Depuis des années, des animateurs et participants de cafés philo se réunissent fin juillet en séminaire au Moulin du Chapitre à Sorèze1.
Leur objectif est double :
- Approfondir des questions philosophiques, cette année la notion de "vision du monde" et "la question de la démocratie, en particulier en relation avec les médias".
- Expérimenter des nouvelles pratiques philosophiques : les concevoir, les mettre en oeuvre, les évaluer d'un point de vue démocratique et d'un point de vue philosophique. Cette année ont été proposés des ateliers philosophiques sur le concept de vision du monde, puis sur la confrontation de plusieurs visions du monde ; un travail en groupes sur le compte rendu par divers journaux de l'avis du Comité Consultatif National d'Ethique sur la fin de vie ; des cafés philo avec des variantes dans les dispositifs (ex : une seule idée par intervention précédée de l'annonce de son intention ; un temps de silence suivant chaque intervention égal à la durée de celle-ci ; intervenir au maximum trois fois...) ; un ciné philo à partir du film "Même la pluie" ; une rando philo...
La prochaine Rencontre aura lieu du 25 au 27 juillet 2014.
Les deux thèmes choisis : "Affect et concept : aller-retour" ; "Philosophie et connaissance de soi".
1) Qu'est-ce qu'une vision du monde ?
Dispositif
- 10 mn d'écriture personnelle sur ce que chacun entend par "vision du monde" ;
- 30 mn d'échange en petits groupes (3 à 5 personnes) avec l'idée de dégager des valeurs générales (structurantes), par exemple : des valeurs du bien, du mal, du présent ou du passé, etc. et qui ressortiraient de l'échange) ;
- 50 mn de synthèse en grand groupe, avec l'idée de distinguer ces grandes valeurs et de les mettre en dialogue entre elles.
Animation
L'animateur a donné peu d'éléments pour définir ce que peut être "une vision du monde", il s'agissait de ne pas influencer la pensée des participants. Durant les échanges en sous-groupe, il passe de l'un à l'autre pour soutenir le travail de mise en commun. Il rappelle le temps qui passe. L'animateur avait préparé une fiche d'évaluation pour permettre la critique de son dispositif, elle fut remise aux participants après la séance, elle comprenait quatre questions ouvertes :
- Qu'avez-vous pensé du dispositif (organisation, rôles, règles de fonctionnement, temps, etc.) et de son animation ? En quoi facilite-t-il (ou pas) la communication, la participation, le respect des personnes, la réflexion...) ?
- A votre avis, quels en sont les intérêts et les limites sur le plan philosophique ?
- Quelles seraient vos suggestions pour améliorer cet atelier ou en faire une variante ?
- Autres remarques ?
Evaluation générale (orale et écrite)
Le temps de l'écrit a donné l'occasion à chacun des participants d'affiner sa pensée pour lui-même, le temps d'échange en petits groupes a permis à leurs membres de se connaître un peu mieux entre eux, et l'enchainement de ces deux premiers temps a favorisé une recherche en commun des caractéristiques qui structuraient la notion de "vision du monde".
L'organisation générale du débat qui a suivi (la distribution du tour de parole, l'inscription de l'animateur sur un tableau des mots clés qui caractérisaient "une vision du monde") a été très appréciée, elle a permis une progression des approches tant sur le plan des idées que sur le plan de la relation à autrui.
Un bémol toutefois, des participants ont regretté le manque temps, l'absence de définition de départ, et le fait de ne pas aboutir à un "résultat" plus probant des échanges, pour faire ressortir des structures générales des différentes visions partagées.
Suggestions d'amélioration
- en début de séance, donner 2 ou 3 définitions de ce qu'est une vision philosophique pour préciser le concept. Par exemple, en apportant 2 ou 3 textes très courts sur la notion de ce qu'est une vision du monde ;
- produire quelques références ;
- débattre d'une ou deux questions précises lors du débat général ;
- se donner plus de temps.
Le format de l'exercice en trois temps est pertinent. Il permet une progression des échanges (en petits groupes et avec échanges interpersonnels) et une avancée vers la construction de principes structurants en groupe de synthèse et des échanges plus généraux. Mais peut-être avons-nous rencontré une limite par rapport au thème lui-même...
En effet, la notion de vision du monde a été définie comme "ce qui se donne à voir dans notre manière d'appréhender le monde", mais tous les participants avaient déjà une définition assez complexe, fine et argumentée de cette vision (elle est fonction de l'éducation, de la culture, des intérêts, de la capacité du discernement des personnes etc.). L'exercice pour aller vers des notions encore plus générales et structurantes nécessitait probablement plus de temps.
2) Le démocrate confronté à des visions du monde
Dispositif
Etape 1 : au sein d'un grand groupe, on délimite 5 sous-groupes. Chacun d'eux se voit proposé une vision du monde, et parmi les 5 approches suivantes celles de l'économiste, du religieux, de l'écologiste, du technicien, du démocrate. Pendant 30mn, chaque sous-groupe définit les caractéristiques de la "vision du monde" qui lui a été confiée.
Etape 2 : des porte-paroles de ces sous-groupes sont invités à confronter leurs visions du monde de façon démocratique. Le reste du groupe écoute en observateur actif-attentif, chacun pouvant signaler son intention de remplacer son porte-parole.
Animation
L'animateur et un co-animateur passent dans chaque groupe pour les aider à mieux définir les grandes caractéristiques des thèmes en question. Ils modèrent ensuite le débat général des rapporteurs.
Evaluation
Le premier temps d'échange en petits groupes et l'accompagnement des animateurs aide à dégager de grandes lignes générales d'une vision spécifique (par ex. quelles sont les grandes caractéristiques d'une vision religieuse, écologiste, etc.).
Toutefois, lors du débat général, chacun semble avoir du mal à "rejouer" ou à défendre les grandes lignes prédéfinies en petits groupes.
Des questions se sont posées par la suite :
- Faut-il jouer ces différentes positions à la manière des politiciens, et comme ils semblent le faire le plus souvent en situation de débats ?
- Faut-il exagérer les traits du religieux, de l'écologiste, du technicien, de l'économiste, du démocrate, au risque de la caricaturer ?
- Le participant ne devrait-il représenter que ses positions selon son idéal et sa vision complexe de la vie ?
Concernant l'organisation du débat, les porte-paroles se font facilement remplacés lorsqu'un partenaire de leur sous-groupe souhaitait entrer dans le débat. Ainsi, les sous-groupes ont bien été représentés et le débat général a été maîtrisé ; il a permis à chacun de contribuer au mieux à l'effort du groupe en général.
L'interchangeabilité des porte-paroles s'est faite selon l'évolution du débat, et elle a été très appréciée des participants.
Suggestions d'amélioration
- mettre à disposition des participants des fiches d'informations récapitulant les grands visées/principes des visions prédéfinies (religieuse, écologiste, etc.) ;
- prédéfinir une situation-problème. Ex. : on doit construire un aéroport, ce qui entraine le déplacement d'un cimetière, l'ouverture le dimanche d'une galerie commerciale, la destruction d'une faune etc. Les petits groupes traiteraient la situation-problème à partir de leur vision, puis la situation problème serait reprise en grand groupe ;
- après le débat : faire un récapitulatif des enjeux entre les différentes positions.
Commentaire
Il est possible que les participants aient eu du mal à se prédéfinir dans les rôles/visions qu'on leur a attribués, et ceci pour deux raisons majeures :
- manque éventuel d'affinité ou de connaissance avec le rôle/vision qu'il doit incarner. Cette lacune peut être compensée par la distribution de fiches d'informations, que les participants garderaient sous la main. Notons par ailleurs que l'invitation à incarner une vision différente de ses positions habituelles permet de construire un regard décentré. Il s'agit là d'un apport pédagogique majeur ;
- en raison du fait que de nombreux participants expriment déjà sur les thèmes proposés des idées complexes plutôt que monolithiques, les inviter à incarner un seul rôle les pousse à la caricature. Toutefois, jouer un rôle de façon caricaturale reste amusant, voire instructif pour certains participants, mais peut empêcher de ciseler finement les contours des enjeux pour chacune des visions.
Hypothèse
Les jeux de rôle des visions proposées se sont calqués davantage sur les stratégies de groupe et les rivalités habituelles des politiciens, plutôt que sur les contours fins des visions spécifiques de l'écologiste, du religieux, du technicien, du démocrate ou de l'économiste. En suggérant à chaque participant de jouer son rôle selon son idéal propre (plutôt que par caricature ou imitation de ce qui se fait dans la réalité), cette approche peut-elle générer davantage de créativité, chacun s'efforçant d'expérimenter son idéal ?
A prévoir : un temps supplémentaire pour faire une synthèse des différents enjeux discutés.
3) Comparaison d'articles de presse concernant un même fait
Description
Etape 1
Il est remis à chaque sous-groupe 2 documents :
L'un est le communiqué officiel du Conseil Consultatif National d'Ethique (CCNE) sur le thème de : "Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir".
L'autre document est un article de presse différent pour chaque groupe, et qui commente le document du CCNE.
Chaque sous-groupe doit dégager d'une part :
- les faits, dits "valeurs de vérité", ce sont les choses telles qu'elles sont décrites dans le CCN ;
- les valeurs d'opinions, dites "valeurs", ce sont les jugements, les interprétations exprimés dans l'article de presse.
Ensuite, chaque groupe doit attribuer deux notes, l'une pour la fidélité aux faits (valeurs de vérité), et l'autre en fonction de l'interprétation/déformation de ces mêmes faits (les valeurs d'opinion).
Etape 2
Echange en grand groupe. En écoutant les rapports de chaque groupe, l'animateur répertorie sur un tableau les notes et les corrélations entre, d'une part, des "valeurs de faits" (ce qui fait vérité) et, d'autre part, des valeurs d'opinion (ce qui est interprétation). Des corrélations inverses, fortes ou faibles, devraient apparaître selon que les articles sont fidèles aux faits communiqués par le CCNE ou au contraire, selon qu'ils en déforment le sens.
Etape 3
Les participants repartent en petits groupes et chaque groupe doit définir quelle vision "engagée" du monde, notamment de la démocratie, se dégage de son article de presse. Les groupes attribuent à ce résultat une note d'appréciation de 0 à 10. En finalité, des corrélations entre vérité des faits, valeurs d'opinions et un type de "démocratie" devraient ressortir.
Etape 4
Synthèse des résultats en grand groupe : recherche des corrélats définis précédemment entre la restitution des faits, une vision engagée du monde, et des caractéristiques démocratiques.
Animation
L'animateur nous propose ses définitions des trois termes suivants "valeur, vérité et démocrate" : - Une "valeur", c'est ce qui sert à juger ce qui est bon ou bien versus ce qui est mauvais ou mal. Comme dit Spinoza : " Nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n'appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons". Une valeur est l'objet au moins possible d'un désir, une valeur c'est ce qui est désirable. D'où le relativisme des valeurs, des opinions et des jugements. Toute valeur est subjective.
- La "vérité" : "La vérité est norme d'elle-même et du faux" disait Spinoza. "La vérité consiste en l'être, la vérité est une même chose que l'être" disait Descartes. La vérité, c'est ce qui est. Qu'on ne puisse jamais connaître la vérité complètement ni absolument ne prouve pas qu'elle n'existe pas. Comment l'incertitude de la connaissance pourrait-elle nier l'absoluité de la vérité ? La vérité est l'objet au moins possible d'une connaissance. N'est-ce pas pour cela que si nous cherchons la vérité, nous devons nous efforcer de le faire de façon objective, autrement dit indépendamment de ce que nous voulons ou désirons ?
- "Démocrate" : sans revenir sur la question des différentes visions du monde, objet de l'atelier d'hier après-midi, on peut dire en première approche concernant la démocratie qu'elle est le régime où le peuple est souverain. D'où son mode de fonctionnement par vote égalitaire de tous les citoyens, ce qui suppose donc qu'ils puissent être informés en vérité.
Si l'on peut être démocrate et engagé successivement, il paraît difficile sinon impossible, notamment concernant les médias, de l'être simultanément en étant tout à la fois démocrate, autrement dit fidèle à la vérité des faits et engagé, autrement dit fidèle aux valeurs qu'on défend.
Evaluation
Concernant le format : la succession de 4 étapes pour le temps d'une séance de 2 heures ne semble pas possible à tenir (dépassement de 45mn, et en pressant le pas).
Etape 1
L'exercice de comparaison de différents articles de presse concernant une même information se révèle intéressant en petits groupes, il permet aux participants de s'appliquer à une analyse fine et comparative des articles, et effectivement, de faire la part entre ce qui est interprété, et ce qui relève, par ailleurs, de l'information expliquée, mise en contexte ou déformée.
Etape 2
Le partage en grand groupe donne à voir la lecture que font les autres groupes de leurs articles. Sur le tableau, des corrélats sont définis entre les valeurs d'interprétation (opinions) et celles des faits (dites : vérité), des notes sont attribuées.
Résumé du résultat
"Trois réponses sur cinq tendraient à prouver que plus les articles s'attachent à la vérité des faits, moins ils défendent des valeurs d'opinion. D'autre part, un article qui défend des valeurs d'opinion le fait au détriment de la vérité des faits. Un article, cependant, pourrait laisser penser le contraire. Un autre groupe ne s'est pas prononcé sur son article".
Les participants sont en fait conduits dans un processus de preuve, une démonstration : si la presse ne défend pas une vérité de fait, elle défend celle d'une opinion. Des participants s'interrogent sur le sens de cette démonstration qui se substitue au partage d'un questionnement entre tous.
Etape 3
Les participants s'efforcent cette fois de caractériser quel type de valeur d'opinion ou de démocratie il se dégage de l'article. L'animateur refuse dans sa définition que l'on puisse être engagé et démocrate, selon lui : "il paraît difficile sinon impossible [...] d'être simultanément démocrate, autrement dit fidèle à la vérité des faits et engagé, autrement dit fidèle aux valeurs qu'on défend".
Il apparait cependant dans certains articles que l'on puisse être démocratiquement engagé, et donc, démocrate et engagé.
Etape 4
Synthèse et résultats en groupe de synthèse. L'animateur qualifie le type de démocratie qui semble s'exprimer dans chaque article. Le nom des journaux dont les articles ont été extraits est révélé. Les résultats semblent être "téléphonés" plutôt que l'objet de la découverte des participants. Ex. : la démocratie dite "humaniste" correspond à l'article du journal "Humanité".
Commentaire :
L'animateur veut faire la démonstration d'une hypothèse qui semble complexe, rigoureuse mais pré-déterminée : mettre en rapport la fidélité d'un article par rapport aux faits qu'il relate, puis définir l'idéologie sous-jacente qui s'y manifesterait et enfin, juger de la valeur "démocratique" de l'article.
Suggestions et commentaires
- très intéressant mais trop dense, à refaire en plus léger ;
- à refaire en donnant à tous les mêmes textes ;
- problème de définition à retravailler : différencier information et commentaire, fait et vérité. La différence entre engagé et démocrate pose problème (notamment entre "démocratie idéelle" et "démocratie réelle", celles qui existent dans les faits) ;
- lors de la synthèse, identifier les questions philosophiques sur lesquelles débouche l'atelier ;
- identifier les critères d'une presse démocratique ;
- une question est suggérée : En quoi le choix des faits mentionnés par la presse est-il dicté par la valeur des medias ?
A retenir
L'exercice de comparaison de différents articles de presse concernant une même information est très intéressant. Il permet aux participants de s'appliquer à une analyse fine et comparative des articles, et effectivement, de faire la part entre ce qui est interprété, et ce qui relève par ailleurs de l'information expliquée, mise en contexte ou déformée.
La recherche d'idéologies, de postures ou de notions philosophiques qui caractériseraient l'article permet également d'affiner son esprit critique, et de développer des problématiques.
4) Café philo où toute intervention est précédée de l'annonce de son intention
Description
Avant de prendre la parole, les participants doivent annoncer l'intention qui caractérise la nature de leur intervention. Ex. : questionner l'affirmation selon laquelle... ; contredire le fait que... ; développer l'approche de... ; définir un mot... ; apporter une information... ; préciser le propos de... ; illustrer le concept qui... ; recentrer sur le thème de... ; résumer un parcours d'idée etc.
Les participants ne doivent annoncer qu'une seule intention par prise de parole.
Une exception à la règle
Si les participants jugent qu'une intervention opportune et "urgente" est susceptible d'apporter un plus au débat, exceptionnellement ils peuvent demander un "joker" et le signaler. L'animateur peut alors accorder une dérogation au principe d'attente dans l'ordre chronologique des demandes de parole. Le participant doit néanmoins préciser l'intention de sa prise de parole.
Choix du sujet
Les participants ont fait une lecture commune d'un texte tenant dans une page A4. Ce texte mettait en perspective trois points de vue sur la démocratie (Platon, Aristote et Derrida). Les participants ont ensuite défini des questions, et procédé au vote de celle retenue pour le débat.
Organisation
Une personne a annoncé les règles ; une personne a distribué la parole et a rappelé, s'il le fallait, l'idée d'annoncer les caractéristiques de son intention. Un autre modérateur, assis avec les participants, s'est proposé de recentrer le débat occasionnellement.
Evaluation générale
Le fait d'annoncer les caractéristiques de son intention avant de parler oblige le participant à bien définir son propos, et de fait, à le situer explicitement dans le contexte du débat. Les propos sont alors assez concis.
Il s'agit sans nul doute d'un bon exercice, tant pour définir les opérations de sa pensée, que pour les insérer dans la problématique du débat. On constate également moins d'effets de dispersion, l'ensemble des interventions restant assez proche de la problématique du sujet.
Néanmoins, cette approche peut brimer une exploration plus empirique des idées. En effet les enchainements avec d'autres propos du débat sont réfrénés. Ex : "Je voudrais préciser le propos de un tel (intention 1) et le mettre en rapport à l'idée selon laquelle (intention 2)". Cette seconde intention est refusée à l'intervenant pour respecter la consigne du dispositif : "une seule intention à la fois".
Notons que personne n'a eu besoin d'utiliser son joker, le modérateur n'a guère eu besoin d'intervenir. Il a par ailleurs mal recentré certains propos et a été rapidement repris par des participants.
Ce type de débat est certainement un bon exercice pour les aguerris et ceux qui veulent travailler la concision, ainsi qu'une maîtrise des méta-pensées (la définition des opérations que l'on utilise : une comparaison, une définition, un contre-exemple, etc.).
Proposition d'amélioration
Reprendre le dispositif en autorisant l'enchainement de plusieurs intentions (au moins 2, mais pas plus de 3), afin d'encourager des explorations plus audacieuses de la pensée.
5) La rando philo
Description
Il s'agit d'une promenade durant laquelle, par groupe de 3, voire 4 personnes, les participants échangent sur un thème défini.
Choix du sujet
Rédigés sur de petits papiers et distribués aux participants, les sujets indiquaient des couples de notions, par ex. démocratie-économie, démocratie-religion, démocratie-progrès etc. Il s'agissait pour chaque équipe de rechercher les questions qui semblaient les plus urgentes, les plus porteuses d'avenir, les plus utiles pour faire avancer la démocratie, ou encore les plus paradoxales, ou les plus difficiles à trancher, etc.
Organisation
- Lors de la distribution des sujets, les équipes se sont constituées "naturellement", par affinité avec la question, ou par affinité avec leurs partenaires, ou au hasard des places disponibles.
- Durée de la marche, environ 1h30 aller-retour compris (hormis le temps de synthèse).
- Au retour pour la synthèse, restitution par un porte-parole, éventuellement épaulé par ses partenaires.
Evaluation générale
Le lieu de la promenade est idéal, en sous-bois, le long d'un cours d'eau et disposant d'un chemin assez large qui permet à 3 ou 4 personnes de marcher côté à côte, tout en échangeant leurs réflexions.
La marche côte à côte prédispose la relation entre les participants différemment que lorsque lorsqu'ils se font face. Lors de la marche, l'horizon étant ouvert devant soi, les participants désamorcent probablement plus aisément les rapports d'opposition ou de conflits frontaux qu'un débat pourrait susciter. Le retour sur soi, le lâcher prise ou une pensée plus aventureuse et de type exploratoire sont alors comme facilités. Il semble qu'on puisse s'attacher avec plus d'attention sur la complexité d'une situation, au gré de quelques déambulations fortuites selon les couleurs de la nature environnante, tout en revenant facilement sur le sujet.
Par ailleurs, du fait que les marcheurs s'adaptent à un rythme de marche en commun, cette adaptation peut s'étendre à l'écoute des pensées de ses partenaires, comme si l'harmonisation des marcheurs invitait les marcheurs à accorder leur attention.
Un bémol peut concerner le moment et le lieu de restitution générale, celle-ci a été effectuée debout et sur le bord du chemin, ce qui ne facilite pas l'attention. Le groupe peut avoir avantage à se rassembler, assis en cercle pour une synthèse.
Concernant le choix du sujet
L'approche par des couples de mots-clés permet aux participants d'explorer une thématique qui est d'emblée mise en tension (démocratie et économie ; démocratie et religion ; démocratie et progrès, etc.). L'attention est portée naturellement vers l'exploration de ces concepts, et la manière dont ils s'articulent. L'invitation, par ailleurs, à rechercher les questions les plus urgentes, les plus paradoxales (selon les superlatifs au choix) donne un but et invite à parcourir les limites périphériques des thématiques évoquées.
6) Le ciné philo
Description
Le film visionné la veille (Même la pluie, de Icíar Bollaín, 2011) est l'objet d'un débat philo le lendemain.
Organisation
Par comparaison à d'autres organisations où le débat suit le visionnage du film, ici, la discussion ayant lieu le lendemain, les participants bénéficient de la nuit pour amortir les effets que le film a sur eux, et ainsi le repenser un peu plus à froid au moment du débat.
Déroulement du débat
L'animateur n'a pas souhaité proposer une "méthode", ni définir un procédé pour choisir une question de départ. On constate cependant une chronologie :
1er temps : les premières interventions expriment des avis, des impressions sur le film.
2ème temps : assez rapidement, des analyses de situations, de scènes, voire de l'ensemble du film se font jour. Les participants comparent des points de vue et leurs interprétations.
3ème temps : le débat se focalise sur des enjeux plus centraux, dont la compréhension s'enrichit de données anthropologiques, historiques et de notions d'éthiques.
L'animateur répondait-réagissait de façon quasi systématique après chaque intervention.
A propos du film
Même la pluie est un film où se télescopent plusieurs plans :
- Historique : une équipe de tournage raconte et dénonce l'épopée des conquistadors en Bolivie.
- Temps présent : en arrière plan du tournage, les Boliviens sont en lutte contre l'exploitation de l'eau par des multinationales, la révolte qui s'en suit va compromettre le tournage du film.
- Les acteurs et les figurants du film se trouvent tous en prise avec des conflits :
- Les figurants se demandent s'ils doivent obéir à nouveau à des scénaristes occidentaux, s'obligeant ainsi à rejouer l'épopée des conquistadors.
- Les acteurs, producteurs et metteurs en scène se demandent de leurs côtés s'il faut prendre part à la révolte des Boliviens (pour soutenir leur cause) ou s'il faut sauver le film (et défendre leurs propres intérêts).
En fait, chacun se trouve en conflit entre ce que lui dicte sa sensibilité humaine et ses intérêts du moment, tout en voulant témoigner du passé, sans pour autant le revivre.
Remarques préalables au débat
Se pose la question du passage de l'affect au concept. En effet, le film invite à se projeter dans les scènes visionnées, c'est l'effet cathartique : le spectateur est appelé à vivre ses émotions à travers les personnages. Il s'agit donc pour les participants, et dans un premier temps, de recontextualiser les scènes du film pour le débat :
- comment chacun ressent/comprend-il les différentes scènes du film ?
- de ces témoignages, distinguer ce qui ressort de l'impression personnelle et des interprétations partagées avec les autres participants,
- enfin, mettre en rapport ces interprétations et la thématique du film avec des enjeux philosophiques.
Exemple 1, tiré du film
Des figurantes, qui sont en réalité de vraies villageoises et mères de nouveaux-nés, refusent d'obéir au metteur en scène qui leur demande de simuler la noyade de leurs enfants. Cette scène rejoue en fait un épisode authentique de l'époque des conquistadors.
La dimension émotionnelle de la scène est "choquante", les bébés pleurent, le metteur en scène est en colère, et les mères se tiennent dans un refus muet de jouer la scène, pourtant sans danger pour les enfants.
Si le débat s'ouvre sur les aspects émotionnels de cette scène, il invitera à soulever des questions en rapport avec le lien mère-enfant (dimension psychologique).
Exemple 2, la même scène
Le metteur en scène (blanc et occidental) se montre presque odieux devant le refus des mères à jouer. Selon lui, elles ne comprennent pas qu'il les aide à dénoncer le pouvoir "blanc".
Le débat pourrait s'ouvrir ici sur les aspects ironiques de la situation : pour témoigner en faveur des boliviens, le metteur en scène n'entend pas le refus des mères pour jouer une scène qui heurte leur sensibilité. On sortirait des aspects psychologiques du débat pour interroger la perception des choses.
Exemple 3
Toujours à propos de cette même scène, le débat peut s'ouvrir sur la manière dont le passé et ses traumatismes se télescopent dans le présent. Dans ce cas-là, des enjeux économiques, géostratégiques et un questionnement sur l'ontologie humaine (la nature humaine en tant que telle) peuvent aussi être soulevés : l'homme est-il condamné à reproduire sans cesse les mêmes schémas (des rapports de domination entre les peuples, des sacrifices et des situations de revanche) ?
En fait, il a été question de tous ces différents points lors du débat.
Evaluation de l'organisation du débat
Il y a sans doute un intérêt à laisser le débat se chercher au gré des interventions des participants. On se demande alors si l'intérêt du débat ne va pas reposer que sur la pertinence des participants présents. En effet, la diversité peut être telle qu'elle fait perdre au débat toute cohérence. Mais inversement, elle peut être telle, qu'elle met en résonnance les points les plus riches parmi les interventions qui vont s'exprimer.
Propositions d'amélioration
Différencier délibérément plusieurs temps durant le débat :
- Les participants évoquent leurs impressions et interprétations.
- Les participants ou un modérateur essayent de relever un ensemble de thèmes centraux parmi ces premiers témoignages.
- Les thèmes évoqués définissent un éventuel plan général de la discussion ou, si les thèmes sont trop différents entre eux, le groupe voterait pour un thème en particulier.
- Se pose la question des interventions de l'animateur : à quelle condition un animateur peut-il répondre ou réagir systématiquement après chaque intervention ?
7) Café philo avec un silence entre chaque intervention
Description
Les participants doivent respecter un temps de silence après chaque intervention. Ce silence est égal au temps d'intervention précédent ; le nombre d'intervention est limité : pas plus de trois par participants.
Organisation
Une personne chronomètre les temps de paroles, une personne note les demandes, un responsable supervise le bon fonctionnement, et un modérateur recentre le débat.
Constats:
Le temps de silence prévient les emportements, il permet de mieux centrer sa pensée avant de l'exprimer. Ce temps de silence oblige cependant à contenir ses tensions, et cela peut interférer sur le cours de la pensée : les participants pouffant de rire, s'observant ou, au contraire, se concentrant davantage pour éviter les dispersions.
On remarque que les temps d'interventions sont plus courts, comme si le temps de réflexion précédent prédisposait également à moins s'étendre dans l'intervention du moment.
Certains participants ont pris conscience de la longueur de leur temps de parole en mesurant l'équivalent du temps de silence qui lui succédait.
Il y a un besoin de ne pas faire peser sur le groupe le "poids de silence" du temps de son intervention.
La pression ressentie par le nombre limité d'interventions inhibe par ailleurs le désir d'expression : les participants devant faire preuve de stratégie pour ne pas épuiser trop rapidement leur crédit d'interventions.
Moins de participants s'expriment qu'habituellement et on arrive avant la fin de la séance à un silence "sans fin", les "parleurs" ayant épuisé leurs crédits.
Se pose la question de comment gérer cet imprévu : plus personne ne dit rien. Faut-il laisser le silence et les tensions souterraines faire leur travail, ce qui peut avoir comme effet de voir ceux ou celles qui n'ont rien dit prendre la parole ? Faut-il modifier la règle, et faire un grand tour de table pour une dernière intervention de tous les participants ? C'est la dernière option qui est choisie, mais elle sera écourtée avant que le tour complet ne soit effectué. En effet, ces dernières interventions tendaient à être très longues, comme pour compenser les frustrations vécues. Nous arrivions également à la fin du temps imparti pour cette séance.
Remarques
Ce fut une expérience riche pour beaucoup de participants. Ce dispositif, malgré les limites qu'il impose à l'expression, permet de prendre conscience de façon effective de son temps de parole, d'observer la manière dont on gère son propre silence, de même que celui des participants autour de soi. Ce dispositif est en fait déclencheur d'imprévus.
Se pose la question de savoir si un dispositif doit agir avant tout sur les comportements, plutôt que sur la pensée et l'échanges des idées.
Notons par ailleurs que la modératrice recentrait bien les interventions, facilitant en cela la pondération des interventions, ce qui en a probablement limité le nombre.
Propositions
Un temps de silence raisonnable (entre 15 et 30 secondes) après chaque intervention pourrait remplacer celui égal à l'intervention précédente. Il s'agit de lever la culpabilité qu'il y aurait à occuper un temps de parole au détriment du groupe. Par ailleurs, trop de silence diminue la dynamique générale des échanges ; et de même, suite à un temps de silence défini, l'ajout de temps supplémentaire semble ne plus rien ajouter à la réflexion du participant ou à celle du groupe.
Le temps de silence proposé entre deux interventions semble également avoir un effet "modérateur" sur le nombre et la longueur des interventions. Il n'apparait donc pas nécessaire de limiter le nombre d'interventions par participant.
(1) Pour un compte rendu des précédentes rencontres, voir par exemple les numéros de Diotime