Un programme de formation en éthique et en culture religieuse est implanté au Québec depuis l'automne 2008 à la suite de décisions politiques prises en ce sens après un vaste débat public sur la place de la religion dans les écoles. En implantant un tel programme, le gouvernement du Québec a voulu mettre un terme à un régime d'option entre l'enseignement religieux confessionnel, catholique et protestant, et l'enseignement moral, régime qui séparait les élèves quand il s'agissait d'aborder les questions de normes, de valeurs, de convictions, de croyances, et qui, à ce titre, posait problème au point de vue de l'égalité de traitement et au plan éducatif en matière de socialisation.
En cherchant à assurer à tous l'égalité de traitement et le respect de la liberté de conscience au nom de la laïcité, le gouvernement a cherché à éviter, d'une part, d'étendre l'enseignement confessionnel à tous les groupes le réclamant et, d'autre part, d'évacuer totalement de l'espace scolaire la possibilité d'aborder spécifiquement ces questions, sous prétexte qu'elles seraient trop complexes et relèveraient de la sphère privée. Il a estimé qu'il est possible de concilier la laïcité de l'institution scolaire, la socialisation et l'éducation aux valeurs communes, le respect de la diversité, l'apprentissage de la réflexion éthique et l'étude du fait religieux.
En proposant à tous les élèves du primaire et du secondaire - à l'exception de la troisième année du secondaire où cet enseignement n'est pas dispensé - un parcours commun et obligatoire en éthique et en culture religieuse, l'école québécoise entend apporter une contribution particulière à la construction d'une culture publique commune et à l'apprentissage du vivre ensemble dans une société pluraliste, puisque les élèves y apprendront, par la pratique du dialogue, à réfléchir ensemble sur des questions éthiques, qui les interpellent comme individus et membres d'une société démocratique, et à se familiariser avec plusieurs traditions religieuses, en examinant des expressions diversifiées du religieux dans leur environnement socioculturel. Nous aimerions présenter ici les grandes lignes de ce programme et examiner brièvement la place "possible" de la discussion à visée philosophique dans le cadre de ce programme, qui entend faire de la pratique du dialogue une compétence pivot.
I/ Le programme d'éthique et de culture religieuse
A) Un programme qui entend clore le débat sur la place de la religion à l'école
Il convient sans doute d'abord de rappeler que l'instauration de ce programme est le dernier élément de la réponse au "malaise confessionnel" avec lequel le système scolaire québécois a été aux prises pendant de nombreuses années, en raison des droits reconnus aux catholiques et aux protestants du Québec dans la Constitution canadienne de 1867. Devant le constat que tout projet de réforme des structures scolaires se heurtait systématiquement aux garanties constitutionnelles en matière de confessionnalité scolaire, le principe de l'adhésion à une culture publique commune a été présenté par le Conseil supérieur de l'éducation (1993) comme une piste pour amorcer une nouvelle phase de démocratisation de l'enseignement et opérer le "déverrouillage" du système scolaire confessionnel. L'expression a été reprise par la Commission des États généraux sur l'Éducation (1996) qui, après un vaste processus de consultation à travers le Québec, a proposé d'entreprendre dix chantiers prioritaires, dont deux nous intéressent particulièrement ici : la réforme du programme de formation (révision du curriculum, renouveau pédagogique, etc.) et la déconfessionnalisation du système scolaire, laquelle était présentée comme condition pour assurer une éducation aux valeurs communes dans une société pluraliste et laïque.
Dans les années qui ont suivi, ces deux chantiers ont rapidement été amorcés, mais selon des rythmes différents. Un Groupe de travail sur la réforme du curriculum (1997) a fait des propositions, immédiatement reprises par le ministère de l'Éducation (1997), afin d'entreprendre la réforme du programme de formation de l'école québécoise, notamment par une restructuration des programmes d'études selon une approche de développement de compétences. Au plan de la déconfessionnalisation, un amendement à la Constitution canadienne en 1997 a permis une restructuration de l'organisation scolaire régionale sur une base linguistique (francophone et anglophone) plutôt que religieuse. Puis un Groupe de travail sur la place de la religion à l'école (1999) a présenté un important rapport qui a été soumis à une vaste consultation publique au terme de laquelle le ministère de l'Éducation (2000) a proposé l'abolition de l'ensemble des structures et services de nature confessionnelle, à l'exception de l'enseignement religieux confessionnel (catholique et protestant) qui a été maintenu au primaire et au premier cycle du secondaire, en vertu de clauses dérogatoires aux chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Cinq ans plus tard, au moment de reconduire ces clauses dérogatoires, alors que de nombreux groupes de la société civile et plusieurs organismes d'État l'enjoignaient à y renoncer et à abolir le régime d'option, le gouvernement s'engageait à y recourir une dernière fois, pour une période de seulement trois ans, le temps de procéder à la mise en place d'un programme d'éthique et de culture religieuse (Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, 2005). Dans ce contexte, au plan de l'éducation aux valeurs communes dans une société pluraliste, il faut toutefois signaler qu'une nouvelle articulation de l'éthique, de la religion et de la citoyenneté à l'école n'a pu se faire, faute de coordination entre les chantiers du renouvellement du curriculum et du "déverrouillage confessionnel" (Lebuis, 2006).
Les orientations ministérielles qui accompagnaient la décision de mettre en place un programme d'éthique et de culture religieuse précisent quatre principes sur lesquels le nouveau programme doit s'appuyer : initiant aux domaines de l'éthique et de la culture religieuse de la première année du primaire à la fin du secondaire, le programme doit proposer des apprentissages continus et progressifs ; ces apprentissages doivent s'enraciner dans la réalité du jeune et dans la société québécoise ; ils doivent respecter la liberté de conscience et de religion et, en conséquence, le personnel enseignant est appelé à faire preuve d'objectivité et d'impartialité dans le traitement des questions éthiques, car "l'étude de questions éthiques ou religieuses par l'élève vise à ce qu'il les comprenne, sans préjugés négatifs ou soumission aveugle" ; enfin, il doit offrir des apprentissages qui visent le vivre-ensemble et la cohésion sociale par "le partage de valeurs communes, l'acquisition d'un sens civique dans l'expression de ses convictions et de ses valeurs et la prise de conscience que les choix individuels ont des effets sur la collectivité" (MELS, 2005, p. 5-6).
B) Les deux volets du programme et ses finalités
Le titre même du programme Éthique et culture religieuse indique déjà le souci de se démarquer par rapport à ce qui se faisait dans ces domaines antérieurement : il est désormais question d'éthique, plutôt que de morale, et de culture religieuse, plutôt que d'enseignement religieux.
Pour marquer la différence entre la morale et l'éthique, les orientations ministérielles annonçant la mise en place du programme reprennent, à peu de mots près, une distinction entre deux conceptions de la morale faite antérieurement dans le programme d'enseignement moral pour le 1er cycle du secondaire dans l'optique de mettre l'accent sur le développement de la compétence éthique (Ministère de l'Éducation, 2003, p. 495). Ces deux conceptions servent désormais à opérer une distinction entre morale et éthique :
"La morale répond surtout au "Que doit-on faire?" en fonction des règles de conduites, des normes, des interdits, des devoirs, des droits, des valeurs, des principes et des idéaux proposés à la personne de l'extérieur. L'éthique pour sa part, fait surtout appel au questionnement et au discernement sur ce qu'il est préférable de faire dans une situation donnée, par rapport à soi, aux autres et aux retombées de ses actions sur le vivre-ensemble" (MELS, 2005, p. 7)
Dans le "préambule" du programme, on explique les implications éducatives de ce choix qui consiste à parler d'éthique plutôt que de morale :
"Le choix de parler d'"éthique" plutôt que de "morale" souligne la priorité que l'on accorde à l'examen par les élèves des valeurs et des normes qui sous-tendent, dans diverses situations, les conduites humaines. Tout en cherchant à former des individus autonomes, capables d'exercer leur jugement critique, cette formation a aussi pour objectif de contribuer au dialogue et au vivre-ensemble dans une société pluraliste. [...]
Dans ce programme, la formation en éthique vise l'approfondissement de questions éthiques permettant à l'élève de faire des choix judicieux basés sur la connaissance des valeurs et des repères présents dans la société. Elle n'a pas pour objectif de proposer ou d'imposer des règles morales, ni d'étudier de manière encyclopédique des doctrines et des systèmes philosophiques". (MELS, 2008 a, p. 277; MELS, 2008b, "Préambule", p. 2)1.
L'importance de relever les défis relatifs au vivre-ensemble dans une société pluraliste se retrouve également au coeur des orientations éducatives de la culture religieuse, qui vise prioritairement "la familiarisation avec l'héritage religieux du Québec" et "l'ouverture à la diversité religieuse" (MELS, 2005, p. 8). Il y a donc une nette distinction avec l'enseignement religieux confessionnel, dans la mesure où la culture religieuse "ne propose pas à l'élève un univers particulier de croyances et de repères moraux" et n'entend "ni accompagner la quête spirituelle des élèves, ni présenter l'histoire des doctrines et des religions, ni promouvoir quelque nouvelle doctrine religieuse commune destinée à remplacer les croyances particulières (Programme, "Préambule", p. 2) : "La culture religieuse consiste en une compréhension des principaux éléments constitutifs des religions et en une exploration des univers socioculturels dans lesquels celles-ci s'enracinent et évoluent" (Programme, p. 1-2).
En plus de confirmer le passage de la morale à l'éthique et d'opérer un changement radical dans l'approche du phénomène religieux, passant d'une approche confessionnelle à une approche culturelle, le programme Éthique et culture religieuse innove également, dans une certaine continuité avec l'enseignement moral non confessionnel, en faisant de la "pratique du dialogue" une pierre angulaire de l'apprentissage. Ceci vaut tant pour le volet éthique, où "on cherche à développer chez les élèves des aptitudes et des dispositions leur permettant de penser et d'agir de façon responsable par rapport à eux-mêmes et à autrui, tout en tenant compte de l'effet de leurs actions sur le vivre-ensemble", que pour le volet de la culture religieuse, où "on cherche à développer chez les élèves un esprit d'ouverture et de discernement par rapport au phénomène religieux et à leur permettre d'acquérir la capacité d'agir et d'évoluer avec intelligence et maturité dans une société marquée par la diversité des croyances" (Programme, p. 1-2).
Le constat et la valorisation de la diversité ainsi que le souci du vivre-ensemble, sont traduits dans les objectifs sociaux exprimés dans les finalités éducatives du programme : la reconnaissance de l'autre (reconnaissance indissociable de la connaissance de soi et liée au principe que les personnes sont égales en valeur et en dignité) et la poursuite du bien commun (recherche de valeurs communes avec les autres, valorisation de projets qui favorisent le vivre-ensemble, promotion des principes et des idéaux démocratiques de la société québécoise). Ces finalités sont présentées comme "interdépendantes et communes à l'éthique et à la culture religieuse" (Programme, p. 2).
C) La compétence éthique : réfléchir sur des questions éthiques
Dans une société pluraliste où cohabite une diversité de valeurs et de normes auxquelles se réfèrent les individus et des groupes, "il importe d'acquérir une pensée autonome, critique et créatrice, de se prémunir contre les effets du laisser-faire et du moralisme et, enfin, de connaître et d'apprécier les valeurs fondamentales de la société québécoise" (Programme, p. 16). En réfléchissant sur des questions éthiques, les élèves sont appelés à "examiner la signification de différentes conduites ainsi que les valeurs et les normes que favorisent les membres d'une société en ce qui concerne le vivre-ensemble" (Programme, p. 16) :
"Indispensable pour faire des choix judicieux, la compétence Réfléchir sur des questions éthiques exige la mise en oeuvre d'un processus de réflexion. Les questions éthiques sont abordées à partir de situations qui impliquent des valeurs ou des normes et qui présentent un problème à résoudre ou un sujet de réflexion. On traitera, par exemple, de problèmes associés aux relations égalitaires dans un groupe ou dans la société, du partage de la richesse entre les peuples, ou encore de la protection de l'environnement. Les sujets traités pourront toucher à des thèmes universels, comme le bonheur, l'amitié ou la justice. Dans un cas comme dans l'autre, la situation devra être porteuse de tensions ou de conflits de valeurs. (Programme, p. 16)
Cette compétence se décline en trois composantes (Programme, p. 16-19) :
- analyser une situation d'un point de vue éthique, en la décrivant et en la mettant en contexte en vue d'en dégager une question éthique à la lumière de points de vue susceptibles de provoquer des tensions ou des conflits de valeurs ;
- examiner une diversité de repères d'ordre culturel, moral, religieux, scientifique ou social, pour déceler les principaux repères sur lesquels reposent les différents points de vue examinés et en rechercher le rôle et le sens;
- évaluer des options ou des actions éthiques en examinant leurs effets possibles sur soi, les autres ou sur la situation, dans la perspective du vivre-ensemble.
Avec une conception de l'éthique qui consiste à la considérer comme une réflexion critique sur la signification des conduites humaines sous l'angle des valeurs et des normes, on quitte le terrain du moralisme et de l'obligation morale, centré sur l'apprentissage de croyances, de vérités et de règles de conduites toutes tracées et sur un positionnement moral empreint de l'affirmation de son propre référentiel ou de celui de ses groupes d'appartenances, de même qu'on cherche à éviter le relativisme individuel et culturel où toutes les options sont considérées comme d'égale valeur. Une réflexion critique axée sur la significations des conduites demande de s'inscrire dans une démarche où s'exerce la compétence éthique au coeur des situations, dans la résolution de problèmes qui comportent des conflits de valeurs : il faut arriver, par le dialogue, à résoudre les tensions entre diverses valeurs, normes et comportements et parvenir à une décision raisonnable, c'est-à-dire appuyée sur des raisons et critères pertinents au regard de la situation et des personnes impliquées, et dont il est possible de répondre de façon responsable. Dans le programme, cette réflexion éthique ne se limite pas aux seules questions qui comportent un problème à résoudre, mais elle s'étend à des situations générales liées à la condition humaine et à des thèmes universels porteurs de valeurs et de normes, comme le bonheur, l'amitié, la justice, pour permettre d'en discuter, c'est-à-dire d'échanger sur différentes conceptions et représentations de ces situations et thèmes, non pas pour déterminer la "vérité" de ces conceptions ou représentations, mais en vue d'examiner divers points de vue et d'en comprendre l'articulation et le sens.
Les thèmes et les éléments de contenu retenus dans le programme entendent fournir un cadre pertinent à cette pratique de la réflexion éthique :
- Les besoins des êtres humains et d'autres êtres vivants (Primaire, 1er cycle)
- Des exigences de l'interdépendance entre les êtres humains et les autres êtres vivants (Primaire, 1er cycle)
- Les relations interpersonnelles dans les groupes (Primaire, 2e cycle)
- Des exigences de la vie de groupe (Primaire, 2e cycle)
- Des personnes membres de la société (Primaire, 3e cycle)
- Des exigences de la vie en société (Primaire, 3e cycle)
- La liberté (Secondaire, 1er cycle)
- L'autonomie (Secondaire, 1er cycle)
- L'ordre social (Secondaire, 1er cycle)
- La tolérance (Secondaire, 2e cycle)
- L'avenir de l'humanité (Secondaire, 2e cycle)
- La justice (Secondaire, 2e cycle)
- L'ambivalence de l'être humain (Secondaire, 2e cycle)
D) La compétence en culture religieuse : manifester une compréhension du phénomène religieux
La présence du fait religieux dans une société pluraliste comme le Québec se manifeste dans son patrimoine culturel et dans la présence de plusieurs groupes qui se réclament de diverses pratiques religieuses. Pour apprendre à vivre ensemble dans une telle société pluraliste, "il est fondamental d'acquérir une compréhension du phénomène religieux" (Programme, p. 20).
La compétence en culture religieuse s'articule autour de trois composantes (Programme, p. 21-23) :
- analyser des expressions du religieux, en les décrivant et en les mettant en contexte, afin d'expliquer leur signification et leur fonction en établissant des liens avec les traditions religieuses auxquelles elles appartiennent;
- établir des liens entre des expressions du religieux et des éléments de l'environnement social et culturel d'ici et d'ailleurs, en approfondissant des aspects communs et spécifiques de ces expressions et en expliquant leur signification et leur fonction;
- examiner une diversité de façons de penser, d'être et d'agir à l'intérieur d'une même tradition religieuse, dans différentes religions de même que dans la société.
Acquérir une culture religieuse est accessible à tous, qu'on appartienne ou non à une tradition religieuse, car il ne s'agit pas d'adhérer à des convictions religieuses particulières ou de les rejeter, mais de considérer les éléments constitutifs d'une religion comme des expressions et des faits de la culture, des manifestations observables, qu'il s'agit de comprendre. Une approche culturelle du phénomène religieux implique, selon Pierre Lucier, qu'on soit en mesure de décoder, de relier et de situer les diverses expressions du religieux sous considération à partir de leurs manifestations concrètes dans l'environnement socioculturel :
"Décoder, c'est-à-dire repérer, explorer et analyser des expressions du religieux : cela campe nettement l'objet et la tâche de la compétence, qui est d'interpréter les signes.
Relier, c'est-à-dire rattacher les signes aux diverses traditions et aux environnements socioculturels dans lesquels ils surgissent et évoluent : telle est bien la nécessaire portée de la démarche de décodage.
Situer, c'est-à-dire replacer par rapport à la diversité interne aux traditions elles-mêmes, par rapport aux autres traditions religieuses et par rapport aux autres représentations - "séculières" - du monde et de la vie humaine : telle est aussi la portée d'une culture religieuse qui inclut nécessairement l'intelligence de la diversité". (Lucier, 2008, p. 155-156)
Dans le programme, comme il s'agit de comprendre le phénomène religieux à partir de ses diverses manifestations dans la culture et l'environnement socioculturel du Québec, une priorité est accordée au patrimoine religieux québécois, historiquement façonné par le catholicisme et le protestantisme; mais d'autres religions, d'arrivée ancienne ou plus récente, sont aussi examinées, car elles font désormais partie du paysage culturel québécois. Cela se répercute dans le choix des thèmes et éléments de contenu retenus dans le programme et dans le traitement qui doit en être fait en classe :
- Des célébrations en famille (Primaire, 1er cycle)
- Des récits marquants (Primaire, 1er cycle)
- Des pratiques religieuses en communauté (Primaire, 2e cycle)
- Des expressions du religieux dans l'environnement du jeune (Primaire, 2e cycle)
- Les religions dans la société et dans le monde (Primaire, 3e cycle)
- Des valeurs et des normes religieuses (Primaire, 3e cycle)
- Le patrimoine religieux québécois (Secondaire, 1er cycle)
- Des éléments fondamentaux des traditions religieuses (Secondaire, 1er cycle)
- Des représentations du divin et des êtres mythiques et surnaturels (Secondaire, 1er cycle)
- Des religions au fil du temps (Secondaire, 2e cycle)
- Des questions existentielles (Secondaire, 2e cycle)
- L'expérience religieuse (Secondaire, 2e cycle)
- Les références religieuses dans les arts et la culture (Secondaire, 2e cycle)
E) La compétence à pratiquer le dialogue
La pratique du dialogue est une compétence charnière dans le programme Éthique et culture religieuse parce qu'elle apparaît comme "la matrice" des deux autres compétences (Leroux, 2007, p. 86), leur donnant leur portée véritable.
La compétence au dialogue fait appel à trois composantes : organiser sa pensée; interagir avec les autres; élaborer un point de vue étayé (Programme, p. 24-27). Il faut envisager ces trois composantes dans un mouvement dynamique et non de manière séquentielle, car elles comportent deux dimensions interactives, la réflexion personnelle et l'échange avec les autres, qui se nourrissent l'une l'autre dans la construction de points de vue étayés, tant en éthique qu'en culture religieuse. Cette compétence vise à développer des capacités particulières chez les élèves : la capacité de mener une démarche réflexive afin d'organiser leur pensée; la capacité d'exprimer leur point de vue en s'appuyant sur des raisons ou des arguments pertinents et cohérents et d'être attentifs à ceux des autres; la capacité de sélectionner des ressources pertinentes et diversifiées, de recourir à des moyens appropriés pour interroger et élaborer un point de vue étayé, et d'anticiper des objections et des clarifications à apporter.
Quand les élèves dialoguent en classe, ils sont appelés à exprimer ce qu'ils connaissent et ce qu'ils pensent et à interagir entre eux, ce qui les amène à produire quelque chose en commun qui dépasse ce que chacun peut penser individuellement. Le principe pédagogique qui est sous-jacent ici, et qu'on retrouve dans les pratiques de discussion à visée philosophique, c'est qu'on apprend à penser, à structurer sa pensée, en l'exerçant, et que le meilleur moyen de le faire c'est en la pratiquant avec d'autres, en interagissant pour jouer avec des idées, des concepts, des raisons, des arguments, des façons de raisonner, etc., dans un climat de liberté, de tolérance et de réciprocité, afin d'élaborer quelque chose ensemble.
La pratique du dialogue instaure en classe un mode de rapport à l'autre qui constitue en soi une façon de vivre ensemble. En ce sens, elle repose sur des exigences de qualité de la communication et d'instauration d'une posture éthique axée sur l'ouverture à l'autre et la réciprocité. Toutefois, la pratique du dialogue revêt une coloration particulière au plan de la production visée par le processus interactif, qui tient à l'objet de l'investigation, et qui varie donc selon que l'on est sur le terrain de l'éthique, à réfléchir sur des questions éthiques, ou sur celui de la culture religieuse, à comprendre des expressions du fait religieux.
Pour soutenir la pratique du dialogue, le programme identifie un certain nombre d'éléments de contenu permettant d'attirer l'attention des élèves sur des formes de dialogue (conversation, discussion, narration, délibération, entrevue, débat, table ronde) et des conditions favorables à son exercice, sur des moyens pour élaborer un point de vue (description, comparaison, synthèse, explication, justification), sur des moyens pour interroger des points de vue (types de raisonnement et types de jugement), ainsi que sur différents sophismes et procédés susceptibles d'entraver le dialogue (Programme, p. 47-54).
Ainsi, selon les thèmes et les tâches visées en éthique ou en culture religieuse, des modalités particulières de pratique du dialogue pourront être mises en place dans la classe. Par exemple, s'il s'agit de résoudre un problème en éthique, on aura recours à la délibération, alors que le débat sera mieux indiqué si on veut aborder un sujet controversé où des avis différents pourront être échangés dans un cadre qui favorisent leur expression. En culture religieuse, on fera habituellement davantage appel à la description et à la comparaison pour explorer diverses expressions du phénomène religieux et l'échange servira souvent à mettre en commun des résultats de recherche pour faire des synthèses, mais l'entrevue pourra aussi s'avérer un moyen fort utile pour se familiariser avec différentes façons de penser ou d'agir au regard d'une pratique déterminée.
II/ La pratique du dialogue et la discussion à visée philosophique
A) La posture professionnelle du personnel enseignant
Le programme d'éthique et de culture religieuse consacre quelques pages à la question du rôle du personnel enseignant. On y indique que la première responsabilité du personnel enseignant "est d'accompagner et guider les élèves dans leur réflexion éthique, dans leur compréhension du phénomène religieux et dans leur pratique du dialogue". Cela demande de jouer un "rôle de passeur culturel", en jetant des ponts entre le passé, le présent et le futur, notamment en ce qui a trait à la culture québécoise. En éthique, il faut savoir repérer des tensions, des valeurs et des normes qui se rattachent à des questions éthiques, et faire preuve de rigueur lorsqu'elles sont traitées en classe. En culture religieuse, il importe d'aborder les expressions du religieux avec tact afin d'assurer le respect de la liberté de conscience et de religion de chacun. Dans ce contexte, on peut "comprendre l'importance de conserver une distance critique à l'égard de sa propre vision du monde, notamment de ses convictions, de ses valeurs et de ses croyances" (Programme, p. 12).
Au plan de la posture professionnelle, cela implique de pouvoir faire preuve "d'un jugement professionnel empreint d'objectivité et d'impartialité", de "créer un climat propice à un authentique dialogue entre les membres de la communauté d'apprentissage qu'est la classe" et de "favoriser l'ouverture à la diversité des valeurs, des croyances et des cultures" (Programme, p. 12-13). À cet effet, on signale que le personnel enseignant "n'a pas le monopole des réponses" et qu'il lui faut notamment "utiliser l'art du questionnement pour amener les élèves à apprendre à penser par eux-mêmes" (Programme, p. 13). En bref, quand on examine l'ensemble des considérations au plan du rôle et de la posture professionnelle, on peut affirmer qu'enseigner l'éthique et la culture religieuse vise à apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes, en suscitant et en soutenant leur questionnement à l'égard d'objets sur lesquels ils sont appelés à réfléchir et qu'ils doivent chercher à connaître et comprendre, selon un mode qui favorise les interactions entre les élèves en communauté de recherche (Lebuis, 2008, p. 123-146).
À cet égard, une attention particulière doit être accordée à l'expression et à l'organisation de la pensée dans l'exploration des questions et des situations qui sont soumises à la réflexion et à la compréhension. Les idées doivent pouvoir s'exprimer librement, en utilisant divers moyens pour en faciliter l'expression. Diverses positions, exprimant différents points de vue, doivent pouvoir être soulevées. La pertinence et la cohérence des idées doivent être examinées, notamment en mettant en tension différentes perspectives et en les confrontant, en analysant et en évaluant les raisons qui justifient les points de vue exprimés, et en étant particulièrement attentif aux erreurs de raisonnement et à l'utilisation de procédés qui entravent l'investigation, la recherche de l'objectivité et la considération de sources crédibles d'informations. À terme, il ne s'agit pas d'arriver à une bonne réponse unique, dont l'enseignante ou l'enseignant serait le dépositaire, mais de parcourir un processus qui permet, soit de mener une réflexion approfondie sur des questions éthiques pour les envisager de manière raisonnable, soit d'explorer des expressions du religieux pour saisir la diversité des manifestations et des expériences et leur inscription dans la culture.
B) Susciter et soutenir le questionnement
Une des fonctions essentielles du personnel enseignant dans le processus qui permet de traiter des questions éthiques ou d'explorer le phénomène religieux, est de susciter et de soutenir le questionnement des élèves face aux réalités qui sont abordées en classe. L'idée n'est pas de restreindre l'enseignement aux seules questions spontanées des élèves, avec le risque de laisser en plan des aspects importants des thèmes et des éléments de contenu proposés dans le programme, ou de les considérer avec superficialité, mais de mettre en place des dispositifs afin d'articuler la démarche d'apprentissage et d'enseignement aux préoccupations des élèves, dans un mouvement où alternent centration et décentration par rapport à leur propre univers. Cela permet non seulement de s'appuyer sur les intérêts des élèves pour les motiver dans leur apprentissage, mais surtout de dégager des aires de connaissances et d'interrogations à partir desquelles se dégage une zone pour apprendre de façon significative. Tout au long de la démarche d'apprentissage, et particulièrement au départ, dans la phase d'exploration, il importe de faire ressortir ce qui interpelle les élèves au regard ce qui leur est proposé comme objet d'apprentissage : qu'est-ce qui les émerveille; les intrigue; les étonne; leur pose un problème?
Une question formulée par les élèves est une invitation à trouver une ou des réponses plausibles en mettant en place une démarche de recherche qui permet de problématiser la question, de clarifier les notions et les concepts qui permettent de l'appréhender, d'en dégager les tenants et aboutissants, de s'engager dans l'exploration systématique de ses diverses dimensions, de l'envisager dans différents contextes. Cela doit permettre de confronter les expériences, les perceptions, les représentations, les interprétations, les données factuelles, le savoir constitué, en utilisant diverses ressources valides et en ayant recours, pour leur traitement, aux outils de la raison privilégiés par la culture scolaire. Susciter et soutenir le questionnement dans une démarche de recherche raisonnée, ce n'est donc pas aller dans toutes les directions ou dans une direction unique et prédéterminée, ou encore laisser dire n'importe quoi ou envisager tout ce qui est disponible comme étant d'égale valeur, mais c'est s'engager à propos de ce qui est dit, raconté, lu, vu ou entendu dans un processus systématique d'examen, d'analyse et d'évaluation des idées et des réalités pour en dégager le sens, la valeur et la portée dans leur contexte.
Pour ce faire, le personnel enseignant doit se familiariser avec un art du questionnement qui permet de recueillir et de clarifier les idées et les représentations des élèves, d'expliciter différents points de vue, d'identifier ce qui est sous-jacent aux propos et de les approfondir, de solliciter des raisons et des justifications à l'égard de ce qui est exprimé, de faire des liens entre les idées, d'encourager la cohérence et de détecter les erreurs de raisonnement. Et c'est dans le jeu des interactions que cet art est appelé à se déployer pour soutenir le développement dynamique des compétences visées par le programme d'éthique et de culture religieuse.
Quand l'enseignant se préoccupe des interactions sociales dans la classe sous leur double dimension socioaffective et sociocognitive, notamment en s'appuyant sur un art du questionnement qui favorise les relations entre les personnes et les liaisons entre les idées, l'élève apprend à penser par lui-même au sein d'une communauté de recherche où l'on apprend à penser ensemble. Il est appelé à se découvrir comme sujet pensant et, par le partage des idées, il apprend à être attentif aux autres, à faire preuve de tolérance et de réciprocité et à les reconnaître comme des sujets pensants, dignes de respect et de reconnaissance même s'ils pensent différemment de lui. Dans le jeu des transactions intersubjectives, il apprend à penser avec les autres, à étayer des points de vue communs ou divergents et à les soumettre à une critique raisonnée dans une entreprise d'élucidation collective et de construction commune qui fait sens. Par-là, il fait, au sein même de la classe et de l'hétérogénéité qui la constitue, une expérience concrète du vivre-ensemble qui valorise le dialogue et la recherche commune.
Quand la classe se constitue en communauté de recherche, elle s'apparente à un atelier où s'acquièrent des connaissances, se pratiquent diverses habiletés et se développent différentes attitudes caractéristiques des modes de communication et d'investigation qui s'instaurent au sein du groupe. En éthique, il s'agit principalement d'inscrire les élèves dans un processus réflexif qui fait appel à des habiletés de raisonnement qu'ils sont amenés à exercer dans un contexte dialogique où ils apprennent à délibérer ensemble et à développer leur jugement et leur esprit critique. En culture religieuse, la visée de compréhension exige de s'informer adéquatement sur les expressions du religieux pour éviter d'éventuels malentendus à leur propos et pour pouvoir parler de ce qui relève du religieux, chez les personnes et dans la culture, en connaissance de cause, c'est-à-dire avec justesse et à bon escient. Au quotidien, au coeur de l'hétérogénéité présente et vivante dans la classe, reflet de la pluralité sociale, la pratique du dialogue en communauté de recherche devrait permettre de prendre en compte les différences qui s'expriment dans le jeu des interactions sociales et d'apprendre à composer avec la diversité, ainsi qu'avec la relativité des points de vue et l'incertitude qui lui sont inhérentes.
Pour faire en sorte que la pratique du dialogue ne se réduise pas à un simple échange d'informations et d'opinions et joue le rôle essentiel qu'on attend de cette pratique sur le plan social, il convient de multiplier les occasions où les élèves participent à des discussions ouvertes sur des thèmes qui les interpellent et qui leur permettent de réfléchir à des questions éthiques, ainsi que d'approfondir leur compréhension du phénomène religieux. Pour le personnel enseignant, la pratique du dialogue dans des discussions ouvertes fait appel à des habiletés pédagogiques et à des attitudes éducatives particulières : encourager les élèves à s'exprimer librement et les laisser donner des éléments de réponse aux questions soulevées ; manifester de l'ouverture et du respect à l'égard de ce qui est exprimé et exiger cette ouverture et ce respect de tous ; reconnaître que ce qui est dit fait sens pour la personne qui l'exprime et rechercher à travers les propos exprimés, même confusément, l'articulation et la portée de la pensée ; être attentif aux manifestations non verbales etc.
Pour que les élèves apprennent à discuter et à penser ensemble dans la diversité, l'enseignant doit intervenir avec souplesse et rigueur, non pas en imposant une direction, mais en se souciant de la cohérence de la construction collective dans un climat de tolérance et de réciprocité. Il ne s'agit pas d'animer un débat d'opinions, mais de clarifier ce qui est véhiculé, de l'approfondir et de l'élargir. Le coeur de son travail consiste à questionner les élèves pour soutenir le processus de recherche et de réflexion en commun en exigeant d'eux de clarifier les propos, d'expliciter les idées exprimées, de faire des liens entre les idées, de fournir des raisons, de présenter des arguments pour justifier un point de vue, d'identifier des points de vue divergents, d'évaluer les raisons et les arguments invoqués à l'aide de critères pertinents aux situations et aux contextes, d'identifier les présupposés et les conséquences de ce qui est exprimé. Cette pratique collective d'investigation raisonnée devrait permettre de créer un espace éducatif pour éviter les écueils, d'une part, de l'autoritarisme et du moralisme, qui consistent à faire la leçon, à dire quoi penser et à imposer son point de vue, et, d'autre part, du relativisme et du laisser-faire, qui impliquent de laisser dire n'importe quoi et d'accepter que toutes les opinions se valent.
L'art du questionnement doit permettre d'opérer le passage de l'expression d'opinions spontanées à la clarification de points de vue, à leur articulation et à leur analyse dans une entreprise d'élucidation collective. Cet art du questionnement peut faire appel à deux types d'outils : des outils de base, qui correspondent à un répertoire de questions diverses de portée générale pour soutenir le processus réflexif, clarifier et expliciter des points de vue, solliciter des raisons et des justifications, identifier ce qui est sous-jacent aux propos, faire des relations entre les idées et favoriser les interactions entre les élèves ; des outils spécialisés constitués de plans de discussion et d'exercices sur des thèmes et des questions spécifiques.
C'est ici que les pratiques de discussion à visée philosophique peuvent constituer un apport important à la mise en oeuvre du programme d'éthique et de culture religieuse. Les nombreuses approches qui se sont développées au cours des dernières années, depuis les propositions initiales de Matthew Lipman, offrent des matériaux riches et abondants pour instaurer des démarches d'apprentissage pertinentes aux visées du programme. Il reste à mener des expériences avec ces approches dans ce cadre novateur nouvellement institutionnalisé, qui offre un terreau fertile à l'ancrage et au développement des pratiques de discussion à visée philosophique.
(1) Plusieurs éléments du programme Éthique et culture religieuse sont communs au primaire et au secondaire. Pour éviter d'alourdir le texte, les références au programme seront désormais faites à partir de la version du secondaire, avec l'indication "Programme", suivie du numéro de page.