Les discussions philosophiques de 5 à 18 ans en milieu scolaire : quels regards des sciences humaines et sociales ?
La problématique du colloque
Réfléchir à l'école est incontournable. Mais, l'école est-elle un lieu favorisant la réflexivité ? Ce colloque, à l'initiative de Emmanuelle Auriac, MCF HDR, et organisé par plusieurs laboratoires de recherches, s'est tenu à la Maison de sciences de l'homme et à l'ESPE de Clermont-Ferrand. Il s'est intéressé à un dispositif d'oral particulier : la discussion à visée philosophique ou atelier-philo. Ce dispositif fut à l'honneur dans la mesure où institutionnels, chercheurs, enseignants sont concernés par l'opportunité d'une institutionnalisation possible de pratiques pédagogiques effectives depuis plus de 15 ans en France et 30 ans dans le monde entier.
La communauté des sciences humaines et sociales, composée de linguistes, de psycho- logues, de philosophes, de chercheurs dans le domaine de l'éducation, des sciences du langage, de la formation s'intéresse différemment aux dispositifs mettant en jeu parole, pensée, réflexivité.
Quatre axes ont été proposés pour cerner l'impact qu'a une prise en considération des dispositifs visant la réflexivité pour accompagner la refondation d'une école républicaine, qui on donné lieu chacun à des communications :
- APPRENTISSAGE : activité de l'élève, développement du langage oral et de la pensée.
- ENSEIGNEMENT : activité de l'enseignant en situation lors de discussions philosophiques.
- FORMATION : réflexion sur les dispositifs et analyse de situations.
- CORPUS : analyse de corpus oral et multimode de type développemental.
Quelques apports des conférences
On trouvera l'ensemble des quatre conférences et les discours tenus à la table ronde sur la Web TV de l'Université Blaise Pascal Vidéo campus :
http://videocampus.univ-bpclermont.fr/
Marie-France Daniel (Québec) montrait comment la praxis du dialogue critique en classe, par la Communauté de Recherche Philosophique, contribuait à une éducation responsable.
Marielle Raspail et Virginie Lapique, en prenant le fil directeur de l'interaction sociale, étudiaient la mise en place, au cours des échanges dans une discussion "philosophique", d'une posture spécifique tant du maître que des élèves, dans le rapport à la langue, à soi et aux autres, au monde et à la vie, que l'on peut repérer au niveau de strates linguistique, discursive et interactionnelle. Leur interrogation sur "peut-on philosopher sans le savoir ?", suscitait un débat sur la nécessité dans la réflexivité d'une prise de conscience.
Harriet Jisa insistait sur l'importance déterminante des contextes dans l'usage oral et écrit de la langue. Les corpus de discussions philosophiques sont d'un grand intérêt pour les linguistes, car l'usage réflexif de la langue par les enfants et la façon d'animer du maître donnent lieu à une production langagière particulièrement riche, très différente d'autres contextes.
Les philosophes posèrent alors la question de l'intérêt des analyses linguistiques pour comprendre comment se déroule une discussion. La pensée ne se voit pas, mais elle prend forme dans et par le langage, qui lui peut être enregistré, transcrit et analysé. On peut donc comprendre la dynamique sociocognitive des échanges à travers des analyses langagières et interactionnelles. Ce qui va notamment intéresser un didacticien de l'apprentissage du philosopher, c'est la façon dont ce type d'analyse éclaire le recours dans la discussion à des processus de pensée qui assurent la philosophicité du discours. Un travail interdisciplinaire gagnant-gagnant s'impose ici, dès que le linguiste est au clair sur ces processus, qui peuvent finaliser ses analyses, qui intéressent au plus haut point le philosophe...
Se plaçant d'un point de vue philosophique, Samuel Heinzen (Suisse) montrait que si certains praticiens-théoriciens fondaient philosophiquement la discussion philosophique sur la base argumentative sur fond d'éthique communicationnelle de J. Habermas, on pouvait aussi, et contradictoirement, en appeler à la philosophie de Rorty à travers sa conception pragmatique du langage. Il terminait en se demandant, quelle est, dans la discussion, la responsabilité de chacun dans la transformation de l'autre...
Dans la table ronde terminale, Michel Tozzi développait les fondements philosophiques, éthiques, politiques, pédagogiques et didactiques d'une didactisation de l'apprentissage du philosopher. Il expliquait aussi comment la DVDP (discussion à visée démocratique et philosophique) pouvait être analysée comme une invention didactique à un moment d'évolution du système éducatif français (cf. son article dans ce numéro).
Rémy David montrait la nécessité absolue pour un professeur de philosopher d'innover, et en même temps la difficulté de pouvoir expérimenter dans le système actuel. Ce qui ne l'a pas empêché de travailler pendant dix ans au CLEPT de Grenoble, enseignant la philosophie de la 3e à la terminale, et depuis qu'il est dans un lycée ordinaire, d'avoir animé un projet de ciné philo pour toutes les secondes...
Luc Baptiste tirait quelques conclusions du colloque, qui avait gagné son pari de l'interdisciplinarité.
Quant à Pascal Séverac, il opposait Descartes, penseur solitaire du cogito, développant une pensée autarcique, à Spinoza, qu'il sentait plus proche de la conception de la discussion philosophique développée dans le colloque, en ce sens que chacun s'interconnecte aux autres, les affecte et en est affecté...
36 communications orales ou affichées-commentées selon les quatre axes
Quelques exemples :
- à l'initiative d'E. Auriac, la mise à disposition progressive d'une banque de données, le "Corpus Philosophèmes", constitué de discussions philosophiques, en vue de leur exploitation par des chercheurs à fin d'analyse ;
- analyses linguistiques à partir d'un corpus précis de discussion, sur la langue des enfants qui philosophent ;
- comment s'organise dans une discussion philosophique la situation communicative ?
- Quelle conception de la pensée est à l'oeuvre dans ces pratiques ?
- Quelle place pour le doute dans une DVP (Discussion à Visée Philosophique) ?
- Comment les élèves conduisent collectivement le raisonnement dans une DVP ?
- Le processus de la pensée critique dans un débat éthique ;
- le conte comme support d'une DVP en lycée professionnel ;
- philosopher en classe préprofessionnelle ;
- discussion philosophique et modification du rapport au savoir à partir de la question sexuée ;
- impact des pratiques philosophiques au collège ;
- le rôle de l'enseignant dans une discussion philosophique ;
- le rôle de l'enseignant dans la construction de contenus en situation de débat ;
- DVP et effets sur le rapport au savoir en éducation spécialisée ;
- expérience de cinéphilosophie en classe de seconde ;
- DVP et éducation au développement durable ;
- s'initier à la philosophie et raccrocher avec l'école ;
- phénoménologie de l'expérience enseignante de la discussion philosophique ;
- les pratiques de la DVP : identification de styles d'enseignement ;
- promouvoir la réflexivité en éducation mathématique.
- Etc.
Certaines communications seront publiées dans le n° 24 de janvier 2016 de la revue Recherches en éducation (Université de Nantes), sous la thématique :"Les ateliers-philo en contexte scolaire" (Coordination Emmanuelle Auriac). D'autres dans la Revue gabonaise de Recherche en Education, sous la direction de P. Usclat.
Une expérience de Communauté de Recherche Philosophique
Une originalité du colloque est de n'avoir pas seulement analysé des discussions philosophiques, mais d'en avoir vécu une. Elle fut animée par Michel Desmets (Belgique), qui proposa un dispositif lipmanien : lecture d'un extrait d'un roman de Lipman ( Mark), cueillette de questions (13), choix d'une question proposée ("Est-ce qu'être amoureux est la fin de la liberté ?"), et discussion sur la question. Des observateurs purent ensuite proposer leur analyse de la façon dont elle s'était déroulée.