Revue

Journées d'études de l'Acireph (22 et 23 octobre 2011) : "Philosophie en seconde : un piège ou une chance pour la philosophie ?"

Dans son allocution d'ouverture, Cécile Victorri, présidente de l'Acireph, expose les principaux enjeux de l'actuelle réforme consistant à introduire un enseignement de philosophie avant la classe terminale. Après avoir présenté les nouveaux dispositifs progressivement mis en place depuis la rentrée 2009, elle distingue trois sortes d'enjeu.

  • D'abord, des enjeux politiques : le projet est conduit dans le cadre de la réforme du lycée, dont les grands objectifs sont l'autonomie des établissements et l'individualisation des parcours. Par conséquent, en fonction des lycées et du choix de chacun, certains élèves feront de la philosophie avant la classe terminale et d'autres pas du tout. Peut-on alors parler de démocratisation de notre enseignement ?
  • Ensuite, des enjeux professionnels : l'ensemble des dispositifs conduit le professeur de philosophie à travailler en interdisciplinarité sur des sujets ou questions non proprement philosophiques. Cela ne va-t-il pas brouiller l'image de la discipline au sein du lycée, d'autant que les textes officiels ne disent rien sur ce qu'est une intervention spécifiquement philosophique dans ces dispositifs ?
  • Enfin, des enjeux pédagogiques : l'Acireph défend la progressivité de l'enseignement de la philosophie au Lycée. Cette réforme introduit-elle une certaine progressivité ou vient-elle menacer les quelques expériences faites en classe de première qui vont explicitement dans ce sens ?

Le samedi après-midi est d'abord consacré à un travail sur la progressivité, avec deux interventions.

Sébastien Charbonnier rapporte un ensemble d'observations faites dans le cadre du travail d'une thèse. L'objet : une initiation à la philo en première L ou ES. Les conditions : des professeurs ayant un bon contact avec les élèves ; un enseignement non évalué d'une heure par semaine. En résumé, le bilan est plutôt décevant : les élèves ont considéré qu'une heure hebdomadaire ne permettait pas de suivre un vrai enseignement. Enfin, les élèves de première L se disaient plus inquiets en abordant la classe terminale après cette initiation qu'avant.

Après l'exposé, la discussion semble mettre en évidence le fait que l'initiation à la philosophie en classe de première doit d'emblée porter sur un ou des problèmes précis, non sur la présentation de la discipline, contrairement à une pratique assez fréquente.

Suit une intervention de Cécile Victorri sur un projet d'accompagnement personnalisé, dans l'esprit de la réforme : six ateliers de six heures pour des groupes différents d'élèves ; des compétences à développer précisées (distinguer des concepts, faire une objection à une thèse, etc.). Par exemple, un colloque de philosophes sur la question "Les hommes sont-il égaux ?", ou encore un atelier sur la question des embryons surnuméraires, avec un professeur de biologie.

La question est alors de savoir si les deux types d'enseignement sont équivalents pour préparer les élèves à l'enseignement de la philosophie en classe terminale, ou s'ils sont rivaux en droit aussi bien qu'en fait.

La deuxième partie de l'après-midi est consacrée à un travail sur l'interdisciplinarité, avec à nouveau deux interventions.

François Meyer rapporte un projet commun math-philo, mené avec un collègue de mathématiques également présent. Ce projet existait avant les nouveaux dispositifs, à l'adresse des classes de secondes et de terminales. L'objet : sur les paradoxes de l'infini, les paradoxes de Zénon. Le bilan de cette expérience est positif : il permet de montrer aux élèves la philosophie et les mathématiques sous un nouveau jour : la philosophie comme pouvant porter sur des objets précis, liés à une culture ; les mathématiques comme ayant une histoire, au cours de laquelle apparaissent certains concepts.

Suit une intervention de Nicole Grataloup sur une option facultative intitulée : "Analyse des grandes questions contemporaines". Le public : des élèves de classe de seconde, dans le cadre d'un cycle de préparation à l'entrée à Science Po, jusqu'à la classe terminale. Il s'agit d'un projet interdisciplinaire : philosophie, économie, histoire-géographie. Trois thèmes traités dans l'année : les médias, les inégalités, l'homme et la nature. Nicole réfléchit sur la place de la philosophie dans ce type d'enseignement interdisciplinaire. Elle considère d'abord que l'apport du professeur de philosophie y a toute sa place. Pourquoi ? Même si la culture proprement philosophique n'est pas mobilisée, le professeur de philosophie inciterait davantage que ses collègues des autres disciplines à une réflexion personnelle (aux dires des collègues eux-mêmes), et à une prise de distance, par opposition à l'approche empathique du professeur d'histoire.

La matinée du dimanche permet de débattre des différentes interventions du samedi après-midi, plus généralement du projet de réforme.

Un point semble faire l'accord : pour notre association, il est possible de continuer à revendiquer certaines choses non contenues dans la réforme - notamment un cours de philo pour toutes les classes de premières L, tout en cherchant à voir comment exploiter positivement cette réforme.

Plusieurs participants font remarquer que le problème est peut-être moins le contenu intrinsèque de cette réforme que les conditions de sa mise en oeuvre : le fait que beaucoup de collègues n'ont pas de poste fixe, ce qui ne facilite pas la connaissance d'autres collègues et donc le travail interdisciplinaire ; le fait que les classes soient de plus en plus nombreuses (ce qui pose problème en accompagnement personnalisé).

L'ensemble des participants est favorable au travail interdisciplinaire et ne pense pas que la philosophie se perde dans un tel travail. Les professeurs qui ont pratiqué cela en tirent un bilan plutôt positif.

L'après-midi du dimanche est consacrée à l'épreuve de philosophie des séries technologiques. Joël Dolbeault fait un rappel historique de la question : les Journées d'étude 2010 ont été consacrées à la philosophie dans les séries technologiques. Elles ont débouché sur un ensemble d'idées visant à modifier les programmes et les épreuves. Devant l'impasse constituée par la question du changement de programme, l'Acireph a décidé de s'attacher essentiellement aux épreuves et de faire une demande en ce sens à l'Inspection Générale. La rencontre avec M. Sherringham (en avril 2011), Doyen de l'Inspection Générale de Philosophie, nous a laissé entendre que la voie était entr'ouverte. Depuis, l'Acireph travaille à la question et différents types d'épreuve ont été proposés par les membres du Conseil d'administration.

Les points sur lesquelles tous semblent s'accorder sont encore très généraux : diminuer la durée de l'épreuve (de quatre à trois heures ?) ; guider davantage l'élève. Les points qui ne font pas encore l'objet d'un accord sont : faut-il plusieurs sujets ? De types différents ? Et si oui, lesquels ? Faut-il qu'une partie de l'épreuve soit consacrée à la restitution de connaissances ?

La discussion s'ensuit. Certains participants considèrent qu'il est difficile de proposer une meilleure épreuve (compte tenu des programmes imposés), et qu'il est peut-être plus pertinent de demander une clarification de ce qui est demandé (en termes de compétences) et des critères de corrections.

Ceux-ci considèrent que les différentes propositions de sujets donnent aux concepteurs de sujet une tâche compliquée, par exemple pour les questions de connaissance utilisant les repères, ou encore pour les questions accompagnant les textes. Il s'agit alors pour l'ensemble de la profession de prendre de nouvelles habitudes. Par ailleurs, l'examen des propositions concrètes permet de soulever une difficulté : à vouloir guider les élèves, on risque parfois de les embrouiller. La réflexion reste ouverte, et le travail doit se poursuivre, dans le courant de l'année.

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