Pour un futur professeur en formation, s'auto-évaluer peut se réduire à construire un discours sur son action. Modifier l'action, la corriger, la remédier, progresser demande autre chose que ce seul discours.
En didactique, il faut construire, à partir d'évaluations fines, quelques exercices pour s'approprier un progrès, le faire sien, en acte. Comment isoler un geste, le comprendre, et l'améliorer par l'exercice ?
I) Un fait : le cours dialogué est important
Dans un cours, quelle que soit la matière, la partie dialoguée est grande ; elle est importante pour créer une interaction et voir si les élèves suivent. Les objectifs peuvent être très différents : construire un lien en classe, une bonne atmosphère, une confiance ou susciter une participation.
Elle peut aussi être un moyen de faire découvrir un contenu que les questions, bien posées devraient permettre de saisir (maïeutique dans le sens du Ménon de Platon).
Parfois le but est d'aider à penser.
Dialoguer est un moyen qui peut être merveilleux. Mais souvent on perd des élèves en route parce qu'ils ne suivent pas ou ne se sentent pas concernés. Cela peut être un moyen de garder les élèves actifs ; mais ces dialogues sont parfois longs, sinueux, et ambigus. Mais surtout, alors qu'il devrait amener les élèves vers un but, ce type de cours n'est souvent clair que pour le professeur.
Chaque objectif est différent et s'évalue différemment. Mais ce qui est commun c'est qu'il faut maintenir l'exigence, donc un certain rythme ; que les questions doivent être pertinentes et efficaces ; que la discussion doit inclure la classe et non isoler ceux qui parlent ; que le français doit être bon... C'est complexe à évaluer et difficile à améliorer.
II) Evaluer : quels moyens ?
A)
J'évalue les cours des étudiants en formation avec la méthode d'Yves Clot2. On filme des gestes professionnels et on les analyse avec des collègues en "collectif", pour construire un point de vue discuté et partagé.
Chaque étudiant est filmé dans sa classe. Dans cette recherche, nous travaillons les dialogues : les paroles d'entrée en classe et en matière, les questions posées, la maïeutique. Les stagiaires analysent leurs interventions et construisent des catégories de paroles dites. Ces typologies d'intervention dans un dialogue nous ont semblé primordiales.
B) Distinctions
L'analyse précise des films révèle les défauts communs aux cours dialogués. En créant une typologie des interventions, nous voyons les buts explicitement recherchés et ceux demeurant implicites. Pourquoi ce qui se passe s'éloigne de ce que le professeur voulait ?
Analyser ces films révèle qu'aucun professeur n'est capable d'entendre tout ce que l'élève dit. Il n'entend que certains propos qu'il récupère et interprète dans le sens qui lui convient.
On peut comprendre à l'analyse que :
- l'enseignant a l'anxiété de son cours qu'il veut finir ;
- l'élève parle plus ou moins clairement, et simultanément, le professeur est occupé par autre chose :
- l'enseignant aime entendre les élèves mais aussi aime parler lui-même ;
- il désire une bonne participation, mais souhaite que le cours reste exigeant.
Ces finalités contradictoires se vivent dans la rapidité de la pensée qui se crée au moment où elle se dit : comment améliorer le dialogue car il est fascinant ? Comment aborder en didactique un moment soit disant spontané, improvisé, et le didactiser ?
C) Exercices inventés
- Ecouter un dialogue enregistré, arrêter après une intervention d'élève et écrire ce que l'on croit entendre. Comparer entre nous. Réécouter. Evaluer nos différences.
- Concevoir une relance, en choisissant la répétition simple ou plus abstraite, la demande de clarification, la question.
- Exercer la même situation, en collectif professionnel.
- Dans une maïeutique qui permet d'amener une classe à une découverte, nous tentons de créer une "route de questions", soit un ensemble de huit questions nécessaires et suffisantes pour aller de la première qui porte sur le réel, à la dernière qui découvre le sujet. Ces questions s'exercent entre collègues afin de voir s'il y en a trop, si elles sont pertinentes et entrainent vers le but recherché.
- Nous regardons les films de plusieurs dialogues, et essayons de comprendre quels sont les objectifs implicites et explicites des enseignants, afin de découvrir des contradictions. Nous tentons de saisir ce qui est ambigu ou réussi. Puis nous exerçons ce dialogue en simplifiant les objectifs.
- Nous faisons aussi un travail théorique sur les typologies de questions construites dans les écoles de discussions3. Chaque école bâtit sa méthode en fonction d'objectifs qui sont langagiers, logiques, philosophiques, civiques ou sociaux. Puis nous nous exerçons dans nos dialogues à des questions tirées de ces listes, en fonction de nos objectifs..
Conclusion
A quoi de jeunes professeurs doivent-ils être attentifs ? D'abord à ne pas présumer de la spontanéité des moments dialogués : un moment de dialogue se prépare, et il faut savoir ce que l'on veut et où l'on va. On peut et doit s'exercer avec un enregistreur, seul ou en groupe. Finalement on doit savoir que lorsque l'on cherche deux objectifs ou plus, en général on n'en atteint aucun.
(1) Cette communication a été écrite pour la conférence de l'Admée Europe 2015.
(2) Clot, Y., Travail et pouvoir d'agir, 2008, PUF.
(3) Les écoles de M. Lipman, M. Tozzi, O. Brenifier et I. Millon
Cf. Frieden,N., Conférence de l'ICPIC : The variety of schools of philosophy for children in France and in Philolab. Diotime n° 51, p.16, 1/2012.
Et aussi Sasseville, M., La pratique de la philosophie avec les enfants.3e édition, 2009, Collection : Dialoguer, Laval