La lecture suivie d'une oeuvre fait partie intégrante du choix pédagogique de l'enseignement de philosophie de confronter les élèves directement aux textes philosophiques. Depuis le travail institutionnel de George Canguilhem dans ce sens, cette rencontre sans autre médiation que le travail du professeur est devenue une pratique consensuelle dans la profession, bien qu'elle soit parfois, sinon souvent, difficile d'accès pour les élèves.
Ce choix de refuser la transposition didactique (alors que les professeurs de SVT ne font pas lire Darwin aux élèves, ni les professeurs de physique le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galilée) offre une chance de formation inédite, et sans doute nécessaire, aux élèves dans leur cursus ; mais ce refus crée aussi des difficultés propres.
Cette journée d'étude voudrait constituer un moment privilégié de réflexions et d'échanges à propos des pratiques des enseignants autour de la mise en place, dans le fil de leur cours, de la lecture suivie d'une oeuvre d'un philosophe. Comment font-ils leur choix ? Comment intègrent-ils cet exercice au sein de leur cours ? Quel(s) usage(s) privilégié(s) en font-ils pour avancer dans le programme : avancée dans certaines notions, amélioration du vocabulaire et des repères, apprentissage de la méthodologie de la pensée critique ?
I. La diversité du programme est-elle un leurre ?
Signe de l'ouverture continuée du programme au fil de ses remaniements, les professeurs ont aujourd'hui le choix entre cinquante-sept auteurs différents : cela marque-t-il un signe de maturité, de tolérance, d'aboutissement du programme, loin de toute tentative dogmatique ? On sait par exemple que Spinoza fut exclu à la fin du XIXe siècle (certes, il reviendra vite), que le programme de 1973 s'était fendu d'une distinction assez étrange entre grands philosophes (ornés d'un astérisque) et philosophes mineurs... Celui de 2003 aurait-il enfin consacré la diversité et l'ouverture ?
Mais les travaux sur la "canonisation" nous apprennent que les effets d'imposition d'un panthéon ne viennent pas toujours de dictées explicites et de programmes trop directifs. Les largesses et le flou consommé des programmes de philosophie n'ont pas empêché, loin de là (bien au contraire, aurait-on même envie de clamer !), la constitution d'un cercle finalement restreint d'incontournables.
Bref, on assiste ici à un écart fort autour d'un repère bien connu : en droit, il y a un choix très vaste qui consacre la liberté professorale, en fait on constate que les choix d'oeuvres tournent souvent autour d'un panel plutôt restreint. La Lettre à Ménécée semble truster la première place, mais d'autres hyper classiques permettent d'obtenir rapidement une proportion écrasante des oeuvres retenues avec moins de dix auteurs.
Quid alors des tentatives de sortir des sentiers battus : leurs bonheurs, leurs déceptions, les textes qui donnent à penser aux élèves, ceux qui font difficulté, les auteurs apparemment peu compatibles ou rentables par rapport au programme de notions, etc. ?
La matinée de cette journée d'étude sera consacrée à deux conférences-débats : la première présentera quelques problèmes posés par la canonisation en philosophie (champ d'investigation déjà bien développé en Allemagne ou en Angleterre, mais étrangement absent des recherches universitaires en France) ; la seconde sera une défense et illustration d'un philosophe mineur (au sens de sa récurrence dans les choix pédagogiques des enseignants du secondaire) par un universitaire spécialiste du philosophe, chargé de relever le défi pédagogique de nous convaincre de son accessibilité et de son intérêt pour des élèves de Terminale - et non de verser dans l'érudition.
L'après-midi, des ateliers permettront de réfléchir autour d'expériences mises en place et racontées par des collègues. Autant d'échanges qui permettront d'ouvrir, ensembles, le champ des possibles et de stimuler la curiosité d'essayer de lire de nouvelles oeuvres en classe.
II. Quelles difficultés l'étude d'une oeuvre pose pendant une année déjà très chargée par un programme lourd ?
Face à la diversité restreinte des choix des enseignants, le problème intéressant est bien entendu d'en comprendre les raisons. Est-ce pour de bonnes raisons pédagogiques (le reste n'est pas faisable) ? Est-ce par calcul stratégique pour l'examen (certains auteurs ne sont pas rentables, car pas assez connus des collègues - autocensure) ? Est-ce par souci de concilier étude d'une oeuvre et avancée dans le programme (certains textes recouvrent difficilement les notions au programme) ? Est-ce par épuisement ou lassitude (absence de désir d'aller expérimenter des auteurs peu connus de l'enseignant) ?
Le partage des expériences professorales de chacun jouerait ici un rôle vivifiant : échanger, suggérer, partager des expériences heureuses ou malheureuses. Si l'échange de pratiques est une vraie source de renouvellement et de joie dans le métier, la question de l'étude suivie d'une oeuvre apparaît comme un problème particulièrement intéressant dans cette perspective.
Ne pas hésiter à proposer : le programme de l'après-midi est ouvert, nous espérons trois ou quatre ateliers en parallèle, il faut donc des propositions pour les animer.
Programme de la journée
9h : Accueil des participants au Lycée Faidherbe, à Lille
9h30-10h45 : conférence de Sébastien Charbonnier
11h-12h15 : deuxième conférence
Déjeuner
14h-15h30 : ateliers (trois voire quatre, si les propositions sont nombreuses)
15h45-16h30 : mise en commun des travaux en ateliers
Il est essentiel que les professeurs de philosophie puissent se concerter et s'exprimer sur ces questions, qui sont déterminantes pour l'avenir de l'enseignement de la philosophie.
Les Journées d'études de l'Acireph ont pour but de rendre possible une réflexion commune et approfondie des professeurs de philosophie qui souhaitent sortir de leur isolement et s'emparer des questions posées par leur métier.
Coût de la participation à la journée : 10 euros (pour les gâteaux, les boissons, etc.)
Contact : contact@acireph.org