Ce texte1 s'inscrit dans le cadre des analyses croisées d'une séquence du film Ce n'est qu'un début, portant sur l'amour. Il est cependant plus large puisqu'il reprend les éléments-clés de diverses publications2 centrées sur l'analyse de deux séquences du film, celle sur l'amour et une autre sur la liberté. En outre, ces analyses étaient comparatives, c'est-à-dire qu'elles comparaient les enfants participant au film à un groupe d'enfants sans pratique philosophique. Malgré ces divergences méthodologiques, ce texte s'inscrit dans le cadre des analyses croisées et peut apporter aux enseignantes et enseignants qui animent des ateliers philosophiques des outils permettant de vérifier la progression des apprentissages de leurs élèves.
En visionnant le film, un premier constat a émergé : les enfants de 4 et 5 ans réfléchissent. La question sous-jacente à laquelle nous avons tenté de répondre est la suivante : les réflexions des enfants s'inscrivent-elles ou non dans le processus du philosopher?
Définissant le philosopher à l'école comme "le processus d'apprentissage du dialogue critique et d'une pensée critique dialogique" (Daniel & Auriac, 2010), nous avons effectué trois analyses des verbatim d'échange, en lien avec le développement discursif, langagier et cognitif des enfants.
Méthode d'analyse
Deux enregistrements ont été effectués dans le groupe expérimental (possédant une expérience des ateliers philosophiques). Au moment du premier enregistrement, portant sur le thème de l'amour, les enfants étaient âgés de 4 ans ; au moment du deuxième enregistrement, portant sur le thème de la liberté, ils étaient âgés de 5 ans3.
Le groupe expérimental a été comparé à un groupe témoin (sans expérience philosophique), âgé de 5 ans. L'échange de ce groupe, qui portait également sur l'amour, a été animé par une enseignante non formée à l'approche philosophique4.
Les enfants des deux groupes provenaient du même milieu socio-économique défavorisé, situé en banlieue de Paris.
Pour l'analyse des verbatim (des groupes expérimental et témoin), trois instruments de collecte de données ont été utilisés : la typologie des échanges (Daniel et al., 2005 ; Daniel & Delsol, 2010), les marqueurs langagiers (Auriac, 2007, 2008 ; Auriac& Daniel, 2002) et le modèle du processus développemental d'une pensée critique dialogique (Daniel et al., 2005 ; Daniel& Gagnon, 2011 ; Daniel, Gagnon& Pettier, soumis).
Le premier outil était basé sur la typologie des échanges (voir l'annexe 1). Une analyse de chaque intervention d'enfant a été effectuée en fonction de celles des pairs, afin de vérifier si elle y était reliée ou non. Si l'intervention n'était pas explicitement reliée à la ou aux précédentes, il pouvait s'agir d'une séquence de type anecdotique ou monologique. Si l'intervention était explicitement reliée à la ou aux précédentes, la séquence pouvait être comprise comme dialogique (non critique, quasi-critique ou critique).
Le deuxième outil était orienté vers la prise en compte de l'usage des marqueurs langagiers. D'abord, nous avons extrait les pronoms utilisés par les enfants des deux groupes (expérimental et témoin). Puis nous les avons positionnés sur un continuum reflétant leur évolution du plus simple au plus complexe et ce, à partir de deux critères, la décentration et l'abstraction (voir annexe 2). Finalement, nous avons utilisé ce continuum pour analyser le niveau de complexité du langage chez les deux groupes d'enfants.
Le troisième outil était le modèle du processus développemental d'une pensée critique dialogique (PCD) (voir annexe 3). Ce modèle montre que les modes de pensée sont dynamiques ; leur complexification se reflète dans les perspectives épistémologiques. Ces dernières renvoient à la manière dont les significations et les représentations du monde se construisent (Est-ce qu'elles sont centrées sur les individus ? Prennent-elles les points de vue d'autrui en considération ? Sont-elles dirigées vers les concepts, les valeurs sociales... en vue du bien commun ? Etc.) Les perspectives reliées à l'égocentrisme mobilisent surtout le plan concret en ce qu'elles se manifestent par le biais d'énoncés basés sur les perceptions ou l'expérience personnelle ; les perspectives reliées au relativisme tiennent compte de l'aspect affectif en ce qu'elles présupposent un souci de l'autre et qu'elles se manifestent par le biais de relations (vs d'unités) ; les épistémologies reliées à l'intersubjectivité mobilisent les aspects affectif et évaluatif en ce qu'elles présupposent un souci social, qui se manifeste dans l'évaluation des concepts, valeurs, etc. en vue du bien commun. Pour l'analyse, nous avons appliqué les composantes du modèle (4 modes de pensée X 6 perspectives épistémologiques) aux verbatim d'échanges des enfants.
Résultats comparatifs
La typologie des échanges (voir tableau 1)
Le discours des enfants du groupe expérimental (qui échangeaient alors sur l'amour), s'est exprimé de manière diversifiée, selon quatre types d'échanges : anecdotique, monologique, dialogique non-critique, dialogique quasi-critique. Les analyses indiquent une prédominance du monologique, qui a totalisé 35% des interventions. Autrement dit, les interventions des enfants constituaient des réponses adressées à l'enseignante (et non aux pairs); elles étaient indépendantes les unes des autres - bien que toutes directement reliées à la question posée par l'enseignante; elles présupposaient une réflexion légèrement décentrée de l'expérience particulière du moi (ex. : les papas, sa famille). Voici un exemple d'un échange monologique :
Ens.: (...) C'est quoi l'amour? Ça veut dire quoi d'être amoureux?
M01: Parce que les papas ils sont amoureux avec les mamans. Et après ils sont toujours amoureux parce qu'ils sont mariés.
F09: Et ben on doit aimer sa famille ses amis même ceux qui sont pauvres et puis tout le monde.
M01: Y a toujours les papas qui sont amoureux des filles.
Si nous regroupons les pourcentages reliés aux échanges plus simples (anecdotique et monologique) et ceux reliés aux échanges plus complexes (dialogique non-critique et quasi-critique), nous voyons que 57% des interventions se situent dans des échanges simples et que 43% se situent dans les interventions plus complexes. Dans les séquences des types dialogique, les enfants du groupe expérimental étaient motivés par un "problème" commun à résoudre et ils commençaient à s'ouvrir aux pairs et à se laisser influencer par eux dans l'élaboration de leurs points de vue. Néanmoins le nombre d'enchainements était limité, les interventions étaient brèves et non (individuellement) justifiées et les positions demeuraient inchangées entre le début et la fin de la séquence. Voici un exemple d'un échange dialogique quasi-critique :
M01 : Parce que une fille ça peut être amoureux et un garçon c'est pas amoureux/ c'est que les filles qui est amoureux de de d'une autre fille
F22 : Tu veux dire que deux filles ils sont amoureux [ton int.]
Ens. : Attends F22 tu peux recommencer [ton int.]
F22 : Il veut dire deux filles qui sont amoureux.
Ens : C'est possible ou c'est pas possible [ton int.]
F22 : C'est pas possible
Ens : Pourquoi [ton int.]
F01 : Parce qu'il faut être en amour avec un garçon
M01 : C'est le code
Ens : C'est quoi le code [ton int.]
M05 : C'est comme le code de la route
Chez le groupe témoin, l'échange des enfants est généralement demeuré anecdotique, totalisant 82% des interventions. Autrement dit, l'échange était surtout centré sur l'expérience particulière de l'enfant (ex. : moi je). Voici un exemple d'un échange anecdotique:
F01 : Non mais quand même moi j'aime bien mon petit frère (...)
M07 : Moi j'adore le Nutella (...)
F05 : Moi je les aime les chevaux.
Si on procède au regroupement des pourcentages chez ce groupe d'enfants, les résultats montrent que 100% des interventions étaient simples.
Tableau 1. Types d'échanges. Résultats comparatifs
Type d'échange | Anec- dotique |
Mono- logique |
Dialogique non-critique |
Dialogique quasi-critique |
Dialogique critique |
---|---|---|---|---|---|
Groupe expérimental | 22% | 35% | 17% | 26% | 0% |
Groupe témoin | 82% | 18% | 0% | 0% | 0% |
Les marqueurs langagiers (voir tableau 2)
Nous avons ensuite analysé les mêmes verbatim en nous concentrant, cette fois, sur l'usage que les enfants faisaient des pronoms. Chez les enfants du groupe expérimental (qui échangeaient toujours sur l'amour), l'usage du "ils généralisé" (ex. les papas) a prédominé avec 34% des interventions.
Chez le groupe témoin, l'usage du "je" a prédominé avec 36% des interventions, mais suivi de près par l'usage du "Il particulier" qui est ressorti dans un pourcentage de 32%.
Si nous disposons les pourcentages obtenus sur le continuum reflétant le progression de la centration/concret vers la décentration/abstrait, nous obtenons, chez le groupe expérimental, un total de 57% des interventions exprimées à l'aide de pronoms marquant la centration et le concret ("je", "on", "il particulier") et de 42% des interventions exprimées à l'aide de pronoms marquant un début de complexification du discours, nommément la décentration et l'abstraction ("ils généralisé" ou concept, "tu"). Chez le groupe témoin, l'examen du continuum indique un total de 80% des interventions exprimées à l'aide de pronoms marquant la centration et le concret ("je", "on", "il particulier") et de 20% des interventions exprimées à l'aide de pronoms marquant un début de complexification du discours, nommément la décentration et l'abstraction ("ils généralisé" ou concept).
Tableau 2. Marqueurs langagiers. Résultats comparatifs
Marqueurs | Je | On | Il (particulier) | Ils (généralisé) ou concepts |
Tu |
---|---|---|---|---|---|
Groupe expérimental |
13% | 26% | 18% | 34% | 8% |
Groupe témoin | 36% | 12% | 32% | 20% | 0% |
Le processus développemental d'une PCD (voir tableau 3)
Finalement, nous avons analysé un verbatim d'échange du groupe expérimental (portant, cette fois, sur le thème de la liberté) alors que les enfants avaient 5 ans. Nous l'avons comparé au verbatim d'échange des enfants du groupe contrôle (celui portant sur l'amour). L'instrument de collecte de données était le modèle du processus développemental d'une pensée critique dialogique (PCD).
L'analyse a révélé que l'épistémologie reliée au pré-relativisme a prédominé chez le groupe expérimental, totalisant 54% des interventions. Un ancrage dans les perspectives précédentes, plus simples, a été noté ainsi qu'une percée dans la perspective suivante, plus complexe.
Chez le groupe témoin, les perspectives de l'égocentrisme et du pré-relativisme ont été mobilisées dans un pourcentage similaire (respectivement 35% et 36%) et elles ont dominé l'ensemble des épistémologies. La répartition des pourcentages pour les trois premières perspectives s'est révélée assez homogène, mais la percée vers le relativisme a été minimale.
Si nous regroupons les résultats reliés aux perspectives égocentriques (égocentrisme et post-égocentrisme) et relativistes (pré-relativisme et relativisme), nous obtenons la relation suivante : 35% des interventions du groupe expérimental se sont manifestées de manière égocentrique et 65% de manière relativiste, tandis que chez le groupe témoin, 60% des interventions se sont manifestées de manière égocentrique et 40% de manière relativiste.
Tableau 3. Processus développemental d'une PCD. Résultats comparatifs
Perspectives épistémologiques |
Égocentrisme | Post-égocentrisme | Pré-relativisme | Relativisme |
---|---|---|---|---|
Gr. expérimental | 11% | 24% | 54% | 11% |
Gr. témoin | 35% | 25% | 36% | 4% |
Conclusion
Les trois instruments de collecte de données que nous avons utilisés pour analyser les verbatim des enfants indiquent que, chez le groupe expérimental, un niveau non-négligeable de complexité s'est manifesté et ce, sur trois plans : discursif, langagier et cognitif. Ce faisant, nous sommes en mesure de soutenir que ce groupe d'enfants était engagé dans le processus du "philosopher".
D'abord, la manière d'échanger et d'exprimer leurs points de vue par le biais de la narration anecdotique, de la conversation monologique puis de l'interaction dialogique montre que, tout en étant simple, elle n'est pas un produit fini, mais un processus ouvert, dynamique et en voie de progression.
Ensuite, l'usage diversifié du "je" du "ils généralisé" puis du "tu" laisse entendre que des habiletés complexes, liées à un début de décentration et d'abstraction ont été mobilisées et se sont exprimées de manière observable dans le discours.
Finalement, l'épistémologie de ce groupe qui a dépassé l'égocentrisme et le post-égocentrisme pour s'affirmer dans le pré-relativisme et commencer à s'engager dans le relativisme, indique que les représentations que les enfants se faisaient du monde, tout en conservant un ancrage dans les perspectives reliées à l'égocentrisme, commençaient à se complexifier, à prendre en compte une pluralité d'unités de sens pour arriver à une compréhension plus générale et plus abstraite d'un concept (ici, la liberté).
Différemment, l'analyse du verbatim du groupe témoin a montré que les plans discursif, linguistique, et cognitif ont été mobilisés à un niveau moins complexe, leurs échanges se situant surtout dans la narration anecdotique, l'usage des pronoms reflétant majoritairement le concret et le particulier et leur épistémologie se maintenant généralement dans les perspectives du pré-relativisme et de l'égocentrisme.
Inscrire la réflexion des enfants dans le processus du philosopher est une visée aussi fondamentale que diffuse. La typologie des échanges, les marqueurs langagiers et le modèle du processus développemental d'une PCD sont trois instruments d'analyse qui peuvent seconder les enseignantes et enseignants désireux de vérifier la progression des apprentissages de leurs élèves sur les plans discursif, langagier et cognitif, alors qu'ils animent des DVP.
Réaction de M. Tozzi
L'intérêt de ces analyses croisées utilisant des outils différents d'analyse est celui de la triangulation : utiliser des méthodes d'analyse différentes pour voir s'il y a convergence dans la vérification de l'hypothèse formulée. Le croisement est au moins double :
- comparaison du groupe expérimental, pratiquant une DVP avec dispositif (ex : bougie) et animation ad hoc (dispositif, type d'animation...), à un groupe témoin pratiquant une discussion sans l'étayage didactique précédent. Il faut que le groupe témoin soit relativement comparable (car il y a notamment les variables du groupe et son histoire pédagogique et didactique, et celle de l'animateur, différents dans les deux classes), de façon à pouvoir rendre significativement compte de la variable couplée dispositif/animation philosophique, de son effet didactique ;
- utilisation conjointe de trois outils d'analyse, de nature différente : typologie des échanges, (de l'anecdotique au critique), marqueurs langagiers (ici l'usage pronominal), et modèle du processus développemental d'une pensée critique dialogique (PCD, de l'égocentrisme à l'intersubjectivité).
Les premier et troisième outils émanent d'une didacticienne de la philosophie pour enfants. La typologie des échanges peut être comprise comme la description des étapes à franchir pour aller progressivement vers une pensée réellement philosophique : la pensée critique dialogique (PCD). C'est une perspective génétique, développementale, de processus de pensée. Mais moins à la façon de Piaget (avec ses stades de développement) que de Vigotsky (où le passage à l'étape supérieure peut être accéléré moyennant certaines conditions, comme travailler une compétence dans sa zone proximale de développement, et dans une situation d'apprentissage). Car il s'agit moins, ou pas seulement, d'un développement selon l'âge, que d'une possibilité acquise par entraînement (certains enfants peuvent être plus avancés non parce qu'ils sont plus vieux ou plus disposés à la philosophie, mais parce que certaines tâches proposées par le maître les y ont préparés).
Cette typologie développementaliste du premier outil est redoublée avec le troisième outil par une typologie de positionnements épistémologiques (quel type de rapport au savoir et du rapport au savoir dans son rapport aux autres ?).
Le second outil provient des sciences du langage, appuyé sur une typologie des modes de pronominalisation permettant de situer l'usage des pronoms sur un axe allant du simple-concret au complexe-abstrait. La fiabilité de l'outil réside dans la juste appréciation du rapport de la langue à la pensée en contexte d'apprentissage, puisque que l'on infère d'un marqueur langagier un processus de pensée. Cette démarche est très utile pour une didactique de l'apprentissage du philosopher, car les opérations cognitives ne se voient pas, mais les productions langagières transcrites en porte trace dans les verbatim, et l'intérêt est d'avoir à sa disposition des outils d'analyse pour les décrypter.
Annexe 1 - Typologie des échanges entre les élèves
A) L'échange est considéré comme anecdotique lorsque les jeunes "parlent" de façon non structurée à propos de situations qui leur sont personnelles. Dans ce cas, les élèves ne sont pas dans un processus de recherche, ils n'ont pas de but commun à cerner et ils se laissent peu ou pas influencer par les interventions des pairs. En outre, ils ne justifient pas leurs points de vue et leurs opinions sont présentées comme des conclusions.
Échange de type anecdotique - des critères :
- Échange avec une pluralité d'objectifs subjectifs (sans objectif commun)
- Échange qui se réduit à une série d'anecdotes personnelles
- Ces anecdotes sont essentiellement adressées à l'enseignante
- Le discours fait ressortir une pensée concrète basée sur l'expérience perceptuelle
- Incapacité pour les jeunes de justifier leurs énoncés, même lorsqu'ils y sont incités par l'enseignante
- Incompréhension de concepts abstraits lorsque l'enseignante les introduit dans l'échange
- Peu d'intérêt pour les perspectives des pairs ; ils ne posent pas de questions
- La classe se réduit à un groupe d'individus isolés (vs une microsociété ou encore une communauté de recherche)
B) L'échange est appelé monologique dans la mesure où les élèves commencent à entrer dans un processus de recherche, mais orienté essentiellement vers la recherche de "la" bonne réponse. Les réponses sont adressées à l'enseignante (et non aux pairs). Chaque intervention d'élève est indépendante des autres. Les élèves ont de la difficulté à justifier leurs opinions.
Échange de type monologique - des critères
- Les réponses des élèves sont brèves
- Réponses indépendantes les unes des autres (sans co-construction explicite)
- Énoncés non spontanément justifiés. Ils le sont uniquement lorsque stimulés par l'enseignante
- Résoudre un problème équivaut à rechercher la bonne réponse
- Réponses adressées à l'enseignante
C) Un échange est dialogique, lorsque les élèves commencent à former une communauté de recherche, c'est-à-dire lorsqu'ils co-construisent leurs interventions à partir de celles des pairs et qu'ils s'investissent dans la réflexion en étant motivés par un problème commun à résoudre ensemble. Nous avons retracé trois types d'échange dialogique :
Un échange a été qualifié de dialogique non critique lorsque les élèves respectent les différences d'opinion, construisent leur point de vue à partir de ceux émis par les pairs et commencent à justifier leurs propos. Toutefois, à ce niveau, les élèves n'évaluent pas les points de vue ou les perspectives en jeu ; ils n'évaluent pas la validité, l'utilité, la viabilité des énoncés ou des critères.
Échange de type dialogique non-critique - des critères
- Début de communauté de recherche entre les élèves
- Respect des différences de points de vue
- Co-construction des idées à partir de celles des pairs
- Énoncés justifiés lorsque l'enseignante les guide dans ce sens
- Les points de vue se complexifient
- La quantité (vs. qualité) des énoncés semble le but visé par les élève
- La validité des prémisses ou des points de vue n'est pas évaluée ni questionnée
C) L'échange est appelé dialogique quasi-critique alors que, dans un contexte d'interdépendance, certains élèves sont suffisamment critiques pour questionner les énoncés des pairs, mais que ces derniers ne le sont pas suffisamment pour être cognitivement influencés par la critique émise, de sorte que cette dernière ne conduit pas à une modification du point de vue ou de la perspective.
Dialogique quasi-critique - des critères
- Question commune à résoudre (un but commun rassemble les réflexions)
- Liens explicites entre les interventions des élèves (interdépendance des points de vue)
- Questions critiques, mais qui n'influencent pas les pairs
- Énoncés pas toujours complètement justifiés
- Écoute et respect d'autrui pas tout à fait intégrés
- Le résultat est que l'idée initiale est améliorée mais pas modifiée
D) L'échange est appelé dialogique critique, lorsque non seulement les élèves améliorent la perspective initiale du groupe, mais qu'ils la modifient. Ils sont alors capables de considérer l'autre comme porteur de divergence et, ce faisant, comme nécessaire à l'enrichissement de la communauté. L'incertitude momentanée est acceptée comme faisant partie de toute discussion intéressante et la critique des pairs est recherchée pour elle-même, comme un outil pour avancer dans la compréhension.
Type d'échange dialogique critique - des critères
- Interdépendance explicite entre les interventions
- Processus de recherche installé
- Recherche axée sur la construction de significations (vs d'une vérité)
- Recherche de la divergence
- Évaluation des énoncés et des prémisses
- Ouverture d'esprit quant aux nouvelles alternatives
- Justifications spontanées et complètes
- Préoccupations sociales et éthiques
- Énoncés sous forme d'hypothèses à vérifier (vs. conclusions fermées)
- Modification de l'idée initiale
Annexe 2 - Continuum des marqueurs langagiers
Marqueur | Je | On | Il (particulier) | Ils (généralisé) et concepts |
Tu |
---|---|---|---|---|---|
Exemple | Moi j'aime le Nutella | En philosophie on apprend à poser des questions; On doit aimer tout le monde |
Mon copain Jonas il met du parfum | Les parents ils aiment leurs enfants; Être amoureux ça veut dire... |
Est-ce que tu veux dire que...? |
Complexification | Simple - Centration/concret | Complexe Décentration/abstraction |
Annexe 3 - Modèle du processus développemental d'une pensée critique dialogique
MODES / ÉPISTÉMOLOGIE |
LOGIQUE | CRÉATIVE | RESPONSABLE | MÉTA COGNITIVE |
---|---|---|---|---|
ÉGOCENTRISME | Énoncé basé sur expérience sensorielle d'un fait particulier et personnel | Énoncé qui donne du sens à un point de vue personnel et concret | Énoncé relié à un comportement personnel et particulier en lien avec une croyance sociale ou morale | Retour sous forme d'énoncé sur une tâche, point de vue, sentiment... personnel et particulier |
POST- ÉGOCENTRISME |
Énoncé basé sur l'expérience (perso ou d'un proche) + raisonnement | Énoncé qui donne du sens au point de vue personnel (mais éloigné du moi) |
Énoncé particulier/concret relié à une règle morale ou sociale (apprise) Non contextualisée |
Retour sous forme d'énoncé d'une tâche, point de vue, sentiment... personnel (éloigné du moi) |
PRÉ- RELATIVISME |
Énoncé quelque peu généralisé Non justifié ou avec volonté de justifier (justification au je, implicite, circulaire, fausse) |
Énoncé nouveau ou divergent ou qui présente diverses situations/ solutions/ hypothèses (unités) en lien avec une idée personnelle ou d'autrui |
Énoncé relié à un agir quelque peu généralisé dans une perspective sociale ou morale | Retour sous forme descriptive d'une tâche, point de vue, sentiment... personnel (éloigné du moi) |
RELATIVISME | Justification Incomplète/ concrète (explication) basée sur raisonnement + expérience Parfois induite par l'adulte |
Relation qui donne du sens au point de vue d'un pair (en la complétant ou y ajoutant une nuance ou nouvelle relation) | Énoncé qui explique un désir de comprendre/inclure autrui (environnement immédiat) | Retour descriptif sur une tâche, pensée... d'autrui (environnement immédiat) |
POST- RELATIVISME / PRÉ-INTER- SUBJECTIVITÉ |
Justification basée sur des " bonnes raisons " à partir d'un raisonnement simple | Relation qui présente un contexte différent en prenant en compte la perspective du groupe | Énoncé qui justifie un désir de comprendre /inclure autrui (environnement éloigné) | Retour descriptif sur une tâche, pensée... d'autrui (environnement éloigné) |
INTER- SUBJECTIVITÉ |
Justification basée sur des critères Conceptualisation basée sur raisonnement simple |
Relation évaluative qui apporte un sens divergent et transforme la perspective | Doute qui sous-tend l'évaluation des catégories (règles, principes, valeurs sociaux/moraux) | Énoncé évaluatif exprimant un changement de perspective (correction/ autocorrection) suite à l'intégration d'une critique |
(1) Article publié initialement dans la revue Creative Education (vol 2 (3), pp. 296-304).
(2) Les analyses du présent texte sont tirées de : Daniel, M.-F., Pettier, J.-C.& Auriac-E. (2011). The incidence of philosophy on the discursive and language competencies of pupils aged four years. Creative Education, 2 (3), 296-304 ; Daniel, M.-F.& Gagnon, M. (2011). A developmental model of dialogical critical thinking in groups of pupils aged 4 to 12 years. Creative Education, 2 (5), 418-428 ; Daniel, M.-F., Gagnon, M.& Pettier, J.-C. (soumis). The developmental process of dialogical critical thinking in preschool children. Classroom Discourse.
(3) Les deux échanges du groupe expérimental ont été enregistrés par l'équipe du film documentaire Ce n'est qu'un début, Cilvy Aupin, Jean-Pierre Pozzi, Pierre Barougier, Jonathan Martinot. Les deux enregistrements étaient encore logés sur le site Web de Ciel de Paris lorsque leur accès nous a été autorisé.
(4) L'échange a été enregistré sur bande vidéo par Jean-Charles Pettier en juin 2010, en vue d'une analyse comparative.