favoriser l'accès aux supports ou la création de supports adaptés permettant ces pratiques : récolte et acheminement d'ouvrages spécifiques, supports en ligne ;
  • favoriser le suivi des formations par la mise en place de politiques de tutorat ou d'échange entre des animateurs et/ou des pratiquants et des membres de "Philosophes Sans Frontières" ;
  • évaluer l'impact des opérations menées : évaluations diagnostiques, évaluations régulatrices en cours d'action, évaluations finales ;
  • favoriser le développement de recherches universitaires locales, en partenariat avec des membres chercheurs de "Philosophes Sans Frontières", afin de faire des acteurs locaux des interlocuteurs de référence.

V) Cadre didactique de référence des formations

Pour développer ses formations, l'organisation s'appuiera sur les travaux théoriques de référence en ce domaine (identifiés synthétiquement en bibliographie), dont les travaux concernant :

  • la place centrale de la philosophie en démocratie (Lipman, Pettier) ;
  • l'accès à la pensée complexe (Morin) ;
  • l'enfant pris comme interlocuteur valable (Lévine) ;
  • la didactique de l'apprentissage du philosopher (Tozzi) ;
  • l'organisation d'un échange dans la classe : construction de la communauté de recherche (Lipman), construction d'une discussion à visée philosophique (Pettier) ou d'une discussion à visée démocratique et philosophique (Tozzi, Delsol, Connac) ;
  • l'exploitation de la littérature pour enfants (Chirouter).

VI) L'organisation : membres et soutiens

La nature juridique de l'organisation se précisera ultérieurement. Les membres de l'association, qui sont des volontaires, sont prêts à agir sous sa responsabilité dans le cadre des opérations qu'elle choisit d'assumer. Par nature, l'organisation est ouverte sans distinction de nationalité à toute personne ou organisation qui le souhaite et s'engage à respecter ses valeurs, ses objectifs et ses moyens, après validation par un comité spécifique. Ce comité spécifique, sera composé des membres fondateurs validés par les responsables de la chaire Unesco.

En référence aux activités à visée philosophique, les membres de l'organisation peuvent être : formateurs de formateurs, conseillers, formateurs, animateurs, ou personnes indépendantes sans spécialité liées à la philosophie pour enfants, soucieuses d'apporter une aide spécifique technique.

Peuvent être soutiens ou membres de l'organisation des groupements ou associations dont les valeurs, objectifs, moyens, rejoignent les siens.

VII) Financement

Tout en souhaitant travailler avec les partenaires locaux, notamment institutionnels, "Philosophes Sans Frontières" se veut indépendante intellectuellement comme financièrement des pouvoirs politiques ou économiques. Pour mener son action, l'organisation compte s'appuyer sur la collecte de fonds, en étant soutenue par des dons de fondations, de particuliers, d'acteurs économiques répondant au respect des valeurs portées par l'Unesco. Pour cette collecte, elle entre dans un premier temps dans le système des financements coordonnés par la chaire Unesco dont elle est une émanation, avec vocation de s'en dégager pour une collecte de fonds spécifiques au plus tard à achèvement de la chaire Unesco (en 2024, après éventuel renouvellement).

Les fonds collectés doivent essentiellement permettre d'atteindre les objectifs de l'organisation : prise en charge du déplacement des membres en vue d'effectuer les formations, construction des ressources et supports, financement de moyens internet de l'action.

Les membres de l'organisation agissent à titre bénévole ou avec une indemnisation forfaitaire réduite, les frais des actions (déplacement, résidence) étant pris en charge par l'organisation ou, en partie minime, par les acteurs locaux qui pourront proposer des solutions d'hébergement chez l'habitant.

Une partie des fonds sera, à terme, consacrée aux dépenses de fonctionnement ou au salaire de personnels administratifs, ou encore aux autres personnels employés par l'organisation à titre professionnel, afin de permettre son développement et sa gestion.

Durant les missions confiées aux membres de l'organisation, celle-ci devra s'être assurée que les assurances nécessaires ont bien été souscrites.

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