Revue

Philosophie en jeux et enjeux

I) Le cadre de ma pratique

Le projet Philéas&Autobule a pour objectif de promouvoir la pratique de la philosophie avec les enfants -ainsi que ses rapports avec les apprentissages scolaires - par le biais d'une revue entièrement consacrée à un thème philosophique, et d'un dossier pédagogique qui en définit les enjeux. Le but est d'offrir un bel outil aux enseignants - ainsi qu'à toute personne menant des réflexions avec des jeunes - mais également les moyens d'exploitation de cet outil. À cet égard, le dossier pédagogique constitue le médium par lequel les enseignants disposeront de propositions concrètes non seulement pour travailler des pratiques "philo" à partir de la revue et du questionnement des enfants, mais aussi pour réinvestir ce dernier dans des leçons et des activités pédagogiques diverses.

L'écart qui subsiste entre l'écrit et la réalité du terrain ne permet pas toujours aux enseignants de percevoir comment démarrer avec la revue et c'est dans ce cadre-là que j'interviens, en proposant un accompagnement par le biais d'animations et de formations qui exploitent le support de réflexion que constitue la revue. J'ai été amenée à développer différents outils d'animation, notamment des jeux philo, qui sont autant de mises en scène au départ des pages de Philéas&Autobule.

Pourquoi ces jeux sont-ils créés et comment fonctionnent-ils ? Qu'apportent-ils de différent par rapport à un atelier philo "classique" ? Comment réagissent les instituteurs et les enfants ? Voilà les questions auxquelles le présent article se propose de répondre.

II) Pourquoi des jeux philo ?

A) Au départ : pour donner du sens à une animation ponctuelle

Pour diverses raisons - la plupart du temps liées à des contraintes pratiques et matérielles - je suis souvent appelée dans les classes pour des animations ponctuelles plutôt que pour des projets récurrents. Or quand j'ai débuté les animations pour la revue, j'étais confrontée à la méconnaissance de la démarche de philosophie pour enfants par les personnes qui sollicitaient mon intervention. Elles étaient surprises qu'aucun contenu informatif, qu'aucun message ne soit délivré, voire qu'on s'arrête parfois au stade de la problématisation : travailler des questions sans tenter d'y répondre. De prime abord, les animations ne rencontraient pas leurs attentes et leurs projections, quand bien même ces personnes avaient reçu un descriptif de la méthode, de ses enjeux et principes. En outre, les enfants pouvaient avoir l'impression de n'avoir rien fait et ne pas percevoir l'intérêt de l'exercice, encore moins s'ils étaient confrontés au scepticisme de l'enseignant. Le risque était donc de quitter des groupes en laissant de mauvaises traces affectives liées à l'activité philosophique, et de déterminer une connotation négative, voire péjorative, à cette dernière. Ce qui n'est évidemment pas notre objectif.

C'est la raison première pour laquelle j'ai développé des jeux philo. En effet, construits autour d'un thème, ils permettent aux enfants de donner du sens à une animation ponctuelle ("On a fait un jeu pour réfléchir sur l'amour, la violence, le respect, le Beau, etc."), même si les enseignants ne reprennent pas ensuite à leur compte la démarche de philosophie avec les enfants.

B) Pour développer à l'aide d'exercices plus ciblés les outils de structuration du discours.

Par rapport aux deux dimensions reconnues au philosopher, à savoir celle de clarifier sa pensée, la structurer et la conscientiser, et celle de se poser dans la réalité, de se positionner dans son rapport au monde et lui donner du sens, les jeux philo tels que conçus dans notre projet permettent de développer davantage la première dimension, sans exclure pour autant la deuxième.

Les jeux permettent en effet de travailler une réflexion sur le discours de manière rigoureuse et précise parce que leur mise en oeuvre déploie la plupart du temps une palette de petits exercices spécifiques aux compétences du philosopher. L'intérêt est de savoir exactement ce que l'on travaille dans la structuration de la pensée et du discours (on cherche des exemples, on établit des raisonnements hypothétiques, on reformule, etc.). Ainsi, un objectif des jeux philo est de développer de manière plus systématique quelques outils de la pensée.

C) Pour développer certaines compétences citoyennes (travail en équipe, écoute, représentativité du groupe)

Les jeux philo demandent souvent de travailler par équipes, ce qui permet aux enfants plus réservés face au grand groupe de trouver un espace d'expression et de parole plus rassurant. Alterner les discussions en grand groupe avec des discussions en petits groupes permet d'accroître le taux de participation. De plus, ce système permet de faire vivre des principes démocratiques comme celui de la représentation (un enfant "ambassadeur" parle au nom de son équipe) ou celui du compromis (tous les arguments ne sont pas retenus, les enfants d'une même équipe doivent se mettre d'accord pour prendre des décisions communes).

D) Pour l'effet de surprise et la vigilance de l'animateur

La variété des dispositifs, ludiques ou autres, permet de stimuler la curiosité des participants et de renouveler leur attrait pour les ateliers. Ils découvrent d'autres manières d'agir pour philosopher. Mais cette diversité proposée permet aussi de renouveler la fraîcheur de l'animateur dans sa réactivité par rapport à ce qui est dit et fait. Sans avoir exactement les mêmes enjeux qu'une discussion à visée philosophique, cette pratique des jeux philo permet d'enrichir l'expérience de terrain et de diversifier les approches avec un groupe. Ils constituent dès lors une approche complémentaire aux discussions à visée philosophique.

E) Pour l'engagement des participants

Force est de constater l'effet perlocutoire d'un énoncé du type "on va faire un jeu". L'engagement et le plaisir sont immédiats. Le jeu dédramatise tout car c'est un double de la réalité, un espace protégé et libre, une réalité parallèle pour appréhender celle que l'on "subit", celle qu'on doit apprivoiser, apprendre à maîtriser, intégrer, digérer ; comme disent eux-mêmes les enfants "c'est pour du semblant" ou "c'est pour jouer".

Dans tout atelier philo, cet aspect ludique est présent et permet la dédramatisation du discours. Ce qu'on dit, la parole, est toujours perfectible. On joue à identifier des problèmes, à les valoriser et à tenter de les résoudre.

Toutefois, en animation ponctuelle, cette dimension ludique n'est pas évidente à mettre en place, les enfants ayant du mal à sortir de leurs carcans habituels, de la posture qui les pousse à rechercher ou à reproduire le discours que l'autorité attend d'eux. Il n'est donc pas vain d'annoncer la couleur. La formule "on va faire un jeu" permet d'aller plus vite dans l'ancrage de la posture acceptée du "je ne sais pas".

F) Pour la formation des animateurs (corrélat de tout ce qui précède)

Au fur et à mesure des formations et des rencontres diverses avec des enseignants ou des animateurs, l'intérêt pour les jeux a révélé son potentiel formateur et "accrocheur de la démarche".

Les jeux font découvrir la philosophie de manière ludique et aident les animateurs "novices" à se sentir plus à l'aise, car si le cadre n'est pas très rigoureux (toute discussion à visée philosophique a des exigences de rigueur bien précises), il est toutefois plus évident et mieux balisé.

Par ailleurs, la formule ludique offre l'avantage d'impulser un rythme à l'animation. Changer régulièrement de question permet de se rassurer quant à l'éventuel moment plus creux qui pourrait survenir au cours de l'animation. En tant qu'animateurs, nous ne sommes pas non plus toujours au meilleur de notre forme ni sensibles aux mêmes idées, raisonnements ou questions que le groupe. L'essentiel est de rester serein et ouvert à ce qui arrive dans la discussion pour pouvoir, le cas échéant, creuser un peu plus loin telle ou telle réflexion et s'offrir quelques perles philosophiques. Tous les autres moments sont déjà apprentissage de l'écoute et de l'expression orale, ce qui n'est déjà pas si mal.

Outre le fait de rassurer, le cadre offert par les jeux permet de cibler certains processus de pensée et donc de mieux s'y frotter, de les manipuler, de s'y exercer et par conséquent d'augmenter sa conscience de l'outil, ce qui sera éminemment utile ultérieurement dans des discussions "longue durée", dans leur repérage et leur mobilisation à bon escient.

II) Exemples de jeux avec leurs principes

Remarque liminaire : les jeux présentés ci-dessous ne le sont pas dans une forme aboutie ou achevée. En l'état, ils témoignent encore de leur caractère expérimental et ne sont pas transmissibles, au mieux sont-ils transposables ; ils sont mes outils que j'arrive à manipuler malgré leurs défauts ou imperfections. En effet, expérimentés sur le terrain, des difficultés sont apparues, liées aux modalités pratiques notamment, mais l'objectif n'est pas ici de montrer quelles adaptations ont pu être faites. L'idée n'est pas de fournir des outils finis, mais bien d'illustrer le propos dans un esprit de laboratoire d'une réflexion encore en chantier sur différentes formes de dispositifs dans les pratiques philosophiques.

A) "Extraits en questions"

Principe

Un premier type de jeu philo est celui que j'ai intitulé "Extraits en questions". Dans un texte, de nombreuses phrases passent souvent inaperçues quand bien même seraient-elles loin d'être anodines. L'objectif de ce jeu est donc de montrer que chaque phrase d'un texte philosophiquement porteur a son importance et peut être questionnée. Chaque phrase d'une histoire est donc reprise sur une carte qui la "traite" à travers un exercice. Il y a différentes catégories de cartes offrant diverses entrées à la réflexion. Les cartes proposent tantôt des exercices de conceptualisation (c'est souvent le cas des cartes "choisir" et des cartes "trouver des points communs et des différences"), tantôt des exercices d'inférence ou d'interprétation (cartes "imaginer"). On pourrait démultiplier les types de cartes selon les habiletés de penser que l'on souhaite développer.

Descriptif

Jeu d'équipes (3-4 enfants par équipe).

Une histoire est lue aux enfants. Ensuite des cartes sont étalées, face cachée et de manière aléatoire, en rectangle (28 cartes étalées en 7x4 par exemple). Sur chaque carte est repris un bref extrait du texte et une question est posée par rapport à ce dernier. Sur le verso, face visible, apparaît un dessin de Philéas et Autobule indiquant le type de question à laquelle on a affaire.

Il y a quatre catégories :

1) Choisir : parmi plusieurs réponses proposées, il faut en choisir une et argumenter ce choix.

Exemples pour cette catégorie :

Extrait n° 10 : "Comme chaque jour, il ne prit personne en faute"1.

Question : L'absence de désobéissance est-elle une présence de respect ? Justifiez votre choix.

  • Jamais
  • Toujours
  • Souvent
  • Parfois

Extrait n° 20 : "Bon, fit François résigné"2.

Question : Être résigné cela signifie plutôt... renoncer ? Ou plutôt accepter ?

2) Imaginer : ce peut être imaginer des exemples ou des conséquences. L'exercice, s'il laisse une part de création, en appelle néanmoins à une justification logique et argumentée.

Exemples pour cette catégorie :

Extrait n°17: "on l'appelait François la balance"3.

Question : Quelles sont les origines des surnoms et leurs buts ? En reliant les mots de chaque colonne, imaginez trois situations différentes à l'origine d'un surnom et illustrez-les d'un exemple.

QUI QUOI POURQUOI
Un ami
Un parent
Un ennemi
Un inconnu
Une connaissance
Le caractère
Le physique
Un acte
La sonorité du prénom
Nuire
Distinguer
Se moquer
Informer
Intégrer
Valoriser
Aimer

Extrait n° 20 : "Bon, fit François résigné"4.

Question : Imaginez une autre solution possible que celle de la résignation (qu'aurait pu faire François au lieu de se résigner, et quelles en auraient été les conséquences) ? Argumentez.

3) Mimer et deviner : une liste de mimes est proposée en rapport avec une notion de l'extrait.

Les mimes sont des exercices de reformulation intéressants car ils obligent à traduire une idée dans des attitudes et/ou par une gestuelle précise. Ils poussent d'une part celui qui mime à se poser des questions sur "comment faire passer telle ou telle idée ?", à utiliser d'autres sens aux mots, et d'autre part ils poussent ceux qui devinent à une plus grande écoute et attention envers celui qui mime. Vous pouvez annoncer aux enfants ce qu'ils doivent deviner : une expression, un proverbe ou encore le point commun entre deux mimes.

Exemples pour cette catégorie :

Extrait n° 3 : "et personne ne pouvait le contredire, refuser d'obéir à un ordre qu'il donnait en tant que chef ou même proposer quelque chose de nouveau pour la communauté"5.

Question : Fais deviner, en les mimant, ces différentes personnes qui donnent des ordres "en tant que":

  • parent,
  • prof,
  • chef d'orchestre,
  • chirurgien en salle d'opération,
  • colonel,
  • officier de tour de contrôle...

Extrait n° 22 : "Et c'est ça qui les fait rire ? demanda Mat.

Ben... oui, hi hihihihihihi, fit François sans pouvoir se retenir"6.

Question : Fais deviner les expressions suivantes en les mimant :

  • rire à gorge déployée
  • pleurer de rire
  • mourir de rire
  • se tordre de rire
  • un rire gras
  • un rire nerveux
  • un sourire
  • un fou rire
  • un rire jaune.

4) Trouver des points communs et des différences : il faut créer des liens et établir des distinctions. Généraliser et particulariser.

Exemples pour cette catégorie :

Extrait n° 14 : "A la fin de sa tournée il avait noté sur un carnet le nom de tous les lapins qui avaient ri en le regardant : il pouvait avoir un jour besoin de cette liste"7.

Question : À quoi servent ces différentes listes et quelle est leur utilité commune ?

  • une liste de courses,
  • une liste de mariage,
  • une liste de présences,
  • une liste d'invités,
  • une liste de pharmacies de garde,
  • une liste de Saint-Nicolas.

Quelle différence existe-t-il entre ces listes et celle de Mat ?

Extrait n°5 : "et muni de ses lunettes noires qu'il ne quittait jamais"8.

Question : Ces différentes personnes (sur la carte figurent Michael Jackson, un espion et un aveugle) portent toutes des lunettes noires. Pour quelles raisons spécifiques ? Et pour quelle raison commune ?

Le même principe de jeu a été intégré dans le contexte d'un autre jeu. Dans ce dernier, toutes les cartes qui questionnent un extrait forment une seule catégorie "jongler avec les idées". De la sorte, on peut encore varier librement les actions demandées, les habiletés travaillées.

Voici deux exemples issus de ce jeu9 :

Extrait : "Sourire figé, regard fixe, je ne bronche pas. Certains font de ces têtes ! Mais de ces têtes ! Hier j'ai failli avoir le fou rire tellement ils étaient tristes"10.

Question : La Joconde oscille entre sourire et rire. Quelle(s) différence(s) faites-vous entre rire et sourire ?

L'intérêt de cet exercice est de percevoir les enjeux parfois considérables qui peuvent se cacher derrière des nuances de notions voisines. En animation, des enfants ont déjà proposé les distinctions suivantes : le sourire est l'expression de l'humeur (joie, bonheur, bien-être) tandis que le rire est l'expression de l'humour (capacité intellectuelle, compréhension du ridicule ou du décalage de certaines situations). Ils ont également souligné le fait que c'était deux expressions différentes de soi-même.

Extrait : "Ca me fatigue de sourire mais si j'arrêtais je perdrais mon emploi"11.

Question : La Joconde se plaint d'être obligée de sourire sans arrêt. Trouvez des exemples de métiers dont la fonction nécessite de sourire.

Trouver des exemples de métiers équivalant à contextualiser la problématique du sourire obligatoire ou forcé et à analyser les raisons de cette obligation : sont-elles bonnes, légitimes, immorales ?

La première équipe envoie un ambassadeur. Au premier tour, celui-ci choisit la case d'où part son pion. Ensuite, le pion ne pourra être déplacé que sur une case adjacente. Il faut donc que les équipes réfléchissent pour positionner leur pion de manière stratégique (afin d'avoir rapidement une carte de chaque sorte, afin d'empêcher les autres d'accéder à une carte etc.).

Ensuite, l'ambassadeur lit la carte sur laquelle se trouve son pion à l'ensemble du groupe.

Pendant deux minutes, chaque équipe prépare des arguments et des contre-arguments pour la question soulevée dans la carte, car toutes les équipes dont ce n'est pas le tour sont des équipes "juges" de celle qui doit répondre.

L'équipe dont c'est le tour de jouer propose alors sa réponse et ses arguments.

Chaque équipe adverse délibère pendant une minute des points (1, 2 ou 3) qu'elle va attribuer à l'équipe répondant, et prépare sa justification à l'aide d'une grille d'évaluation pouvant être construite au préalable avec les élèves (par exemple : 1 point si cela correspond à ce que j'imaginais, 2 points s'il y a dans la réponse des éléments auxquels je n'avais pas pensés et 3 points si cela a fait évoluer mon point de vue). Cette grille n'est pas absolue et peut elle-même faire l'objet d'une discussion. Si c'est une carte "mimer et deviner", l'attribution des points est différente : 2 points quand celui qui mime fait deviner le mot à sa propre équipe, 1 point quand c'est une autre équipe qui devine et qui dès lors récolte aussi un point.

On fait le tour des évaluations des équipes "juges".

On totalise les points.

L'ambassadeur suivant peut venir lire une carte et on recommence.

Le but du jeu est de totaliser un maximum de points ainsi qu'une carte de chaque catégorie (l'avoir abordée suffit même si elle n'a pas rapporté de points à l'équipe).

Le jeu prend fin dès qu'une équipe a une carte de chaque catégorie en main. Cela peut bien entendu s'étaler sur plusieurs séances.

NB : Par rapport aux modalités pratiques des jeux (règles, durée, etc.) chacun est libre de les inventer. Une fois que l'on a les cartes, on peut les mettre en scène un peu comme on le souhaite en s'inspirant par exemple de la structure de jeux de société existants.

B) "La tête au carré" (aux idées reçues)

Principe

Lors de la conception d'un nouveau numéro de Philéas&Autobule, l'équipe de rédaction tente de dégager plusieurs problématiques liées au thème abordé pour les décliner dans les différentes rubriques de la revue. Le jeu consiste à extraire les questionnements qui y sont développés et à les présenter sous forme d'affirmations ressemblant peu ou prou à des idées toutes faites. L'animateur peut préparer ces affirmations à l'avance ou proposer aux participants de le faire eux-mêmes comme activité préalable ; ce qui offre l'avantage d'un temps individuel de réflexion et de préparation sur le thème.

Descriptif

Jeu d'équipes (3-4 enfants par équipe)

Des affirmations issues de la revue sont reprises individuellement sur des cartes et accompagnées d'une illustration. Plusieurs puzzles mélangés (en nombre égal à celui des équipes) sont disposés faces cachées sur une table. Sur un dé géant aux faces inscriptibles, six possibilités (une par face) de traitement des affirmations sont proposées. Par exemple :

  • Questionner
  • Faire des raisonnements hypothétiques (si... alors...)
  • Argumenter (c'est vrai car...)
  • Contre-argumenter (c'est faux car...)
  • Reformuler
  • Définir les mots en gras

Voici quelques exemples d'affirmations proposées à partir du n°17 de Philéas&Autobule "Pauvre riche !" novembre 2009 :

  • "Le temps c'est de l'argent"
  • "On n'est jamais satisfait de ce que l'on a"
  • "La vraie richesse, c'est ce que l'on est, pas ce que l'on a"
  • "L'argent ne fait pas le bonheur"
  • "Les pauvres sont contents de recevoir nos vieilles affaires"
  • "La pauvreté brise les rêves"
  • "L'argent change les personnes"

L'équipe qui commence tire une carte au hasard et lit l'affirmation à voix haute.

Ensuite elle lance le dé et découvre comment traiter l'affirmation.

Deux minutes de réflexion sont laissées aux équipes. L'équipe qui a tiré la carte réfléchit quant à elle au critère d'évaluation qu'elle va utiliser pour attribuer des pièces de puzzle aux autres équipes. Elle peut par exemple choisir le critère de l'originalité, de la quantité ou celui du travail en équipe.

Une fois le délai de réflexion écoulé, l'équipe dont c'est le tour demande à écouter les autres équipes dans l'ordre de son choix.

Ensuite elle annonce le critère d'évaluation préalablement choisi et délibère en fonction de ce dernier pour déterminer à quelle équipe elle octroie trois pièces de puzzle, puis deux puis une.

Les équipes viennent chercher leurs pièces.

L'équipe suivante tire une carte.

Même schéma jusqu'à ce qu'un puzzle soit fini.

Discussion sur la question soulevée par le puzzle.

Le but du jeu est d'être la première équipe à terminer son puzzle et à découvrir la question finale que dévoile ce dernier. Cette question lance une discussion argumentée sur la notion de "victoire", sur l'intérêt de perdre ou de gagner en vue de clôturer l'animation. Par exemple, un puzzle fait apparaître la question "Peut-on perdre à un jeu et en ressortir plus riche quand même ?" ; un autre "Peut-on perdre et gagner à la fois ?" etc.

III) En guise de conclusion : une réflexion sur la mise en scène des ateliers philo

Ce qui me semble pertinent de relever de cette présentation et des observations qui y sont liées, c'est un questionnement sur la diversité et la pertinence des cadres dans lesquels ou grâce auxquels peut s'opérer le philosopher. La forme est rarement gratuite dans les moments de parole collective ; il va de soi qu'on échange plus facilement si l'on se regarde, qu'on s'écoute mieux si l'ambiance est calme, qu'on reste concentré s'il l'on est bien installé, etc.Tous les moments de parole n'ont pourtant pas les mêmes enjeux. Il est donc légitime de se demander ce qui, dans le cadre proposé, est propre au philosopher. Quels sont les canaux qui vont permettre au mieux une intégration des processus du penser ensemble et par soi-même ?

Si philosopher c'est s'étonner, s'émerveiller ; si philosopher c'est faire émerger les problèmes et si philosopher c'est prendre conscience de soi, des autres et du monde et en explorer le ou les sens possibles, alors il est intéressant voire judicieux que le cadre déstabilise, déséquilibre, créé un inconfort propice au démarrage d'une pensée autonome, critique et créatrice.

À cela on pourrait rétorquer qu'il faut malgré tout installer des habitudes, des procédures progressivement acquises et maîtrisées pour pouvoir aller plus loin dans la recherche. Jongler avec la forme pour creuser le fond. Mais la pensée se suffit-elle à elle-même pour se renouveler ? N'y a-t-il pas, à proposer toujours le même canevas, un danger de lassitude et d'inattention dû à un aspect par trop routinier de l'activité? Sans compter ceux que l'on est susceptible de laisser sur le côté parce qu'ils ont un accès difficile à ce genre de posture ?

Ce qu'il faut, c'est sans doute une juste mesure entre confort et inconfort. Assez de surprise pour déstabiliser, déséquilibrer et mettre la pensée en exploration ; et suffisamment de repères pour instaurer une rigueur et une discipline du penser ensemble et par soi-même. Quels sont les éléments stables dans une pratique du philosopher, le questionnement de l'animateur ? Quels sont les éléments qui peuvent voire qui doivent évoluer? A quelle fréquence et comment ?

Quoi qu'il en soit, offrir la constance de la rigueur dans la variété des pratiques serait peut-être un principe d'action adéquat. Ne fût-ce que pour se prémunir du danger d'une recette toute faite, prête à l'emploi, et lutter ainsi contre l'instauration d'une pensée mécanique. Mais aussi pour favoriser l'accès pour tous à cette discipline ardue qu'est la philosophie à l'aide de stratégies de différenciation. Donner accès au plus grand nombre à l'abstraction langagière par des entrées perceptives multiples. Par exemple, pour des enfants qui ne maîtrisent pas le langage avec aisance et qui peuvent se raccrocher à des éléments concrets.

Par ailleurs, si philosopher est un processus d'exploration du sens, le cadre se doit d'être un rappel, une analogie des processus de pensée, à l'instar de la Communauté de Recherche de M. Lipman. Mais ce caractère expérimental doit pouvoir se jouer dans les formes instituées elles-mêmes. Or le cadre des jeux est celui de l'expérimentation sans cesse répétée et assumée comme dynamique, perfectible, mouvante, faisant apparaître progressivement ses atouts et ses limites, laissant surgir des opportunités qu'il faut apprendre à saisir pour augmenter la conscience de sa pratique, avec les participants comme partenaires.

Enfin une mise en garde s'impose de rester vigilant par rapport au côté séduisant de la mise en scène, afin qu'elle ne prenne pas le pas sur l'objectif de réflexion et de discussion collectives. Le décorum doit rester un dispositif qui permet le déploiement du philosopher sans le parasiter.

Alors comment éviter la gratuité de la séduction ? Si la mise en scène, voire la scénographie, laisse le souvenir d'une problématique, alors on a gagné. Si elle ne laisse le souvenir que d'elle-même, alors elle est inutile. On l'a dit, la scénographie permet un champ plus large de possibilités de compréhension et de mémorisation. Elle stimule le souvenir, laisse des traces déposées dans les objets concrets. Elle permet de solliciter en d'autres temps les problématiques évoquées lors de l'atelier, ou d'opérer des glissements sémantiques lors de situations et dans des décors semblables.

Tout ceci amène ultimement à se demander comment la richesse des multiples expériences de terrain, dans les Nouvelles Pratiques Philosophiques, peut-elle s'instituer sans se figer, et perdre par là même son essence ou se vider de sa substance ? Le débat est ouvert...


(1) Extrait tiré de Le chef Mat in Grégoire Solotareff, Contes d'été, éd. École des loisirs, coll. Neuf, 2009 et paru dans Philéas&Autobule n°16 "Total respect", septembre 2009, pp. 16-17.

(2) Ibidem.

(3) Ibidem.

(4) Ibidem.

(5) Ibidem.

(6) Ibidem.

(7) Ibidem.

(8) Ibidem.

(9) Ce jeu, intitulé Le tour de la question,fait l'objet d'une description complète dans le dossier pédagogique n°37 de Philéas&Autobule téléchargeable sur le site :
www.phileasetautobule.be

(10) Extrait tiré de Joconde in Claude Bourgeyx, Grosse tête et petits pieds, 28 histoires impertinentes, éd. Nathan, coll. Pleine Lune humour, et paru dans Philéas&Autobule n°37 "Que cachent les apparences ?, novembre 2013, pp. 8-10.

(11) Ibid.

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