Revue

France-Maghreb : D'une rive à l'autre, pratiques et réflexion partagées

I) L'action de l'ARP-Philo

L'ARP-Philo est une association née en 2009, créée par un groupe de philosophes et de formateurs d'adultes (professeurs, formateurs EN, travailleurs sociaux...), motivés pour diffuser à l'école et dans la cité la pratique de la philosophie.

Pour quoi ?

L'objectif est de rendre la philosophie populaire, et de former le plus grand nombre d'éducateurs à l'animation de moments de réflexion partagée à visée philosophique, au cours desquels on apprend à penser par et pour soi-même avec les autres, et donc à développer une pensée créative et critique à l'écoute de soi et de l'autre. Nous pensons, avec Épicure et Montaigne notamment, qu'il n'est jamais ni trop tôt ni trop tard pour philosopher! (Cf. Annexe 1).

Originalité

Nous ne recherchons pas du ''jamais vu ailleurs'', mais la cohérence et la vie d'une réflexion authentique d'équipe (une originalité au sens de Rilke dans sa lettre à un jeune poète). Double originalité : une réflexion méthodologique et un investissement Nord-Sud vers le Maghreb, à partir d'une implantation forte en Midi Pyrénées.

D'où venons-nous ?

Du monde de la formation d'enseignants et de l'enseignement de la philosophie.

Formateurs d'adultes, nous incluons dans nos actions de formation des moments d'analyse de pratique, de métacognition. Nos séances d'atelier comportent des moments où émergent les premières représentations, suivis de moments où le débat s'instaure et où chacun exprime, avec arguments et exemples, après une écoute des autres, et ses conclusions provisoires. Chacun peut donc se sentir évoluer ou conforté ou ébranlé dans ses certitudes au cours de la séance. Il prend conscience de son chemin dans l'écart constaté entre sa première expression et son propos de fin de séance. L'auto-évaluation avec mise en place pour les jeunes d'un portfolio philo, sont pour nous des pistes ou des pratiques conseillées avec des outils que nous adaptons ou construisons ensemble !

Avec Kant, nous sommes convaincus qu'il s'agit non pas d'apprendre la philosophie mais d'apprendre à philosopher, que l'on soit professeur, élève, chef d'établissement, inspecteur, parent d'élève... Nombre de nos actions sont intergénérationnelles, interculturelles et interstatutaires .

Nos sources de formation et d'inspiration, c'est à l'Unesco que nous les avons trouvées : ateliers de l'AGSAS, de Michel Tozzi, d'Oscar Brenifier, conférences d'E. Chirouter, rencontre avec M.-F. Daniel... Toutes ces rencontres nous ont nourris et incités à nous lancer. Certains d'entre nous ont suivi une ou des formations en Belgique puis à Albi avec Michel Sasseville, et un stage avec Oscar Brenifier...

Avec qui travaillons-nous ?

Des particuliers en bibliothèque ou au café, des associations (post et périscolaires, de retraités etc.), et des représentants d'institutions qui nous le demandent. Citons parmi nos partenaires le Cercle Condorcet et la Ligue de l'Enseignement 09, l'Occe de Midi Pyrénées, Coup de Soleil Midi Pyrénées, Poursuivre 31...

Notre réseau au Maghrebs'est constitué très naturellement à partir de plusieurs missions comme experts européens dans le cadre de MEDAII en Algérie : formation de chefs d'établissements sur la pédagogie du projet, le travail en équipe, l'analyse de pratique, le préscolaire, la formation d'inspecteurs et de formateurs à la mise en place des nouveaux programmes.

En Tunisie, un réseau d'universitaires s'est constitué autour de Mme Gleya Maatallah à l'Université de Manouba à partir d'une participation au colloque international de linguistique d'Albi de Mokhtar Farhat ,par ailleurs animateur de clubs Unesco dans le sud tunisien. D'où, au départ, des actions à Tunis et à Gafsa, en milieu universitaire. La demande en Tunisie concernait la maîtrise de la langue et à la construction de la démocratie.

Comment travaillons-nous ?

Nos trois protocoles sont la règle, mais ils sonttoujours mis en perspective par rapport à nos finalités (Cf. annexe 2)- Ce sont des ''outils'' régulièrement repensés en groupe de réflexion méthodologique.

a) L'atelier ''court' ', inspiré de l'AGSAS. Son intérêt majeur est de susciter immanquablement un climat de sérénité favorable à la réflexion. Chacun peut s'exprimer tranquillement, sans avoir à réclamer la parole, il a sa place, tout son temps, ce qui est très précieux pour pouvoir aborder les sujets délicats, au moins dans un premier temps. Ainsi à Tunis, la question La femme peut elle être définie comme le complément de l'homme ?, posée par des tunisiennes cherchant à se faire une idée de la dangerosité de l'inscription de cet article dans la nouvelle constitution du pays, dans un groupe où des hommes s'en seraient bien accommodés. Nous avons choisi d'approcher la question dans un atelier court et d'y revenir ensuite autrement.

Ce type d'atelier a le grand mérite, comme le soulignait J. Lévine, de faire prendre conscience à chacun qu'il est un sujet pensant possédant tout un background qui ne demande qu'à s'actualiser... et dont la pensée peut intéresser les autres. Vouloir convaincre à tout prix comme au ''Café du Commerce'' et passer en force y apparaît vite dérisoire, et peu performant pour se faire comprendre et étayer sa propre pensée.

b) L'atelier ''classique''. C'est une composition ARP-PHILO qui intègre un grand moment de débat régulé par un animateur. Les règles sont précisées. Même les plus timides osent s'y exprimer, deux tours de parole encadrant le débat, l'un au début, l'autre à la fin.

Le démarrage par la lecture d'un texte déclencheur (comme chez M. Lipman) rassure et stimule. Mais il ne s'agit pas d'en rester à une explication de texte : le texte est un prétexte pour faire émerger et choisir une question ''philosophique'', ''qu'on aimerait creuser ensemble.''

L'animateur reformule à l'occasion, demande définition, arguments, exemples, contre-exemples pour faire cheminer le groupe en philosophie, sans trop peser toutefois sur la séance, ni réduire l'échange à une '' verticalité'' de circulation de parole entre chaque ''parlant'' et l'animateur.

A la fin de la séance, un échange sur les synthèses personnelles et le vécu de l'atelier, puis l'écoute des observations ciblées, permettent de mesurer en quoi le débat était ''philosophique''.

Dans ce type d'atelier, des rôles sont distribués un peu comme chez M. Tozzi : un secrétaire synthétiseur, des observateurs, un gardien du temps, éventuellement un distributeur de parole pour que l'animateur puisse se consacrer pleinement à son rôle de vigile de la teneur philosophique du propos.

c) L'atelier ''café ARP-PHILO' ' à visée philosophique, qu'on appelle au Maghreb ''Atelier citoyen à visée philosophique'', pour ne pas en exclure de fait les femmes (peu présentes dans les cafés). C'est une sorte de conférence-débat sur des thèmes plus sociologiques avec un animateur. Il est inspiré des modalités présentées dans les ateliers Tozzi et du protocole du café citoyen de Toulouse. Des rôles sont distribués (synthétiseur, gardien du temps, distributeur de parole, secrétaire). Cette distribution de rôles permet d'associer l'assistance à l'organisation.

Lorsqu'il n'y a pas de conférencier, un film, une affiche ou un texte servent de déclencheur.

L'animateur rappelle les règles, distribue la parole et veille là encore à la teneur philosophique des propos, pour ne pas en rester aux échanges d'opinions du ''café du commerce'', ni tomber dans les échanges de confidences de groupes de parole à visée thérapeutique, qui ne sont pas de notre compétence.

C'est une modalité qui peut être utilisée avec une classe entière, quand l'enseignant ne veut ou ne peut pas scinder son groupe, ou dans la cité chaque fois qu'on peut disposer d'une bonne salle et d'un groupe conséquent.

Nos pratiques et réflexions

Ces protocoles sont des guides pour l'animateur, à adapter en fonction du contexte.

a) Un exemple d'adaptation

L'atelier ''court'' dédoublé lors d'un stage à Gafsa en Tunisie et à Laghouat, en Algérie, vu l'afflux de participants étudiants : constitution de deux équipes de dix, successivement parleurs et observateurs avec deux questions différentes découvertes sur le même thème, les demi-groupes permutant au bout d'un quart d'heure. Ainsi deux questions sur la violence : 1- Quelle est la pire des violences pour vous comme victime et pourquoi? 2- Ne sommes-nous pas tous quelquefois violents et qu'y pouvons-nous ?).

Cette adaptation a permis de faire vivre à chacun un changement de posture qui s'est révélé plus riche tant sur le sujet débattu (deux questions) que sur le processus.

b) Tutorat

L'encadrement des ''apprentis animateurs'' par un trio d'initiés de différentes nationalités avec superviseurs en appui a été expérimenté, notamment avec de jeunes étudiants algériens et tunisiens.

Ainsi àLaghouat où nous avions 300 étudiants volontaires avec seulement douze français et douze tunisiens un peu plus expérimentés... On n'a refusé personne, mais fait tourner au mieux cinq groupes en les dédoublant comme plus haut.

Autre exemple : en Tunisie où nous avons eu environ cinquante étudiants et professeurs par site, nous avons choisi de mettre en place 5 trios de formateurs (de trois nationalités, dont au moins un bien formé), pour animer cinq groupes de stagiaires, avec un superviseur par groupe, et toujours par ailleurs un comité de pilotage et des temps de régulation.

Nous vivons un effet boule de neige, quantitatif et qualitatif : partons de la base, passons par le volontariat contagieux accompagné. Sessions denses ! Chacun quand il est prêt anime avec un tuteur si nécessaire, et sous le regard d'un superviseur qui veille...

Encore faut-il que chacun accepte une critique formatrice et soit prêt à reconsidérer sa pratique quelle qu'elle soit, d'animateur, d'observateur ou de tuteur... Ce qui est aussi un objectif de formation !

c) L'analyse de pratique et la métacognition sont de rigueur

Action et analysesont liées : "On est tous toujours en formation, du même côté de la barrière, du côté du savoir vivant et pas du savoir fossile !'' dit souvent P. Meirieu.

La Métacognition a une place privilégiée dans nos formations! Les obstacles nous font réfléchir et grandir.

Questions et observations qui reviennent souvent :

  • L'attitude " professeur" qui bloque, comment la faire évoluer ?
  • L'exemple-confidence qui distrait et n'appuie pas l'argumentation.
  • L'exposé débat avec 1'expert seul.
  • Le nombre trop grand ou trop petit de participants.
  • L'animateur trop bavard ou trop silencieux.
  • Le tuteur qui intervient trop et à la place de l'apprenti, ou pas assez.
  • Le choix de la question ''philosophique''.
  • La non-intervention de l'animateur en atelier court.
  • Les critères des "bonnes raisons"...

Questions débattues : on se demande en quoi il y a problème, pourquoi et quelles sont les solutions trouvées ailleurs ou pas. L'avis du groupe méthodologique est sollicité...

d) Options pour le choix d'un public : intergénérationnel, interculturel, interconvictionnel et interstatutaire !

Ce choix est fait pour provoquer quelquefois une décentration salutaire, provoquer la reconnaissance de l'autre quel qu'il soit comme personne pensante, et faire vivre une parité dans l'ordre des raisons.

Exemples :

Intergénérationnel : élèves du primaire et résidents de la maison de retraite (Cf. Annexe3).

Interculturel et interconvictionnel : Maghreb/Europe ; Ibadite / Malékite ; Athée/Croyant...

Interstatutaire : professeur /élève ; inspecteur/ enseignant...

Nous avons tenté cette aventure et trouvons qu'elle est salutaire, la parité instituée libérant la réflexion du conformisme et de la soumission.

e) Indispensable pour nous : le climatde respect de l'autre et de la règle, quelquefois difficile à maintenir avec des personnes qui mettent la spontanéité en premier ! Entendu par exemple : ''Je ne respecterai pas la règle de demander la parole, c'est trop scolaire!''.

Notre réponse : celui qui refuse la règle sort de lui même du projet du groupe si c'est possible (si on n'est pas dans un cadre scolaire où tous les participants doivent demeurer sous la responsabilité de l'enseignant), de la séance d'échanges, sauf s'il propose une autre règle et la fait accepter... Un groupe ne peut vivre sans règle consentie (Solution trouvée : donner à l'opposant un rôle d'observateur).

Pour favoriser l'instauration d'un climat de respect des personnes, nous cherchons à faire prendre conscience que dire " Je ne suis pas d'accord avec toi quand tu dis que", est plus respectueux de l'autre que dire : "Je ne suis pas d'accord avec toi". Cette dernière formule étant de toute façon préférable à un passage à l'acte violent ! On s'achemine vers un débat d'idées en intégrant la formule : "Je ne suis pas d'accord avec l'idée que..., parce que..".

f) Nos supports. Au début, nous avons utilisé surtout des extraits d'ouvrages de Matthew Lipman et d'Ann Margaret Scharp. Aujourd'hui, nous explorons toutes sortes de supports dont les Contes Soufis de Brenifier ou les Contes d'Audrey Ann de M.-F. Daniel (L'extrait "Vincent et la bande des grands" est souvent utilisé quand on aborde la peur ou la violence)! Les vidéos de micro-trottoir ou d'humoriste sont de bons déclencheurs. Ainsi Franck Lepage sur La langue de bois nous a amenés à nous demander ce que veut direparler; Samia Orosemane, humoriste tunisienne, sur le sujet : "Peut-on rire de tout ?", nous a permis de réfléchir sur un sujet brûlant et de nuancer bien des propos...

Dans notre réflexion actuelle, nous préférons comme support-texte le récità l'extrait d'essai philosophique trop dense, inclinant plus à chercher à comprendre la pensée d'un autre qu'à réfléchir sur des problèmes qu'on se pose vraiment soi-même. Nous utilisons BD, affiches, poésie ou textes littéraires, fables et contes (ex les Fables de La Fontaine...). Nous utilisons aussi un florilège de citations courtes de philosophes sur le sujet traité.

g) Effets de la formation, exemples de créativité pédagogique, nos résultats

- En France

Après deux jours de formation à Foix, Philofoot est apparu (réflexion sur l'éthique du sport). De même, un atelier animé par une documentaliste et un professeur de mathématiques a été mis en place et gagné tout l'établissement dans un collège de l'Ariège. Dans le Lot, après un stage de liaison école-collège, un atelier intercatégoriel élèves-professeurs est créé au foyer, des ateliers sur la peur de la 6ème ont été mis en place, des enseignants créent des panneaux de règles, à faire commenter par les participants...

Arp-philo, présent dans le sud-ouest, intervient dans la cité (clubs d'aînés, ateliers intergénérationnels avec des séniors en association, ateliers d'enfants en bibliothèque municipaleou en clubs sportifs) et le milieu scolaire (formation d'enseignants et de cadres, ateliers d'enfants en Clae et en classes, notamment avec l'Occe et la Ligue de l'Enseignement).

- En Algérie

Après un stage à Ghardaia, mise en place d'un atelier en 4ème de collège. Un voyage scolaire organisé vers Tlemcen permet une démonstration d'atelier philo devant les cadres de l'Éducation invités. Ces derniers, séduits, nous demandent une formation sur place, avec ateliers d'élèves volontaires. Et c'est le point de départ d'un autre chantier !

A Laghouat, un professeur de l'École Normale Supérieure se lance dans l'animation d'un atelier philo avec ses étudiants et réussit si bien à les captiver que son chef d'établissement nous demande à son tour d'organiser une formation en mars 2014.

- En Tunisie, Gleya Maatallah et nos amis créent l'AMPC.

II) Complément rédigé par Gleya Maatallah, Présidente de l'AMPC, sur l'action menée avec les tunisiens.

Avant d'aboutir à des sessions internationales de formation à l'animation de moments de réflexion partagée dans trois pays de deux rives (France, Algérie et Tunisie), notre travail a commencé par un contact avec des étudiants de 2ème année de licence, dans leur cours de CFC. Le professeur nous a laissé sa classe et ses étudiants pour l'animation d'un débat sur la femme et la liberté (c'était le thème du cours et les documents du professeur n'ont pas été changés, une sélection de textes sur la femme confrontée aux problèmes de la modernité). Malgré le nombre réduit des participants, (deux enseignants et une dizaine d'étudiants), le principe "Apprenons à écouter la différence pour mieux penser par nous-mêmes avec les autres" était atteint.

Le public homogène (étudiants de même niveau) a vite saisi l'intérêt de la situation d'échange dans sa particularité : il s'agissait pour tous d'une première expérience de développement personnel dans un penser par soi-même impliquant l'écoute attentive de la pensée de l'autre. Prise de parole facile, malgré des difficultés de langue, et grande liberté d'expression: "Je n'ai jamais eu l'occasion de parler de moi-même en dehors du cours, avec des étrangers, en français" ; "Pour moi, je vis un manque de liberté quand je me sens empêchée de sortir de la maison dès que je rentre de l'université alors qu'ici, je me comporte librement" ; ou encore "On étudie des choses sur la liberté, de Simone de Beauvoir, mais, dans la vie, mon père me marie à mon cousin". Donc, en plus de la parole libérée, une prise de conscience de soi dans sa relation à l'autorité, la tradition, à la modernité handicapée par la force de l'autorité se produit.

Ce premier contact s'inscrit dans un contexte de violence intégriste qui sévissait alors contre l'Institution, contre la différence, la liberté, la femme. Danièle Dupin était alors venue nous soutenir. La faculté des Lettres organisait alors "La semaine de la Culture", mais elle était empêchée en particulier cette journée où toutes les manifestations artistiques étaient entravées, et les affiches saccagées.

La mise en place de sessions entières (une dizaine de jours chacune) autour d'Arp-Philo et autres associations des deux rives a été facile. Chaque session s'appuie sur un programme de formation réfléchi et qui vise :

  • La construction de la pensée méthodique, dans une expression libre, maîtrisée et argumentée.
  • L'écoute attentive et le respect de la pensée de l'autre dans sa différence.

L'originalité de la pratique de l'animation et son efficacité apparaissent dans la maîtrise et l'adaptation des ateliers (atelier court, atelier classique et atelier citoyen, adaptation du café citoyen en France), dans un cadre interculturel et intergénérationnel. Nouveau : les participants sont des retraités dans plusieurs domaines (avec une majorité d'enseignants), des enseignants en exercice, des apprenants stagiaires de tous les âges, de l'école primaire aux étudiants de master et doctorants de plusieurs disciplines. La variété des supports (textes de tout genre, BD, chants, films et exposés) est adoptée et adaptée dans tous les sites d'animation, parfois en tenant compte de l'actualité du pays, de l'institution (Club de français de la faculté des Lettres, Club Unesco du Bardo, Maison de la Culture de Tunis, puis les différents amphis et salles d'animation de l'Université).

Avec le succès de la première session (Tunisie mars 2012), le projet mûrit et le groupe s'agrandit avec l'implication de participants algériens (venant de plusieurs institutions : ENS Laghouat, Inspecteurs de Tlemcen, Université secteur des langues). En tout, cinq sessions depuis 2011: trois sessions en Tunisie, une en Algérie et une en France. Si les outils d'animation et les objectifs sont les mêmes, chaque session va se caractériser par des détails propres.

Je citerai l'exemple d'un atelier qui a retenu l'attention de tous les participants, des enseignants et des parents d'élèves eux-mêmes présents. A Tlemcen (Algérie, mars 2014), les élèves d'une école primaire, ramenés de leur journée de vacances pour participer à un atelier classique animé par Mme Zohra Belarabi de Ghardaïa, à partir d'une fable de La Fontaine : Le corbeau et le renard.La lecture de la fable et la sélection d'une question "Faut-il se méfier de tout le monde ?", a amené à une réflexion libre sur le comportement des deux animaux, puis à des développements surprenants de la part d'enfants de 10 à 12 ans.

A Gafsa (Tunisie), s'est déroulée la deuxième semaine de la dernière session (26 octobre-7 novembre 2014), sous l'égide des deux associations Arp-Philo et AMPC, nouvellement créée avec un travail dans des Instituts Supérieurs de Langues et Humanités, une journée à l'ISAM, une journée dans un lycée secondaire

Le thème principal "La Violence dans les milieux éducatifs" était prégnant, mais on a aussi abordé la communication, la créativité, la relation maître-élève.

En dehors d'une pratique efficace de la méthode dans les trois types d'ateliers, les journées de Gafsa ont été marquées par une ambiance d'échange et d'écoute remarquables, dans laquelle je voudrais signaler :

  • l'animation assurée par des jeunes étudiants algériens, qui ont accepté de se lancer dans l'aventure : maîtrise des outils, distribution de la parole, progression dans l'élaboration de la pensée (arguments, exemples vécus) ;
  • le témoignage d'un jeune inspecteur tunisien qui a adopté la méthode dans les établissements de sa circonscription. Après avoir assisté à une session, il a repris les protocoles Arp-Philo pour l'animation d'ateliers de réflexion partagée avec ses professeurs et leurs élèves en zone rurale.
  • l'action des jeunes lycéens lors de la deuxième journée au lycée Houcine Bouzaiene. On note une participation de 87 élèves volontaires dans l'atelier citoyen (contre 64 à la session précédente), avec une expression libre et aisée dans les autres ateliers (courts et classiques), pour finir par des créations artistiques originales. En deux jours, cinq représentations artistiques sur la violence dans les milieux éducatifs et ailleurs, famille, société, inscrites dans l'actualité politique du pays, sont offertes aux participants (caricatures en noir et blanc sur diverses situations de violence verbale entre professeurs et élèves...).

III) Conclusion

Nous projetons une session internationale en octobre 2015 en France, à Toulouse, des formations éclairs de rappel en Tunisie, Algérie, Belgique, d'initiation au Maroc, d'initiation en Europe auprès de cadres francophones.

Notre point d'étape est positif, même si nous ne bénéficions d'aucune aide, et devons compter uniquement sur un autofinancement solidaire difficile !

Nos sessions en France et au Maghreb sont internationales, elles visent à conforter la formation d'animateurs de ''moments philo'' par la pratique et la réflexion sur la pratique (selon nos 3 protocoles), par l'échange de témoignages et l'analyse des expériences tentées. Nous travaillons sur l'ambiance et la motivation autant que sur la rigueur, et comptons sur l'effet boule de neige !

Nos formules-citations-questions vedettes :

  • La différence richesse, ou handicap ?
  • Ne pas chercher à répéter un propos intelligent, faire oeuvre d'intelligence !
  • A toi de faire du problème l'occasion de grandir !
  • Ne pas confondre esprit critique et esprit de critique !
  • C'est-à-dire est une expression très philosophique !
  • Et pour finir, en arabe on dit souvent "Mayereliche": ce n'est pas grave, on va trouver une solution !

Annexe 1 : "Y-a-t-il un âge pour philosopher ?"

- "En vue de la promotion d'une Culture de la Paix, de la lutte contre la violence... le fait que les enfants acquièrent très jeunes l'esprit critique, l'autonomie à la réflexion et le jugement par eux-mêmes, les assure contre la manipulation de tous ordres et les prépare à prendre en main leur propre destin " (Yersu Kim Directeur, Division de la Philosophie et de l'Ethique, UNESCO, 1998).

- "Que nul n'étant jeune ne tarde à philosopher, ni vieux ne se lasse de la philosophie. Car il n'est pour personne ni trop tôt ni trop tard pour assurer la santé de l'âme..." (Epicure, Lettre à Ménécée).

- "On a grand tort de la (la philosophie) peindre inaccessible aux enfans, et d'un visage renfroigné, sourcilleux et terrible. Qui me l'a masquée de ce faux visage, pasle et hideux ? Il n'est rien plus gay, plus gaillard, plus enjoué...

"Puis que la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l'enfance y a sa leçon, comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on? (...) Otez toutes ces subtilités épineuses de la Dialectique, de quoi notre vie ne se peut amender, prenez les simples discours de la philosophie, sachez les choisir et les traiter à point : ils sont plus aisés à traiter qu'un conte de Boccace. Un enfant en est capable, au partir de la nourrice, beaucoup mieux que d'apprendre à lire ou à écrire. La philosophie a des discours pour la naissance des hommes comme pour la décrépitude" (Montaigne, Essais)

- "L'étudiant qui sort de l'enseignement scolaire était habitué à apprendre. Il pense maintenant qu'il va apprendre la philosophie, ce qui est pourtant impossible car il doit désormais apprendre à philosopher. Pour pouvoir apprendre la philosophie, il faudrait d'abord qu'il en existât réellement une... On abuse de la confiance du public lorsqu'au lieu d'étendre l'aptitude intellectuelle de la jeunesse qui nous est confiée et de la former... on la dupe avec une philosophie prétendument déjà achevée qui a été imaginée pour elle par d'autres... La méthode spécifique de l'enseignement en philosophie est zététique (de zeiten, rechercher) c'est à dire qu'elle est une méthode de recherche..." (Kant, Annonce du programme des leçons hiver 1765-1766).

Annexe 2 : Les trois protocoles ARP-PHILO

1) Protocole atelier court

15 à 30 mn. Inspiré des modalités AGSAS, privilégié lorsqu'on a peu de temps, un petit groupe (10), et qu'on veut prioritairement libérer la parole.

a) L'animateur prend 5 mn pour expliquer le protocole, et annoncer les étapes ; 15 à 30 mn selon la taille du groupe pour faire tourner le bâton (au moins 3 fois) ; 15 à 30 mn pour l'échange sur le vécu ; 1h en tout au maximum ! L'animateur énonce la question. Après une ou deux minutes de silence méditatif sur le sujet donné, le bâton de parole circule. On peut fonctionner avec 2 groupes de 10 alternativement acteurs (15 mn) puis observateurs (15 mn) ; l'échange final se fait alors avec les deux groupes réunis.

Règles - Chacun peut s'exprimer tant qu'il a le bâton de parole en main (pas trop longuement, il faut que tout le monde puisse parler plusieurs fois, le bâton repassera), puis passe le bâton à son voisin. On peut passer son tour. Pas d'interactions explicites, chacun intègre ou pas ce qui lui convient dans ce qu'il a entendu, se positionne s'il veut par rapport à ce qui ne lui convient pas, sans interpeller l'auteur. Pas de débat, sinon intérieur, pas de forcing pour convaincre : juste des arguments et des exemples pour étayer son propos!

b) Tours de table, autant de tours qu'on peut dans le temps imparti, le dernier tour est annoncé par l'animateur : "Je rappelle la question (...), c'est votre dernier tour de parole !".

L'animateur met le bâton de parole en jeu. Il peut ensuite se mettre en retrait, et dans ce cas ne participe pas aux tours de table ; il note ce qui se dit, pour renvoyer plus tard éventuellement ses observations. S'il décide de participer, il précise que sa parole n'a ni plus ni moins de poids que celle des autres.

c) Expression sur le vécu de la séance, tour de parole : au bout de trois tours ou plus selon le nombre, l'animateur revient dans le cercle. Il peut demander : "Qui veut dire comment ça s'est passé pour lui ?". Ou : "Qui peut dire où il en est maintenant et s'il a identifié ce qui l'a fait bouger ?". Petit moment d'échange conclusif.

2) Protocole classique

Lorsque le groupe est d'une quinzaine et qu'on dispose d'environ 2 h. L'animateur définit et distribue des rôles (secrétaire-synthétiseur, observateurs, éventuellement distributeur de parole, à ce moment là, lui animateur, a priorité pour intervenir comme garant de la teneur philosophique du propos...).

Les étapes sont précisées au début. Les règles de l'échange sont rappelées avant le débat : si on veut parler, on demande la parole ; on n'interrompt pas celui qui parle. La parole est donnée dans l'ordre où elle a été demandée avec priorité à qui ne l'a pas encore eue. L'animateur est le gardien de la teneur philosophique du propos (Il reformule, questionne, demande des exemples, des arguments, renvoie au groupe... sans toutefois trop intervenir).

Déroulement de la séance :

  • Découverte du déclencheur (texte, affiche, film, BD, jeu...).
  • Collecte des questions qu'on a envie de creuser ensemble et choix d'une question.
  • Silence pour préparer sa première expression ;
  • 1er tour de table ou tour de parole, sans interactions explicites... L'animateur peut proposer un deuxième tour.
  • Débat : la parole est demandée, on argumente, on écoute, on essaie de ne pas lever le doigt tant que quelqu'un parle ;
  • On termine par un tour de table pour donner synthétiquement sa conclusion sur le sujet ;
  • Enfin dans un dernier tour de parole, on peut dire comment ça s'est passé pour soi, et sans reprendre le débat, ce qui a bougé en nous et éventuellement à partir de quoi...

Chacun ne parle que pour lui-même, personne ne peut prétendre parler au nom du groupe ni détenir la vérité absolue. On évite de chercher à convaincre à tout prix.

3) Protocole "Atelier (café) citoyen à visée philosophique

Si le groupe dépasse 20 participants et si on a un local assez vaste dans un lieu public pour ouvrir aux citoyens volontaires, et un intervenant (ou un lanceur vidéo). Le présenter. Il parle 20 mn sur le sujet convenu. Le débat est de l'ordre de 3/4 d'heure.

Débat : l'animateur invite chacun à réagir au propos de l'intervenant sur les thèmes philosophiques repérés, écho, opposition, question ou apport. Il gère la progression collective vers un approfondissement des questions philosophiques posées. Il rappelle les règles du débat : "Quand on veut parler, on demande la parole en levant le doigt. On donne son prénom, l'animateur inscrit les demandeurs. La parole est donnée dans l'ordre, mais prioritairement à qui ne l'a pas encore eue, puis au conférencier à la fin. Quand on a la parole, on essaie de ne pas être trop long et de ne pas sortir du sujet. On ne se coupe pas la parole et on ne fait pas d'aparté ni de controverse à deux. Deux maîtres mots : écoute et respect des personnes, surtout si l'on n'est pas d'accord ! On essaie de ne pas juxtaposer les interventions, mais d'enchaîner sur les propos des autres. On ne se limite pas à des questions-réponses à l'intervenant.


(1) ARP-PHILO, dont le siège est à Toulouse, déploie ses activités entre l'Europe (France-Belgique) et le Maghreb (Algérie-Tunisie), en partenariat avec l'AMPC en Tunisie.
En France ARP-PHILO est présent en Midi Pyrénées où il intervient dans la cité (club des aînés ou maison de retraite, ateliers intergénérationnels, animation de bibliothèques, de clubs sportifs...) et en milieu scolaire (formation d'enseignants du 1er et 2ème degré, ateliers d'enfants en classe et en CLAE...).
Originalité d' ARP-PHILO  : Son travail avec le Maghreb et ses options de formation à partir de pratiques effectives d'animation incluant une réflexion méthodologique qui a conduit à ''fixer'' aujourd'hui trois protocoles types. L''animateur choisit selon les situations pour amener dans tous les cas les participants à penser par et pour eux-mêmes avec les autres de manière philosophique.
Notre bilan intègre comme ''signes d'impact et de réussite'' les très nombreuses demandes de formation émanant du terrain et les essais de réinvestissement enregistrés.
Une intervention au Maroc est prévue pour février 2015 et une formation internationale sera organisée à Toulouse en octobre de cette même année.

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