Revue

Analyse de la consultation sous l'angle de la temporalité

I) Pourquoi une analyse sous l'angle de la temporalité ?

Dans un environnement pris dans une "spirale de l'accélération"(H. Rosa, 2005/2010), quand il semble qu'il ne reste plus de temps pour les choses essentielles, comme par exemple s'écouter et réfléchir ensemble, la discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) s'inscrit dans une temporalité de quasi résistance qui favorise précisément le collectif et la réflexion. Si les structures temporelles de nos sociétés modernes ou postmodernes reposent sur le court-termisme et une gestion du temps strictement encadrée et productive, la pensée, la fraternité, l'humanité requièrent d'autres représentations temporelles, d'autres rapports aux temps et d'autres choix. En étudiant la structure conceptuelle temporelle de la DVDP avec des enfants, nous avons mis en évidence des modalités temporelles spécifiques qui permettent de mener à bien la discussion (Pierrisnard, 2013, 2014, 2015).

Un empan temporel large tout d'abord qui permet de considérer la discussion dans sa continuité avec des événements passés et futurs et des processus en cours comme le développement des enfants par exemple. Cette représentation temporelle libère de la contrainte du résultat attendu puisque tout s'inscrit dans le temps nécessaire à son avènement et l'activité en cours poursuit son but dans le respect des besoins de ceux qui y participent. Les kairos, ou opportunités à saisir, constituent une autre modalité temporelle qui autorise une indétermination suffisante des situations pour que puisse se produire le propos inattendu, plus authentique, peut-être imparfait mais qui pourra être repris, relié à une idée que l'on creuse peu à peu, ce qui correspond à une autre représentation temporelle adéquate : la spiralité. Le rythme d'une DVDP se co-détermine entre les participants de manière à rester suffisamment soutenu pour ne pas perdre le fil, mais souplement entretenu pour garantir à chacun des conditions optimales dans un exercice particulier de méta cognition que nous appelons dans un premier temps superposition temporelle (Bachelard, 1950/1993). Ce dernier concept temporel est apparu très prégnant dans l'analyse de l'extrait de la consultation philosophique entre Michel Tozzi et René Guichardan.

II) Une quête de verticalité qui prend du temps...

La question débattue "Est-ce que philosopher c'est possible pour chacun ?" part d'une préoccupation première de René : " augmenter notre capacité à philosopher ", "à avoir une verticalit é" (8-12). C'est précisément ce que recouvre la notion de superposition temporelle. Elle rend compte de l'effort de réflexion demandé aux participants, qui, partant d'exemples variés de leurs vécus, sont encouragés à rechercher des régularités, des différences, des nuances, des contradictions, jusqu'à pouvoir discerner au mieux ce qui peut faire réponse à la question posée. Ce travail de conceptualisation s'effectue en quelque sorte perpendiculairement à la ligne du temps : pour mieux étudier la question, on suspend le temps et la réponse, on s'élève en pensée au dessus des événements du monde, on confronte les différentes expériences qu'on a pu vivre ou qui nous sont rapportées par d'autres, on cherche les mots justes, on met à distance les affects sans les opposer à la rationalité qu'ils contribuent en fait à construire.

Un tel travail de la pensée demande du temps. La consultation que nous analysons en donne une illustration.

René, qui fait une première réponse assez rapide à la question posée, est accompagné par Michel dans l'approfondissement de sa réflexion tout au long de la séance. En 27 (tour de parole) il répond " plutôt non " à la question "Est-ce que philosopher est possible pour chacun ?". En 98, René estime que les retours du groupe dans une discussion peuvent éclairer le propos d'une personne et l'aider à observer sa propre pensée. En 106, il renforce cette inflexion de son jugement en signalant le fait que des personnes " font malgré tout exercice de philosophie " mais sans parvenir à construire vraiment. Elles sont " sincères " mais " tournent en rond " et doivent prendre appui hors d'elle-même (112). En 118, René identifie un "processus" qui se produit grâce aux "... propositions de l'autre, tant sur le plan d'une forme de reconnaissance des affects, ou d'une pensée qui aide à se construire. Donc y'a un processus comme ça...". Ce processus qu'il rappelle à nouveau pour conclure en 130, indique une dynamique de la réflexion et son inscription dans le temps, que René ne semblait pas envisager dans sa première réponse négative. En 123, Michel demande à René de reformuler son propre cheminement par rapport à la question et en 124, René reconsidère finalement sa première position : " c'est possible avec beaucoup de conditions. (rire)".

Comment Michel accompagne-t-il ce cheminement ?

III) Des représentations temporelles en adéquation avec la "ré-flexion"

1) Le temps de la consultation est situé dans un empan temporel plus large

L'élaboration de la question, sa formulation précise (que Michel fait préciser), prennent un certain temps. On entend une première ébauche de la question plus ou moins en aparté au tout début de l'enregistrement alors que la consultation philo n'a pas encore véritablement commencé, et Michel ne reformule qu'au bout de plusieurs minutes la question qui sera rappelée tout au long des échanges : " est-ce que philosopher c'est possible pour chacun ?". L'idée est là dès le départ mais plusieurs tours de parole sont nécessaires pour aboutir à une formulation précise. On peut noter une évolution assez radicale du sujet, entre s'intéresser au fait " qu'on apprenne à la fois à philosopher, en ce sens à se poser des questions, et à le faire avec d'autres " et finalement se demander " est-ce que philosopher c'est possible pour chacun ?".

En 15, la question de Michel (" pourquoi tu te poses cette question finalement ?") renvoie à "un avant" de la question, à ce qui la motive, aux liens qu'elle entretient avec les préoccupations de celui qui la pose, à la genèse de cette question en quelque sorte (le mot "finalement" semble l'indiquer).

2) Un empan temporel plus large et "plus profond"

Dans un échange à propos de cette analyse temporelle, René attire l'attention sur l'empan temporel qui, s'il est "élargi" par la prise en compte d'événements passés et/ou à venir, est aussi en quelque sorte "approfondi" au sens où ce qui fait avancer la réflexion relève également de ce qu'il appelle des "sédiments émotionnels". Cependant, cette dimension émotionnelle de l'empan temporel pourrait avoir des effets différents d'une personne à l'autre ou d'une situation à l'autre. Puiser dans ses émotions pour réfléchir peut mettre la personne en danger et provoquer plus de résistance que d'ouverture. Le filtre de la conceptualisation, c'est-à-dire de l'appropriation, de l'intériorisation des données venues de l'extérieur dans l'échange avec autrui, apparaît indispensable pour que la personne se mette elle-même en sécurité. Ce passage de l'affect, révélé dans l'interaction, à une meilleure compréhension (conceptualisation) de soi prend du temps, d'autant plus de temps sans doute que la révélation s'avère importante et signifiante pour la personne et qu'elle fait donc avancer sa réflexion dans la même proportion. C'est donc bien dans un empan temporel plus large (dans la durée) et plus profond (dans l'intensité) que la pensée se développe dans l'interaction, en deux temps, comme l'a montré Vygotski : le premier lorsque l'idée apparaît dans l'échange, le second un peu plus tard lorsque la personne l'internalise, la connecte en quelque sorte avec ses propres profondeurs et ce qu'elle savait déjà, pour mettre en cohérence ce que la logique de l'échange la conduit à énoncer et ce qu'elle est.

3) Des kairos, de la spiralité et du rythme pour dynamiser la "superposition temporelle"

Les catégories temporelles d'analyse proposées ne sont pas exhaustives mais se chevauchent et se complètent. Par exemple, de 49 à 58, un empan temporel plus large, et plus profond puisque l'intervention 58 se termine par un moment d'émotion, permet de considérer autrement l'exemple de la personne choisi par René et favorise la superposition temporelle (prise de recul, élévation au dessus du temps événementiel pour comparer, repérer des nuances entre des événements temporellement dissociés). Le rythme de la consultation est ainsi relancé (le propos avance), grâce aussi au kairos (en 53 : elle attendait quelquefois plusieurs mois avant de revenir...) que Michel saisit pour amener René à préciser son point de vue légèrement modifié.

Néanmoins ces catégories permettent il me semble de mieux comprendre ce qui se joue dans la situation et comment elle se développe.

Je fais l'hypothèse que les représentations sur lesquelles Michel et René s'appuient pour penser la discussion sont différentes au début de l'échange, et en particulier, du point de vue temporel :

Michel s'appuie sur une représentation temporelle large de la situation (qui suppose une dynamique, susceptible a priori d'évoluer dans le temps à plus ou moins long terme). Il utilise autant que possible les kairos qui se produisent (il compte dessus a priori, les attend, les anticipe sans savoir sur quoi ils porteront mais se tient prêt à les exploiter quand ils se produisent). Il conçoit le développement de l'échange comme structuré en spirale (on revient à chaque occasion sur des idées déjà abordées susceptibles d'avoir évolué au cours de la conversation, ou susceptible d'évoluer au moment même où on revient dessus en se confrontant à d'autres idées, parfois à un simple mot un peu différent qui peut trahir une ébauche d'évolution...). Il recherche en permanence "le bon rythme " de la discussion qui permette à la fois de respecter le cheminement de la pensée des personnes et qui favorise la confrontation des idées, des touts petits écarts de formulation, des contradictions même infimes qui rassemblées en une reprise un peu synthétique, voire une simple reformulation, peuvent provoquer des avancées du jugement et du raisonnement des personnes. Ce rythme peut donc soutenir une tension entre nécessité logique et affects par exemple, qui force un peu à avancer quand quelque chose de profond résiste comme en témoigne René dans l'échange déjà évoqué plus haut  : " j'ai le sentiment d'être poussé dans mes retranchements (...) je ne prête pas à Michel la volonté de me pousser dans mes retranchements, mais seulement d'appliquer une méthode de questionnement. Il s'agit de mon "sentiment", j'imagine qu'il est lié à la partie sédimentée de mes émotions, et que je "préfère" contenir. ".

René semble avoir a priori une représentation temporelle moins large, plus ponctuelle de la situation, ou plus centrée sur l'immédiateté des échanges. L'idée qu'il faudrait que les personnes aient déjà une " capacité à philosopher, à avoir une verticalité " (12) et la question " est-ce que philosopher c'est possible pour chacun ?" supposent qu'on considère cette capacité à partir des compétences des personnes à un moment donné et non pas dans une perspective temporelle d'évolution, d'apprentissage.

Concernant le kairos, René en signale un en quelque sorte lorsqu'il rapporte l'exemple d'une personne qui pose une affirmation sans sembler avoir conscience qu'elle s'enfermerait dans une forme d' intériorisation d'elle-même et une extériorité des explications qu'elle donne (43/45). Ce constat peut constituer un kairos au sens où il permet d'apporter une contradiction à cette personne en lui exposant ce que l'on comprend de sa pensée. Interrogé par Michel là-dessus (46 : qu'est-ce qui, à ton avis, permettrait...de sortir finalement...?), René répond (49) : " personnellement, je ne vois pas...". Il semble que René n'ait pas saisi ce kairos, peut-être ne le voit-il pas comme tel. On ne trouve pas dans son discours les indices d'une présence de cet aspect temporel dans sa représentation d'une discussion philosophique. A propos de cette analyse René répond : " Oui, je suis d'accord avec vous. Mon observation concernant la personne dont je parle s'étend sur plusieurs années, et je ne remarque pas d'évolution notable sauf, en regardant bien, au niveau des comportements de la personne. (...) Elle semble néanmoins conserver ses idées telles quelles. C'est comme si son "évolution" ne se faisait que sur le plan du comportement, mais pas sur celui des idées". Ce que le kairos permet de saisir, c'est justement ce qui dans le vif du sujet laisse poindre une contradiction, une faille dans le raisonnement ou dans la posture de la personne face à la question posée, de sorte que l'interlocuteur a l'opportunité d'aider cette personne à gagner en cohérence en s'adaptant. Lorsqu'un comportement évolue, il y a de fortes chances que les représentations sur lesquelles il repose soient également modifiées, ou tout au moins que de nouvelles représentations viennent apporter un doute sur la pertinence de celles qui prévalaient antérieurement. C'est ce doute, cette modification même légère que le kairos permet de déceler et d'exploiter au service du développement de la personne. Le kairos doit quelquefois repasser plusieurs fois avant qu'on ne puisse le saisir tout à fait et entraîner autrui dans une révision de son jugement. On retrouve ici le lien étroit et la complémentarité entre kairos et spiralité.

Au sujet de la spiralité, René l'évoque mais pour la réfuter : (16) "... des gens me semblent avoir une pensée de type circulaire même s'ils évoquent l'image de spirale... je ne vois pas en quoi cette pensée acquiert ce que moi j'appelle la "verticalité" . L'idée d'un cheminement en spirale attaché au travail de la pensée ne semble pas faire partie des représentations sur lesquelles René s'appuie au tout début de cette réflexion au sujet de la discussion philosophique avec Michel. Il faut plusieurs échange avant que René révèle que la personne de l'exemple considéré a pu évoluer au fil du temps (49) "...alors après si je suis plus attentif (inaudible) à ce cas, il m'a semblé que au long des mois cette personne, venait, repartait... qu'elle mettait "un peu d'eau dans son vin". On peut noter ici que l'empan temporel avec lequel on considère la question posée s'élargit de plusieurs mois permettant ainsi de réviser un peu le jugement porté " si je suis plus attentif...", " elle mettait un peu d'eau dans son vin ". Ce changement d'empan temporel qui permet un début de déplacement du point de vue semble libérer des émotions chez René. Cette réaction, qui surprend René lui même, permet de poser de nouvelles hypothèses sur le rôle des affects, de l'écoute, que Michel propose de relier directement à la progression de la pensée (78 : ... un facteur qui pourrait favoriser l'évolution de la pensée, donc pas seulement des affects, mais du concept ?...) tandis que René doute d'un tel lien (81 : je ne suis pas sûr que ça rajoute de la cognition) et préfère ajouter des conditions qu'il est en train d'identifier (83 : il faut un effort supplémentaire pour rajouter de la pensée, pour ajouter une "prise de conscience" de ce qui se passe, ou pour repenser...oui, "se repenser", je ne sais pas... ). "Re-penser" renvoie peut-être ici à la spiralité, absente au début de l'échange mais qui semble poindre dans la réponse revisitée que René apporte à la question posée. Dans un empan temporel plus large, on pourrait donc identifier une évolution de la pensée, introduire une spiralité véritable.

René pose une autre condition : la nécessité d'une cohérence pour réguler la pensée. Michel saisit ce nouveau kairos : (93) "Est-ce qu'on peut être aidé précisément quand on n'a pas beaucoup de cohérence d'après toi ?". On peut retrouver derrière cette question la présence d'une représentation temporelle qui inscrit les effets de la discussion philosophique dans le temps long de l'apprentissage. René valide (94) " Oui, si la personne pense que la notion de cohérence est importante dans la construction de soi... " en ajoutant une autre condition : que le groupe renvoie à la personne l'exigence de cohérence qu'elle n'aurait pas spontanément et que cette personne non seulement accepte de satisfaire à cette exigence, mais qu'elle en fasse la demande même (102)"J'ai l'impression qu'il faut qu'il y ait une demande de la personne... (...) implicite, ou explicite.". René précise en réaction à cette analyse que : " Cohérence et demande d'aide "explicite" ou "implicite" doivent former un tout. "La demande explicite" inscrit son auteur comme auteur de sa demande, et il faut le supposer, comme étant autonome et responsable de la construction de ses raisonnements. L'implicite suppose que, pour le demandeur, le principe de "cohérence argumentative" prévaut sur la gêne que l'on peut ressentir dans le dévoilement inopiné d'une émotion, ou dans la mise en lumière d'un raisonnement erroné. Autrement dit : en dépit de l'inconfort ressenti, le demandeur trouverait plus d'intérêt à suivre une argumentation logique (pertinente/cohérente) plutôt que de s'en remettre à son sentiment, ou à des habitudes de pensée.". Il faut un consentement, une sincérité et une demande de la personne pour que le groupe puisse jouer ce rôle d'appui (112) " prendre un appui qui n'est plus elle-même, parce que même elle-même c'est pas viable (SIC)...(114) Oui, car son affect n'est pas fiable, sa pensée n'est pas fiable, y'a rien qu'est fiable. (Rires) ". Penser avec l'aide des autres pour se construire malgré des affects et une pensée non fiables ("viables"), c'est-à-dire peut-être susceptible de se modifier dans le temps, suppose des échanges au delà du ponctuel. On peut comprendre ici que René élargit l'empan temporel dans lequel il considère le sujet de la question par rapport à sa première réponse. Il associe à la discussion philosophique l'idée de "construction de soi" (ou d'apprentissage) qui n'apparaissait pas au début de l'échange et ses représentations temporelles de la situation semblent s'être rapprochées de la structure conceptuelle temporelle de la discussion philosophique telle que nous l'avons identifiée (Pierrisnard, 2015). Dans sa réaction à l'analyse temporelle proposée, René le dit clairement : " le fait de retravailler à froid vos analyses est également vraiment fructueux... tout ces derniers jours, j'ai remarqué que je questionnais davantage les propositions de mes amis/proches/connaissances comme si j'intégrais mieux cette pratique qui prend en compte que l'on parle toujours entre personnes douées de réflexivité."

IV) Apports et perspectives de l'étude

L'analyse de cette consultation sous l'angle de la temporalité mobilise des catégories, ou concepts-en-acte (Vergnaud, 1985), c'est-à-dire des régularités observées, relativement invariantes dans les situations de discussions philosophiques, sur lesquelles les praticiens s'appuient pour agir sans toujours en avoir clairement conscience. Nous nous efforçons de théoriser ces connaissances déjà construites et/ou en cours d'élaboration avec l'aide des acteurs de la situation étudiée. C'est la raison pour laquelle une première analyse a été soumise à Michel Tozzi et René Guichardan qui ont pu rédiger leurs réflexions critiques et complémentaires que j'ai intégrées pour ce qui m'est apparu essentiel dans cette contribution.

Nous retiendrons de ce travail de co-explicitation rédigée, inspiré de la méthodologie de l'entretien de co-explicitation mise au point par Isabelle Vinatier (Vinatier, 2013), que l'acquisition de la verticalité qui est au coeur de l'exercice de la philosophie s'inscrit dans un temps qui se co-construit et se négocie entre les interlocuteurs selon des modalités de rythme, d'empan temporel, de spiralité, de kairos parfois, qui se complètent, se renforcent, concourent à créer et à maintenir aussi longtemps que nécessaire les conditions favorables au développement de la pensée. C'est un processus délicat, qui relève d'un réglage très sensible des différents paramètres qui déterminent l'activité, difficilement prévisible, mais qu'on peut pourtant guider, d'autant mieux qu'on aura conceptualisé les catégories sur lesquelles on peut efficacement s'appuyer, et en particulier, les représentations temporelles les plus adéquates.

La question de la superposition temporelle retient particulièrement notre attention. La formule n'est pas la meilleure pour désigner le processus qui nous intéresse. Le mot "superposition" renvoie par exemple à quelque chose de statique et spatial et ne rend pas compte de l'aspect dynamique absolument essentiel du processus. René dénonce justement le risque d'une spiralité qui n'apporterait pas d'avancée (31), d'une pensée qui tournerait en rond : " on revient à des explications qui ne sont pas plus "explicatives" que ce qui a été énoncé auparavant.". Dans le processus que nous avons identifié, on "revient sur", on "creuse plus profond", on "s'élève au dessus" mais pour aller plus loin ou pour prendre un élan, un rythme, quelque chose de dynamique...

Michel nous fait une remarque intéressante sur le choix de cette formule : " Peut-on trouver pour nommer le processus une métaphore non spatiale, ou pas uniquement, mais temporelle ? Une métaphore processuelle temporelle de l'abstraction ? En quoi la "superposition temporelle", qui cherche à conjoindre espace et temps, est un nouveau concept pour l'analyse ? Quelle est sa consistance ? En quoi est-il opérant pour une analyse ? Voilà le chantier que tu ouvres..."

Plutôt qu'une flèche perpendiculaire à la ligne du temps qui pourrait traduire l'idée de superposition temporelle, Michel suggère une flèche oblique qui nous parait plus juste.

René nous fait une autre proposition : " On peut imaginer que l'idée de spiralité doit être accompagnée d'une expérience plus grande, d'une capacité de synthèse élargie (spirale ascendante), voire du sentiment d'une plus grande profondeur dans la connaissance de soi (spirale descendante). J'avais pris l'habitude d'appeler "méta-pensée", cette distance d'avec soi-même, cette posture d'observateur."

L'élévation de la pensée au dessus des événements du monde sur lesquels elle prend appui s'accompagnerait d'un autre mouvement, en profondeur celui-là, qui permettrait de puiser dans ses ressources personnelles, intimes, selon une autre métaphore suggérée par René : " l'arbre peut aller aussi haut dans le ciel que ses racines vont profondément dans le sol ".

Les métaphores bien que d'un grand intérêt souvent pour la réflexion sont toujours à utiliser avec prudence et il n'est peut-être pas indispensable de faire coïncider notre résultat à ce stade de l'étude avec une image bien définie. Nous retenons que l'efficacité de l'accompagnement dans la discussion philosophique requiert une représentation temporelle qui suppose :

  • une mise à distance de l'immédiateté des faits que l'on considère ;
  • la prise en compte (facilité par un empan temporel large), dans un effort de rationalité et de cohérence argumentative, d'éléments subjectifs ("sédiments émotionnels" accessibles par un regard sur soi "descendant") et objectifs (ressemblances/dissemblances entre événements dissociés dans le temps accessibles par un regard "ascendant" sur le monde) ;
  • une tension (soutenue par le rythme et la spiralité) entre une orientation vers le passé d'un retour sur soi (rétention) et une orientation vers le futur d'un processus de développement en cours de sa propre pensée (protention) qui tendrait à infléchir la flèche de ce qui, plutôt qu'une "superposition temporelle", serait une sorte de processus d' "expansion temporelle"

Nous proposons pour l'instant le schéma suivant comme une aide à la réflexion que nous devrons poursuivre pour affiner le concept :

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