Revue

Un atelier philo pour les seniors

Motivation

Ma motivation pour animer cet atelier comprend trois aspects :

A) Optique personnelle, voire narcissique :

  • me permettre de ne pas perdre mes connaissances philosophiques ;
  • en acquérir de nouvelles par la recherche effectuée pour la préparation de mes séances ;
  • me donner la motivation d'aller plus loin dans ma formation ;
  • satisfaire mon envie d'enseigner, mettre à profit le sens pédagogique que j'ai pu exercer dans la première partie de ma carrière professionnelle.

B) Optique altruiste :

  • offrir (je suis bénévole) à mes semblables (la retraite n'est pas toujours gaie), l'opportunité de s'instruire (la plupart des participants sont des non-initiés) ;
  • les motiver eux aussi pour se plonger dans une discipline a priori austère, voire rébarbative ;
  • les comprendre, les aider à s'exprimer, à prendre confiance en eux, à être satisfaits de leur prestation.

C) Optique à long terme

C'est une expérience riche de promesses : une grande partie des acteurs participent à cet atelier depuis 2008 (date de sa mise en oeuvre) ; ils incitent leurs amis à se joindre à nous (bouche à oreille). A noter que l'atelier a commencé avec 20 inscrits et qu'ils sont 35 à ce jour.

Je pense qu'aujourd'hui, tant les participants que moi-même seraient consternés de voir, pour une raison quelconque, se déliter ce bel instant hebdomadaire d'échanges !

Pour concrétiser ce qui vient d'être dit, voici la manière dont j'ai organisé la première séance de mon atelier philo de l'année 2013/2014.

La première séance

"Bienvenue à tous les Seniors ! La question aujourd'hui est : "Comment faire de la philo, "pauvres" Seniors que nous sommes ?". Eh bien, nous allons tout simplement nous communiquer nos réflexions, échanger nos idées sur tous les problèmes de l'existence, et bien sûr, nous en profiterons pour visiter les philosophes d'aujourd'hui et d'hier, d'ici et d'ailleurs, afin de pouvoir confronter notre point de vue aux leurs. J'espère que nos investigations se révèleront des plus enrichissantes, et nous permettront de rendre notre existence plus légère ! Tel est bien là notre but ! Certes, nous devons d'abord nous convaincre d'une chose : il n'y a pas d'âge pour philosopher, ni même pour étudier la philosophie !

Pour en témoigner, je vous livre le message de Paulette, qui, jusqu'à la veille de sa subite disparition, à l'âge de 90 ans, fréquentait assidûment nos ateliers philo. Sa fille écrit : "Maman regrettait beaucoup que ses études aient été bâclées à cause de la guerre, mais, grâce à vos cours, elle découvrait un monde d'idées qu'elle était avide de connaître. Merci d'avoir rendu ses dernières années plus agréables".

Reconnaissons qu'un tel témoignage fait chaud au coeur, et nous conforte dans l'idée que la philosophie, plus qu'aucune autre discipline, peut constituer une sorte de thérapie, propre à cicatriser certaines frustrations anciennes, à rendre l'estime de soi, et enfin, à nous apprendre à relativiser les difficultés inhérentes à la vie elle-même".

Voici un texte de Georges Bastide (1901-1969), extrait de l'ouvrage : Grands thèmes moraux de la civilisation occidentale :

La vraie jeunesse

"Nous jetterons un regard sans pitié sur tous les gestes de décadence, car il y en a beaucoup autour de nous et en nous. Nous apprendrons à ne pas mesurer notre âge au rythme des pendules ou aux feuillets des calendriers. On peut être jeune à tout âge, on peut être vieux à tous les instants, car c'est en soi qu'on porte l'âge et non dans les cartons poudreux d'une mairie. On est vieux quand on est malade, même à vingt ans, et qu'on regarde en soi et devant soi avec des yeux qui ont peur de voir. On est vieux quand on ne sent plus que le flot des souvenirs qui nous accablent et quand on s'abandonne au mécanisme automatique des habitudes acceptées. La vieillesse est un esclavage ; le lionceau qu'on met en cage est vieux du jour où il renonce à briser les barreaux. Voilà le décadent : on le reconnaît à ce signe qu'il joue au jeune s'il est vieux et qu'il joue au vieux s'il est jeune. Mais d'être un homme, jamais il n'a souci. Et c'est ainsi que tend à s'installer une cité de mort et d'esclavage. Les décadents se laissent emporter par leur précoce sénilité dans la tombe où il n'y aura plus qu'à sceller la lourde dalle [...]
Je pense à tous ceux qui vécurent longtemps et qui pourtant moururent jeunes, pour quelque chose qui les dépassait. Ce sont les promoteurs sans équivoque des grandes valeurs de l'esprit. Ceux-là, un Dieu les habite, et c'est Beethoven qui pour des siècles alimente l'humanité de la grave et virile joie de son amour pour l'homme, sur un clavier que n'entendaient plus ses oreilles, mais qui chantait au profond de son coeur ; et c'est Pasteur qu'habite le Dieu de la science, non pas celui de la vaine érudition qui tue, mais celui de la recherche lente, patiente, scrupuleuse et pourtant toute vibrante du même amour pour l'homme et pour la vérité. Et par-delà tous ceux qui de près ou de loin leur ressemblent, les grands promoteurs de valeurs que nous avons trouvées à l'origine des grands thèmes moraux de notre civilisation".

Questions sur le texte

  • Pourquoi faut-il apprendre à ne pas mesurer notre âge au rythme du calendrier ? A quoi reconnaît-on les décadents ?
  • Quel est le trait de caractère qui prédomine chez les jeunes ?
  • Qui sont ceux qui vécurent longtemps, mais moururent jeunes ?
  • Quelle leçon pouvons-nous en tirer pour nous-mêmes ?

"Maintenant que nous avons compris ce que c'est que "rester jeune", et donc en mesure d'aborder la philosophie, écoutons André Comte-Sponville (né en 1952), qui nous explique en quoi consiste cette étude, dans un extrait de Présentation de la philosophie :

"Qu'est-ce que la philo ? Ce n'est pas une science ni même une connaissance ; ce n'est pas un savoir de plus : c'est une réflexion sur les savoirs disponibles. C'est pourquoi on ne peut apprendre la philosophie, disait Kant : on ne peut apprendre qu'à philosopher. Comment ? En philosophant soi-même, en s'interrogeant sur sa propre pensée, sur la pensée des autres, sur le monde, sur la société, sur ce que l'expérience nous apprend, sur ce qu'elle nous laisse ignorer... Qu'on rencontre en chemin les oeuvres de tel ou tel philosophe professionnel, c'est-ce qu'il faut souhaiter. On pensera mieux, plus fort, plus profond. On ira plus loin et plus vite. Encore cet auteur, ajoutait Kant, doit-il être considéré non pas comme le modèle du jugement, mais simplement comme une occasion de porter soi-même un jugement sur lui, voire "contre lui". Personne ne peut philosopher à notre place.
Que la philosophie ait ses spécialistes, ses professionnels, ses enseignants, c'est entendu. Mais elle n'est pas d'abord une spécialité, ni un métier, ni une discipline universitaire : elle est une dimension constitutive de l'existence humaine.
Dès lors que nous sommes doués et de vie et de raison, la question se pose pour nous tous, inévitablement d'articuler l'une à l'autre ces deux facultés. Et certes, on peut raisonner sans philosopher (par exemple dans les sciences), vivre sans philosopher (par exemple dans la bêtise ou la passion). Mais point, sans philosopher, penser sa vie et vivre sa pensée : puisque c'est la philosophie même".

Questions sur le texte :

  • Qu'est-ce que la philosophie ?
  • Qu'est-ce qu'elle n'est pas ?
  • Quelle différence entre "apprendre la philosophie" et "apprendre à philosopher" ?

"Voilà, c'est un bon début, et si vous êtes un peu rassurés, je vous invite à poursuivre ce petit voyage allant de notre propre réflexion vers celle des plus emblématiques personnages qui constituent le patrimoine de la philosophie occidentale.

Nous nommerons chacune de ces séances des ateliers, considérant que ce terme est parfaitement adéquat à la forme que nous avons adoptée pour progresser dans le cheminement des idées émises par les participants, à propos des thèmes traités.

Nous mettrons en effet l'accent sur le débat, où chacun apportera sa pierre, en exprimant son point de vue en toute liberté.

L'aide que j'apporte à cette partie de la séance s'efforce uniquement d'encourager la prise de parole, de susciter les controverses, nécessaires à la construction classique : thèse, antithèse, pour enfin conduire à la synthèse, venant apporter une réponse "modulée" à la question initialement posée".

Déroulement d'un Atelier

1) Une question est posée, concernant un thème précis.

Ex : Bien et Mal sont-ils des valeurs absolues (pour le thème de l'éthique) ?

2) Cours théorique sur le problème de l'éthique au cours de l'histoire (toujours avec implication des participants en fonction de leurs connaissances).

3) Moment du débat : thèse, antithèse (le pour et le contre).

4) Moment de la synthèse : orale, puis écrite, sous forme d'un "exercice à trous".

5) Lecture de textes de philosophes avec questions permettant de s'assurer de la compréhension des idées appartenant à l'auteur (correction collective)

Programmes annuels

Année 2012/2013

La philosophie
Question : pourquoi philosopher au XXIème siècle ? Débat avec les deux groupes.

La rhétorique
Question : le langage est-il un pouvoir ?
Philosophes : Platon (Antiquité) ; Roland Barthes (1915-1980).

L'éthique
Question : le Bien et Mal sont-ils des valeurs absolues ?
Philosophes : Aristote (Antiquité) ; Nietzsche (1844-1900).

L'épistémologie
Question  : Faut-il freiner la science ?
Humanistes : F. Rabelais (1494-1553) ; A. Huxley (1894-1963).

La Théologie
Question : peut-on savoir si Dieu existe ?
Philosophes : Simone Weil ( 1909-1943) ; A. Comte Sponville (né en 1952).

La vérité
Question  : l'homme a-t-il besoin d'illusions ?
Philosophes : S. Freud (1856-1939) ; M. Onfray (né en 1959).

La Temporalité
Question : vouloir échapper au temps a-t-il un sens ?
Philosophes : St Augustin (354-430) ; H. Bergson ( 1859-1941).

Le psychisme
Question  : tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Philosophes : Schopenhauer (1788-1860) ; Voltaire (1694-1773).

Année 2013/2014 : Littérature et philosophie

Question à débattre : l'étonnement est-il inhérent au philosophe ?
1) Analyse du roman de Jostein Gaarder : Le monde de Sophie (3/10,G1, 10/10, G2)
2) Analyse philosophique : Aristote (Métaphysique) (17/10, 7/11)
Congé scolaire du 19/10 au 04/11

Question à débattre : peut-on être maître de son destin ?
1) Analyse du roman de Jacques Diderot : Jacques le Fataliste (14/11, 21/11)
2) Analyse philosophique : Alain (Eléments de philosophie) (28/11, 05/12)

Question à débattre : la prison n'est-elle que privation de liberté ?
1) Analyse du roman de Béatrice Saubin : L'épreuve (12/12,19/12)
2) Analyse philosophique : Michel Foucault (Surveiller et punir) (09/01,16/01)
Congé scolaire du 21/12 au 06/01

Question à débattre : le travail nous rend-il plus libre ?
1) Analyse du roman de A. Nothomb : Stupeur et tremblements (23/01, 30/01)
2) Analyse philosophique : Nietzsche (Aurore) (13/02, 06/03)
Congé scolaire du 15/02 au 03/03

Question à débattre : altruisme et narcissisme sont-ils complémentaires ?
1) Analyse du roman de Maupassant : Boule de Suif (13/03, 20/03)
2) Analyse philosophique : A. Comte (Religion de l'humanité) (27/03, 03/04)
Congé scolaire du 12/04 au 28/04

Question à débattre : la honte dépend-elle du regard d'autrui ?
1) Analyse du roman de Annie Ernaux : La honte (10/04, 15/05)
2) Analyse philosophique : J.P Sartre (Huis Clos) (22/05, 05/06)

Question à débattre : est-ce une obligation de tenir ses promesses ?
1) Analyse du roman de Tatiana de Rosnay : Rose (12/06, 19/06)
2) Analyse philosophique : Hume (Traité de la nature humaine) (26/06 (G1 et G2)

Dernière séance le 3/07 pour G1 et G2 : présentation Art et philosophie (Introduction au programme 2014/2015)

A propos des synthèses

Les synthèses sont des exercices à trous effectués sur place, individuellement, et corrigés collectivement.

La correction consiste à confirmer ou infirmer les réponses données par chacun, sans porter de jugements de valeur quels qu'ils soient.

Ce corrigé permet parfois d'expliciter des points de la séance incompris ou mal interprétés, et peuvent donner lieu à des mini-débats sur le sujet ainsi rectifié.

Ces synthèses servent d'aide-mémoire et permettent aux participants de conserver les résumés de toutes les séances de l'année, et même des années précédentes, de les relire le cas échéant, voire de susciter l'envie d'aller plus loin...

Exemple : le Bien et Mal, valeurs absolues ?

Mots à utiliser :autrui, métaphysique, bien, mal, coutumes, époque, laïque, relatifs, choix, engendrer, lieu, religion, moral, inconscience, société, conformisme, pire, physique, interdits, conscience morale, limitée, moeurs, déclaration universelle, modernité, souffrir, liberté, "ce qui ne se fait pas", ambiguïté, règles, religieux.

Les pointillés désignent le mot à trouver dans la liste fournie ci-dessus, mais que l'on a mis ici dans le texte.

Il est souvent difficile de distinguer le bien...............du mal.............., car tous deux se trouvent souvent mêlés. De plus, ils sont relatifs................... au lieu...........et à l'époque....................où ils s'appliquent.
On distingue : le mal physique...................., qui blesse dans la chair, le mal moral..................,qui blesse dans l'esprit, le mal métaphysique............................., qui nous poursuit dès que nous avons conscience de notre existence l.......................Le bien est-ce qui ne fait pas souffrir......................., ni soi-même, ni autrui.................
Cependant, l'ambiguïté.......................vient du fait que chaque Bien peut engendrer........................ le mal, et que chaque Mal peut engendrer un certain bien.
Quelques repères nous aident à situer les valeurs :
1) les moeurs..............et coutumes....................., les règles................., les lois..........., qui émanent de la société..................... elle-même. Il s'agit là d'appliquer une sorte de conformisme.............................., en se fiant à "ce qui se fait", et "ce qui ne se fait pas......................"
2) la religion..................... pose des interdits sacrés dont le non-respect constitue le péché.
3) la modernité......................... s'est un peu éloignée de la morale religieuse...................., pour s'en tenir à une morale laïque.................., dictée en partie, dans la Déclaration ....................... Universelle....................... des droits de l'homme.
Quoiqu'il en soit, la question de savoir où est le Bien et le Mal, renvoie l'individu sur lui-même........ et met en cause l'usage qu'il fait de sa liberté.................... le guidant dans ses choix..................., d'une part en rejetant l'inconscience......................... vouée au pire................., d'autre part, en écoutant la voix de sa conscience morale....................., lui dictant le meilleur..................

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