Revue

Conférence de l'ICPIC (Conseil international d'enquête philosophique pour enfants), Gyeongsang National University, Jinju (Corée du sud), juillet 2011

L'ICPIC est une organisation internationale dont le sigle signifie Conseil international d'enquête philosophique avec enfants (International council of philosophical inquiry with children). Cette organisation regroupe toutes les personnes et les organisations qui développent la philosophie avec enfants dans le monde, dans la mouvance de l'école de Lipman. La relation de chacun à Lipman est plus ou moins forte, et varie de l'enracinement profond à la simple inspiration. L'affiliation à l'ICPIC permet l'accès à un réseau considérable d'informations, de connaissances et de personnes. Chaque deux ans, l'ICPIC organise une conférence internationale dans un autre continent. Cette année le continent était l'Asie, et le pays hôte, la Corée du Sud.

L'Unesco a demandé à Philolab (Association française de promotion des nouvelles pratiques philosophiques - www.philolab.fr/) de participer à cette conférence et c'est pourquoi Edwige Chirouter, Jean-Charles Pettier et moi-même sommes partis pour la grande université de Jinju (24 000 étudiants), en Corée du Sud. Notre mission était de faire découvrir aux membres de l'ICPIC présents à Jinju, l'existence et la richesse du travail de Philolab, et donc la foisonnement de ce qui se passe dans le monde francophone en philosophie pour enfants et en Npp.

Je me propose de vous parler ici brièvement, des quelques points suivants:

  • I/ La philosophie pour enfants en Corée.
  • II/ La conférence de Jinju (quelques aspects).
  • III/ La déclaration de Jinju.
  • IV/ Quelques considérations sur Philolab et l'ICPIC.

I/ La philosophie pour enfants en Corée

La Corée est un pays qui a vécu un dernier siècle dramatique : elle est entrée en guerre avant tout le reste du monde, en 1910 avec l'invasion de son pays par le Japon, le pays est resté en guerre pendant les brèves périodes de paix du 20ème siècle, et a fini la guerre après tous les autres pays, à la fin de 1953. Le pays était alors appauvri et détruit, c'était un des pays les plus pauvres du monde. A cette époque, alors que toute la nation ne pensait qu'à faire des choix économiques pour se redresser, un jeune philosophe est allé étudier en Amérique. Il a rencontré Lipman. Et il a eu le courage de croire dans la richesse et la nécessité de la philosophie, la force de la pensée, et dans la philosophie pour enfants. Il s'appelle le professeur Dr. Cho-Sik Lee. De retour en Corée, il créa des groupes de jeunes qui, dès la fin des années 70, partaient à la campagne chaque été pour travailler et penser. D'un côté, ils participaient à la reconstruction du pays, et de l'autre ils lisaient, discutaient et réfléchissaient. Aujourd'hui, il existe une grande école de philosophie pour enfants en Corée. Dès les années 80, les professeurs s'attelèrent à la traduction de l'oeuvre pour adultes et pour enfants de M.Lipman et de M.Sharp.

Pendant un petit tour que les participants à la conférence ont pu faire pour découvrir le pays, nous avons remonté une vallée perdue pour parvenir à un village pauvre et isolé. Là, fiers, solennels et formels, munis de gants blancs et suite à des discours officiels, les meilleurs philosophes coréens ont dévoilé et inauguré une stèle à la mémoire des années de travail philosophique avec des enfants et des jeunes, en Corée. Dans un témoignage émouvant, le professeur C.S. Lee nous a raconté cette longue histoire. Le nom de tous les participants à la conférence sera gravée dans la pierre de cette stèle en souvenir de la grande conférence de l'Icpic dont un des buts était de fêter avec grandeur cette longue histoire.

Aujourd'hui, beaucoup de jeunes passent par la faculté des sciences de l'éducation de l'université de Jinju, étudient avec les professeurs qui appartiennent à ce grand mouvement. Le professeur JinwhanPark, étudiant de C.S. Lee, grand promoteur de la philosophie pour enfants, était l'organisateur de la conférence qui a eu lieu à Jinju.

II / La conférence de Jinju

Il est impossible de donner un compte rendu de tout le colloque. En effet, pendant trois jours il y avait des conférences, des communications et des ateliers dans cinq salles parallèles. Chaque journée commençait avec un témoignage de professeurs qui avaient connus personnellement M. Lipman et M. Sharp (un livre avec toutes ces interventions sera publié par l'ICPIC, dans lequel il y aura entre autres la conférence Jean-Charles Pettier). Et chaque jour finissait avec des ateliers où nous pouvions expérimenter des méthodes très différentes, que nous avions la possibilité de découvrir, de discuter et d'interroger. La centaine de participants habitaient dans le campus. Dans le même bâtiment des filles ou celui des garçons, ils mangeaient ensemble, participaient ensemble à des tours de ville et discutaient tout le temps. Cette vie dans le campus a permis le développement de liens importants et enrichissants. Une journée était dédiée à l'éducation morale, une au multiculturalisme et une à la formation de la pensée. Nous avons entendu des professeurs qui travaillaient à partir du théatre (Narelle Arcidiacono), à partir des mathématiques (Nadia Kennedy), à partir de l'art (Sara Liptai), à partir de la religion, entre autres musulmane (Abdul Shakour), etc. Il y a eu plusieurs communications sur l'utilisation de supports différents, des livres, des fables, mais aussi des objets (comment faire avec des objets de la métaphysique !) etc.

Nos communications portaient sur ce qui se fait et se pense en France dans ce domaine. Edwige Chirouter a parlé du sujet de sa thèse : philosopher avec des enfants grâce à la littérature. Lire pour grandir et penser. Analyse de trois ans de pratiques avec les mêmes élèves d'une école primaire en France. Jean-Charles Pettier a proposé une réflexion en plusieurs points sur la situation actuelle des NPP, les problèmes et les enjeux que leur développement pose, les choix politiques que nous devons faire dans nos pays et dans nos rapports avec l'Unesco. Quant à moi, j'ai parlé des différentes écoles et méthodes de discussions philosophiques avec les enfants, nées en France et promues et représentées par Philolab (les communications de E. Chirouter et N.Frieden sont publiées dans Diotime. Quant à la communication de J.C.Pettier, elle sera publiée dans un livre dédié à M. Lipman et M. Scharp, publié par l'ICPIC)

Nos communications ont été bien suivies, entre autres parce que pendant les jours précédents nous avions réussi à nous faire connaître et donc à susciter une curiosité. Par ailleurs, les personnes les plus engagées étaient intéressées par les similitudes de préoccupations entre nos deux associations et voulaient engager une vraie discussion approfondie, telle que celle entre Daniela Camhy (de l'université de Graz et membre de la direction de l'ICPIC) et Jean-Charles Pettier concernant le futur et toutes les actions à mener. Finalement la grande richesse du monde francophone n'étant représentée dans l'ICPIC jusque-là que par l'école d'Oscar Brénifier, elle était peu connue dans sa grande diversité d'approches.

Philolab a réussi à se faire connaître. Sa créativité actuelle, son originalité, ainsi que la place particulière de la philosophie pour enfants dans le contexte des NPP, se sont créées une place à Jinju. Nous avons suscité une curiosité et un intérêt à l'égard de notre créativité. Tout au long de cette conférence, j'ai tenté de tisser des liens avec les différents responsables de l'ICPIC, liens qui semblent à présent se dessiner de façon positive pour l'avenir...

III/ La déclaration de Jinju

Une des raisons importantes de notre présence en Corée, était que l'Icpic voulait présenter une déclaration mondiale afin de confirmer l'importance de la philosophie pour enfants dans le développement des valeurs, de la pensée et de la démocratie dans le monde.

Philolab avait reçu un brouillon de ce texte, et nous avions déjà envoyé bien des commentaires, ajouts et corrections. Nous pensions donc que le texte final serait retravaillé à Jinju par des représentants de diverses associations, dont la nôtre. Nous pensions que le texte final serait consensuel et serait le fruit d'un travail semblable à celui qui avait eu lieu à Milan pour la déclaration de l'Unesco de février. Or les choses se sont passées différemment et ce, malgré tous nos efforts de travailler avec Felix Garcia Moriyon, président de l'ICPIC, sur ce texte.

Dans un premier temps, nous avons assisté à une réunion où un texte achevé nous fut présenté. Etant donné que tous les participants se sont retrouvés devant le fait accompli, tout le monde était insatisfait, chacun voulait apporter sa correction, sa modification, et sa critique.

L'Unesco, présente à la réunion, nous a clairement informés qu'elle se gardait la liberté de signer plus tard, si elle était d'accord avec tous les points, et si bien des associations signaient le texte. La position de l'Unesco, qui nous semblait, à nous francophones, très claire et compréhensible, créait un peu de panique auprès de tous les participants, comme s'il s'était agi d'un désaccord de fond de la puissante organisation avec la philosophie pour enfants. Ceci nous a permis d'informer les personnes présentes, sur le fonctionnement de l'Unesco que Philolab connaît de plus prés. Nous avons proposé des corrections. Le dernier jour, tous les participants se sont retrouvés autour d'un texte partiellement corrigé. Quelques propositions ont permis de créer un certain consensus du dernier moment. Le point qui créait des tensions était la place des autres associations signataires de la déclaration. Ce problème fut résolu démocratiquement, grâce à une suggestion de Jean-Charles Pettier. Mais typiquement les paragraphes posant le plus de problèmes étaient ceux... définissant la nature de la philosophie ! Ils ont donc été supprimés ! Nous sommes intervenus sur le titre parce qu'il posait problème. Nous avons proposé le titre qui permettait le consensus de tous. Nous avons proposé d'éliminer la liste des associations en début de déclaration, car cela ne permettait pas à d'autres de s'ajouter. Nous avons proposé aussi de remplacer ICPIC, chaque fois que l'association était citée, par l'expression "les organisations signataires".

La réunion s'est terminée sans aucun accord. Elle a donc été recorrigée et circule parmi les organisations qui devraient la signer afin de recueillir le plus de signatures possible.

IV/ Quelques considérations sur Philolab et l'ICPIC

Pour moi, cette conférence a beaucoup apporté. Elle a fait connaître Philolab. Elle nous a permis de rentrer en contact avec des sommités anglo-saxonnes dans notre domaine. Elle a ouvert un rapport entre eux et nous, qui nous oblige à une nouvelle présence dans le monde des échanges intellectuels. Nous avons de nouvelles responsabilités. Nous sommes invités à des conférences comme celle de Graz (Autriche) en octobre, ou celle de tout l'ICPIC en Afrique (probablement) au début 2013, ainsi qu'à bien d'autres.

Par ailleurs, parce que l'on a échangé avec l'ICPIC, nous avons nous-mêmes mieux saisi ce qu'est Philolab. Je vais esquisser ici quelques points. Sans aucun doute, pour tous les membres de Philolab, le développement des compétences de la pensée est premier et plus important. Pour l'ICPIC, le développement de valeurs, d'attitudes morales et de souci de l'autre sont plus importants que pour nous. Ainsi, s'il est vrai que pour nous tous, il est essentiel de créer une attention à autrui, pour pouvoir commencer toute discussion, ce "care" n'est pas (ou peu) un objectif de la discussion philosophique pour Philolab. Pour l'ICPIC le "care" est un des objectifs fondamentaux de notre travail.

L'ICPIC travaillent sur l'inter-culturalité. Pour nous celle-ci prend le visage de la différence de classe, et/ou de la vulnérabilité aux conditions économiques.

Notre rapport à l'Unesco est totalement différent du leur. Pour nous c'est un rapport de proximité puisque l'Unesco est à Paris, mais c'est aussi depuis longtemps un rapport de collaboration. Par ailleurs nous nous sommes fait des amis à l'Unesco et nous nous sentons totalement accueillis. Pour l'ICPIC, l'Unesco est encore lointain, assez mystérieux et imprévisible. De ce point de vue nous avons quelque chose à apporter au rapport entre l'ICPIC et la grande institution.

En tant que représentants de Philolab, nous n'avons pas adhéré à l'association Icpic tout de suite, car nous n'en avions pas le mandat avant de partir. Mais plusieurs d'entre nous ont adhéré à titre personnel à cette association afin de bénéficier de tout un réseau enrichissant de travail dans le domaine qui nous fascine. Depuis, Philolab a adhéré à l'ICPIC.

Quelques informations pour finir : la prochaine conférence internationale aura très probablement, lieu au Cap, en Afrique du sud, en février 2013. Cette décision doit encore être votée par tous les membres de l'Icpic, avant octobre de cette année. Un nouveau site de l'association, plus interactif et efficace, va être créé et disponible dans le courant de cette année scolaire. Quant à nous, les participants francophones à cette conférence, nous avons compris qu'il est important d'être présents dans les prochaines conférences de l'ICPIC, et nous nous engageons à essayer de mobiliser des personnes à y participer régulièrement.

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