Revue

Les ateliers philosophiques : un milieu temporel au service du développement de l'enfant

Regards croisés sur une séance de philosophie menée dans une CLIS (CLasse d'Inclusion Scolaire) : "Croire et Savoir"

Regards croisés sur une séance de philosophie menée dans une CLIS (CLasse d'Inclusion Scolaire) : "Croire et Savoir"

I) Problématique de l'étude et méthodologie

La dimension temporelle des apprentissages est souvent évoquée lorsqu'il s'agit de réfléchir aux conditions de scolarité faites aux élèves en situation de grande difficulté ou de handicap. Les préoccupations sont généralement centrées sur la question des rythmes scolaires, relativement aux emplois du temps, aux volumes horaires alloués aux différentes disciplines ou au calendrier des vacances. Notre approche est plus qualitative et s'intéresse à des aspects temporels moins évidents mais tout aussi déterminants. Dans un cadre temporel institutionnellement donné, nous cherchons à mieux comprendre comment les élèves et les enseignants parviennent ou non à mettre en relation leurs temps propres et comment ils élaborent le temps didactique1 de la classe. Nous avons montré (Robert-Pierrisnard, 2001) que les effets des contraintes temporelles dépendent pour beaucoup des représentations sur lesquelles les personnes s'appuient pour juger et décider des aspects temporels de leur activité en classe. Ainsi, les enseignants favorisent d'autant plus l'assomption2 du temps chez leurs élèves, qu'ils inscrivent leurs pratiques dans un empan temporel large3. Les élèves en situation de réussite scolaire prennent une part active dans la gestion temporelle de leurs activités, et conçoivent la contrainte temporelle comme relative, donc conditionnelle et négociable, tandis que les élèves en situation de difficulté ou d'échec la considèrent comme incontournable et subissent généralement le temps didactique au détriment de leur implication réelle dans les apprentissages. L'organisation traditionnelle de la scolarité à un niveau macro et des situations d'enseignement-apprentissage à un niveau micro renforce cette situation.

Les nouvelles pratiques philosophiques à l'école offrent un cadre d'apprentissage bien différent. Elles visent prioritairement le développement de processus de pensée spécifiques : problématisation, conceptualisation, argumentation (Tozzi, 2012). Cette ambition implique à notre sens une remise en cause fondamentale des aspects temporels de la situation d'enseignement-apprentissage. Nous avons développé ce point de vue dans le numéro 53 de la revue Diotime (Pierrisnard, 2012).

Sur la base de l'enregistrement vidéo d'un atelier philosophique en CLIS TSL4(transcription écrite de la séance et images vidéo) que nous analysons, nous recherchons les éléments qui montreraient que cette pratique s'appuie effectivement sur une organisation du temps didactique et sur des représentations des aspects temporels spécifiques, susceptibles d'offrir aux enfants des conditions favorables à l'assomption de leur temps scolaire et au développement de leur pensée. La séance est menée par un enseignant en milieu d'année scolaire, auprès d'un public d'enfants pratiquant les ateliers philosophique depuis un an et demi. La séance porte sur le thème de la différence entre croire et savoir.

II) Les fondements théoriques de l'analyse

Notre analyse s'appuie essentiellement sur des concepts et des notions théorisées dans le champ de la psychologie (Vergnaud), des sciences de l'éducation et de la philosophie (Fabre), de la sociologie (Grossin) et de l'anthropologie (Gebauer et Wulf). Nos propres travaux évoqués supra complètent ces références.

A) Le concept de schème (Vergnaud, 1990)

Gérard Vergnaud reprend ce concept piagétien qu'il développe et précise de manière à rendre compte avec précision des connaissances et des raisonnements sous-jacents aux conduites des sujets. Le schème est une organisation invariante de la conduite pour une classe de situations donnée. Le sujet repère dans les situations qu'il rencontre des invariants opératoires, connaissances en acte qui lui permettent d'agir sans qu'il soit toujours capable d'en parler, parfois même sans en avoir conscience. Il fait sur la base de ces informations des inférences, en fonction de ses buts et de ses anticipations, qui le conduisent à déclencher des règles d'action et de contrôle et à adapter ainsi sa conduite au réel et aux effets de sa propre action sur ce réel. Le schème repose donc essentiellement sur les représentations du sujet. Concernant les aspects temporels d'une situation, lorsqu'un élève se représente la gestion du temps comme le domaine réservé du maître par exemple, il n'a pas de raison de prendre les initiatives qui pourtant s'imposeraient pour la réussite de son activité scolaire. Lorsqu'il ne convoque pas les situations passées parce que sa représentation du temps de l'apprentissage reste enfermée dans l'ici et maintenant, il ne peut identifier les invariants opératoires qui pourraient déclencher l'action efficace. Lorsqu'il ne mobilise pas de représentation du décours de l'activité, il ne peut envisager les étapes qui mènent à l'accomplissement d'une tâche. Ce concept de schème nous permet d'analyser la conduite des sujets et de mieux comprendre sur quoi elle repose.

B) La problématisation (Fabre, 2006)

La problématisation, entendue au sens de Michel Fabre comme une enquête, progresse par retours sur les différentes propositions et diffère la réponse au profit de l'analyse et du questionnement préalables. Elle ne peut donc se satisfaire d'une représentation du temps linéaire, progressif, continu, irréversible, comme l'est traditionnellement la représentation du temps scolaire, et nécessite au contraire de considérer que le temps peut-être remonté de la conséquence vers la cause, qu'on peut avancer dans un raisonnement puis retourner sur un point pour mieux comprendre sans qu'il y ait pour autant régression ou échec.

C) La notion de milieu temporel (Grossin, 1996)

William Grossin oppose la notion de cadre temporel à celle de milieu temporel. Le milieu temporel est un assemblage de plusieurs temps associés, dépendant les uns des autres, en interaction souple. C'est un milieu non saturé, modifiable, sans rapport étroit avec un ordre chronologique, ouvert à l'incertitude, aux opportunités, aux imprévus. L'atelier de philosophie semble a priori propice à construire un tel milieu intégrateur des temporalités propres des individus. Le temps scolaire dont il est question dans les textes officiels basé sur le temps unique de l'horloge et du calendrier ignore cette réalité.

D) La ritualisation (Gebauer et Wulf, 1998/2004)

L'atelier de philosophie s'apparente à un rituel dans son déroulement comme dans ses objectifs. Gebauer et Wulf comparent les rituels à des jeux qui permettent aux sujets agissant d'expérimenter leur pouvoir et leurs savoirs dans des relations sociales structurées et structurantes mais que les sujets eux-mêmes contribuent à modifier sans cesse. L'atelier philosophique, en tant que milieu temporel, serait le milieu où pourrait s'élaborer réciproquement le temps de la classe et le temps de l'élève dans le cadre d'un jeu-rituel qui permettrait de réunir en un même moment homogénéité et différence.

III) Les hypothèses

Nous faisons l'hypothèse que l'atelier philosophique, conduisant l'enseignant à rechercher la problématisation et la ritualisation, est propice à l'élaboration d'un milieu temporel permettant l'implication authentique des élèves dans l'activité réflexive. Les efforts d'adaptation que cette situation didactique impose conduisent les élèves à développer des schèmes de gestion temporelle et le maître à mieux respecter la temporalité du développement de la pensée de ses élèves.

IV) Les résultats

L'analyse de la séance met en évidence deux dimensions de l'activité qui renseignent notre hypothèse

A) Une aide à la construction d'invariants opératoires favorisant la gestion temporelle autonome

L'atelier apporte des occasions très récurrentes pour les élèves d'identifier les invariants opératoires permettant une gestion plus autonome du temps scolaire. On trouve ainsi :

- Le rappel des connaissances antérieures, à la demande de l'enseignant au début de l'atelier et à plusieurs reprises pendant la séance. Ces connaissances portent sur les règles de déroulement de l'atelier (très fréquemment rappelées), sur les étapes de l'activité (partir d'un livre, puis réfléchir, écrire et enfin mettre en commun), sur le matériel nécessaire, et sur le sens même de l'activité (pour réfléchir avant tout).

- Se tenir prêt "à entendre", "à écouter d'abord", pour anticiper, se préparer à répondre aux questions italiques : en

(30) M : C'est bon ? Tout le monde est prêt ? Pour l'instant on écrit rien parce qu'on sait même pas de quoi on va parler. Seulement là vous êtes prêts. Je vais lire... je vais vous lire un petit texte. D'accord ? Pour l'instant, je ne vous donne pas le thème. Je vais vous le donner après la lecture du petit texte. (...) Vous allez bien écouter. D'accord ?

. Saisir les occasions de s'exprimer spontanément. Par exemple le maître rappelle ce qu'il faut faire, amorce la réalisation de la tâche en laissant le temps entre les mots pour que les élèves saisissent l'occasion de répondre, ce qui se produit effectivement :

(33) M : On réexplique ensemble ce qui se passe dans cette petite scène. (Le maître au tableau en parlant affiche les vignettes images " échelle", "chat noir). Alors, il y a deux enfants qui sont dans la rue et puis un lui dit "attention, ne passe pas..."

(34) Florian 2 : en dessous l'échelle

. Ralentir le déroulement de l'activité, obliger à problématiser, à questionner, à trouver de nouveaux exemples, privilégier la réflexion au fait de répondre par une affirmation qui fermerait l'enquête, encourager à revenir sur un élément insuffisamment exploité :

(90) M : Alors on revient sur le début (...)

Dans un autre exemple, le maître ralentit le temps de l'activité, dit explicitement qu'il doit prendre le temps d'écrire et qu'il ne peut pas écouter en même temps (donne des invariants opératoires pour la gestion du temps), c'est l'activité qui produit le temps et non pas le contraire :

(107) M : Chut chut Attendez j'écris là je peux pas ... je ne vous écoute pas en même temps...

L'enseignant choisit de faire écrire les élèves également, ce qui permet de ralentir et d'approfondir la recherche. L'écriture s'intercale dans le flux des propositions, elle oblige à différer d'éventuelles nouvelles interventions. Le maître impose l'idée de faire le point, de reprendre, de faire du lien entre tout ce qui vient d'être dit. Il met de la musique pour accompagner ce ralentissement, pour induire un rythme plus lent. Il précise que l'écriture n'est pas le plus important mais qu'il s'agit surtout de prendre le temps de réfléchir :

(255) M : (...) Vous n'êtes pas obligé d'avoir écrit. Nicolas il a très bien réfléchi. (...)

B) Une dialectique de l'avancée du temps didactique

Il existe une tension tout au long de la séance entre ce que l'enseignant semble avoir l'intention de faire : problématiser, ne pas brusquer l'avancée du savoir, faire jouer au rituel son rôle d'espace-temps propice aux négociations, et ce qui relève des attentes habituelles d'un travail en classe : transmettre des connaissances et institutionnaliser les savoirs construits par les élèves.

Tout au long de la séance, le maître ralentit régulièrement l'avancée du temps didactique pour contraindre les élèves à réfléchir. Il renonce même à saisir l'opportunité que lui offre un élève dès le début de la séance, de faire avancer la discussion sur le thème retenu. Dans le même temps, il cherche à assurer l'avancement de la discussion de deux manières : en inscrivant au tableau les idées émergeant au fur et à mesure des échanges ; en proposant de nouveaux exemples illustrant les différents philosophèmes relatifs au thème "croire/savoir". Ces propositions scandent le débat, mais échouent à faire avancer le temps didactique. Les élèves examinent les exemples sans parvenir pour la plupart à établir le lien, c'est-à-dire la distinction entre croyance et connaissance. Seul un élève s'en approche dès le début mais sans réussir à susciter le cheminement de ses pairs vers une représentation générique des différents exemples considérés. Après des échanges à propos de plusieurs exemples, l'enseignant tente d'utiliser cet élève mais perd le groupe à cette occasion :

(358) M : Alors, vas-y Justin ! Vas-y vas-y !

(359) Justin : C'est une croyance.

(360) M : Qu'est-ce qui est une croyance ?

(361) Justin : Ben les dieux c'est une croyance. Et le savoir, c'est... heu...ben... le plus. On sait.

(362) M : On sait. C'est-à-dire ?

(363) Justin : Ben on./

(364) M : / Est-ce que tu peux donner d'autres exemples de ce qu'on sait ? De ce que tu sais Toi ?

Les échanges ne se font plus qu'entre l'enseignant et Justin. L'enseignant choisit donc délibérément de retourner à de nouveaux exemples pour raccrocher les autres élèves, ce qui se produit effectivement. Un peu plus tard dans la discussion, le maître tente à nouveau de sortir les élèves de l'étude des exemples pour ré-introduire l'idée générique de la distinction entre croire et savoir, mais l'essai est encore prématuré, les élèves répondent pour respecter le contrat5 et non pas en fonction d'une réelle avancée dans la construction du savoir :

(391)M : (...) Voilà. Donc ça c'est des choses qu'on sait. D'accord ? Oui ou pas ? Tout le monde a compris là ?

(392) Plusieurs élèves ensemble : ouii

(393) M : "Deux plus deux, quatre", on sait.

(394) Plusieurs élèves ensemble : Ouii

(395) M : Dieu, Justin, toi ?

(396) Justin : C'est la croyance.

Le maître parle de "comprendre", mais il semble que les élèves n'en soient pas là malgré leur "ouii" collectif. Seul Justin semble avoir saisi qu'il s'agit de catégoriser les exemples selon la dichotomie croire/savoir, sans en être forcément à penser déjà toutes les implications de la distinction entre les deux. L'enseignant continue donc à proposer des exemples pour tenter d'accompagner l'ensemble des élèves dans la construction du savoir visé et en tenant à distance la tentation d'utiliser Justin :

(449)M : Je sais que tu sais Justin, mais j'aimerais bien que les autres parlent...

Finalement, Justin abandonne son idée pourtant très proche des attendus et s'engage avec ses camarades dans la discussion sur des exemples isolés. L'enseignant continue d'accompagner les élèves dans leurs échanges en saisissant toutes les occasions de faire émerger la "solution" mais sans rien précipiter.

(556) M : Croire en lui. On aurait presque pu continuer là-dessus. Est-ce que... Dylan, tu peux continuer là-dessus ? Croire en lui c'est-à- dire ?

(557) Dylan : Ben croire aux autres. Croire aux autres.

(558) M : C'est-à-dire ? vas-y.

(559) Dylan : Ben... on peut croire à eux... Croire aux autres, croire à lui... Faut croire à lui-même.

(560) M : A soi-même ?

(561) Dylan : Oui à soi-même.

(562) M : C'est-à-dire ? Va jusqu'au bout. Est-ce que toi tu crois à toi ?

(563) Dylan : Oui

(564) M : Alors c'est-à-dire ?

(565) Dylan : Ben...

(...)

(568) Dylan : Ben... je crois qu'on va aller voir ma mamie.

(569) M : Oui...

(570) Dylan : je crois que je vais aller jouer dehors l'après midi et puis c'est tout.

Dylan semble avoir senti l'intérêt particulier du maître pour ses propos, il continue d'énumérer des exemples, mais semble ne pas comprendre clairement ce qu'on attend de lui et précise : " puis c'est tout ", comme pour montrer qu'il sent une attente mais ne sait pas la satisfaire pleinement.

L'enseignant tente de recentrer régulièrement et de formaliser un peu les propos tenus :

(576) M : Alors, est-ce qu'on... juste on fait un petit bilan là sur... je crois qu'on a vu deux grosses choses ensemble, deux gros points. (En écrivant sur le tableau) On a vu ensemble... notre histoire de ce que Justin a très bien dit. Les croyances, lorsqu'on croit. Finalement, c'est ce qu'on peut pas ??

(577) E : Vé...

(578) M : Vérifier. D'accord ? Ce qu'on peut pas vérifier. C'est une croyance.

(...)

(603)M : (...) ce qu'on fait en sciences là depuis le début de l'année, est-ce que ça c'est des croyances ?

(...)

(608) M : Non. T'écoutes pas. Est-ce que ce sont des croyances qu'on fait en sciences ?

(609) E : heu oui !

(610) M : Ou est-ce que c'est du savoir ?

(611) Kevin 2 : Savoir et croire. Les deux ! Moyen.

Les élèves associent bien science et savoir, mais l'idée de croyance n'est pas rejetée à ce stade des échanges, au contraire, ce qui fait craindre à l'enseignant d'avoir semé la confusion en voulant guider la réflexion :

(627) M : Je vous ai un peu perdu je crois là , non ?

Plus le temps passe, plus le maître tente d'institutionnaliser le savoir que les élèves semblent avoir construit (le Père Noël c'est une croyance...) et pose une dernière question pour s'assurer que les élèves ont dégagé le critère attendu (... parce qu'on ne peut pas vérifier son exactitude). Mais les élèves n'ont pas construit ce savoir apodictique, ils ont encore besoin de vérifier dans les faits et se lancent dans des échanges contradictoires sur la question de savoir si l'on peut vérifier ou pas que le Père Noël existe.

(655) M : C'est une croyance ... on dit ... tout le monde dit je crois, je crois pas, je crois, je crois pas, donc ça veut dire que c'est bien une croyance... Est-ce qu'on peut vérifier que le Père Noël existe ?

(656) EE : Non !

(657) Justin : Si ! Si ! ...

(658) Kevin2 : Oui oui on peut le vérifier

(659) Justin : aller dans le canapé et après c'est...hop !

(...)

(689) M : S'il vous plait ! Brouhaha (...) Donc, on a vu la différence entre croire et savoir. Savoir, on vérifie. Croire... finalement, on ne sait pas, on ne peut pas vérifier. C'est ce qu'on a dit. D'accord ?

(690) E : Oui

Pour couper court aux échanges, qui ne permettent pas l'avancée du savoir visé, le maître tente d'institutionnaliser ce savoir qui n'a pas été construit par tous : croire, on ne peut pas vérifier / savoir, on vérifie. Il tente d'obtenir un accord de principe ( c'est ce qu'on a dit. D'accord ?) et l'obtient, mais par contrat didactique seulement.

En fin de séance, l'enseignant, qui avait prévu un certain nombre de relances, introduit une nouvelle idée qui n'a pas pu être traitée : croire en soi, croire en quelqu'un. Il semble exister une tension entre ce qui se dit vraiment et les attentes insatisfaites du maître qui suggère toujours plus ( je pensais que tu allais nous dire....) et qui énumère de nouvelles situations non débattues. Il semble qu'il soit tenté d'accélérer le temps didactique en cette fin de séance enregistrée, mais les élèves n'en sont pas là et résistent en reprenant le thème de la vérification des croyances qu'ils n'ont pas épuisé...

(751) Hugo : moi j'ai une preuve que le Père Noël existe...

Finalement l'enseignant conclut en ré-ouvrant le débat qu'il ne peut clore par une institutionnalisation véritable malgré ses tentatives :

(763) M: (...) on remettra ça un peu au clair plus tard...

V) Discussion et perspectives

Les élèves n'ont pas construit le questionnement attendu à cette échelle micro-temporelle, mais ils ont adapté leur conduite tout au long de la séance en cherchant à comprendre et à échanger activement pour la plupart. Au delà des contenus des échanges, ils ont exploré les différents aspects temporels pertinents : différer, prendre, garder et rendre la parole ; respecter le temps de parole des autres, faire du lien entre des événements plus ou moins éloignés dans le temps, prendre du temps pour réfléchir, mais aussi saisir les opportunités pour s'exprimer, donc participer activement à l'élaboration du temps didactique de la classe ; situer la séance dans un empan temporel plus large comprenant un avant et un après ; créer du temps avec l'activité et non le contraire.

Au niveau macro-temporel, cette séance prend sa place dans un apprentissage auquel même deux élèves restés silencieux ont participé, du regard et de l'écoute au moins.

D'une manière générale, les élèves se sont comportés en sujets agissant du rituel "atelier philosophique", avec intensité et plaisir, ils se sont montrés "mêmes" et "différents" dans cette pratique sociale qui leur permet de négocier leur rapport à l'autre et leur rapport au temps... à se situer. L'atelier philosophique, tel qu'on l'observe pratiqué ici, semble bien contribuer à la création d'un "milieu temporel" au sein duquel chacun peut assumer et produire son temps propre, en participant à la co-élaboration du temps didactique collectif. Ce temps co-construit facilite la vie sociale au lieu de l'entraver. Le maître s'en montre le garant en résistant à la tentation de faire avancer trop vite le temps didactique, ce qui le rendrait inaccessible à certains élèves. L'assemblage des temps reste ainsi non saturé, perméable à d'autres temps, "espace" ouvert aux incertitudes, aux opportunités, aux imprévus. Même les deux élèves "taiseux" n'en sont pas exclus.

Ces résultats reposent sur une interprétation des observables d'une seule séance. Ils nécessitent d'être vérifiés par un entretien de co-explicitation entre le chercheur et l'enseignant observé, et au delà avec d'autres situations et d'autres enseignants.

VI) Conclusion provisoire

Les ateliers philosophiques semblent propices au développement de représentations temporelles conduisant les élèves à une meilleure assomption de leur temps scolaire et l'enseignant à une meilleure prise en compte des besoins temporels de ses élèves. Néanmoins, l'exercice reste difficile dans un contexte scolaire temporellement contraignant et la tentation est forte pour chacun de remplir le contrat didactique tel qu'il s'impose habituellement : le maître transmettant des connaissances dans les temps impartis, que les élèves doivent retenir pour une évaluation ponctuelle. L'exigence de la démarche philosophique peut cependant donner aux acteurs les moyens de résister, la pérennité de cette pratique devrait apporter peu à peu des savoirs d'expériences qu'il s'agira de mettre en évidence pour mieux les promouvoir et les partager.


(1) Nous entendons par "temps didactique" l'avancement des apprentissages selon le texte du savoir, c'est-à-dire selon ce qu'il est progressivement prévu d'enseigner et d'apprendre institutionnellement, et qui se traduit en classe dans une version locale prenant plus ou moins en compte les besoins et les capacités des élèves (Chevallard, 1982). .

(2) Nous entendons par "assomption du temps" le fait que l'élève assume la gestion du temps de son activité de façon suffisamment autonome et conscientisée.

(3) Nous entendons par "empan temporel large" une représentation du temps des apprentissages qui dépasse le cadre temporel de la séance en cours au niveau micro de la gestion temporelle et le cadre temporel de l'année en cours au niveau macro : un maître de cours préparatoire par exemple se représentera qu'un élève de sa classe n'apprend pas à lire qu'ici et maintenant sous sa responsabilité, mais depuis plusieurs années déjà, tout au long de l'année en cours et pour plusieurs années à venir encore, ce qui détermine fortement ses choix pédagogiques, ses exigences en termes d'évaluation et la pression temporelle qu'il choisit d'exercer sur ses élèves.

(4) CLIS TSL : Classe d'inclusion scolaire accueillant des élèves présentant des troubles spécifiques du langage.

(5) Nous faisons ici référence au "contrat didactique" tel que G. Brousseau le définit, c'est-à-dire l'ensemble des comportements de l'enseignant qui sont attendus de l'élève et l'ensemble des comportements de l'élève qui sont attendus de l'enseignant, parfois de manière explicitée mais le plus souvent de manière totalement implicite.

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